Résiliation d’un bail rural et évaluation du préjudice financier suite à une dégradation des terres.

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Résiliation d’un bail rural et évaluation du préjudice financier suite à une dégradation des terres.

La résiliation d’un bail rural peut être prononcée en cas de faute du bailleur, engageant ainsi sa responsabilité civile pour les préjudices subis par le preneur, conformément aux articles 1231-1 et 1231-2 du Code civil, qui stipulent que le débiteur est tenu de réparer le dommage causé par l’inexécution de son obligation. En matière de baux ruraux, l’article L.792-7 du Code rural et de la pêche maritime précise que le tribunal paritaire des baux ruraux est compétent pour statuer sur les litiges relatifs à l’exécution des baux ruraux. De plus, l’article 564 du Code de procédure civile interdit de soumettre à la cour de nouvelles prétentions, sauf dans des cas spécifiques, ce qui a été appliqué pour déclarer irrecevable la demande de Mme [S] concernant les arriérés de loyers.

L’Essentiel : La résiliation d’un bail rural peut être prononcée en cas de faute du bailleur, engageant sa responsabilité civile pour les préjudices subis par le preneur. En matière de baux ruraux, le tribunal paritaire des baux ruraux est compétent pour statuer sur les litiges relatifs à l’exécution des baux. De plus, l’article 564 du Code de procédure civile interdit de soumettre à la cour de nouvelles prétentions, ce qui a conduit à déclarer irrecevable la demande de Mme [S] concernant les arriérés de loyers.
Résumé de l’affaire :

Contexte du Bail

Par acte du 1er août 2000, une bailleresse a donné à bail à ferme à un preneur deux parcelles de terre, moyennant un loyer annuel de 1.000 euros. Ce bail a été renouvelé à deux reprises et devait expirer en 2027.

Gyrobroyage et Résiliation du Bail

En 2019, un gyrobroyage a été effectué sur les parcelles à l’initiative de la bailleresse. Par jugement du 30 octobre 2020, le tribunal a prononcé la résiliation du bail à compter du 27 août 2019 et a ordonné une expertise pour évaluer le préjudice subi par le preneur.

Demande d’Indemnisation

Le preneur a assigné la bailleresse en avril 2023 pour obtenir des dommages-intérêts, incluant des sommes pour la destruction de ses plantations, la rupture des relations contractuelles, un préjudice moral, et des frais d’expertise. La bailleresse s’est opposée à ces demandes, arguant de la différence entre les rapports d’expertise.

Jugement du Tribunal

Le tribunal a condamné la bailleresse à payer 16.100 euros au preneur pour le préjudice financier, a débouté le preneur de sa demande de préjudice moral, et a condamné la bailleresse aux dépens. La bailleresse a interjeté appel sans préciser les chefs critiqués.

Appel et Réponses des Parties

L’appel a été formalisé par l’avocat de la bailleresse, précisant les chefs de jugement contestés. Le preneur a demandé la confirmation du jugement et a soulevé l’irrecevabilité de l’appel de la bailleresse.

Recevabilité de l’Appel

La cour a déclaré l’appel recevable, notant que la notification du jugement avait été faite dans les délais. Elle a également précisé que l’appel de la bailleresse avait déféré à la cour l’ensemble des chefs de jugement.

Indemnisation du Préjudice Financier

La cour a confirmé que la bailleresse était responsable du préjudice subi par le preneur, évalué à 16.100 euros, en se basant sur l’expertise judiciaire qui a pris en compte la perte de plusieurs récoltes.

Demande d’Arriérés de Loyers

La bailleresse a demandé pour la première fois en appel le paiement d’arriérés de loyers, mais cette demande a été déclarée irrecevable car elle ne relevait pas des mêmes fins que celles soumises au premier juge.

Dépens et Frais Irréductibles

La cour a condamné la bailleresse aux dépens de l’instance d’appel et a confirmé la condamnation aux frais irrépétibles en faveur du preneur, tout en déboutant la bailleresse de sa propre demande à ce titre.

