L’article L. 523-1 du code de la sécurité sociale stipule que l’allocation de soutien familial (ASF) est ouverte de plein droit aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) qui assument la charge effective et permanente d’un ou plusieurs enfants, sous certaines conditions. En vertu de l’article R. 523-2, la demande d’ASF doit être adressée à l’organisme compétent, accompagnée des justifications nécessaires. L’article R. 523-3 précise que le versement de l’ASF ne peut se poursuivre au-delà de quatre mensualités sans preuve que le parent débiteur est hors d’état de faire face à son obligation d’entretien ou sans saisine du juge aux affaires familiales pour la fixation d’une pension alimentaire. Selon les articles 1302 et 1302-1 du code civil, tout paiement suppose une dette, et ce qui a été reçu sans être dû doit être restitué. Dans le cas présent, la cour a établi que Mme [S] ne pouvait prétendre à l’ASF au-delà de quatre mois sans avoir saisi le juge aux affaires familiales, ce qui a conduit à la reconnaissance d’un indu pour la période concernée.
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L’Essentiel : L’article L. 523-1 du code de la sécurité sociale stipule que l’allocation de soutien familial (ASF) est ouverte de plein droit aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) qui assument la charge effective et permanente d’un ou plusieurs enfants. La demande d’ASF doit être adressée à l’organisme compétent, accompagnée des justifications nécessaires. Le versement de l’ASF ne peut se poursuivre au-delà de quatre mensualités sans preuve que le parent débiteur est hors d’état de faire face à son obligation d’entretien.
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Résumé de l’affaire :
FAITS DE L’AFFAIRELa Caisse d’Allocations Familiales de Seine-Maritime a notifié à une allocataire un indu de 11 130,93 euros concernant l’allocation de soutien familial (ASF) et le revenu de solidarité active (RSA) pour la période du 1er septembre 2020 au 31 août 2022. Contestant cette décision, l’allocataire a saisi la commission de recours amiable, qui a rejeté son recours. Elle a ensuite porté l’affaire devant le tribunal judiciaire, qui a validé une partie de l’indu et annulé le surplus, tout en déboutant les parties de leurs demandes de dommages et intérêts. APPEL DE LA CAISSELa Caisse d’Allocations Familiales a fait appel du jugement, demandant l’infirmation de celui-ci et la condamnation de l’allocataire à rembourser le solde restant de l’indu d’ASF, ainsi que des frais liés à la procédure. Elle a soutenu que l’allocataire n’avait pas effectué de demande pour continuer de percevoir l’ASF et a mis en avant des éléments prouvant des intérêts financiers communs avec un ex-conjoint. PRÉTENTIONS DE L’ALLOCATAIREL’allocataire a demandé la confirmation du jugement initial, l’annulation de l’indu, et le remboursement des sommes indûment retenues. Elle a également contesté les demandes de la caisse, arguant que le versement de l’ASF était de droit pour les bénéficiaires du RSA et que la caisse avait commis une faute en continuant de verser l’ASF sans avoir reçu de demande formelle. ÉVALUATION DES FAITSLe tribunal a constaté que l’allocataire avait été séparée de son ex-conjoint et qu’elle avait droit à l’ASF sans demande formelle pendant les quatre premiers mois. Cependant, il a été établi que l’allocataire ne pouvait prétendre à l’ASF au-delà de cette période, car elle n’avait pas saisi le juge aux affaires familiales pour obtenir une pension alimentaire. La caisse a donc été fondée à réclamer le remboursement de l’indu. DOMMAGES ET INTÉRÊTSLe tribunal a reconnu que la caisse avait commis une faute en poursuivant le versement de l’ASF au-delà des quatre mois sans preuve de l’impécuniosité de l’ex-conjoint. L’allocataire a été reconnue comme ayant subi un préjudice financier, et le tribunal a accordé 500 euros à titre de dommages et intérêts. DÉCISION FINALELa cour a infirmé en partie le jugement initial, condamnant l’allocataire à rembourser 9 604,87 euros à la caisse et lui accordant 500 euros en dommages et intérêts. Les dépens ont été mis à la charge de l’allocataire, et les demandes de condamnation au titre de l’aide juridictionnelle ont été déboutées. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le fondement juridique de la demande de remboursement de l’indu d’Allocation de Soutien Familial (ASF) ?La demande de remboursement de l’indu d’Allocation de Soutien Familial (ASF) repose sur plusieurs articles du code de la sécurité sociale. L’article L. 523-1 I stipule que l’ASF est due de plein droit aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) qui assument la charge effective et permanente d’un ou plusieurs enfants, sous certaines conditions. En particulier, le 3° de cet article précise que l’ASF est ouverte pour tout enfant dont le parent se trouve hors d’état de faire face à ses obligations d’entretien. L’article R. 523-1 précise que pour qu’un parent soit considéré comme hors d’état de faire face à ses obligations, il doit être dans cette situation depuis au moins un mois. De plus, l’article R. 523-2 impose que l’allocation de soutien familial fasse l’objet d’une demande adressée à l’organisme compétent, accompagnée des justifications nécessaires. Il est donc établi que la caisse a le droit de réclamer le remboursement des sommes versées indûment si les conditions d’attribution de l’ASF ne sont pas remplies. Quel est le rôle de la déclaration de changement de situation familiale dans cette affaire ?La déclaration de changement de situation familiale, en date du 16 septembre 2018, a été cruciale dans cette affaire. Elle a permis à la bénéficiaire de faire état de sa séparation et de sa situation d’isolement, ce qui a conduit à l’attribution du RSA et, par conséquent, à l’ASF. L’article L. 523-1 III du code de la sécurité sociale stipule que l’ASF est ouverte de plein droit aux bénéficiaires du RSA qui assument la charge effective d’enfants. Ainsi, la déclaration de séparation a permis à la bénéficiaire de justifier son droit à l’ASF sans avoir à en faire expressément la demande. Cependant, la caisse a contesté la continuité de ce droit au-delà de quatre mois, arguant que la bénéficiaire n’avait pas formalisé une demande d’ASF. Néanmoins, le texte légal ne fait pas de distinction entre la première période et les mois suivants, ce qui signifie que la caisse ne peut pas exiger une demande formelle pour la période où la bénéficiaire était éligible. Quel impact a eu la situation financière de l’autre parent sur le droit à l’ASF ?La situation financière de l’autre parent, en l’occurrence le père des enfants, a un impact significatif sur le droit à l’ASF. Selon l’article L. 523-2, l’ASF cesse d’être due lorsque le parent qui doit verser une pension alimentaire est en mesure de faire face à cette obligation. Il a été établi que le père des enfants avait des revenus suffisants pour contribuer à l’entretien des enfants, ce qui a été confirmé par des éléments de preuve tels que ses revenus déclarés et la décision du juge aux affaires familiales. Ainsi, la cour a conclu que la bénéficiaire ne pouvait prétendre à l’ASF au-delà de la période où le père était considéré comme hors d’état de faire face à ses obligations. Cela signifie que la caisse était en droit de réclamer le remboursement des sommes versées après que le père ait été jugé capable de contribuer financièrement. Quel est le fondement de la demande de dommages et intérêts de la bénéficiaire ?La demande de dommages et intérêts de la bénéficiaire repose sur le fait que la caisse a continué à verser l’ASF alors qu’elle aurait dû cesser ces paiements après quatre mois, conformément à l’article R. 523-3. Cet article stipule que le versement de l’ASF ne peut se poursuivre au-delà de quatre mensualités sans preuve de l’impécuniosité du parent débiteur ou d’une saisine du juge aux affaires familiales. La