Licenciement sans cause réelle : une analyse des responsabilités et des conséquences financières.

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Licenciement sans cause réelle : une analyse des responsabilités et des conséquences financières.

Faits : M. [U] [J] a été engagé par la société Infra par le biais d’un contrat de travail à durée déterminée, qui a été renouvelé et a ensuite évolué vers un contrat à durée indéterminée. Son licenciement a été notifié le 27 septembre 2019 pour faute grave, suite à un incident sur un chantier où il était responsable de la sécurité de son équipe. M. [J] a contesté ce licenciement, arguant qu’il n’avait pas commis de faute et que les conditions de sécurité n’avaient pas été respectées.

Procédure : M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny pour contester son licenciement, le jugeant sans cause réelle et sérieuse. Le conseil a rendu un jugement en sa faveur, condamnant la société Eiffage Route Ile de France Centre Ouest à lui verser diverses indemnités. La société a interjeté appel de cette décision.

Prétentions des parties : La société Eiffage Route Ile de France Centre Ouest a demandé l’infirmation du jugement, soutenant que le licenciement était justifié par la faute grave de M. [J]. De son côté, M. [J] a demandé la confirmation du jugement et des indemnités supplémentaires. La cour a examiné les éléments de preuve et a conclu que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, en se fondant sur les articles L.1231-1, L.1232-1, L.1232-6, L.1234-1 et L.1235-1 du Code du travail, qui imposent à l’employeur de prouver la réalité et la gravité des faits reprochés au salarié.

La cour a également rappelé que, selon l’article L.1235-3 du Code du travail, le salarié a droit à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dont le montant est déterminé en fonction de l’ancienneté et des circonstances de la rupture. En l’espèce, la cour a jugé que la faute reprochée à M. [J] n’était pas suffisamment grave pour justifier un licenciement, d’autant plus qu’il n’avait jamais été sanctionné durant ses 28 années de carrière.

L’Essentiel : M. [U] [J] a été licencié le 27 septembre 2019 pour faute grave après un incident sur un chantier. Contestant ce licenciement, il a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny, qui a jugé en sa faveur, condamnant la société Eiffage Route Ile de France Centre Ouest à lui verser des indemnités. En appel, la société a soutenu que le licenciement était justifié, tandis que M. [J] a demandé la confirmation du jugement et des indemnités supplémentaires. La cour a conclu que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.
Résumé de l’affaire :

Engagement et évolution de la relation de travail

M. [U] [J] a été engagé par la société Infra le 9 février 1989 en tant que conducteur d’engins polyvalent, avec un contrat de travail à durée déterminée renouvelé pour deux mois. Par la suite, il a continué à travailler sous un contrat à durée indéterminée à partir du 19 février 1990, occupant divers postes, dont celui de chef de chantier. Son contrat a été transféré à plusieurs reprises, la dernière société étant Eiffage Route Ile de France Centre Ouest. Le contrat a été rompu le 27 septembre 2019, alors que M. [J] se trouvait en situation irrégulière.

Reconnaissance de maladies professionnelles et statut de travailleur handicapé

M. [J] a été reconnu atteint d’une maladie professionnelle par la CPAM à partir du 8 février 2013, et a obtenu le statut de travailleur handicapé en janvier 2013 pour une durée de cinq ans. Une seconde maladie professionnelle a été reconnue à partir du 13 octobre 2016. Il a également reçu une carte de priorité à partir du 1er janvier 2017.

Procédure de licenciement

M. [J] a été convoqué à deux entretiens préalables en juin et juillet 2018, et son licenciement pour faute grave a été notifié le 18 juillet 2018. Il a contesté ce licenciement par courrier le 31 juillet 2018, saisissant le conseil de prud’hommes de Bobigny le 28 février 2019 pour faire valoir que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

Jugement du conseil de prud’hommes

Le 24 mars 2021, le conseil de prud’hommes a jugé le licenciement de M. [J] sans cause réelle et sérieuse, condamnant la société Eiffage Route Ile de France Centre Ouest à lui verser plusieurs indemnités, dont une indemnité conventionnelle de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement abusif. La société a interjeté appel de cette décision.

Arguments des parties en appel

La société Eiffage Route Ile de France Centre Ouest a demandé à la cour d’infirmer le jugement, arguant que le licenciement était justifié par des faits de faute grave. M. [J] a, quant à lui, demandé la confirmation du jugement et des indemnités supplémentaires pour les frais d’appel. Pôle emploi, devenu France Travail, a également demandé la confirmation du jugement et le remboursement des allocations chômage versées.

