Transfert de contrat et obligations de cotisation : enjeux de la continuité des droits à la retraite.

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Transfert de contrat et obligations de cotisation : enjeux de la continuité des droits à la retraite.

Les actions en responsabilité d’un salarié contre son employeur pour non-versement des cotisations aux organismes de retraite relèvent de la responsabilité civile contractuelle. Selon l’article 2224 du Code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La jurisprudence précise que le point de départ du délai de prescription pour une action en responsabilité résultant d’un manquement aux obligations contractuelles ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, ce qui, dans le cas d’un salarié, correspond à la date de liquidation de ses droits à la retraite (Soc., 11 juillet 2018, pourvoi n°17-12.605).

En matière de transfert de contrat de travail, l’article L 1224-1 du Code du travail stipule que lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, tous les contrats de travail en cours subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise. La jurisprudence a établi que les engagements unilatéraux pris par un employeur, tels que les régimes de retraite complémentaire, continuent de s’appliquer après le transfert du contrat de travail, sauf dénonciation régulière de ces engagements (Cass. soc., 4 févr. 1997, n° 95-41.468). En cas de non-respect de cette obligation, le nouvel employeur peut être tenu de verser des dommages-intérêts au salarié (Cass. soc., 21 sept. 2005, n° 03-43.532).

L’article L.1222-1 du Code du travail impose également que le contrat de travail soit exécuté de bonne foi, ce qui implique que l’employeur ne peut pas agir de manière à nuire aux droits du salarié, notamment en supprimant un avantage contractuel sans justification. Le salarié doit prouver que les faits allégués sont exclusifs de la bonne foi contractuelle pour engager la responsabilité de l’employeur pour exécution déloyale du contrat de travail.

L’Essentiel : Les actions en responsabilité d’un salarié contre son employeur pour non-versement des cotisations aux organismes de retraite relèvent de la responsabilité civile contractuelle. Selon l’article 2224 du Code civil, les actions se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu les faits lui permettant de l’exercer. La jurisprudence précise que le délai de prescription ne court qu’à compter de la réalisation du dommage, correspondant à la date de liquidation des droits à la retraite.
Résumé de l’affaire :

Engagement et Promotions de M. [H] [C]

M. [H] [C] a été engagé par la société Teissier le 1er décembre 1982 en tant qu’employé. Il a été promu au poste de magasinier principal le 1er juin 2004, avec un statut de maîtrise, et a été inscrit à la retraite complémentaire ARCCO AGIRC le 24 juin 2004.

Transferts de Contrat de Travail

Le contrat de travail de M. [H] [C] a été transféré à la société Cabut et Raulot le 1er mars 2010, suite à la vente du fonds de commerce. Un second transfert a eu lieu le 1er novembre 2012 vers la société Comptoir central d’électricité, intégrée à la SAS Sonepar Méditerranée.

Licenciement et Découverte de la Situation Retraite

M. [H] [C] a été licencié pour motif économique le 27 novembre 2012, après un entretien préalable. En avril 2019, lors de sa demande de retraite, il a constaté qu’une cotisation pour sa retraite n’avait pas été transférée de la société Teissier à la société Cabut et Raulot.

Demande de Régularisation et Action en Justice

Le 3 juin 2019, M. [C] a demandé la régularisation de sa situation à la société Sonepar Méditerranée, qui a refusé sa requête le 25 juin 2019. M. [C] a alors saisi le conseil de prud’hommes de Nîmes le 25 octobre 2019 pour demander le paiement de plusieurs sommes.

Jugement du Conseil de Prud’hommes

Le 23 juin 2022, le conseil de prud’hommes a déclaré les demandes de M. [H] [C] prescrites, rejeté l’ensemble de ses demandes, débouté la SAS Sonepar Méditerranée de sa demande relative à l’article 700 du code de procédure civile, et condamné M. [H] [C] aux dépens.

Appel de M. [H] [C]

M. [H] [C] a interjeté appel le 15 juillet 2022, demandant la réforme du jugement et la reconnaissance de la non-prescription de son action, ainsi que la condamnation de la société Sonepar à lui verser des dommages et intérêts.

Arguments de M. [H] [C]

M. [H] [C] soutient que son action n’est pas prescrite, car il a pris connaissance du défaut de cotisation lors de la liquidation de ses droits à la retraite en avril 2019. Il affirme également que les engagements de l’ancien employeur en matière de retraite doivent être respectés par le nouvel employeur.