cour a reconnu que la caisse avait commis une faute en poursuivant le versement de l’ASF, ce qui a causé un préjudice à la bénéficiaire, notamment en raison de l’angoisse et de la fragilisation financière que cela a engendré. La cour a donc décidé d’accorder des dommages et intérêts à la bénéficiaire, évalués à 500 euros, en raison de la situation précaire dans laquelle elle se trouvait à cause de la demande de remboursement de l’indu. Quel est le statut des frais de justice dans cette affaire ?Concernant les frais de justice, la bénéficiaire, en tant que partie perdante pour l’essentiel, a été condamnée aux dépens de première instance et d’appel. L’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle stipule que la partie qui succombe peut être condamnée à payer les frais irrépétibles. Cependant, la cour a également débouté la caisse de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile, qui permet de demander le remboursement des frais irrépétibles. Cela signifie que chaque partie a été condamnée à supporter ses propres frais, ce qui est une décision équitable dans le contexte de cette affaire. Ainsi, la cour a confirmé les dispositions de première instance concernant les frais, en tenant compte des circonstances de l’affaire et des demandes des parties. |
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 28 FEVRIER 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
23/00187
Jugement du POLE SOCIAL DU TJ DE ROUEN du 10 Juin 2024
APPELANTE :
CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES DE SEINE MARITIME
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Marc ABSIRE de la SELARL DAMC, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Adrien LAHAYE, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
Madame [T] [S]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Mathilde SURLEMONT, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Nathalie TIMOTEI, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 05 Décembre 2024 sans opposition des parties devant Madame DE BRIER, Conseillère, magistrat chargé d’instruire l’affaire.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme CHEVALIER, Greffier
DEBATS :
A l’audience publique du 05 décembre 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 31 janvier 2025, délibéré prorogé au 28 février 2025
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 28 Février 2025, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
FAITS ET PROCÉDURE :
Par lettre du 6 septembre 2022, la Caisse d’Allocations Familiales de Seine-Maritime (la CAF ou la caisse) a notifié à Mme [T] [S] un indu de 11 130,93 euros après calcul de ses droits à l’allocation de soutien familial (ASF) et au revenu de solidarité active (RSA), au titre de la période courant du 1er septembre 2020 au 31 août 2022.
Contestant cette décision, Mme [S] a saisi la commission de recours amiable de la caisse, qui le 9 février 2023 a rejeté son recours.
Mme [S] a poursuivi sa contestation en saisissant le tribunal judiciaire de Rouen, pôle social, qui par jugement du 10 juin 2024 a :
– validé l’indu d’ASF notifié pour la période de septembre 2020 à février 2021 inclus, soit la somme de 3 479,64 euros ramenée à celle de 1 848,45 euros après déduction du rappel de RSA évalué par la CAF à 1 078,89 euros ainsi que des retenues sur prestations effectuées (6 x 92,05 euros soit 552,30 euros) ;
– condamné Mme [S] à s’acquitter de cette somme auprès de la CAF de Seine-Maritime,
– annulé l’indu notifié à Mme [S] le 6 septembre 2022 pour le surplus,
– débouté les parties de leurs demandes de dommages et intérêts fondées sur l’article 1240 du code civil,
– rejeté toutes demandes plus amples ou contraires,
– débouté Mme [S] de sa demande de condamnation fondée sur l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle,
– débouté la CAF de Seine-Maritime de sa demande de condamnation fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la CAF de Seine-Maritime aux dépens.