Motifs de la décision de la cour

La cour a confirmé que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, soulignant que l’employeur n’avait pas prouvé la gravité des faits reprochés à M. [J]. La cour a également noté que le salarié n’avait jamais été sanctionné durant ses 28 années de carrière et que la faute commise n’avait pas eu de conséquences graves.

Conséquences financières du licenciement

La cour a statué sur les indemnités dues à M. [J], confirmant certaines montants et en modifiant d’autres, notamment en augmentant l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 29 598,36 euros. La société a également été condamnée à remettre les documents de fin de contrat et à rembourser les indemnités de chômage versées à Pôle emploi.

Décision finale de la cour

La cour a confirmé le jugement du conseil de prud’hommes, sauf en ce qui concerne le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qu’elle a augmenté. Elle a ordonné à la société de remettre les documents nécessaires à M. [J] et a statué sur les intérêts et les dépens, condamnant la société aux frais d’appel.

Q/R juridiques soulevées :

La légitimité du licenciement pour faute grave

Le licenciement pour faute grave est encadré par l’article L.1232-1 du code du travail, qui stipule que le licenciement par l’employeur pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, l’employeur a invoqué des faits liés à la sécurité Le chantier, affirmant que le salarié, en tant que chef de chantier, avait manqué à ses obligations en ne s’assurant pas de la mise en place du blindage de la tranchée.

Cependant, le salarié a démontré que le blindage n’était pas requis les jours précédents l’accident, et que les éléments nécessaires au blindage n’avaient été livrés que le jour de l’accident.

Ainsi, la cour a conclu que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, confirmant le jugement de première instance.

L’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents

L’article L.1234-1 du code du travail précise que le salarié a droit à un préavis en cas de rupture du contrat de travail.

Dans ce cas, le salarié a droit à un préavis de trois mois, ce qui correspond à une indemnité de 7399,59 euros.

Concernant les congés payés, l’employeur a soutenu que le paiement était assuré par la caisse des congés payés. Toutefois, la société n’a pas prouvé avoir pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié de bénéficier de ses droits.

Par conséquent, la cour a confirmé que l’employeur devait payer les congés payés afférents, soit 739,96 euros.

L’indemnité conventionnelle de licenciement

L’indemnité conventionnelle de licenciement est régie par les dispositions de la convention collective applicable.

Dans ce cas, le salarié a droit à une indemnité de 28265,87 euros, en fonction de son ancienneté.

La cour a confirmé ce montant, considérant qu’il était conforme aux stipulations de la convention collective des ETAM des travaux publics.

L’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

L’article L.1235-3 du code du travail prévoit que le salarié peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dont le montant varie en fonction de l’ancienneté.

Dans cette affaire, la cour a pris en compte divers facteurs, tels que l’ancienneté du salarié, son âge, et sa capacité à retrouver un emploi.

Elle a ainsi décidé d’allouer une indemnité de 29598,36 euros, correspondant à 12 mois de salaire, infirmant le jugement de première instance sur ce point.

La remise des documents de fin de contrat

Conformément aux dispositions légales, l’employeur est tenu de remettre au salarié un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi, et un solde de tout compte.

La cour a ordonné la remise de ces documents dans un délai d’un mois, conformément à la législation en vigueur.

Le remboursement des indemnités de chômage

L’article L.1235-4 du code du travail stipule que l’employeur doit rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié licencié, dans la limite de six mois.

La cour a donc ordonné ce remboursement, en application des dispositions légales.

Les intérêts et leur capitalisation

Les articles 1231-6 et 1231-7 du code civil prévoient que les intérêts Les créances salariales sont dus à compter de la réception de la convocation de l’employeur.

La cour a également ordonné la capitalisation des intérêts échus, conformément à l’article 1343-2 du code civil, pour les créances dues depuis au moins une année.

Les demandes accessoires

La cour a confirmé le jugement Les dépens et a appliqué l’article 700 du code de procédure civile, condamnant l’employeur aux frais irrépétibles.

La société a été déboutée de sa demande au titre de l’article 700, en cause d’appel, en raison de sa position perdante dans le litige.