Arguments de la Société Sonepar

La société Sonepar a demandé la confirmation du jugement, arguant que M. [C] avait connaissance de la situation dès mars 2010 et que son action était donc prescrite. Elle a également soutenu que les engagements de l’ancien employeur ne s’appliquaient pas à elle.

Décision de la Cour

La cour a infirmé le jugement du conseil de prud’hommes, considérant que l’action de M. [H] [C] n’était pas prescrite. Elle a reconnu que la société Sonepar avait manqué à son obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, condamnant Sonepar à verser 1500 euros de dommages et intérêts à M. [H] [C] pour exécution déloyale du contrat de travail.

Conclusion de la Cour

La cour a débouté M. [H] [C] de sa demande de dommages et intérêts pour le défaut de cotisation et a condamné la SAS Sonepar à payer 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.

Q/R juridiques soulevées :

La prescription de l’action en responsabilité

L’action en responsabilité d’un salarié contre son employeur pour non-versement des cotisations aux organismes de retraite est régie par l’article 2224 du code civil, qui stipule :

« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

La prescription ne commence à courir qu’à partir de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime.

En l’espèce, le salarié a reçu sa demande de retraite validée le 12 avril 2019, ce qui constitue le point de départ du délai de prescription.

Ainsi, l’action entreprise le 25 octobre 2019 n’est pas prescrite, car le salarié a pris connaissance du préjudice à cette date.

Le maintien des engagements de l’ancien employeur

L’article L 1224-1 du code du travail dispose que :

« Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise. »

Les engagements unilatéraux pris par l’ancien employeur, tels que le régime de retraite complémentaire, doivent être maintenus par le nouvel employeur.

En l’espèce, la société Sonepar Méditerranée a manqué à cette obligation en ne transférant pas l’avantage retraite, ce qui constitue une violation des droits du salarié.

L’exécution déloyale du contrat de travail

L’article L.1222-1 du code du travail impose que :

« Le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. »

Le salarié peut engager la responsabilité de son employeur pour manquement à cette obligation.

Dans ce cas, la société Sonepar a supprimé l’avantage retraite et a refusé de régulariser la situation malgré la demande du salarié, ce qui constitue une exécution déloyale du contrat de travail.

Le préjudice moral causé par cette résistance abusive a été reconnu et indemnisé par la cour.

Les demandes accessoires et l’article 700 du code de procédure civile

L’article 700 du code de procédure civile prévoit que :

« Le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. »

La cour a décidé d’appliquer ces dispositions en faveur du salarié, en condamnant la société Sonepar à verser une somme pour couvrir les frais de justice, ce qui est conforme à l’équité.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 22/02400 – N° Portalis DBVH-V-B7G-IQBL

MS EB

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE NIMES

23 juin 2022

RG :19/00605

[C]

C/

S.A.S. SONEPAR MEDITERRANEE

Grosse délivrée le 29 OCTOBRE 2024 à :

– Me

– Me

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 29 OCTOBRE 2024

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NIMES en date du 23 Juin 2022, N°19/00605

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

M. Michel SORIANO, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Nathalie ROCCI, Présidente

M. Michel SORIANO, Conseiller

Madame Leila REMILI, Conseillère

GREFFIER :

Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l’audience publique du 05 Septembre 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 29 Octobre 2024.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

APPELANT :

Monsieur [H] [C]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté par Me Jérôme PRIVAT de la SELARL EVE SOULIER – JEROME PRIVAT – THOMAS AUTRIC, avocat au barreau de NIMES

INTIMÉE :

S.A.S. SONEPAR MEDITERRANEE

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Virginie BOURLAND-SAUVAT de la SELARL 1830 – AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 05 Août 2024

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Nathalie ROCCI, Présidente, le 29 Octobre 2024, par mise à disposition au greffe de la cour.

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS :

M. [H] [C] a été engagé par la société Teissier à compter du 1er décembre 1982 suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, en qualité d’employé.

Le 1er juin 2004, M. [H] [C] a été promu en qualité de magasinier principal niveau V, échelon 1, position maîtrise, emploi soumis à la convention collective nationale du commerce de gros.

