Les articles 1103 et 1104 du Code civil stipulent que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. En matière de prêts, un établissement de crédit est tenu à un devoir de mise en garde envers un emprunteur non averti, en tenant compte de ses capacités financières et des risques d’endettement liés à l’octroi du prêt (Cass. Com., 9 mars 2022, n°20-10.678). Le caractère averti d’une personne morale s’apprécie par rapport à son représentant au moment de l’engagement (Cass. Com., 20 septembre 2017, n°16-22.047). Le préjudice résultant d’un manquement à ce devoir de mise en garde est la perte de la chance d’éviter un risque d’incapacité à rembourser le prêt (Cass. Civ. 1ère, 5 mars 2015, n°14-12.017). En cas d’emprunteur non averti, la banque n’est pas tenue à un devoir de mise en garde si le crédit n’apparaît pas excessif ou ne présente pas de risque d’endettement (article 1231-1 du Code civil). La charge de la preuve du risque d’endettement incombe à l’emprunteur, qui doit justifier de sa situation financière au moment de la souscription du crédit. En l’absence de preuve de la situation financière de l’EURL Menuiserie [K] au moment de la souscription des crédits, aucun manquement à ce devoir de mise en garde ou de conseil ne peut être caractérisé.
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L’Essentiel : Les articles 1103 et 1104 du Code civil stipulent que les contrats légalement formés doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Un établissement de crédit a un devoir de mise en garde envers un emprunteur non averti, tenant compte de ses capacités financières. Le préjudice d’un manquement à ce devoir est la perte de la chance d’éviter un risque d’incapacité à rembourser. La charge de la preuve du risque d’endettement incombe à l’emprunteur, qui doit justifier de sa situation financière.
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Résumé de l’affaire :
Exposé du litigeLa Banque populaire a accordé deux prêts à une entreprise de menuiserie, d’un montant de 8.500 € et 50.000 €. Un dirigeant de l’entreprise s’est porté caution pour un montant de 20.000 €. En août 2022, la Banque populaire a mis en demeure l’entreprise de régler une somme globale de 73.346,03 € suite à des impayés. Assignation devant le tribunalLa Banque populaire a assigné l’entreprise et son dirigeant devant le tribunal de commerce, demandant le paiement de plusieurs sommes dues, ainsi que des intérêts. L’entreprise et son dirigeant ont contesté les demandes de la Banque populaire, arguant d’un manquement à son devoir de conseil et de disproportion de l’engagement de caution. Jugement du tribunal de commerceLe tribunal a jugé en faveur de la Banque populaire, condamnant l’entreprise et son dirigeant à payer les sommes réclamées, ainsi qu’à verser des frais de justice. L’exécution provisoire a été prononcée. Appel de l’entrepriseL’entreprise a interjeté appel de la décision, excluant la condamnation de son dirigeant. Elle a demandé à la cour de reconnaître un manquement de la Banque populaire à son devoir de conseil et de lui accorder des dommages-intérêts. Liquidation judiciaireEntre-temps, le tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de l’entreprise et désigné un mandataire liquidateur. Conclusions des partiesL’entreprise et le mandataire liquidateur ont demandé à la cour d’infirmer le jugement initial et de condamner la Banque populaire à des dommages-intérêts. La Banque populaire a demandé à la cour de confirmer le jugement et de fixer ses créances au passif de la liquidation judiciaire. Motifs de la décisionLa cour a retenu que la Banque populaire avait respecté ses obligations contractuelles et que l’entreprise n’avait pas prouvé un manquement à son devoir de mise en garde ou de conseil. Les demandes indemnitaires de l’entreprise ont été rejetées. Conclusion de la courLa cour a partiellement infirmé le jugement en ce qui concerne les créances de la Banque populaire, les fixant au passif de la liquidation judiciaire de l’entreprise. Les demandes de l’entreprise et du mandataire liquidateur ont été déboutées, et les dépens ont été ordonnés en frais privilégiés de la procédure collective. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le fondement juridique des demandes de la Banque populaire ?La Banque populaire fonde ses demandes sur les articles 1103 et 1104 du code civil, qui stipulent que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Ces articles établissent le principe selon lequel les parties à un contrat doivent respecter les engagements pris. En l’espèce, la Banque populaire a produit des preuves de l’existence des prêts accordés à l’EURL Menuiserie [K], ainsi que des mises en demeure et des notifications de déchéance de terme. Il est donc établi que la Banque populaire a respecté ses obligations contractuelles, ce qui justifie ses demandes de paiement des sommes dues par l’EURL Menuiserie [K]. Quel est le devoir de mise en garde de la Banque populaire envers l’emprunteur ?Le devoir de mise en garde de la Banque populaire est régi par la jurisprudence, notamment par un arrêt de la Cour de cassation du 9 mars 2022, qui précise qu’un établissement de crédit doit avertir un emprunteur non averti des risques liés à l’endettement. Ce devoir est particulièrement pertinent lorsque l’emprunteur présente des caractéristiques qui pourraient le rendre vulnérable, comme un manque d’expérience dans le domaine financier. En l’espèce, le dirigeant de l’EURL Menuiserie [K] était âgé de 33 à 37 ans lors de la souscription des crédits, et son expérience en tant que chef d’entreprise était limitée. Cependant, la Banque populaire n’est pas tenue à ce devoir si le crédit octroyé ne présente pas de risque d’endettement excessif. La charge de la preuve incombe à l’emprunteur, qui doit démontrer que le crédit était inadapté à sa situation financière. Quel est le devoir de conseil de la Banque populaire ?Le devoir de conseil de la Banque populaire est encadré par la jurisprudence, notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 2015, qui stipule que la banque n’est pas tenue à une obligation de conseil, sauf si elle a fourni un conseil inadapté à la situation de son client. Dans cette affaire, l’EURL Menuiserie [K] n’a pas produit d’éléments suffisants pour prouver que la Banque populaire avait manqué à son devoir de conseil. En effet, l’absence de documents relatifs à la situation financière de l’EURL Menuiserie [K] lors de la souscription des crédits empêche d’apprécier si les conseils donnés étaient adaptés. Ainsi, sans preuve de l’inadaptation des conseils fournis, aucun manquement de la Banque populaire à son devoir de conseil ne peut être caractérisé. Quel impact a la liquidation judiciaire sur les créances de la Banque populaire ?La liquidation judiciaire de l’EURL Menuiserie [K] a des conséquences directes sur les créances de la Banque populaire, conformément aux dispositions du code de commerce. En effet, les créances doivent être déclarées au passif de la liquidation. Le tribunal a ordonné la liquidation judiciaire le 2 septembre 2024, ce qui implique que les créances de la Banque populaire doivent être fixées au passif de cette liquidation. Les sommes dues par l’EURL Menuiserie [K] à la Banque populaire, y compris les intérêts, doivent donc être intégrées dans le passif de la liquidation. Cela signifie que la Banque populaire doit se conformer aux règles de la procédure collective pour récupérer les sommes dues, et que ses créances seront traitées dans le cadre de la liquidation judiciaire. Quel est le rôle de l’article 700 du code de procédure civile dans cette affaire ?L’article 700 du code de procédure civile prévoit que la partie perdante peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés pour la défense de ses droits. Dans cette affaire, le tribunal a débouté l’EURL Menuiserie [K] et la SELARL JSA de leurs demandes indemnitaires, ce qui conduit à l’application de l’article 700. Étant donné que la Banque populaire a obtenu gain de cause, elle est en droit de demander le remboursement de ses frais. Le tribunal a donc condamné l’EURL Menuiserie [K] et M. [K] à payer 2.000 € au titre de l’article 700, en plus des dépens, ce qui illustre l’application de cette disposition dans le cadre de la procédure judiciaire. |
COPIE OFFICIEUSE
COPIE EXÉCUTOIRE
à :
– Me Olivier LEVOIR
– Me Florence BOYER
Expédition TC
LE : 28 FEVRIER 2025
COUR D’APPEL DE BOURGES
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU 28 FEVRIER 2025
N° RG 24/00279 – N° Portalis DBVD-V-B7I-DUF4
Décision déférée à la Cour :
Jugement du tribunal de commerce de NEVERS en date du 31 Janvier 2024
PARTIES EN CAUSE :
I – E.U.R.L. MENUISERIE [K], agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social :
[Adresse 4]
[Localité 6]
N° SIRET : [Numéro identifiant 7]
APPELANTE suivant déclaration du 21/03/2024
– S.E.L.A.R.L. JSA ès qualité de mandataire liquidateur de la société MENUISERIE [K], agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social :