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 4

ARRET DU 11 DECEMBRE 2024

(n° /2024, 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/04017 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDUJJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Mars 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° 19/00612

APPELANTE

SAS EIFFAGE ROUTE ILE DE FRANCE CENTRE OUEST agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Caroline ARNAUD, avocat au barreau de Paris, toue : A0295

INTIME

Monsieur [U] [J]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par Me Elodie PUISSANT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0372

PARTIE INTERVENANTE

FRANCE TRAVAIL représenté par le Directeur régional Ile-de-France demeurant en cette qualité au siège régional

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Me Véronique DAGONET, avocat au barreau du Val de Marne, toque : PC003

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 Octobre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Florence MARQUES, conseillère, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme MEUNIER Guillemette, présidente de chambre

Mme NROVAL-GRIVET Sonia, conseillère

Mme MARQUES Florence, conseillère rédactrice

Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre, et par Clara MICHEL, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

Faits, procédure et prétentions des parties

Suivant contrat de travail à durée déterminée en date du 9 février 1989 M. [U] [J] a été engagé par la société Infra du 9 février au 14 avril 1989 en qualité de conducteurs d’engins polyvalent. Ce contrat a été renouvelé pour une durée de deux mois.

La relation de travail s’est ensuite poursuivie dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.

Le contrat a été rompu à effet du 27 septembre 2019, le salarié se trouvant alors en situation irrégulière.

Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 19 février 1990, M. [U] [J] a été engagé par la société Infra en qualité de conducteur de petits engins, statut ouvrier.

Son contrat de travail a été transféré à compter du 31 décembre 2006 avec reprise d’ancienneté au 19 février 1990, à la société Appia [Localité 7] nord, puis suite à une opération de fusion absorption, à la société Eiffage Travaux Publics Ile de France Centre, actuellement dénommée la société Eiffage Route Ile de France Centre Ouest.

En dernier lieu, M. [J] occupait le poste de chef de chantier, statut ETAM, classification E.

Dans le dernier état des relations contractuelles, sa rémunération moyenne brute mensuelle était de 2466,53 euros (d’avril à juin 2018).

La convention collective applicable est celle des ETAM des travaux publics.

Par courrier en date du 18 mars 2014, la CPAM de [Localité 9] a reconnu que le salarié était atteint d’une maldie professionnelle à effet rétroactif du 8 février 2013.

M. [J] a été reconnu travailleur handicapé par décision de la CDAPH de [Localité 9] en date du 16 janvier 2013, pour 5 ans. Une carte de priorité lui a été accordée à compter du 1 janvier 2017, pour 5 ans, eu égard à son taux d’incapacité inférieur à 80%.

Par courrier en date du 19 avril 2017, la CPAM a reconnu que le salarié était atteint d’une seconde maladie professionnelle à compter du 13 octobre 2016.

M. [J] a été convoqué, le 15 juin 2018, à un premier entretien préalable en date du 25 juin 2018, puis à un second entretien préalable en date du 13 juillet 2018. Son licenciement pour faute grave lui a été notifié par lettre en date du 18 juillet 2018.

Il a contesté son licenciement par courrier en date du 31 juillet 2018.

M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny, le 28 février 2019 aux fins notamment de voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et comdamner la société Eiffage Route Ile de France Centre Ouest à lui payer diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par jugement en date du 24 mars 2021 , le conseil de prud’hommes de Bobigny a :

-dit le licenciement de M. [J] sans cause réelle et sérieuse.

-condamné la société Eiffage Route Ile de France Centre Ouest à payer M.[J] les sommes suivantes :

*28 265,87 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

*7 399,59 euros à titre de l’indemnité de préavis

*739,96 euros à titre de congés payés afférents

*2 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

*48 097 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

-ordonné l’execution provisoire sur la totalité du jugement

-ordonné la remise de l’attestation pôle emploi, du solde de tout compte, du certificat de travail conformes au présent jugement

-débouté du surplus

-condamné la société Eiffage Route Il de France Centre Ouest aux dépens.

Par déclaration au greffe en date du 23 avril 2021, la société Eiffage Route Ile de France Centre Ouest a régulièrement interjeté appel de la décision.

Pôle emploi, devenu France Travail est intervenu volontairement à l’instance.

