Manquement au devoir de conseil dans un montage financier complexe

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Manquement au devoir de conseil dans un montage financier complexe

La responsabilité du prêteur en matière de prêt immobilier est régie par les articles 1147 et 1134 du Code civil, qui imposent au débiteur de respecter ses obligations contractuelles et de réparer le préjudice causé par l’inexécution de celles-ci. En matière de crédit, le prêteur a un devoir de conseil et d’information envers l’emprunteur, notamment en ce qui concerne les risques liés aux produits financiers associés, comme les contrats d’assurance-vie. L’article L. 111-1 du Code de la consommation, dans sa version applicable, impose également une obligation d’information précontractuelle au prêteur. En cas de manquement à ces obligations, l’emprunteur peut demander réparation pour le préjudice subi, conformément à l’article 1147 du Code civil, qui prévoit que le débiteur est tenu de réparer le dommage causé par l’inexécution de son obligation, sauf à prouver que cette inexécution est due à une cause étrangère. La jurisprudence a également précisé que le manquement à l’obligation de conseil peut engager la responsabilité du prêteur, même en l’absence de mauvaise foi de sa part, si l’emprunteur démontre qu’il a subi un préjudice en raison de ce manquement.

L’Essentiel : La responsabilité du prêteur en matière de prêt immobilier est régie par les articles 1147 et 1134 du Code civil, imposant au débiteur de respecter ses obligations contractuelles. Le prêteur doit également fournir un devoir de conseil et d’information à l’emprunteur concernant les risques des produits financiers associés. En cas de manquement, l’emprunteur peut demander réparation pour le préjudice subi, et la jurisprudence a précisé que le manquement à l’obligation de conseil peut engager la responsabilité du prêteur.
Résumé de l’affaire :

Exposé du litige

La Caisse de crédit mutuel [Localité 5] a consenti à une emprunteuse un prêt immobilier en deux tranches, totalisant 185 000 euros, pour financer l’acquisition d’un appartement. Ces prêts étaient garantis par un contrat d’assurance-vie. En 2019, l’emprunteuse a constaté un montant insuffisant sur son contrat d’assurance-vie pour rembourser les prêts à leur échéance. Estimant que la banque avait manqué à son devoir de conseil, elle a demandé une indemnisation.

Procédure judiciaire

L’emprunteuse a assigné la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc devant le tribunal judiciaire d’Annecy, alléguant un manquement à son devoir de conseil. Le tribunal a reconnu la responsabilité de la banque et a condamné celle-ci à verser des dommages-intérêts à l’emprunteuse. La banque a interjeté appel de ce jugement.

Arguments de la Caisse Régionale du crédit mutuel

La Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc a soutenu que l’emprunteuse n’avait pas d’intérêt à agir contre elle, arguant que le contrat de prêt avait été consenti par une autre entité. Elle a également contesté sa responsabilité, affirmant avoir fourni des informations complètes et que l’emprunteuse ne pouvait ignorer les risques liés à l’assurance-vie.

Arguments de l’emprunteuse

L’emprunteuse a rétorqué que la banque avait participé à l’élaboration du montage financier et qu’elle avait un intérêt légitime à agir. Elle a également soutenu que le préjudice subi était directement lié aux manquements de la banque en matière d’information et de conseil.

Décision de la cour

La cour a confirmé la recevabilité de l’action de l’emprunteuse, rejetant la fin de non-recevoir soulevée par la banque. Elle a reconnu que la banque avait manqué à son obligation de conseil et a condamné la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc à verser des dommages-intérêts à l’emprunteuse, mais a réduit le montant initialement accordé.

Conclusion

La cour a condamné la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc à verser 9 500 euros à l’emprunteuse en réparation de son préjudice, tout en rejetant le surplus de sa demande. La banque a également été condamnée aux dépens de l’appel et à verser des frais d’avocat à l’emprunteuse.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est l’effet dévolutif de l’appel dans cette affaire ?

L’effet dévolutif de l’appel est régi par l’article 542 du code de procédure civile, qui stipule que l’appel tend à la réformation ou à l’annulation du jugement par la cour d’appel.

L’article 562, dans sa rédaction applicable, précise que l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement critiqués et de ceux qui en dépendent.