[Adresse 1]
[Localité 5]
INTERVENANT VOLONTAIRE
Représentéees par Me Olivier LEVOIR, avocat au barreau de NEVERS
timbre fiscal acquitté
II – BANQUE POPULAIRE BOURGOGNE FRANCHE COMTE, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social :
[Adresse 2]
[Localité 3]
N° SIRET : 542 820 352
Représentée par Me Florence BOYER, avocat au barreau de NEVERS
timbre fiscal acquitté
INTIMÉE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Janvier 2025 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. TESSIER-FLOHIC, Président chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. A.TESSIER-FLOHIC Président de Chambre
M. Richard PERINETTI Conseiller
Mme Marie-Madeleine CIABRINI Conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme MAGIS
***************
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
EXPOSÉ DU LITIGE
La Banque populaire Bourgogne Franche-Comté (ci-après désignée « la Banque populaire ») a accordé deux prêts bancaires à l’EURL Menuiserie [K], d’un montant respectif de 8.500 € et 50.000 €, suivant actes sous seing privé en date des 29 septembre 2017 et 15 juin 2019. L’EURL Menuiserie [K] est par ailleurs titulaire d’un compte bancaire ouvert dans les livres de la Banque populaire.
M. [J] [K] s’est porté caution des engagements de L’EURL Menuiserie [K] au profit de la Banque populaire dans la limite de 20.000 €, par acte en date du 4 décembre 2018.
Par courrier recommandé en date du 2 août 2022 faisant suite à une mise en demeure de régler la somme globale de 46.109,99 €, la Banque populaire a avisé L’EURL Menuiserie [K] du prononcé de la déchéance du terme des deux prêts et l’a mise en demeure de payer la somme globale de 73.346,03 €.
Suivant acte de commissaire de justice en date du 27 décembre 2022, la Banque populaire a fait assigner l’EURL Menuiserie [K] prise en la personne de son représentant légal, M. [J] [K], devant le tribunal de commerce de Nevers aux fins de voir, en l’état de ses dernières demandes et sous le bénéfice de l’exécution provisoire,
condamner L’EURL Menuiserie [K] à lui verser la somme de 40.986,98 € outre intérêts au taux légal au titre du découvert en compte à compter du 1er janvier 2023,
condamner L’EURL Menuiserie [K] à lui verser la somme de 30.361,52 € outre intérêts au taux de 1,35 % à compter du 1er janvier 2023, au titre du prêt n° 08813276,
condamner L’EURL Menuiserie [K] à lui verser la somme de 2.247,17 € outre intérêts au taux de 1,15 % à compter du 1er janvier 2023, au titre du prêt n° 08765586,
condamner M. [K], caution, à payer à la Banque populaire la somme de 20.000€ outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation,
débouter L’EURL Menuiserie [K] et M. [K] de leurs demandes,
condamner in solidum L’EURL Menuiserie [K] et M. [K] à payer 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
En réplique, L’EURL Menuiserie [K] et M. [K] ont demandé au tribunal de :
juger la Banque populaire irrecevable et en tout cas non fondée en ses demandes et en conséquence, l’en débouter,
‘ concernant L’EURL Menuiserie [K],
juger que la Banque populaire avait manqué à son devoir de conseil envers L’EURL Menuiserie [K],
en conséquence, la condamner à payer à L’EURL Menuiserie [K] une somme de 41.000 € à titre de dommages-intérêts et d’ordonner la compensation des éventuelles créances réciproques,
‘ concernant M. [K],
juger l’engagement de caution du 4 décembre 2018 de M. [K] disproportionné à ses biens et revenus au sens de l’article L332-1 ancien du code de la consommation,
et en conséquence,
juger l’impossibilité pour la Banque populaire de se prévaloir de l’engagement de caution de M. [K] du 4 décembre 2018 ou bien juger cet engagement inopposable à M. [K],
subsidiairement,
juger que la Banque populaire avait manqué à son devoir de conseil envers M. [K] en sa qualité de caution,
et en conséquence, la condamner à payer à M. [K] une somme de 20.000 € à titre de dommages-intérêts et ordonner la compensation des créances réciproques,
encore plus subsidiairement,
juger que la Banque populaire avait failli à son obligation imposée par l’article L313-22 ancien du code monétaire et financier,
et en conséquence, la déchoir de sa demande d’intérêts envers M. [K],
la condamner à payer à L’EURL Menuiserie [K] la somme de 3.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile,
la condamner aux entiers dépens,
écarter l’exécution provisoire de la décision à venir.