Par déclaration électronique du 5 juillet 2024, la caisse a fait appel.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Soutenant oralement ses écritures remises au greffe, la caisse demande à la cour d’infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de :
– débouter Mme [S] de ses demandes,
– condamner Mme [S] à lui payer la somme de 9 604,87 euros correspondant au solde restant de l’indu d’ASF sur la période de septembre 2020 à septembre 2022, à titre principal sur le fondement de la répétition de l’indu ; subsidiairement sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle ; très subsidiairement au visa des articles L. 523-1 et suivants, R. 115-7, L. 114-10 et L. 114-17 et suivants du code de la sécurité sociale, et L. 515-8 du code civil ; « très très subsidiairement », la condamner à lui payer la somme de 5 254,26 euros correspondant au solde restant de l’indu d’ASF sur la période de septembre 2020 à novembre 2021 inclus ;
– condamner Mme [S] à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et à supporter les dépens de première instance,
– condamner Mme [S] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel et à supporter les dépens d’appel,
Infiniment subsidiairement, elle demande à la cour de :
– débouter Mme [S] de ses demandes,
– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné celle-ci à lui payer la somme de 1 848,45 euros correspondant au solde restant de l’indu d’ASF sur la période de septembre 2020 à février 2021 inclus, tant sur le fondement de la répétition de l’indu que de la responsabilité extracontractuelle,
– dire que chacune des parties conservera à sa charge ses frais et dépens.
La caisse expose qu’en septembre 2018, Mme [S] a déclaré être séparée de M. [C] depuis le 2 août 2018 et avoir la charge de cinq enfants, a effectué une demande de RSA (revenu de solidarité active) et s’est vu accorder l’ASF pendant une période de quatre mois puisqu’elle déclarait être isolée. Elle fait valoir que Mme [S] n’a pas effectué de demande pour continuer de percevoir l’ASF, mais l’a néanmoins perçue. Elle ajoute s’en être rendu compte à l’occasion d’une enquête en avril 2022, qui a par ailleurs révélé des intérêts financiers communs avec M. [C] qui versait des sommes sur les relevés de compte de Mme [S]. Elle justifie la somme dont elle réclame paiement par la différence entre le montant d’ASF indûment versé entre septembre 2020 et août 2022 (14 028,27 euros) et un rappel de droit au RSA (2 897,34 euros) résultant de la suppression de l’ASF et compensant partiellement l’indu ; expose avoir effectué six retenues de 92,05 euros ; ajoute qu’à la suite d’une demande d’ASF déposée par Mme [S] le 4 mai 2023, et de l’engagement par celle-ci d’une procédure devant le JAF, son dossier a été révisé et un rappel d’ASF lui a été accordé pour la période de mai 2022 à juillet 2023, correspondant à 973,76 euros sur la période mai – août 2022 inclus.
Elle soutient que la perception de l’ASF suppose une demande, en vertu de l’article R. 523-2 du code de la sécurité sociale, formalité non accomplie par Mme [S] ; qu’aucun texte ne lui impose d’effectuer des contrôles dans un « délai raisonnable », qu’il appartenait à l’allocataire de faire les démarches et déclarations imposées par les textes, et que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Elle ajoute qu’une gestion chaotique, imprécise et inadaptée d’un dossier, un traitement erratique et confus, ne suffisent pas à caractériser un comportement fautif de sa part. Elle en déduit que Mme [S] ne peut qu’être déboutée de sa demande indemnitaire sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle.
Elle fait également valoir que celui qui demande le bénéfice de l’ASF doit obligatoirement saisir le juge aux affaires familiales d’une demande de pension alimentaire ; que lorsque le contrôleur a rendu son rapport, Mme [S] n’avait toujours pas engagé de procédure à l’encontre de M. [C]. Elle fait valoir que ce dernier, sur la période litigieuse, n’était pas hors d’état de faire face à son obligation d’entretien et d’éducation des enfants. Elle considère que Mme [S] était particulièrement informée de ce qu’elle devait engager une procédure dès sa demande de RSA en raison du caractère subsidiaire de ce minima, raison pour laquelle elle l’avait invitée à déposer une telle demande.
« A titre subsidiaire, sur la responsabilité de Mme [S] », elle soutient que l’absence de dépôt d’une demande d’ASF constitue une faute de l’allocataire, de même que l’absence d’isolement et les manquements déclaratifs de l’allocataire (omission de déclarer les reprises de vie conjugale ou les pensions alimentaires versées par M. [C]). Elle estime que cette faute cause un préjudice financier à la solidarité nationale, d’un montant équivalent à l’ASF versée.