Il est également mentionné dans l’article 901, 4°, que la déclaration d’appel doit contenir, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués.

Dans cette affaire, la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc a formé un appel total, indiquant qu’il s’agissait d’un appel tendant à l’annulation du jugement, respectant ainsi les exigences des articles précités.

La cour a donc constaté qu’elle était bien saisie de l’ensemble des chefs du jugement dont l’infirmation était demandée par l’appelant.

Quel est le fondement de la fin de non-recevoir soulevée par la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc ?

La Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc soutient que l’action en responsabilité de la partie demanderesse est irrecevable en raison d’un prétendu défaut d’intérêt à agir, arguant que le contrat de prêt a été consenti par une autre entité.

L’article 31 du code de procédure civile stipule que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention.

L’article 122 définit les fins de non-recevoir comme des moyens tendant à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond.

La cour a noté que la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc n’avait pas soulevé cette fin de non-recevoir en première instance, ce qui lui permettait de le faire en appel.

Cependant, la cour a conclu que la partie demanderesse justifiait d’un intérêt à agir, car la Caisse régionale avait participé à l’élaboration du montage financier litigieux.

Quel est le devoir de conseil du prêteur envers l’emprunteur dans cette affaire ?

Le devoir de conseil du prêteur est encadré par l’article 1147 du code civil, qui impose au débiteur d’exécuter son obligation et, en cas de manquement, d’indemniser le créancier.

Le banquier n’est pas tenu d’un devoir de conseil, sauf s’il a contracté une obligation spécifique à cet égard.

Dans cette affaire, la cour a constaté que l’opération réalisée par l’emprunteuse ne se limitait pas à un prêt immobilier, mais impliquait également un contrat d’assurance-vie.

Les simulations fournies par la banque avant la signature des contrats démontrent que celle-ci avait conseillé le financement par prêt in fine adossé à un contrat d’assurance-vie.

La cour a donc conclu que la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc avait manqué à son obligation de conseil et d’information, car elle n’a pas suffisamment informé l’emprunteuse des risques associés à ce montage financier.

Quel préjudice a subi l’emprunteuse et comment est-il évalué ?

L’emprunteuse soutient que le préjudice qu’elle a subi est constitué de la somme de 33 214,36 euros qu’elle a été contrainte de payer en plus du rachat de son contrat d’assurance-vie.

La cour a rappelé que l’emprunteuse devait prouver le préjudice et le lien de causalité avec la faute commise.

Il a été établi que le préjudice n’était pas constitué par la totalité de cette somme, mais plutôt par la perte d’une chance de ne pas contracter.

Les circonstances de l’affaire montrent que l’emprunteuse aurait de toute façon emprunté pour acquérir le bien immobilier, qui devait lui apporter des revenus locatifs.

La cour a donc retenu que la perte de chance de ne pas contracter était de 50 %, et a évalué le préjudice total à 19 000 euros, représentant la somme manquante dès l’origine du contrat d’assurance-vie.

En conséquence, la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc a été condamnée à payer 9 500 euros en réparation du préjudice.

N° Minute : 2C25/091

COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 27 Février 2025

N° RG 23/00159 – N° Portalis DBVY-V-B7H-HFPI

Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d’ANNECY en date du 04 Janvier 2023, RG 21/00715

Appelante

CAISSE REGIONALE DU CREDIT MUTUEL SAVOIE MONT-BLANC, dont le siège social est sis [Adresse 3] prise en la personne de son représentant légal

Représentée par la SELARL ELODIE CHOMETTE AVOCAT, avocat postulant au barreau d’ALBERTVILLE et la SCP AXIOJURIS LEXIENS, avocat plaidant au barreau de LYON

Intimée

Mme [I] [U], née le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 4] (PAYS-BAS) demeurant [Adresse 2]

Représentée par Me Alexandra KAHN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Stéphane ANDREO, avocat plaidant au barreau de LYON

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COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l’audience publique des débats, tenue le 10 décembre 2024 avec l’assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière présente à l’appel des causes et dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré, à laquelle il a été procédé au rapport,

Et lors du délibéré, par :

– Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente

– Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,

– Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

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EXPOSÉ DU LITIGE

Selon offre du 26 février 2005, la Caisse de crédit mutuel [Localité 5] a consenti à Mme [I] [U] un prêt immobilier comportant 2 tranches distinctes :

un prêt immobilier d’un montant de 74 000 euros, au taux d’intérêt annuel de 3,50 % indexé sur l’Euribor 3 mois, pour un coût total de 43 854,64 euros, le capital s’amortissant en une seule fois, à la date du 5 février 2020,

un prêt immobilier d’un montant de 111 000 euros, au taux d’intérêt annuel fixe de 4,35 % pour un coût total de 79 860,17 euros, le capital s’amortissant en une seule fois, à l’échéance du 5 février 2020.

Ces prêts, destinés au financement de l’acquisition en l’état futur d’achèvement d’un appartement à [Localité 6], sont garantis par le nantissement d’un contrat d’assurance-vie dénommé Plan Assur Horizons, abondé par des versements mensuels de Mme [U] de 620 euros, portés à 672 euros en 2013.

Par avenant du 13 octobre 2006, le taux du prêt de 74 000 euros a été aligné sur celui de 111 000 euros au taux annuel fixe de 4,35 %.

En 2019, Mme [U] s’est inquiétée du montant disponible sur son contrat d’assurance-vie à l’approche de l’échéance des deux prêts, lequel s’est établi à 149 377,93 au 11 septembre 2019, pour un capital à rembourser de 185 000 euros.

Estimant que la banque a failli à son devoir de conseil, et après des vaines tentatives de rapprochement, Mme [U] a sollicité de la banque l’indemnisation des préjudices qu’elle estime avoir subis.

C’est dans ces conditions que, par acte délivré le 22 mars 2021, Mme [U] a fait assigner la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc devant le tribunal judiciaire d’Annecy aux fins notamment de faire constater que cette dernière a manqué à son devoir de conseil, d’information et de mise en garde. Elle a sollicité sa condamnation à lui payer la somme de 33 214,36 euros en réparation du préjudice subi.

La Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc a comparu, s’opposant à ces demandes.

Par jugement contradictoire du 4 janvier 2023, le tribunal judiciaire d’Annecy a :

dit que la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc a manqué à son obligation d’information et de conseil,

condamné la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc à payer 33 214,36 euros à Mme [U],

condamné la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc à payer 3 500 euros à Mme [U] en application de l’article 700 du code de procédure civile,

rejeté toutes les autres demandes et demandes plus amples et contraires,

condamné la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc aux dépens dont distraction au profit de Me Marquois,

rappelé que l’exécution provisoire est de droit.

Par déclaration du 30 janvier 2023, la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées le 11 octobre 2024, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc demande en dernier lieu à la cour de :

Vu les articles 31, 32 et 700 du code de procédure civile,

Vu les articles 1134 et 1147 du code civil,

réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Et, statuant à nouveau, à titre principal,

constater l’absence d’intérêt à agir de Mme [U] contre la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc,

déclarer l’action dirigée contre la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc irrecevable,

A titre subsidiaire,

dire et juger que la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc n’a pas manqué à son obligation de conseil et d’information et qu’elle n’était pas débitrice d’une obligation de mise en garde,

débouter Mme [U] de l’ensemble de ses moyens, fins et conclusions,

condamner Mme [U] au paiement d’une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Par conclusions notifiées le 23 octobre 2024, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, Mme [U] demande en dernier lieu à la cour de :

Vu l’article 1147 du code civil, dans sa version applicable à l’époque des crédits litigieux, antérieure à celle résultant de l’ordonnance du 10 février 2016,

Vu l’article L. 111-1 du code de la consommation, dans sa version résultant de la loi n°93-949 du 27 juillet 1993, applicable du 27 juillet 1993 au 14 mai 2009,

Vu l’article L. 533-4 du code monétaire et financier, dans sa version résultant de la loi n°2003-706 du 1er août 2003,

Vu les articles 4, 31, 122, 123, 542, 910-4 et 954 du code de procédure civile,

confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

déclarer infondé l’appel interjeté par la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc à l’encontre du jugement déféré,

juger que la cour de céans n’a pas été valablement saisie d’une demande de réformation du jugement, non prévue à l’acte d’appel limité à une demande d’annulation,