‘
Par jugement contradictoire du 31 janvier 2024, le tribunal de commerce de Nevers a :
‘ Déclaré recevables et bien fondées les demandes de la Banque populaire ;
‘ Condamné l’EURL Menuiserie [K] à payer à la Banque populaire les sommes de :
40.986,98 € outre intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2023 au titre du découvert en compte,
30.361,52 € outre intérêts au taux de 1,35 % à compter du 1er janvier 2023 au titre du prêt n°08813276,
2.247,17 € outre intérêts au taux de 1,15 % à compter du 1er janvier 2023 au titre du prêt n°08765586 avec exécution provisoire ;
‘ Condamné M. [K], en qualité de caution, à payer 20.000 € à la Banque populaire outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation, avec exécution provisoire ;
‘ Débouté l’EURL Menuiserie [K] et M. [K] de leurs demandes, fins et conclusions ;
‘ Condamné in solidum l’EURL Menuiserie [K] et M. [K] à payer à la Banque populaire 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de la procédure dont frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 80,30 € ;
‘ Rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions ;
‘ Prononcé l’exécution provisoire du jugement, nonobstant appel ou opposition et sans caution.
Le tribunal a notamment retenu qu’un accord aux fins de règlement de la dette de l’EURL Menuiserie [K] par versements mensuels de 1.000 € avait été proposé par le gérant de celle-ci à la Banque populaire, que l’EURL Menuiserie [K] n’avait jamais signé ni renvoyé le protocole formalisant cet accord et n’avait pas procédé aux versements en cause, que M. [K], en proposant cet accord, avait reconnu de façon non équivoque être débiteur à l’égard de la Banque populaire en sa qualité de gérant et n’avait pas contesté la dette, que les échanges écrits réguliers entre la banque et le gérant démontraient que celui-ci était parfaitement averti, et que la Banque populaire démontrait l’existence de ses créances à l’encontre de l’EURL Menuiserie [K] et de M. [K].
‘
L’EURL Menuiserie [K] a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 21 mars 2024, en excluant du champ de cet appel la condamnation de M. [K], en qualité de caution, à payer 20.000 € à la Banque populaire outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation.
Entre temps, par jugement en date du 2 septembre 2024, le tribunal de commerce de Nevers a prononcé la liquidation judiciaire de l’EURL Menuiserie [K] et désigné la SELARL JSA en qualité de mandataire liquidateur.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 15 mai 2024, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu’elle développe, l’EURL Menuiserie [K] demande à la Cour de la déclarer recevable et bien fondée en son appel, et d’infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau de juger que la Banque Populaire de Bourgogne Franche Comté a manqué à son devoir de conseil et de mise en garde à l’égard de l’EURL Menuiserie [K],
En conséquence,
‘ Condamner la Banque Populaire de Bourgogne Franche Comté à payer à l’EURL Menuiserie [K] la somme de 73 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice,
‘ Condamner la Banque Populaire de Bourgogne Franche Comté une somme de 4 000 € par application de l’article 700 du Code de procédure civile.