Le 24 juin 2004, la société Teissier a inscrit M. [H] [C] auprès de la retraite complémentaire ARCCO AGIRC des cadres du groupe APICIL.

Le 1er mars 2010, le contrat de travail de M. [H] [C] a été transféré à la société Cabut et Raulot, suite à la vente du fonds de commerce.

Le 1er novembre 2012, un nouveau transfert du contrat de travail a eu lieu au profit de la société Comptoir central d’électricité, intégrée par la suite à la SAS Sonepar Méditerranée.

Par courrier du 05 novembre 2012, M. [H] [C] a été convoqué à un entretien préalable, puis licencié pour motif économique par courrier du 27 novembre 2012.

Lorsqu’il recevait sa demande de retraite validée au mois d’avril 2019, M. [H] [C] constatait qu’une cotisation pour sa retraite n’avait pas été transférée de la société Teissier à la société Cabut et Raulot le 1er mars 2010.

Par courrier en date du 03 juin 2019, M. [C] sollicitait la régularisation de sa situation auprès de la société Sonepar Méditerranée. Le 25 juin 2019, la société Sonepar Méditerranée refusait de donner une suite positive à cette requête.

Formulant divers griefs à l’encontre de l’employeur, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Nîmes, par requête reçue le 25 octobre 2019, afin de solliciter la condamnation de son employeur au paiement de plusieurs sommes.

Par jugement contradictoire du 23 juin 2022, le conseil de prud’hommes de Nîmes :

– Déclare les demandes de M. [H] [C] prescrites

– Rejette l’ensemble des demandes de M. [H] [C]

– Déboute la SAS Sonepar Méditerranée de sa demande relative à l’article 700 du code de procédure civile

– Condamne M. [H] [C] aux dépens.

Par acte du 15 juillet 2022, M. [H] [C] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 11 août 2022, M. [H] [C] demande à la cour de :

– Réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nîmes en date 23 juin 2022

– Constater que l’action intentée par M. [C] n’est pas prescrite.

– Constater que la requise a manqué à ses obligations en supprimant unilatéralement la cotisation retraite complémentaire -article 36 – de M. [C].

– Constater que la société Sonepar a commis une faute engendrant un préjudice pour M. [C].

En conséquence

– Condamner la société Sonepar à porter et payer à M. [C] les sommes suivantes :

*15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier et moral en raison du défaut de cotisation.

*5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

– Condamner la société Sonepar à porter et payer à M. [C] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Il soutient essentiellement que :

Sur la precription

– il agit à l’encontre de la société Sonepar sur le terrain de la responsabilité contractuelle, à savoir ne pas avoir procédé au règlement de la cotisation résultant du régime de l’article 36 et ce sur la période de février 2010 à février 2013, date de cessation du contrat de travail.

– l’obligation de régler les cotisations découlant d’un régime de retraite complémentaire est soumise à la prescription de droit commun et la Cour de cassation fixe le point de départ du délai de la prescription à la date de liquidation de la retraite.

– Lorsqu’il a reçu sa demande de retraite validée en date du 12 avril 2019, il a eu la mauvaise surprise de constater que la cotisation de l’article 36 n’avait pas été prise en compte dans le calcul de sa retraite et donc pas transférée de la société [I] à la société Cabut et Raulot.

– c’est donc à cette date du 12 avril 2019 qu’il s’est aperçu que le calcul de sa retraite était amputé de l’article 36 et que le point de départ de la prescription doit être fixé, si bien que l’action entreprise le 25 octobre 2009 n’est absolument pas prescrite.

Sur le fond

– les engagements pris par l’ancien employeur en matière de retraite et de prévoyance continuent de produire effet avec le nouvel employeur.

Tel est le cas en matière de régime de prévoyance et de retraite complémentaire.

– suite au transfert de son contrat de travail à la société Cabut et Raulot, cette dernière ne transférait pas cet avantage retraite, comme en témoignent les bulletins de salaire ne comportant plus cette cotisation, et ce à compter du 1er mars 2010 jusqu’à la date de cessation de son contrat de travail, à savoir le 21 février 2013 et ce en violation des articles L 1224-1 et L 1224 ‘ 2 du code du travail.