Au surplus,

juger que la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc n’a formulé aucune prétention susceptible de saisir la cour de céans dans le dispositif de ses conclusions d’appelante, au titre de la fin de non-recevoir soulevée dans les motifs de ses conclusions,

déclarer la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc irrecevable en sa demande tendant à « déclarer l’action dirigée contre la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc irrecevable » formée pour la première fois dans ses conclusions d’appelante n°2 du 13 octobre 2024,

déclarer la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc irrecevable et infondée en sa fin de non-recevoir soulevée en cause d’appel pour défaut allégué d’intérêt à agir,

débouter la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc de sa fin de non-recevoir,

Si par hypothèse la cour de céans entendait pouvoir faire droit à cette fin de non-recevoir,

condamner la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc à payer à Mme [U] la somme de 33 214,36 euros, à titre de dommages et intérêts,

En toutes hypothèses,

débouter la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc de l’intégralité de ses conclusions, prétentions, fins et moyens,

condamner la Caisse Régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc à payer à Mme [U] la somme de 3 500 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, distraits au profit de Me Kahn, avocat sur son affirmation de droit, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’affaire a été clôturée à la date du 4 novembre 2024 et renvoyée à l’audience du 10 décembre 2024, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 27 février 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur l’effet dévolutif de l’appel :

Mme [U] soutient que la déclaration d’appel, qui seule saisit la cour, tend à l’annulation du jugement et non à sa réformation, alors que l’appelant ne développe aucun moyen d’annulation et demande désormais la seule infirmation du jugement.

La Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc soutient pour sa part qu’elle a formé un appel total contre le jugement et qu’aucun texte n’exige que la déclaration d’appel mentionne qu’il est demandé l’infirmation du jugement.

Sur ce, la cour,

En application de l’article 542 du code de procédure civile, l’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel.

L’article 562 du même code, dans sa rédaction en vigueur avant le 1er septembre 2024, applicable en l’espèce, dispose que l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.

Enfin, l’article 901, 4°, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, prévoit que la déclaration d’appel doit contenir, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à la nullité du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.

Aucun de ces textes, ni aucune autre disposition applicable à la date de la déclaration d’appel, n’exige que celle-ci mentionne, s’agissant des chefs de jugement critiqués, qu’il en est demandé l’infirmation (Civ. 2, 25 mai 2023, n° 21-15.842, publié), et rien n’interdit non plus à l’appelant, dans ses conclusions d’appel, de limiter son appel en demandant l’infirmation de certains chefs du jugement, et non plus son annulation.

En l’espèce, la déclaration d’appel de la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc indique qu’il s’agit d’un « appel total tendant à l’annulation du jugement » déféré, sur les chefs de jugement qui y sont énoncés dans leur totalité, de sorte que les dispositions de l’article 901 du code de procédure civile, dans sa rédaction en vigueur au jour de la déclaration d’appel, ont été respectées, les chefs de jugement déférés à la cour y étant expressément mentionnés.

En outre, il résulte de la lecture des premières conclusions d’appelant de la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc, notifiées le 28 avril 2023, que celle-ci y demande l’infirmation du jugement en reprenant l’ensemble des chefs du jugement critiqués.

Il en résulte que la cour est bien saisie de l’ensemble des chefs du jugement dont l’infirmation est demandée par l’appelant.

2. Sur la fin de non-recevoir soulevé par la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc :

La Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc soutient que Mme [U] serait irrecevable en son action en responsabilité faute de justifier d’un intérêt à agir, alors que le contrat de prêt a été consenti par la Caisse de crédit mutuel [Localité 5] et non par la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc, les entités du groupe, et notamment les caisses locales, étant autonomes les unes par rapport aux autres.

Mme [U] soutient que la cour ne serait pas valablement saisie d’une telle demande, qui ne figure pas expressément au dispositif des conclusions de l’appelant, que la fin de non-recevoir n’a pas été invoquée en première instance, la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc ayant conclu en défense sans invoquer qu’elle n’aurait pas été concernée par le litige, et qu’en tout état de cause les pièces démontrent son implication dans le montage litigieux.