« A titre très subsidiaire, sur le bien fondé de la créance […] au titre de l’isolement de Mme [S] », la caisse se prévaut des condamnations pénales de M. [C] pour démontrer une reprise de vie conjugale après le dépôt de plainte de juin 2021, d’un aveu judiciaire quant à une absence de résidence commune depuis février 2021, de manquements de Mme [S] qui n’a pas déclaré les reprises, mêmes ponctuelles, de vie commune, de l’enquête menée, des documents tels que le bail, les quittances, les factures EDF au nom du couple, des virements effectués par M. [C] sur le compte de Mme [S] entre juin 2020 et janvier 2021 puis en juillet-août 2021, mettant en évidence des intérêts financiers communs. Elle considère que dans la mesure où les constatations de ses enquêteurs assermentés font foi jusqu’à preuve contraire, il appartenait à Mme [S] de contredire cet état de fait en produisant notamment ses comptes bancaires.
Soutenant oralement ses écritures remises au greffe, Mme [S] demande à la cour de confirmer le jugement « en toutes ses dispositions et en ce qu’il a », notamment :
– « enjoindre à la caisse d’annuler l’indu notifié le 6 septembre 2022,
– condamner en tant que de besoin la caisse à lui rembourser les sommes indûment retenues sur ces prestations familiales au titre de la période du 1er septembre 2020 au 31 octobre 2022,
– débouter la caisse de sa demande de condamnation de Mme [S] sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle,
– débouter la caisse de sa demande de condamnation au titre de l’absence d’isolement de Mme [S] en ce qu’elle ne correspond pas au fondement de l’indu ».
Subsidiairement, elle demande à la cour de condamner la caisse à lui payer la somme de 10 578,63 euros à titre de dommages et intérêts et ordonner la compensation des sommes dues par chaque partie.
Elle lui demande, en tout état de cause, de :
– condamner la caisse à lui payer la somme de 1 200 euros au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle, sans que cette somme ne puisse être inférieure à 1 036,80 euros TTC,
– débouter la caisse de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– statuer ce que de droit quant aux dépens.
Mme [S] fait état d’une séparation conflictuelle avec M. [C], évoquant un premier départ de ce dernier en août 2020, la décision de celui-ci de réintégrer ponctuellement le domicile tout en étant hébergé plusieurs fois par semaine chez ses amis ou des membres de sa famille, et un départ définitif en février 2021 dans un contexte de violences conjugales.
Elle soutient qu’en vertu de l’article L. 523-1 du code de la sécurité sociale, le versement de l’ASF est de droit pour les personnes bénéficiant du RSA et n’est pas conditionné au dépôt d’un dossier. Elle considère que la caisse ne peut se prévaloir d’un défaut de dépôt de demande quatre ans plus tôt.
Elle évoque ses différentes démarches dès le mois de février 2021 auprès de différents avocats et un jugement rendu par le juge aux affaires familiales le 30 mars 2023, rectifié le 6 juillet 2023, concernant la contribution de M. [C] à l’entretien et l’éducation des enfants. Elle ajoute que la caisse ne l’a jamais informée de la nécessité d’obtenir une décision de justice sur ce point.
Mme [S] dénonce une légèreté plus que blâmable de la caisse qui lui a versé l’ASF pendant quatre ans sans avoir reçu de demande en ce sens avant de se rendre compte de la situation et d’engager la procédure de répétition d’indu dans les limites de la prescription, alors même que la caisse sous-entend qu’elle aurait dû contrôler son dossier au bout de quatre mois. Elle considère que l’absence de diligences de la caisse pendant quatre ans constitue une faute. Elle fait valoir que son préjudice est constitué du fait de se voir réclamer une somme de 10 578,63 euros, souligne que du fait des retenues sur prestations dont elle fait l’objet depuis un an, sa situation financière est particulièrement précaire, précisant que M. [C] ne lui verse aucune pension alimentaire malgré sa condamnation. Elle dit être moralement très « impactée » par la procédure et l’importance de la somme sollicitée.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées et oralement reprises à l’audience.