Conclusion

La cour a déclaré recevables les appels de la bailleresse, a confirmé le jugement en toutes ses dispositions contestées, a déclaré irrecevable la demande d’arriérés de loyers, et a condamné la bailleresse à payer des frais irrépétibles au preneur.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le fondement juridique de la résiliation du bail rural ?

La résiliation du bail rural est fondée sur les dispositions de l’article L.792-7 du code rural et de la pêche maritime, qui stipule que le bail peut être résilié pour des motifs tels que la dégradation des terres ou le non-respect des obligations contractuelles par le preneur.

En l’espèce, le tribunal a constaté que la parcelle avait subi un gyrobroyage à l’initiative de la bailleresse, ce qui a conduit à la résiliation du bail à compter du 27 août 2019. Cette décision est justifiée par la nécessité de protéger les intérêts du bailleur et de garantir la bonne exploitation des terres.

Quel est le montant des dommages-intérêts accordés à l’intimé pour le préjudice financier ?

Le tribunal a condamné la bailleresse à verser à l’exploitant la somme de 16.100 euros en réparation de son préjudice financier, conformément aux articles 1231-1 et 1231-2 du code civil.

Ces articles précisent que le débiteur est tenu de réparer le préjudice causé par l’inexécution de ses obligations, ce qui inclut la perte subie par le créancier et le gain dont il a été privé.

L’expert judiciaire a évalué le préjudice en tenant compte de la perte de plusieurs récoltes, ce qui a permis de justifier le montant des dommages-intérêts accordés.

Quel est le principe de l’indemnisation du préjudice moral dans cette affaire ?

Le tribunal a débouté l’exploitant de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice moral, en se fondant sur le principe selon lequel l’indemnisation d’un préjudice ne dépend pas des ressources de l’auteur du dommage, mais uniquement du préjudice causé à la victime.

Cette approche est conforme à la jurisprudence qui stipule que le préjudice moral doit être prouvé et quantifié, ce qui n’a pas été fait de manière satisfaisante par l’exploitant dans cette affaire.

Quel est le cadre juridique concernant la recevabilité de la demande d’arriérés de loyers ?

La demande d’arriérés de loyers formulée par la bailleresse est déclarée irrecevable en vertu des articles 564 et 566 du code de procédure civile.

Ces articles stipulent que les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, sauf si elles sont accessoires, conséquences ou compléments nécessaires des demandes initiales.

En l’espèce, la demande de paiement des loyers impayés n’avait pas été soumise au premier juge et ne répondait pas aux critères d’accessoire ou de complément nécessaire, ce qui a conduit à son irrecevabilité.

Quel est le principe de l’exécution provisoire dans cette affaire ?

L’exécution provisoire est régie par l’article 514 du code de procédure civile, qui prévoit que certaines décisions peuvent être exécutées de manière provisoire, même en cas d’appel.

Dans cette affaire, le tribunal a rappelé que la décision était exécutoire par provision, ce qui signifie qu’elle pouvait être mise en œuvre immédiatement, indépendamment de l’appel interjeté par la bailleresse.

Ce principe vise à garantir la protection des droits de la victime et à éviter que celle-ci ne subisse un préjudice supplémentaire en raison des délais de la procédure d’appel.

COUR D’APPEL DE BASSE-TERRE

2ème CHAMBRE CIVILE

ARRÊT N° DU 27 FEVRIER 2025

N° RG 24/00224 –

N° Portalis DBV7-V-B7I-DVCR

Décision déférée à la cour : jugement du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre statuant en matière de tribunal paritaire des baux ruraux en date du 18 janvier 2024, rendu dans une instance enregistrée sous le n° 23/00728,

APPELANTE :

Madame [Z] [S]

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée par Me Roland EZELIN de la SELARL CABINET ROLAND EZELIN, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro C97105-2024-000335 du 20/03/2024 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Basse-Terre)

INTIME :

Monsieur [L] [W] [U]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me Pierre-Yves CHICOT, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 18 novembre 2024, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Frank Robail, Président de chambre,

Madame Annabelle Clédat, Conseiller,

Mme Aurélia Bryl, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait rendu par sa mise à disposition au greffe de la cour le 30 janvier 2025. Elles ont été ensuite informées de la prorogation de ce délibéré à ce jour en raison de l’absence d’un greffier.