Sur ce, la cour,

En application de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Conformément aux dispositions de l’article 123 du même code, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu’il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages et intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.

L’article 31 du code de procédure civile dispose que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

Il résulte de ces dispositions que la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc, qui n’a pas soulevé de fin de non-recevoir en première instance, est recevable à le faire à hauteur d’appel.

La cour note que la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc conclut au défaut d’intérêt de Mme [U] à agir contre elle, toutefois, il s’agit à la fois du défaut d’intérêt et du défaut de qualité, puisque l’appelante soutient n’avoir pas contracté avec Mme [U].

Les pièces produites aux débats établissent que le contrat de prêt litigieux a été consenti à Mme [U] par la Caisse de crédit mutuel [Localité 5], et l’essentiel des échanges concernant le remboursement du capital emprunté en fin de prêt s’est effectué avec cette structure.

Toutefois, il apparaît que l’avenant du 13 octobre 2006 a été proposé et signé par la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc (pièce n° 6 de l’intimée) et certains courriers ont été adressés par Mme [U] à la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc, comme s’il s’agissait d’une entité hiérarchiquement supérieure à la Caisse de crédit mutuel [Localité 5], et il lui a été répondu comme tel, manifestant de la part de l’appelante une participation incontestable à l’élaboration du montage proposé à Mme [U] et aux tentatives de règlement amiable (pièce n° 15 à 20 de l’intimée).

Par ailleurs, le certificat d’adhésion à l’assurance-vie Plan Assur Horizon (pièce n°5 de l’intimée) est établi à en-tête du Crédit mutuel de Savoie Mont-Blanc, bien que le contrat soit signé par ACM Vie, la société d’assurance affiliée au groupe du Crédit mutuel, ce qui est dûment rappelé sur l’avenant de mise en gage du 22 mars 2005 (pièce n° 6 de l’intimée).

Au demeurant, l’appelante ne produit ni son extrait Kbis, ni ses statuts qui démontreraient qu’elle n’a aucune communauté d’intérêt avec la Caisse de crédit mutuel [Localité 5]. Or ces deux entités relèvent des dispositions des articles L. 512-55 à L. 512-59 et R. 512-19 à R. 512-25 du code monétaire et financier dont il résulte incontestablement une interdépendance entre les caisses locales et les caisses régionales du Crédit mutuel, lesquelles proposent toutes des contrats sous l’enseigne du Crédit mutuel.

Enfin, et bien que cela ne lui interdise pas de soulever la fin de non-recevoir, la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc a bien défendu en première instance comme si elle était le prêteur, sans invoquer le défaut de qualité qu’elle allègue aujourd’hui bien tardivement.

En conséquence Mme [U] justifie d’un intérêt à agir contre la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc, recherchée pour les manquements aux devoirs d’information et de conseil du prêteur, qui a qualité pour défendre comme partie prenante aux opérations litigieuses.

La fin de non-recevoir sera donc rejetée.

3. Sur la responsabilité de la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc :

La Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc fait grief au jugement déféré d’avoir retenu sa responsabilité alors qu’elle n’était pas tenue d’une obligation de mise en garde à l’égard de Mme [U] pour le placement en assurance-vie qui n’est pas une opération spéculative, et que celle-ci ne pouvait ignorer le caractère aléatoire du contrat souscrit quant au capital disponible à terme. L’appelante expose que l’information délivrée à Mme [U] était complète et rappelle que celle-ci, qui a remboursé son prêt in fine, a investi dans un bien immobilier selon le dispositif fiscal de la loi de Robien, lequel a incontestablement pris de la valeur depuis son achat, de sorte que l’opération n’est pas financièrement préjudiciable à l’emprunteuse.

Sur ce, la cour,

En application de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en l’espèce, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Le banquier n’est pas, en raison du devoir de non-immixtion, tenu d’un devoir de conseil, sauf s’il a contracté une obligation spécifique à cet égard.