‘ Condamner la Banque Populaire de Bourgogne Franche Comté aux entiers dépens d’instance.
‘
La SELARL JSA, intervenante volontaire, aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 28 novembre 2024, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens, a pris des conclusions identiques à celles de l’EURL Menuiserie [K].
‘
Dans ses dernières conclusions notifiées le 16 décembre 2024, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu’elle développe, la Banque populaire demande à la Cour de débouter l’EURL Menuiserie [K] prise en la personne de son Mandataire Judiciaire de l’ensemble de ses demandes et confirmant le jugement du 31 janvier 2024,
‘ de fixer ses créances au passif de la liquidation judiciaire de l’EURL Menuiserie [K] aux sommes suivantes :
‘ 40 986,98 € outre intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2023 au titre du découvert en compte,
‘ 30 361,52 € outre intérêts au taux de 1,35 % à compter du 1er janvier 2023 au titre du prêt n° 08813276,
‘ 2 247,17 € outre intérêts au taux de 1,15 % à compter du 1er janvier 2023 au titre du prêt n° 08765586 avec exécution provisoire.
‘ 2 000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Subsidiairement ordonner la compensation entre les créances des parties.
Statuer ce que de droit sur les dépens.
La clôture est intervenue à l’audience du 8 janvier 2025.
Sur la demande principale en paiement présentée par la Banque populaire :
Les articles 1103 et 1104 du code civil posent pour principe que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
En l’espèce, la Banque populaire verse aux débats
une copie de la convention de compte professionnel ouverte le 5 février 2016 dans ses livres par M. [K],
une copie du contrat de crédit daté du 29 septembre 2017, d’un montant de 8.500 €, destiné à l’achat d’un véhicule Expert HDI,
une copie du contrat de crédit daté du 15 juin 2019, d’un montant de 50.000 €, destiné à l’achat de matériel et de machines,
une mise en demeure de régler sous quinzaine la somme totale de 46.109,99 €, datée du 17 juin 2022, adressée à L’EURL Menuiserie [K] par courrier recommandé distribué le 20 juin 2022,
un courrier portant notification de la déchéance du terme des deux contrats de crédit et du solde débiteur du compte courant et de la nécessité de régler sous huitaine la somme totale de 73.346,03€, daté du 2 août 2022 et adressé en recommandé à L’EURL Menuiserie [K], qui l’a reçu le lendemain,
la copie d’un courriel émis par M. [K], le 12 août 2022, proposant à la Banque populaire de verser mensuellement la somme de 1.000 € jusqu’à épuisement complet de sa dette à compter du 10 octobre 2022.
L’EURL Menuiserie [K] ne conteste pas les décomptes produits par la Banque populaire ni le principe de la créance qu’elle invoque. Elle n’allègue pas davantage avoir procédé au règlement partiel ou total de cette dette.
Il y a lieu en conséquence d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné l’EURL Menuiserie [K] à payer à la Banque populaire :
la somme de 40.986,98 € outre intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2023 au titre du découvert en compte,
la somme de 30.361,52 € outre intérêts au taux de 1,35 % à compter du 1er janvier 2023 au titre du prêt n° 08813276,
la somme de 2.247,17 € outre intérêts au taux de 1,15 % à compter du 1er janvier 2023 au titre du prêt n° 08765586 avec exécution provisoire,
eu égard à la liquidation judiciaire de l’EURL Menuiserie [K] ordonnée par jugement du 2 septembre 2024, et de fixer les créances de la Banque populaire au passif de la liquidation judiciaire de l’EURL Menuiserie [K] à hauteur des sommes précitées.
Sur les demandes reconventionnelles formulées par L’EURL Menuiserie [K] et la SELARL JSA :
Aux termes de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.