GREFFIER,

Lors des débats : Mme Sonia Vicino, greffier,

Lors du prononcé : Mme Solange Loco, greffier placé.

ARRÊT :

– contradictoire, prononcé publiquement publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

– signé par M. Frank Robail, président, et par avec Mme Solange Loco, greffier placé, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Par acte du 1er août 2000, Mme [Z] [S] a donné à bail à ferme à M. [L] [W] [U] deux parcelles de terre dont elle est propriétaire sur la commune de [Localité 5], cadastrées AO [Cadastre 2] et AO [Cadastre 3], moyennant un loyer annuel de 1.000 euros. Ce bail, d’une durée initiale de neuf années, a été renouvelé à deux reprises, en 2009 puis en 2018, et devait expirer en 2027.

Sur ces parcelles, M. [U] cultivait de la canne à sucre qui a fait l’objet d’un gyrobroyage courant 2019, à l’initiative de Mme [S].

Par jugement du 30 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, statuant en matière de tribunal paritaire des baux ruraux, a :

– prononcé la résiliation du bail rural consenti le 1er août 2000 à compter du 27 août 2019,

– commis M. [G] [D], expert judiciaire, afin d’évaluer le préjudice subi par M. [U] à la suite de ce gyrobroyage et de chiffrer notamment les dommages matériels, son préjudice de jouissance et son préjudice moral.

L’expert a déposé son rapport daté du 17 janvier 2022.

Par acte du 27 avril 2023, M. [U] a assigné Mme [S] devant la même juridiction afin de la voir condamner à lui payer les sommes suivantes :

– 16.100 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la destruction de ses plantations,

– 128.000 euros au titre du préjudice résultant de la rupture brutale et régulière des relations contractuelles,

– 20.000 euros en réparation de son préjudice moral,

– 2.000 euros au titre de ses frais irrépétibles, ainsi qu’une somme de 1.000 euros correspondant à la provision versée par ses soins pour la rémunération de l’expert.

Mme [S], représentée à l’audience par sa fille, s’est opposée à ces demandes, en indiquant que les conclusions du rapport d’expertise judiciaire différaient de celles d’un précédent rapport d’expertise établi à sa demande par M. [Y], et que sa mère ne gagnait que 600 euros par mois.

Par jugement du 18 janvier 2024, en ne se fondant que sur les conclusions du rapport d’expertise judiciaire, le tribunal judiciaire, statuant en matière de tribunal paritaire des baux ruraux en application de l’article L.792-7 du code rural et de la pêche maritime, a:

– condamné Mme [S] à payer à M. [U] la somme de 16.100 euros en réparation de son préjudice financier en suite de la résiliation du bail du 1er août 2000 faisant suite à la dégradation de la parcelle,

– débouté M. [U] de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice moral,

– condamné Mme [S] à payer à M. [U] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mme [S] aux dépens comprenant le coût de l’expertise de M. [G] [D],

– rappelé que la décision était exécutoire par provision.

Mme [S] a interjeté appel de ce jugement par courrier remis au greffe de la cour le 28 février 2024, sans préciser les chefs de jugement critiqués.

Cet appel a été enrôlé sous le numéro RG 24/224.

Par courrier remis au greffe de la cour le 16 avril 2024, Maître Ezelin a formalisé une seconde déclaration d’appel pour le compte de Mme [S], en précisant que son appel était limité aux chefs de jugement par lesquels le tribunal l’avait condamnée à payer à M. [U] les sommes de 16.100 euros à titre de dommages-intérêts et 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, et rappelé que la décision était exécutoire de droit à titre provisoire.

Cet appel, enrôlé sous le numéro RG 24/437, a été joint à celui enrôlé sous le numéro 24/224 par ordonnance du président de la deuxième chambre civile du 20 juin 2024.

Les parties ont été convoquées par le greffe à l’audience du 09 septembre 2024.

M. [U] a signé l’accusé de réception de cette convocation le 26 juillet 2024 et a constitué avocat par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 07 août 2024.