I. Sur la demande en paiement
L’article L. 523-1 I du code de la sécurité sociale dans ses versions applicables au litige dispose qu’ouvrent droit à l’ASF, notamment :
3) tout enfant dont le père ou la mère, ou les père et mère, se soustraient ou se trouvent, s’ils sont considérés comme tels, au regard de conditions fixées par décret, comme étant hors d’état de faire face à leurs obligations d’entretien ou au versement d’une pension alimentaire mise à leur charge par décision de justice ou d’une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant fixée par les actes ou accords mentionnés au IV.
4) tout enfant dont le père ou la mère, ou les père et mère, s’acquittent intégralement du versement d’une pension alimentaire mise à leur charge par décision de justice ou d’une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant fixée par les actes ou accords mentionnés au même IV, lorsque le montant correspondant est inférieur à celui de l’allocation de soutien familial. Dans ce cas, une allocation de soutien familial différentielle est versée.
Cet article en son paragraphe III ajoute que l’allocation de soutien familial est ouverte de plein droit aux bénéficiaires du revenu de solidarité active visés à l’article L. 262-9 du code de l’action sociale et des familles et qui assument la charge effective et permanente d’un ou plusieurs enfants remplissant l’une des conditions précédemment mentionnées.
Selon l’article R. 523-1 du même code, est regardé comme remplissant les conditions fixées au 3° du I de l’article L. 523-1 tout enfant dont, depuis au moins un mois, l’un des parents se soustrait ou se trouve hors d’état de faire face à son obligation d’entretien ou au versement de la pension alimentaire mise à sa charge par décision de justice ou par convention judiciairement homologuée ou d’une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant fixée par l’un des actes ou accords mentionnés au IV de l’article L.523-1.
L’article R.523-2 précise que l’allocation de soutien familial fait l’objet d’une demande adressée à l’organisme ou service compétent pour le versement des prestations familiales au requérant. Cette demande, dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale, doit être accompagnée des justifications nécessaires à l’établissement du droit à la prestation.
L’article R. 523-3 ajoute que lorsque le parent débiteur est défaillant et en l’absence d’une décision de justice, d’un des actes ou accords mentionnés au IV de l’article L.523-1 ou d’une convention judiciairement homologuée, fixant le montant de l’obligation d’entretien, le versement de l’allocation de soutien familial mentionné au 3° du I de l’article L. 523-1 au parent créancier ne se poursuit au-delà de la quatrième mensualité que dans les cas suivants :
1° Lorsque, à l’issue d’un contrôle diligenté par l’organisme débiteur des prestations familiales sur la situation du parent débiteur, celui-ci est considéré comme étant hors d’état de faire face à son obligation d’entretien ;
2° Ou lorsque, à l’issue du contrôle mentionné au 1°, le parent débiteur n’est pas considéré comme étant hors d’état de faire face à son obligation d’entretien et que le parent créancier a saisi l’autorité judiciaire en vue de la fixation du montant de la pension alimentaire mise à la charge du débiteur défaillant.
Sur le fondement des articles 1302 et 1302-1 du code civil, tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution ; celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu.
Il est avéré par la « déclaration de changement de situation familiale du 16 septembre 2018 » que Mme [S] a fait état d’une séparation au 2 août 2018 et d’une situation d’isolement. S’étant vu attribuer le RSA à cette occasion, elle bénéficiait « de plein droit » de l’ASF, de sorte que cette allocation lui était due sans qu’elle ait à en faire expressément la demande, les dispositions réglementaires de l’article R. 523-2 n’ayant manifestement pas vocation à s’appliquer dans le cas du bénéficiaire du RSA spécifiquement visé par la loi.