Aux termes de ses uniques conclusions remises via le réseau virtuel des avocats le 22 juillet 2021, la société Eiffage Route Ile de France Centre Ouest demande à la cour de :

A titre principal:

– infirmer le jugement du Conseil de prud’hommes de Bobigny du 24 mars

2021 en ce qu’il a dit que le licenciement de M. [J] était dénué

de cause réelle et sérieuse et a condamné la société à lui verser :

*48 097 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause

réelle et sérieuse,

*28 265,87 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

*7 399,59 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

*739,96 euros au titre des congés payés afférents,

*2 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

-infirmer le jugement du Conseil de prud’hommes de Bobigny du 24 mars

2021 en ce qu’il a débouté la société de ses demandes,

Statuant à nouveau:

– débouter M. [J] de l’intégralité de ses demandes,

– condamner M. [J] à la somme de 2 000 euros au titre des

dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

A titre subsidiaire, si la Cour devait entrer en voie de condamnation :

– infirmer le jugement du Conseil de prud’hommes de Bobigny du 24 mars

2021 en ce qu’il a condamné la société à verser à M. [J] la somme de 48 097 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– limiter l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à de plus justes proportions

En tout état de cause:

– infirmer le jugement du Conseil de prud’hommes de Bobigny du 24 mars 2021 en ce qu’il a condamné la société à verser la somme de 739,96 euros au titre des congés payés sur préavis,

– débouter M. [J] de sa demande au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis.

Aux termes de ses uniques conclusions remises via le réseau virtuel des avocats le 20 octobre 2021, M. [J] demande à la cour de :

– dire et juger la société Eiffage Route Ile de France Centre Ouest irrecevable et mal fondée en son appel,

En conséquence,

– confirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

– condamner la société Eiffage Route Ile de France Centre Ouest à payer à M. [J] la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile s’agissant des frais irrépétibles exposés à hauteur d’appel,

– condamner la société Eiffage Route Ile de France Centre Ouest aux entiers dépens d’instance et d’appel.

Aux termes de ses uniques conclusions remises via le réseau virtuel des avocats le 24 janvier 2024 , Pôle emploi, devenu France Travail demande à la cour de :

-dire et juger Pôle emploi recevable et bien fondée en sa demande

-confirmer le jugement entrepris en ce qu’il qualifie le licenciement de dépourvu de cause réelle et sérieuse

En conséquence,

-condamner la société Eiffage Route Ile de France Centre Ouest à lui verser la somme de 7 955,22 euros en remboursement des allocations chômage versées au salarié

-condamner la société Eiffage Route Ile de France Centre Ouest à lui verser la somme de 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

-condamner la société Eiffage Route Ile de France Centre Ouest aux entiers dépens.

La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et, en application de l’article 455 du code de procédure civile, aux dernières conclusions échangées en appel.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 3 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

1-Sur le licenciement pour faute grave

L’article L.1231-1 du code du travail dispose que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié. Aux termes de l’article L.1232-1 du même code, le licenciement par l’employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Il résulte par ailleurs des dispositions combinées des articles L 1232-1, L 1232-6, L 1234-1 et L 1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d’un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l’employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d’une part d’établir l’exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d’autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l’entreprise.

En l’espèce, la lettre de licenciement en date du 18 juillet 2018 est ainsi rédigée :

‘ Le 18 mai 2018, sur le chantier de [Localité 8] CD 95 Lot 1, où votre équipe réalisait des travaux d’assainissement et de voirie, un salarié de l’équipe dont vous aviez la responsabilité est descendu réaliser des travaux dans la tranchée non blindée. En effet, le blindage de cette tranchée, bien que présent sur le chantier, n’était pas mis en oeuvre. Cette intervention, dépourvue de toute sécurité, a eu pour conséquence la chute d’un bloc de terre sur la personne de Monsieur [P] [D].

Lors de votre entretien auprès de Monsieur [E], vous avez expliqué que le matin même le blindage était dans la tranchée, ce qui ne me semble pas être le cas, et vous reconnaissiez que les deux jours précédents vous aviez fait travailler votre équipe sans blindage.

Les conséquences du défaut de blindage sur ce chantier auraient pu être gravissimes.

Vous comme votre équipe, ne devez pas travailler situation à risques mettant votre sécurité en danger.

En agissant de la sorte, vous avez délibérément positionné votre collaborateur en situation de danger et avez fait courir un risque à votre équipe.

Vous vous obstinez à ne pas appliquer les règles de sécurité. Ce comportement est parfaitement inadmissible et il s’agit d’un manquement grave à vos obligations contractuelles.

Lors de votre entretien du 13 juillet 2018, les explications que vous nous avez fournies ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Comme le prévoit le règlement intérieur, le non-respect de ces consignes est passible de sanctions.

En conséquence, compte tenu de la gravité des faits, votre maintien dans notre société s’avère impossible et nous vous notifions votre licenciement.