– contrairement à ce qu’affirme l’employeur, la société Cabus et Raulot puis la société Sonepar Méditerranée n’étaient pas libres de ne pas reprendre cet avantage dans la mesure où les obligations de l’ancien employeur en matière de prévoyance et de retraite supplémentaire sont transférées au nouvel employeur.

– consécutivement au transfert de son contrat de travail au mois de mars 2010, aucune des sociétés cessionnaires ne procédait à la dénonciation du régime de l’article 36.

– il a perdu des droits à la retraite, ce qui se répercute sur sa pension de retraite, évalués à 40 euros par mois.

– sur une espérance de vie de 79 ans pour un homme, la perte est de 12 960 euros.

– il subit également un préjudice moral.

– la société Sonepar a manqué à l’obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, d’une part en supprimant à compter du 1er mars 2012 l’avantage retraite cotisation article 36 alors même qu’elle avait l’obligation de le maintenir à l’occasion du transfert et d’autre part en refusant de le rétablir dans ses droits en dépit d’une demande en ce sens en date du 3 juin 2019.

En l’état de ses dernières écritures en date du 09 novembre 2022, la société Sonepar Méditerranée demande à la cour de :

– Confirmer le jugement entrepris

Par conséquent :

A titre principal :

– Déclarer les demandes de M. [C] prescrites.

A titre subsidiaire :

– Débouter M. [C] de l’ensemble de ses prétentions.

En tout état de cause :

– Condamner M. [C] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Elle fait essentiellement valoir que :

Sur la prescription

– à compter du mois de mars 2010, les bulletins de paie de M. [C] ne font plus apparaître de lignes correspondant aux cotisations afférentes au régime de retraite de l’article 36, alors que le bulletin de paie de février 2010, comme tous ses bulletins de paie depuis juin 2004, comportait 4 lignes en ce sens.

– le salarié avait une parfaite connaissance de la situation à cette date.

– dans un courrier en date du 22 février 2010, relatif précisément au transfert du contrat de travail à compter du 1er mars 2010, l’employeur précisait au salarié que les taux de retraite complémentaire allaient être uniformisés dans le cadre du transfert, sous-entendant que la situation du demandeur allait être alignée sur celle des salariés d’ores et déjà employés au sein de l’entreprise cessionnaire, au sein de laquelle les salariés ne bénéficiaient pas du régime de l’article 36.

– depuis la loi du 7 juin 2008, la prescription applicable aux actions relatives à l’exécution du contrat de travail est de 2 ans, comme le prévoit l’article L 1471-1 du code du travail.

– quelle que soit la prescription appliquée, celle relative aux salaires ou celle relative à l’exécution du contrat, l’action de M. [C] est nécessairement prescrite

– si on applique la prescription relative à l’exécution du contrat, la prescription a commencé à courir au 31 mars 2010, date à laquelle le salarié a reçu son bulletin de paie de mars 2010, premier bulletin ne comportant pas la cotisation de l’article 36.

La prescription était donc acquise au 1er avril 2012.

– si on applique la prescription relative au paiement du salaire, la prescription a commencé à courir à compter de la rupture du contrat, c’est à dire le 27 novembre 2012. Elle était donc acquise le 28 novembre 2014.

– M. [C] ayant saisi le conseil de prud’hommes le 25 octobre 2019, son action est prescrite.

Sur le fond

– c’est de manière volontaire que les établissements Teissier avaient accordé à M. [C] le bénéfice du régime de retraite complémentaire de l’article 36 à compter de son obtention du statut agent de maîtrise en juin 2004, puisque la convention collective ne l’y obligeait pas.

– cette décision n’engageait cependant qu’elle, les autres entreprises du même secteur d’activité, et notamment les sociétés cessionnaires étant libres pour leur part de ne pas appliquer le régime de retraite complémentaire relevant de l’article 36 à leurs salariés non-cadres.

– en cas de modification de la situation juridique de l’employeur, les conventions et accords collectifs de travail ne sont pas transmis au nouvel employeur, et ce, en vertu du principe de l’effet relatif des contrats.

Subsidiairement sur le quantum

– le salarié soutient avoir bénéficié d’une baisse de ses cotisations à compter du mois de mars 2010, suite à la suppression du prélèvement lié à l’article 36 et donc d’une hausse de son pouvoir d’achat, tout en bénéficiant aujourd’hui d’une pension de retraite augmentée.