La caisse n’est pas plus fondée à exiger la formalisation d’une « demande » à l’issue des quatre premiers mois alors que le texte légal prévoyant une attribution « de plein droit » n’opère pas de distinction entre cette première période et les mois ultérieurs, et qu’en application du texte réglementaire la caisse détermine s’il convient de poursuivre ou de cesser le versement de ladite allocation au vu des informations dont elle dispose.
La possible cessation du versement de l’ASF à l’issue des quatre premiers mois, sauf lorsque la caisse est en mesure de considérer que le parent débiteur n’est pas en mesure de faire face à son obligation d’entretien ou que le parent créancier a engagé une instance judiciaire aux fins d’obtention d’une pension alimentaire, rend inopérante son allégation relative à un défaut de réponse de Mme [S] à sa lettre du 18 septembre 2018 lui demandant de renseigner une « demande d’allocation de soutien familial ».
C’est donc à tort que la caisse se prévaut d’une absence de « demande » d’ASF formalisée par Mme [S] pour considérer que les sommes versées à ce titre seraient indues.
En revanche, il est exact que Mme [S] ne pouvait prétendre à l’ASF au-delà des quatre premiers mois :
– que si M. [C] était hors d’état de faire face à son obligation d’entretien,
– ou, s’il était en mesure d’y faire face, que si elle-même avait saisi l’autorité judiciaire en vue de la fixation du montant de la pension alimentaire,
et à la condition première de vivre seule ainsi que cela se déduit des dispositions de l’article L. 523-2 aux termes desquelles l’ASF cesse d’être due lorsque le père, la mère ou la personne physique qui assume la charge effective et permanente de l’enfant orphelin ou de l’enfant assimilé à un orphelin au sens de l’article L. 523-1 se marie, conclut un pacte civil de solidarité ou vit en concubinage.
Sur la période litigieuse, Mme [S] elle-même indique que M. [C] a définitivement quitté le domicile commun en février 2021, ce qui est conforté par deux attestations et par les conclusions de M. [C] devant le juge aux affaires familiales. Il en résulte que l’existence d’une vie commune, à tout le moins le partage d’une communauté de vie et d’intérêts est avérée sur la période antérieure quand bien même la relation aurait été émaillée à partir d’août 2020, selon Mme [S] elle-même, de séparations et reprises de vie commune ponctuelles. Le caractère indu des versements d’ASF est ainsi établi sur la période comprise entre septembre 2020 et janvier 2021 inclus.
Pour la période postérieure en revanche, et étant rappelé qu’il appartient à la caisse réclamant le remboursement de l’ASF versée de rapporter la preuve d’une communauté de vie et d’intérêts rendant cette allocation indue, les éléments versés aux débats ne le permettent pas. Il est considéré notamment que les condamnations pénales de M. [C] sont tout à fait insuffisantes sur ce point, de même que les quelques versements irréguliers de son compte bancaire sur celui de Mme [S].
Mais en tout état de cause, il résulte du dossier que M. [C] occupait un poste de plaquiste depuis 2011 et qu’il a perçu des revenus à hauteur de 26 000 euros environ en 2020, de 26 500 euros environ en 2021 et de 23 930 euros en 2022, de sorte qu’il ne pouvait être considéré sur l’ensemble de la période litigieuse comme étant hors d’état d’assumer son obligation d’entretien des enfants communs. Au demeurant, la cour relève qu’en 2023, le juge aux affaires familiales a condamné M. [C] à payer 60 euros par enfant (soit 300 euros au total) chaque mois à partir d’avril 2022 au titre de sa contribution à leur entretien et à leur éducation.