En l’espèce, il résulte des pièces produites aux débats que l’opération réalisée par Mme [U] ne se résume pas au seul prêt immobilier adossé à un contrat d’assurance-vie, ces deux contrats devant être analysés au regard de l’investissement réalisé par l’emprunteuse qui a, avec les fonds prêtés, acquis un bien immobilier destiné à la location, dans le cadre d’un dispositif de défiscalisation. Il s’agit donc d’une opération globale d’investissement comportant plusieurs volets :

– l’achat immobilier destiné à fournir des revenus locatifs,

– l’emprunt immobilier destiné à financer cet achat,

– le contrat d’assurance-vie destiné à rembourser le capital emprunté in fine.

Les loyers perçus par Mme [U] étaient destinés, pendant la durée du prêt, à payer les intérêts mensuels et, pour le surplus, à abonder le contrat d’assurance-vie pour atteindre un montant en capital suffisant pour rembourser le capital emprunté.

Mme [U] produit plusieurs simulations réalisées par la banque avant la signature des contrats qui démontrent que celle-ci lui a conseillé le financement par prêt in fine adossé à un contrat d’assurance-vie, de sorte que le prêteur était tenu d’informer sa cliente sur l’ensemble de ce montage financier, y compris sur le coût de celui-ci et le risque que le capital investi ne permette pas de couvrir finalement l’intégralité du capital emprunté.

Il appartient donc à l’appelante de rapporter la preuve du conseil et de l’information délivrés.

Or force est de constater que la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc ne produit aucune pièce de nature à établir la consistance des informations délivrées, la notice même du contrat d’assurance-vie n’étant pas produite, ni les conditions de ce contrat. Le seul certificat d’adhésion produit par Mme [U] ne contient aucune information sur les conditions de valorisation de l’épargne, ni sur les frais de versement et de gestion, ni sur la possibilité d’évolution, à la hausse ou à la baisse, du capital investi sur le contrat d’assurance-vie.

Les simulations réalisées ne tiennent pas compte de ces frais et des intérêts nets de frais produits au cours de la vie du contrat, de sorte que le rendement prévisionnel annoncé par les simulations n’est, dès l’origine, pas réaliste (pièces n° 1, 7, 8, 35 et 36 de l’intimée).

Il y a lieu de souligner qu’il n’est pas démontré, ni même allégué, que Mme [U] aurait la qualité d’emprunteur averti.

S’il est exact que jamais la banque n’a présenté expressément à Mme [U] le placement en assurance-vie comme devant assurer, de manière certaine et garantie, le remboursement intégral du capital emprunté, la comparaison effectuée par la banque entre les différentes options envisageables pour le remboursement du prêt, soit avec amortissement (et sans assurance-vie), soit in fine (et avec assurance-vie), par les simulations, démontre que l’objectif était bien de couvrir in fine l’intégralité du capital, comme cela aurait été le cas en cas d’amortissement du prêt. Le choix du montage proposé résulte incontestablement du taux de rendement prévisionnel du placement de 4 % sur toute la durée du prêt, lequel ne s’est pas réalisé, outre les avantages fiscaux supplémentaires qui en découlent.

Les simulations précisent expressément que les résultats qui y figurent sont indicatifs et non contractuels, mais pour autant la banque ne démontre pas avoir exactement informé Mme [U] de l’existence d’un risque de ne pas pouvoir payer le capital dans sa totalité à l’issue du prêt, alors même que le montant payé mensuellement (intérêts + abondement de l’assurance-vie) équivaut à celui qui aurait été payé avec amortissement.

Enfin, il ne peut être tiré aucune conséquence du courrier que la banque prétend avoir adressé à Mme [U] le 4 mai 2005 lui proposant de transformer les prêts in fine en prêts amortissables (pièce n° 5 de l’appelante), celui-ci, dont la réception est contestée par Mme [U], ne répondant manifestement à aucune demande particulière de l’emprunteuse dont les prêts avaient été souscrits seulement quelques semaines plus tôt.

Il en résulte que la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc a manqué à son obligation de conseil et d’information à l’égard de Mme [U], de sorte que celle-ci est bien fondée à solliciter la réparation des préjudices subis en lien avec la faute commise.