Sur le devoir de mise en garde
Il est constant qu’un établissement de crédit est tenu, lors de la conclusion d’un contrat de prêt, à un devoir de mise en garde à l’égard d’un emprunteur non averti, au regard des capacités financières de celui-ci et des risques de l’endettement né de l’octroi du prêt (voir notamment en ce sens Cass. Com., 9 mars 2022, n°20-10.678).
Le caractère averti d’une personne morale s’apprécie en la personne de son représentant au moment de l’engagement litigieux (voir notamment en ce sens Cass. Com., 20 septembre 2017, n°16-22.047).
Le préjudice consécutif au manquement d’un établissement de crédit à son devoir de mise en garde à l’égard de l’emprunteur non averti consiste en la perte de la chance pour l’emprunteur d’éviter la réalisation d’un risque d’incapacité à faire face au remboursement du prêt souscrit en renonçant à contracter dans les conditions proposées par la banque.
Il est admis que ce devoir de mise en garde n’est dû que si l’opération projetée, la situation personnelle et les facultés financières déclarées de l’emprunteur font apparaître un risque d’endettement excessif (voir notamment en ce sens Cass. Civ. 1ère, 5 mars 2015, n°14-12.017).
En l’espèce, l’EURL Menuiserie [K] invoque un manquement de la Banque populaire à son devoir de mise en garde, arguant de la qualité d’emprunteur non averti de M. [K], son dirigeant.
Celui-ci était âgé, au moment de l’ouverture de son compte professionnel dans les livres de la Banque populaire, de la souscription des deux crédits litigieux et de l’acceptation de l’autorisation dégressive de découvert consentie par la Banque populaire, de 33, 34, 36 et enfin 37 ans. Il avait créé en 2015 l’EURL Menuiserie [K], entreprise spécialisée en menuiserie, charpente, ébénisterie et travaux d’agencement. Il ne pouvait ainsi, au regard de son activité professionnelle et de son expérience réduite en qualité de chef d’entreprise, qu’être considéré comme profane et non averti dans le domaine des opérations de crédit financier.
En revanche, même en présence d’un emprunteur non averti, aucun devoir de mise en garde n’est dû par la banque si le crédit octroyé n’apparaît pas excessif ou s’il ne présente pas de risque particulier d’endettement pour l’emprunteur en cause. La charge de la preuve de ce risque incombe à ce dernier, qui doit ainsi fournir à la juridiction les justificatifs nécessaires à l’appréciation de sa situation financière au jour de l’octroi du crédit litigieux et, partant, du risque d’endettement que pouvait lui faire courir ledit crédit ou de son inadaptation à ses capacités financières.
Il revient donc à l’EURL Menuiserie [K] de rapporter la preuve du caractère excessif des crédits et concours contractés au regard de sa situation économique à la date de souscription. Or l’appelante ne produit aucune pièce relative à sa situation financière entre les années 2016 et 2020, les seuls éléments versés aux débats (soit une déclaration de situation patrimoniale de M. [K] en date du 4 décembre 2018 et son avis d’impôt sur les revenus de l’année 2017) étant relatifs à la situation de son gérant, examinée dans le cadre de son engagement de caution, et figurant au nombre des pièces communiquées par la Banque populaire.
Il ne peut dans ces conditions qu’être considéré que la cour n’est pas mise en mesure d’apprécier les capacités financières de l’EURL Menuiserie [K] au jour de la souscription des crédits et concours litigieux, ni par conséquent l’inadaptation ou le caractère excessif de ceux-ci, et que l’EURL Menuiserie [K] est défaillante à rapporter la preuve du manquement qu’elle invoque.
Sur le devoir de conseil
Il est de principe que, sauf disposition légale ou contractuelle contraire, la banque n’est pas tenue à une obligation de conseil à l’égard de son client et n’est susceptible d’engager sa responsabilité que dans le cas où elle lui a fourni un conseil inadapté à sa situation dont elle a connaissance (voir notamment en ce sens Cass. Com., 13 janvier 2015, n°13-25.856).