Or Mme [S] n’a pas saisi le juge aux affaires familiales de manière effective avant le 30 septembre 2022. Si elle justifie d’une demande d’aide juridictionnelle préalable, celle-ci n’a été déposée que le 16 novembre 2021 et en tout état de cause ne vaut pas saisine de la juridiction. De même, il ne peut être tenu aucun compte d’une première assignation, certes délivrée à la partie adverse en avril 2022, mais non remise au greffe de la juridiction, qui n’en a donc pas été saisie.
Mme [S] ne peut valablement se prévaloir de son ignorance quant à la nécessité de saisir le juge aux affaires familiales pour continuer de percevoir l’ASF dès lors qu’en tout état de cause, un éventuel défaut d’information serait sans incidence sur la caractérisation de l’indu et ne pourrait le cas échéant se résoudre qu’en dommages et intérêts.
Dès lors, il est acquis que Mme [S] ne pouvait prétendre à l’ASF sur l’ensemble de la période considérée.
C’est donc de manière fondée que la caisse réclame un indu à Mme [S], sans que cette dernière puisse lui reprocher utilement un déséquilibre des forces entre la caisse et elle, un changement de fondement juridique, ou une absence d’indication des raisons de l’indu l’empêchant de préparer utilement sa défense.
Au regard des explications fournies par la caisse quant au montant réclamé et non sérieusement contredites par Mme [S], il convient de condamner celle-ci au paiement de ladite somme.
II. Sur la demande de dommages et intérêts présentée par Mme [S]
S’il est exact que la caisse peut opérer le contrôle d’une situation donnée à tout moment, il n’en demeure pas moins qu’en application de l’article R. 523-3 précité, elle ne pouvait poursuivre le paiement de l’allocation au-delà du délai de quatre mois sans être convaincue de l’impécuniosité de M. [C] ou sans avoir connaissance d’une saisine du juge aux affaires familiales.
En l’absence de l’un ou l’autre de ces éléments, et quand bien même il est constant que Mme [S] n’a pas répondu au courrier lui demandant de renseigner une « demande d’ASF », la caisse aurait dû cesser le versement litigieux. Ayant poursuivi ce versement, elle a commis une faute.
Mme [S] aurait, certes, dû déclarer les quelques reprises de vie commune intervenues à partir de septembre 2020, voire septembre 2018, mais son manquement n’affecte que les sommes litigieuses versées avant février 2021 puisqu’à compter de cette date son isolement est établi et seul le manquement de la caisse explique la poursuite des versements indus.
L’obligation de restituer une somme indûment perçue ne peut constituer par principe un préjudice. Mais en l’occurrence, la réclamation d’un indu constitué sur une période d’environ un an et demi représente pour Mme [S], dépourvue de moyens financiers, une source de fragilisation financière supplémentaire et d’angoisse.
C’est donc à bon droit que Mme [S] réclame l’indemnisation de son préjudice, que la cour évalue à 500 euros.
III. Sur les frais du procès
Mme [S], partie perdante pour l’essentiel, est condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Par suite, elle est déboutée de sa demande de condamnation fondée sur l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle. Il est équitable de débouter également la caisse de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile. Les dispositions de première instance au titre des frais irrépétibles sont confirmées.
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement, en dernier ressort :
Infirme le jugement rendu le 10 juin 2024 par le tribunal judiciaire de Rouen, pôle social, sauf en ce qu’il a :
– débouté Mme [S] de sa demande de condamnation fondée sur l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle,
– débouté la CAF de Seine-Maritime de sa demande de condamnation fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne Mme [T] [S] à payer à la caisse d’allocations familiales de Seine-Maritime la somme de 9 604,87 euros correspondant au solde restant dû de l’indu d’Allocation de Soutien Familial constitué sur la période de septembre 2020 à août 2022 inclus,
Condamne la caisse d’allocations familiales de Seine-Maritime à payer à Mme [S] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts,
Rappelle que les sommes également liquides et exigibles se compensent de plein droit,
Condamne Mme [S] aux dépens de première instance et d’appel,
Déboute Mme [S] de sa demande formée au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle et la caisse de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE
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