A l’audience du 09 septembre 2024, l’affaire a été renvoyée à celle du 18 novembre 2024, à laquelle elle a été retenue, en présence des avocats des deux parties.

A l’issue, la décision a été mise en délibéré au 30 janvier 2025.

Suivant note adressée par RPVA le 3 décembre 2024, la cour a invité les avocats des parties à faire valoir leurs observations, au plus tard le 12 décembre 2024, sur le moyen de droit qu’elle envisageait de relever d’office, tiré de l’irrecevabilité de la demande nouvelle formée en cause d’appel par Mme [S], tendant à voir condamner M. [U] à lui payer la somme de 3.000 euros au titre des arriérés de loyers de 2017 à 2019, au regard des dispositions de l’article 564 du code de procédure civile.

Aux termes de ses observations remises au greffe le 5 décembre 2024, l’appelante a indiqué qu’elle avait sollicité le paiement des loyers dans le cadre de la procédure ayant donné lieu au jugement du 7 septembre 2020 et que sa demande en paiement des loyers, qui tendait aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, n’était donc pas nouvelle. En tout état de cause, elle a soutenu qu’elle était recevable puisqu’elle était l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes formées en première instance.

L’intimé n’a fait valoir aucune observation en réponse.

Les parties ont ensuite été avisées de la prorogation du délibéré à ce jour en raison de l’absence d’un greffier.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

1/ Mme [Z] [S], appelante :

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 4 novembre 2024, auxquelles son avocat s’est rapporté oralement à l’audience, l’appelante demande à la cour :

– d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement querellé,

– de fixer à 910 euros le montant de l’indemnité due à M. [U] à l’occasion de la résiliation du bail,

– de condamner M. [U] à lui payer la somme de 3.000 euros au titre des loyers impayés,

– de condamner le même aux dépens, à recouvrer conformément aux dispositions applicables en matière d’aide juridictionnelle,

– subsidiairement, d »inviter, sauf à y procéder d’office, l’expert M. [D] à s’expliquer sur le calcul retenu pour évaluer la perte de revenus qu’il a évaluée au profit de M. [L] [W] [U]’.

A cette fin, Mme [S] soutient :

– que M. [U] reste redevable à son égard du fermage des années 2017 à 2019, soit 3.000 euros au total,

– que le rapport d’expertise de M. [Y], contemporain des faits, rend mieux compte de l’évaluation de l’indemnisation, qu’il avait estimée à 910 euros,

– que le tribunal ne pouvait pas écarter ce rapport au motif qu’il n’avait pas été réalisé contradictoirement, puisqu’il était dans les débats et plus proche des faits,

– que le rapport d’expertise judiciaire comporte deux anomalies, qui ne permettent pas de le retenir en l’état :

– il tient compte d’une aide au transport qui n’a pas à être prise en compte puisque, justement, il n’y a pas eu de transport de nature à permettre le versement de cette aide,

– il existe une différence, selon les tableaux, sur le montant retenu pour le calcul des pertes au titre de l’année 2.

2/ M. [L] [W] [U], intimé :

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 5 novembre 2024, auxquelles son avocat s’est rapporté oralement à l’audience, par lesquelles l’intimé demande à la cour :

– de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le ’24 janvier 2024″,

– de condamner Mme [S] à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Après avoir soutenu, au visa de l’article 524 du code de procédure civile, que l’appel de Mme [S] était irrecevable, M. [U] s’oppose aux demandes formées par l’appelante au titre de la résiliation du bail et du paiement des loyers, en faisant valoir qu’elle n’a pas respecté le délai de préavis de 18 mois auquel il pouvait prétendre.

En outre, M. [U] indique qu’il a subi des dommages sur les plans financier, moral, familial et de santé, sans toutefois les détailler et sans former de demandes indemnitaires.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur la recevabilité de l’appel :

L’appel des décisions rendues par le tribunal paritaire des baux ruraux est formé, instruit et jugé selon les règles de la procédure sans représentation obligatoire des articles 931 et suivants du code de procédure civile.