Il sera ajouté qu’il n’y a pas lieu d’examiner les arguments développés par les parties concernant le devoir de mise en garde, car à l’évidence aucun risque d’endettement excessif ne résulte du prêt consenti, ni même du montage financier critiqué (l’assurance-vie proposée n’étant pas un placement spéculatif), Mme [U] ayant fait normalement face aux échéances et pu rembourser le prêt in fine.

4. Sur le préjudice subi :

La Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc soutient que le préjudice éventuellement subi par Mme [U] ne peut consister qu’en la perte d’une chance de ne pas contracter et non dans la totalité de ce qu’elle a payé en plus du rachat de son contrat d’assurance-vie, et qu’il faut tenir compte du bénéfice global qu’elle a tiré de l’opération par l’acquisition d’un bien immobilier qui s’est valorisé depuis son achat.

Mme [U] soutient que le préjudice qu’elle a subi est constitué de la somme de 33 214,36 euros qu’elle a été contrainte de payer en plus du rachat de son contrat d’assurance-vie.

Sur ce, la cour,

Il appartient à Mme [U] de rapporter la preuve du préjudice qu’elle a subi et du lien de causalité avec la faute commise.

S’il est démontré qu’elle a été contrainte de payer la somme de 33 214,36 euros pour terminer le remboursement de son prêt, pour autant, le préjudice né du manquement de la banque à ses obligations de conseil et d’information n’est pas constitué par la totalité de cette somme, mais seulement par la perte d’une chance de ne pas contracter.

Les circonstances de l’espèce démontrent que Mme [U] aurait en tout état de cause emprunté et fait l’acquisition du bien immobilier financé, lequel était destiné à lui apporter des revenus locatifs tout en bénéficiant d’un avantage fiscal.

Par ailleurs, et nonobstant l’absence d’information complète délivrée par la banque, il n’est pas certain que, mieux informée, Mme [U] n’aurait pas malgré tout opté pour le montage litigieux, dans la mesure où celui-ci pouvait présenter des avantages par rapport au prêt amortissable. Il convient donc de retenir que la perte de chance de ne pas contracter dans les conditions dans lesquelles elle l’a fait est de 50 %.

En l’absence d’éléments permettant de déterminer avec précision le coût qu’aurait représenté un prêt amortissable par rapport au prêt in fine, et compte tenu des simulations réalisées au moment de la souscription du prêt, il convient de retenir que le choix effectué avec une information incomplète a causé à Mme [U] un préjudice total de 19 000 euros, représentatif de la somme manquante dès l’origine du contrat d’assurance-vie en appliquant un rendement constant mais en tenant compte des frais de versement et de gestion (pièce n° 36 de l’appelante). Les variations de rentabilité ne peuvent être prises en compte pour calculer le préjudice, dès lors qu’elles sont inhérentes à ce type de placement.

La Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc sera donc condamnée à payer à Mme [U] la moitié de 19 000 euros, soit la somme de 9 500 euros, en réparation de son préjudice. Le jugement déféré sera réformé en ce sens.

5. Sur les demandes accessoires :

La Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc, qui succombe à titre principal, supportera les dépens de l’appel, avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me Alexandra Kahn.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [U] la totalité des frais exposés en appel, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de lui allouer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Dit que la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc est recevable en sa fin de non-recevoir, mais la déclare non fondée,

En conséquence,

Déclare recevable l’action engagée par Mme [I] [U] à l’encontre de la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc,

Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire d’Annecy le 4 janvier 2023, sauf en ce qu’il a condamné la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc à payer 33 214,36 euros à Mme [I] [U],

Réformant et statuant à nouveau de ce chef,

Condamne la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc à payer à Mme [I] [U] la somme de 9 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices,

Déboute Mme [I] [U] du surplus de sa demande indemnitaire,

Y ajoutant,

Condamne la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc aux entiers dépens de l’appel, avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me Alexandra Kahn, avocat,

Condamne la Caisse régionale du crédit mutuel Savoie Mont-Blanc à payer à Mme [I] [U] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en appel.

Ainsi prononcé publiquement le 27 février 2025 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller en remplacement de la Présidente légalement empêchée et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La Greffière P/ La Présidente

Copies : 27/02/2025

la SELARL ELODIE CHOMETTE AVOCAT

Me Alexandra KAHn

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