– M. [C] n’étaye cependant absolument pas ses calculs, et sa projection ne repose pas plus sur des éléments concrets.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

Par ordonnance en date du 10 avril 2024, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 05 août 2024. L’affaire a été fixée à l’audience du 05 septembre 2024.

MOTIFS

La cour rappelle que les demandes de ‘constater’, de ‘dire et juger’ ne constituent pas des prétentions mais des moyens et ne saisissent la cour d’aucune demande.

Sur la prescription

L’action en responsabilité d’un salarié contre son employeur qui n’a pas versé les cotisations aux organismes de retraite est une action en responsabilité civile contractuelle.

Cette action tend en effet, non pas à obtenir l’exécution d’une obligation née du contrat de travail, mais la réparation d’un préjudice causé par la faute de l’employeur.

En application de l’article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 : ‘les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.’

La prescription d’une action en responsabilité résultant d’un manquement aux obligations nées du contrat de travail ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance.

La Cour de cassation juge encore que le point de départ du délai de prescription de cette action se situe au jour de la liquidation des droits du salarié à la retraite qui est le jour où le salarié a connaissance des faits lui permettant d’exercer son action en responsabilité (Soc., 11 juillet 2018, pourvoi n°17-12.605, Bull. 2018, V, n°141 Soc., 3 avril 2019, pourvoi n°17-15.568 (B)).

Le préjudice né de la perte des droits correspondant aux cotisations non versées n’est devenu certain qu’au moment où le salarié s’est trouvé en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pension.

En l’espèce, M. [C] a reçu sa demande de retraite validée le 12 avril 2019 avec un relevé de carrière de l’APICIL de la même date, laquelle constitue le point de départ du délai de prescription de l’action fondée sur l’obligation de l’employeur d’affilier son personnel à un régime de retraite ou de régler les cotisations qui en découlent.

Le fait que les bulletins de salaire à compter du mois de mars 2010 ne comportent plus les prélèvements de cotisation correspondants est sans emport dès lors que le préjudice naît à compter de la liquidation des droits à la retraite du salarié.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu’il a considéré que l’action de M. [C] était prescrite.

Sur le fond

L’article L 1224-1 du code du travail dispose que lorsque survient une modification dans la situation juridique de 1’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise.

Il est aujourd’hui acquis que les salariés dont le contrat de travail est transféré dans le cadre de l’article L 1224-1 du code du travail peuvent prétendre au maintien par leur nouvel employeur du bénéfice des engagements unilatéraux et des usages en vigueur au jour du transfert (Cass. soc., 4 févr. 1997, n° 95-41.468 Cass. soc., 17 mars 1998, n° 95-42.100 Cass. soc., 6 juin 2000, n° 98-40.289).

L’engagement unilatéral pris par un employeur est transmis en cas de transfert d’une entité économique, un nouvel employeur ne peut y mettre fin qu’à la condition de prévenir individuellement les salariés et les institutions représentatives du personnel dans un délai permettant d’éventuelles négociations.

Si le nouvel employeur refuse d’appliquer l’engagement unilatéral pris par son prédécesseur, sans le dénoncer régulièrement, il s’expose à des dommages-intérêts envers le personnel (Cass. soc., 21 sept. 2005, n° 03-43.532).

Il est constant que la société Teissier a fait bénéficier M. [C] du régime de retraite complémentaire de l’article 36 annexe 1 de la convention collective du 14 mars 1947 à compter de son obtention du statut agent de maîtrise en juin 2004, alors que ce bénéfice n’est obligatoire que pour les cadres, s’agissant ainsi d’un engagement unilatéral de la première au bénéfice du second.

Il n’est également pas contestable que les sociétés cessionnaires à compter de 2010 n’ont pas appliqué l’article 36 litigieux.

La cour relève que le salarié évalue sa perte de pension de retraite à 40 euros par mois, soit 480 euros par an, et un total de 12960 euros en tenant compte d’une espérance de vie de 79 ans, sans pour autant produire le moindre élément sur le calcul opéré et les sommes retenues.

Il ne produit pas plus d’élément sur le préjudice moral invoqué.

M. [C] sera en conséquence débouté de ce chef de prétention.

Sur l’exécution déloyale du contrat de travail

Aux termes de l’article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. Il en résulte qu’un salarié peut engager la responsabilité contractuelle de son employeur lorsque ce dernier a manqué à son obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail. La bonne foi contractuelle étant présumée, il incombe au salarié de rapporter la preuve que les faits qu’il allègue sont exclusifs de la bonne foi contractuelle.