En vertu des dispositions combinées des articles 528, 538 et 891 du code de procédure :

– le délai à l’expiration duquel un recours ne peut plus être exercé court à compter de la notification du jugement,

– les décisions du tribunal paritaire des baux ruraux sont notifiées aux parties elles-mêmes par le greffier au moyen d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception,

– le délai de recours par une voie ordinaire est d’un mois en matière contentieuse.

En l’espèce, le courrier de notification du jugement rendu le 18 janvier 2024, adressé par le greffe à Mme [S], est daté du 28 janvier 2024. Dès lors, même si aucune pièce ne permet de déterminer à quelle date elle aurait réceptionné le courrier recommandé valant notification, son appel interjeté le 28 février 2024 est de toute façon recevable.

En outre, en vertu de l’article 2241 du code civil, cette déclaration d’appel a interrompu le délai d’appel. En conséquence, l’appel régularisé par l’avocat de Mme [S] le 16 avril 2024 doit également être déclaré recevable sur le plan du délai pour agir.

Pour le surplus, si M. [U] conclut, dans la discussion de ses conclusions, à l’irrecevabilité de l’appel, il ne reprend pas cette prétention dans le dispositif de ses écritures, auxquelles il s’est expressément référé lors de l’audience.

En conséquence, la cour n’a pas à examiner cette prétention, en vertu de l’article 954 du code de procédure civile, dans sa version en vigueur à la date de la première déclaration d’appel, qui dispose que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions.

A titre surabondant, il convient en tout état de cause de relever que cette irrecevabilité était fondée sur le seul article 524 du code de procédure civile, qui ne prévoit qu’une possibilité de radiation en cas d’inexécution, mais aucune irrecevabilité de l’appel.

Sur les chefs de jugement déférés à la cour :

Conformément aux dispositions de l’article 562 du code de procédure civile, dans sa version applicable aux appels antérieurs au 1er septembre 2024, l’appel défère à la cour d’appel la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

L’article 931 du même code, régissant la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d’appel, également dans sa version applicable aux appels antérieurs au 1er septembre 2024, dispose quant à lui que la déclaration d’appel désigne le jugement dont il est fait appel, précise les chefs du jugement critiqués auquel l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.

Il résulte de la combinaison de ces textes qu’en matière de procédure sans représentation obligatoire, y compris lorsque les parties ont choisi d’être assistées ou représentées par un avocat, la déclaration d’appel qui mentionne que l’appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d’appel, en omettant d’indiquer les chefs du jugement critiqués, doit s’entendre comme déférant à la connaissance de la cour d’appel l’ensemble des chefs de ce jugement.

Il en est de même lorsque la déclaration d’appel, qui omet de mentionner les chefs de dispositif critiqués, ne précise pas si l’appel tend à l’annulation ou à la réformation du jugement (2e Civ., 29 septembre 2022, pourvoi n° 21-23.456).

En l’espèce, la déclaration d’appel formalisée par Mme [S] le 28 février 2024 ne précisait pas si l’appel tendait à l’annulation ou à la réformation du jugement du 18 janvier 2024. Elle ne précisait pas non plus les chefs de jugement critiqués. En conséquence, elle a déféré à la cour l’ensemble des chefs de jugement.

Cependant, la déclaration d’appel formalisée le 16 avril 2024 par l’avocat de Mme [S] est venue restreindre l’effet dévolutif de cet appel aux seuls chefs de jugement par lesquels le premier juge a :

– condamné Mme [S] à payer à M. [U] la somme de 16.100 euros en réparation de son préjudice financier en suite de la résiliation du bail du 1er août 2000 faisant suite à la dégradation de la parcelle,

– condamné Mme [S] à payer à M. [U] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mme [S] aux dépens comprenant le coût de l’expertise de M. [G] [D],

– rappelé que la décision était exécutoire par provision.

En l’absence de tout appel incident, il convient donc de constater que le chef de jugement par lequel le tribunal a débouté M. [U] de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice moral n’a pas été dévolu à la cour, qui n’aura pas à l’examiner.