En l’espèce, les observations ci-dessus développées quant au devoir de mise en garde sont également pertinentes s’agissant d’un éventuel devoir de conseil. En s’abstenant de produire tout élément relatif à sa situation financière lors de la souscription de chacun des concours et crédits litigieux, l’EURL Menuiserie [K] ne permet pas à la cour d’apprécier la connaissance que la Banque populaire aurait pu ou dû en avoir ni de l’éventuelle inadaptation de conseils susceptibles d’avoir alors été donnés à l’appelante (tels que l’opportunité de l’autorisation dégressive de découvert). Le seul examen des éléments parcellaires issus des pièces communiquées par la Banque populaire, relatifs à l’état d’endettement de l’EURL Menuiserie [K] auprès de celle-ci, est insuffisant à envisager l’ensemble des capacités financières de la société emprunteuse, lesquelles comprennent nécessairement ses revenus et patrimoine mobilier et immobilier.
A défaut de communication par l’EURL Menuiserie [K] de tout élément relatif à ses revenus et charges au moment de la souscription des concours et crédits litigieux, aucun manquement de la Banque populaire à l’éventuel devoir de conseil susceptible de lui incomber dans ce cadre ne peut être caractérisé.
En considération de l’ensemble de ces éléments, les demandes indemnitaires présentées par l’EURL Menuiserie [K] et la SELARL JSA seront rejetées.
Sur l’article 700 et les dépens :
La prise en considération de l’issue du litige déterminée par la présente décision et leur succombance en l’intégralité de leurs prétentions conduit à rejeter les demandes présentées par l’EURL Menuiserie [K] et la SELARL JSA ès qualités de mandataire liquidateur de l’EURL Menuiserie [K] sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie. Eu égard à la liquidation judiciaire de l’EURL Menuiserie [K] ordonnée par le tribunal de commerce, il convient d’ordonner l’emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.
Le jugement entrepris sera enfin confirmé de ces chefs.
La Cour,
– REÇOIT la SELARL JSA, ès qualités de mandataire liquidateur de l’EURL Menuiserie [K], en son intervention volontaire ;
Au fond,
– INFIRME partiellement le jugement rendu le 31 janvier 2024 par le tribunal de commerce de Nevers en ce qu’il a condamné l’EURL Menuiserie [K] à payer à la Banque populaire les sommes de :
40.986,98 € outre intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2023 au titre du découvert en compte,
30.361,52 € outre intérêts au taux de 1,35 % à compter du 1er janvier 2023 au titre du prêt n° 08813276,
2.247,17 € outre intérêts au taux de 1,15 % à compter du 1er janvier 2023 au titre du prêt n° 08765586 avec exécution provisoire ;
– CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions ;
Et statuant de nouveau du seul chef infirmé
– FIXE les créances de la Banque populaire Bourgogne Franche-Comté au passif de la liquidation judiciaire de l’EURL Menuiserie [K] à hauteur des sommes suivantes :
40.986,98 € outre intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2023 au titre du découvert en compte,
30.361,52 € outre intérêts au taux de 1,35 % à compter du 1er janvier 2023 au titre du prêt n° 08813276,
2.247,17 € outre intérêts au taux de 1,15 % à compter du 1er janvier 2023 au titre du prêt n° 08765586 avec exécution provisoire ;
– DEBOUTE l’EURL Menuiserie [K] et la SELARL JSA, ès qualités de mandataire liquidateur de l’EURL Menuiserie [K] de leurs demandes indemnitaires ;
Et y ajoutant,
– DEBOUTE l’EURL Menuiserie [K] et la SELARL JSA, ès qualités de mandataire liquidateur de l’EURL Menuiserie [K], de leurs demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– REJETTE toutes autres demandes, plus amples ou contraires ;
– ORDONNE l’emploi des dépens de l’instance d’appel en frais privilégiés de la procédure collective instaurée à l’égard de l’EURL Menuiserie [K].
L’arrêt a été signé par A. TESSIER-FLOHIC, Président, et par S. MAGIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
S. MAGIS A. TESSIER-FLOHIC
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