Dès lors qu’un salarié recherche la responsabilité de son employeur pour exécution déloyale du contrat de travail, il lui incombe de préciser et d’établir les griefs au soutien de sa prétention d’une part et de prouver le préjudice qui en est résulté d’autre part.

M. [C] soutient que la société Sonepar a supprimé à compter du 1er mars 2012 l’avantage retraite cotisation et a refusé de régulariser la situation malgré un courrier en date du 3 juin 2019 ainsi libellé :

‘OBJET RETRAITE COMPLAIMENTAIR AGIRC

BONJOUR

Je travaille pour le groupe sonepar depuis le 1/12/1982 au établissement TEISSIER jusqu’au 28/02/2010 MUTER chez CABUT ET RAULOT Du 01/03/2010 au 31/10/2012

Puis au CCE du 01/11/2012 au 21/02/2013

Comme : VENDEUR COMPTOIR ,niveau :5 échelon2

Passé Agent de MAÎTRISE le 01/06 2004

Suite a ma demande de retraite APICIL (ARRCO AGIRC) complémentaire nous nous sommes rendu compte que CABUT RAULOT n avais pas lissé le contras comme convenu

Auprès de la retraite complémentaire MAITRISE.

SUR LES CERTIFICATS DE TRAVAIL il est bien mentionné que le contrat de travail initial demeure inchangé.

DONC JE VOUS DEMANDE DE FAIRE LE NECAISSERE AVEC LA CAISSE

COMPLEMENTAIRE AGIR

POUR QUI ME FASSE UNE REGULARISATION AU PLUS VITE CETTE ERREUR

IMPACTE AUSSI SUR LE CHOMAGE PUSQUE VOUS AVEZ PAS COTISE (GMP)

Garantie mjnimale de point

La personne qui s occupe de mon dossier AGIRC ET MME [R] [P]

AU 04/72/27/72/72

Je vous envoie pour faire VALOIR LES DOCUMENTS ci-joint a se courrier.

Je vous adresse mes salutations distinguées’

La société Sonepar répondait le 25 juin 2019 en ces termes :

‘Objet : Retraite complémentaire Agirc Art. 36

Monsieur,

Comme évoqué lors de notre dernière conversation téléphonique, les cotisations Art 36 sont dues

lorsqu’un contrat est souscrit par la société.

Dans votre cas, vous avez été employé en tant qu’Agent de Maîtrise à compter du 01/06/2004 dans la société TEISSIER jusqu’au 28/02/2010 qui avait souscrit un contrat Art 36 avec la caisse

APICIL.

Au 1er/03/2010, vous avez été muté dans la société CABUS et RAULOT jusqu’au 31/10/2012 et à compter du 1er/11/2012 dans la société SONEPAR MEDITERRANEE.

Ces sociétés n’avaient pas souscrit de contrat de retraite Art 36.

Les cotisations précomptées ont bien été versées aux caisses de retraite correspondantes.

Il n’y a donc pas lieu d’effectuer de régularisations.

Nous vous prions de recevoir, Monsieur, nos sincères salutations.’

Et ce en totale contravention avec les dispositions de l’article L 1224-1 du code du travail et la jurisprudence de la Cour de cassation rendue au visa de cet article.

Cette résistance abusive de l’employeur a causé un préjudice moral à l’appelant qui sera correctement indemnisé par l’allocation d’une somme de 1500 euros.

Sur les demandes accessoires

L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de M. [C] et de condamner la SAS Sonepar aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort,

Réforme le jugement rendu le 23 juin 2022 par le conseil de prud’hommes de Nîmes en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

Dit que l’action de M. [H] [C] est recevable,

Condamne la SAS Sonepar Méditerranée à payer à M. [H] [C] la somme de 1500 euros de dommages et intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur,

Déboute M. [H] [C] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier et moral en raison du défaut de cotisation,

Condamne la SAS Sonepar Méditerranée à payer à M. [H] [C] la somme de 1000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS Sonepar Méditerranée aux dépens de première instance et d’appel,

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.

LA GREFFIERE, LA PRÉSIDENTE,


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