Sur l’indemnisation du préjudice financier subi par M. [U] :

Conformément aux dispositions de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

L’article 1231-2 précise que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé.

En l’espèce, par jugement du 30 octobre 2020, le tribunal a prononcé la résiliation du bail rural conclu entre Mme [S] et M. [U] à compter du 27 août 2019, après avoir retenu que la parcelle avait fait l’objet d’un gyrobroyage à l’initiative de la famille [S], constaté par un huissier à la date du 27 août 2019.

Il a par ailleurs ordonné une expertise judiciaire, confiée à M. [D], afin d’évaluer avec précision le préjudice subi par M. [U] par suite de ce gyrobroyage.

En conséquence, la faute commise par Mme [S], de nature à engager sa responsabilité civile à l’égard de M. [U], est parfaitement établie. Elle n’est d’ailleurs pas contestée dans son principe par l’appelante, qui souhaite simplement voir limiter l’indemnisation de l’intimé à la somme de 910 euros, conformément au rapport d’expertise amiable de M. [Y], que le premier juge aurait pu prendre en compte, puisqu’il avait bien été soumis à la discussion contradictoire des parties.

Cependant, pour parvenir à cette évaluation, M. [Y] a considéré que le gyrobroyage n’avait concerné qu’une surface de 2.246 m² et que le chiffre d’affaires moyen à l’hectare à prendre en compte pour évaluer la perte subie par l’exploitant s’élevait à 4.052 euros. Son calcul était par ailleurs limité au préjudice subi au cours de la seule année 2019.

Or, l’expertise judiciaire réalisée par M. [D] a permis d’établir que le gyrobroyage avait affecté toute la surface de canne à sucre cultivée, soit 1,05 hectare.

Ce gyrobroyage a par ailleurs affecté une canne plantée en 2015, donc à fort rendement, puisqu’en 2017, qui correspondait à la première année de récolte, le rendement s’élevait à 80 tonnes à l’hectare en moyenne.

L’expert judiciaire a relevé que l’amortissement d’une plantation se faisait sur six ans, mais qu’une plantation pouvait rester productive avec un bon rendement jusqu’à neuf ans, et qu’elle n’était généralement replantée qu’au bout de sept à huit ans.

M. [U] a d’ailleurs indiqué à M. [D] qu’il n’avait replanté sa précédente plantation qu’au bout de douze ans.

En 2018, la canne n’avait pas été récoltée mais ‘renvoyée’ en 2019. Elle se trouvait au stade du ‘premier rejeton’, qui devait correspondre à une récolte procurant un rendement important. Elle n’a pourtant jamais pu être récoltée, puisque le gyrobroyage est intervenu avant.

M. [U] n’a donc procédé qu’à une seule récolte, en 2017, avant la destruction de sa plantation.

Dès lors, si l’expert judiciaire a considéré que le préjudice correspondait au moins à la perte de cinq récoltes sur six et, au plus, à la perte de sept récoltes sur huit, il est pertinent en l’espèce, compte tenu de la fertilité du sol et des conditions favorables décrites par l’expert dans son rapport, de retenir que M. [U] n’aurait pas été obligé de replanter sa canne avant huit ans et que son préjudice financier s’est donc élevé à la perte de sept récoltes sur huit.

Pour évaluer ce préjudice, l’expert judiciaire s’est très justement fondé sur la perte de marge brute pour l’exploitant, soit la différence entre le chiffre d’affaires attendu et les charges opérationnelles que l’exploitant n’a pas eu à engager, compte tenu de la destruction de sa plantation.

Cependant, c’est à bon droit que l’expert a évalué le préjudice pour la deuxième année de récolte, qui devait correspondre à la récolte 2019, en se fondant sur la seule perte de chiffre d’affaires, sans déduction des charges, soit 4.727 euros, puisqu’à cette période M. [U] avait déjà engagé et réglé les dépenses qui devaient lui permettre de parvenir à la réalisation de ce chiffre d’affaires.

Ceci explique que l’expert n’ait pas pris en compte, pour cette première année de perte, soit l’année 2 d’exploitation, la marge brute qu’il avait estimée à 2.127 euros, mais bien la perte de chiffre d’affaires.

L’erreur invoquée par l’appelante dans ses conclusions n’existe donc pas, et il n’y a pas lieu d’interroger l’expert judiciaire pour qu’il apporte des éclaircissements sur son rapport, qui est parfaitement clair et permet à la cour de statuer en l’état.

Pour le surplus, l’expert judiciaire a retenu, sans qu’aucune autre contestation ne soit développée à l’encontre de sa méthode ou de ses calculs, que le préjudice pouvait être évalué à 16.100 euros, soit (4.727 + 1.911 + 1.911 + 1.696 + 1.696 + 1.696 +1.696) x 1,05 ha.

Sa méthode étant rigoureusement exacte, c’est à bon droit que le tribunal ne s’est pas fondé, pour statuer, sur le rapport d’expertise amiable de M. [Y], qui procède d’une méthode erronée.

En outre, il convient de rappeler que l’indemnisation du préjudice causé à un tiers ne dépend pas des ressources de l’auteur du dommage, mais du seul préjudice causé à la victime. Les développements de l’appelante quant à la faiblesse de ses revenus sont donc inopérants dans le cadre de l’évaluation du préjudice de M. [U].

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a condamné Mme [S] à payer à M. [U] la somme de 16.100 euros en réparation de son préjudice financier.

Sur la demande au titre de l’arriéré locatif :

Conformément aux dispositions de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

L’article 566 précise qu’elles ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

En l’espèce, Mme [S] sollicite, pour la première fois en cause d’appel, la condamnation de M. [U] à lui payer la somme de 3.000 euros au titre des annuités impayées.

Elle n’avait pourtant formé précédemment aucune demande à ce titre, puisque :

– le jugement rendu le 30 octobre 2020, suite à l’audience du 7 septembre 2020, indiquait que Mme [S] demandait à la juridiction de ‘constater au surplus le non-paiement des loyers 2017, 2018 et 2019 par le preneur, M. [U]’, mais ne mentionnait aucune demande de condamnation en paiement à ce titre, puisque ce manquement venait seulement fonder sa demande tendant à voir constater la résiliation du bail,

– le jugement du 18 janvier 2024 ne mentionne aucune prétention formée au titre de loyers impayés par Mme [S], représentée à l’audience par sa fille.

Cette demande ne tend donc pas aux mêmes fins que celles soumises au premier juge.

Par ailleurs, la condamnation de M. [U] au paiement d’un arriéré de loyer, alors que la présente instance a trait à l’indemnisation du préjudice qu’il a subi par suite de la destruction de sa parcelle par la bailleresse, n’est ni l’accessoire, ni la conséquence, ni le complément nécessaire des prétentions indemnitaires soumises au premier juge.

En conséquence, ce moyen relevé d’office ayant préalablement été soumis aux observations contradictoires des parties, il convient de déclarer irrecevable la demande de condamnation formée à ce titre par Mme [S].

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

Mme [S], qui succombe dans ses prétentions, sera condamnée aux entiers dépens de l’instance d’appel.

Par ailleurs, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il l’a condamnée aux entiers dépens de première instance, comprenant le coût de l’expertise de M. [D].

En outre, l’équité commande également de confirmer ce jugement en ce qu’il a condamné Mme [S] à payer à M. [U] la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et, y ajoutant, de la condamner à lui payer une somme complémentaire de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles de l’instance d’appel, tout en la déboutant de sa propre demande à ce titre.

Enfin, c’est à bon droit que le premier juge a rappelé que l’exécution provisoire était de droit.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare recevables les appels interjetés par Mme [Z] [S],

Dans la limite des chefs de jugement déférés à la cour,

Confirme le jugement querellé en toutes ses dispositions contestées,

Y ajoutant,

Déclare irrecevable la demande formée par Mme [Z] [S] au titre de l’arriéré de loyers,

Condamne Mme [Z] [S] à payer à M. [L] [U] la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles de l’instance d’appel,

La déboute de sa propre demande à ce titre,

Condamne Mme [Z] [S] aux entiers dépens de l’instance d’appel.

Le greffier, Le président,


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