Nous vous notifions donc votre licenciement pour faute grave. »

L’employeur expose qu’alors qu’il avait en charge la sécurité de son équipe sur les chantiers et avait été régulièrement formé à cette fin, M. [J] a failli à son obligation contractuelle mettant en danger un membre de son équipe. Il indique que la tranchée creusée pour pouvoir y installer un tuyau d’assainissement était de 1,80 m de profondeur, le 18 mai 2018, et supposait, pour que les ouvriers y travaillent sans danger d’être ‘blindée’ , ce qui n’était pas le cas, un ouvrier ayant d’ailleurs reçu sur lui un bloc de terre.

L’employeur souligne qu’en qualité de chef de chantier, le salarié aurait dû vérifier que le blindage était installé avant de s’absenter pour accomplir une tâche administrative. Il indique que M. [J] avait déja travaillé les deux jours précédents sans blindage et doute que la tranchée ne mesurait que 80 cm à ce moment là alors qu’elle était profonde de 1,80 mètre le 18 mai 2018. Il a été informé des faits par des élus, le 13 juin 2018 à l’occasion d’une réunion qui s’est tenue ce jour là.

Le salarié soutient qu’il n’a commis aucune infraction aux rêgles de sécurité les 16 et 17 mai 2018, la tranchée ne mesurant alors que 80 cm et l’article R.4534-24 du Code du travail n’exigeant le blindage que pour ‘les fouilles en tranchées de plus d’1,30 mètre de profondeur’. Il souligne que c’est d’ailleurs pour cela que le matériel nécessaire au blindage avait été commandé et reçu pour le 18 mai 2018, son retour étant prévu pour le 25 mai 2018.

En ce qui concerne le 18 mai 2018, M. [J] explique qu’il a été contraint de s’absenter en début d’après-midi pour se rendre dans les bureaux de l’agence afin d’y déposer des cartons de pointage et divers éléments de paie pour la période du 21 avril au 15 mai 2018 alors qu’il aurait déja dû les déposer depuis deux jours. Il soutient qu’avant son départ, il a donné les instructions nécessaires relativement à la sécurité du chantiers, notamment la nécessité de procéder au blindage et que ses consignes n’ont pas été respectées.

Le salarié ne conteste pas l’absence de blindage de la tranchée au moment de la survenance de l’accident.

En ne s’assurant pas, avant de s’absenter, de la présence effective du blindage dont le but est de rendre effective la sécurité des salariés amenés à travailler dans la tranchée, M. [J], dont les fonctions de chef de chantier lui confiaient la responsabilité de prendre toutes dispositions utiles pour assurer la sécurité de l’équipe, a commis une faute dont il ne peut se départir en invoquant la nécessité d’effectuer une tâche administrative dans le même temps, sans d’ailleurs qu’il n’établisse qu’elle devait absolument être effectuée en début d’après-midi.

En revanche, la société ne démontre d’aucune façon que le blindage aurait dû être monté les 16 et 17 mai 2018, ne présentant aucun élément de preuve relativement à la profondeur de la tranchée à ces dates alors que de son côté, M. [J] démontre au contraire, en produisant aux débats le bon de livraison du blindage en date du18 mai 2018 et le bon de retour en date du 25 mai 2018, que les éléments nécessaires au blindage n’ont été livrés qu’à compter du 18 mai 2018.

Par ailleurs, la société procède par simple affirmation lorsqu’elle reproche à M. [J] d’avoir, de manière récurrente, omis de respecter les régles de sécurité. Il est remarqué à cet égard que le salarié n’a fait l’objet, en 28 ans de carrière, d’aucune sanction disciplinaire.

Il est ainsi retenu la seule faute du 18 mai 2018. La cour constate que l’employeur, qui ne rapporte d’aucune façon la preuve qu’il n’a été informé des faits que le 13 juin 2018 alors même qu’il verse aux débats un ‘rapport analyse accident’, certes non daté mais décrivant les circonstances de l’accident et listant ses conséquences, ainsi que des photos des lieux, le tout laissant penser légitimement qu’il en a été informé dans les suites de l’accident.

Ainsi, l’employeur a laissé son salarié travailler pendant un mois avant de le convoquer à un entretien préalable, à l’issue duquel il n’a pas pris de sanction disciplinaire, avant de le convoquer une seconde fois, le 13 juillet 2018, pour le licencier pour faute grave le 18 juillet 2018. Il s’est donc écoulé deux mois entre l’accident et le licenciement pendant lesquels le salarié a continué à travailler à son poste de chef de chantier. L’employeur ne peut en conséquence soutenir que les faits était constitutifs d’une faute grave.

Par ailleurs, la cour remarque que le salarié n’a, en 28 ans de carrière, jamais été sanctionné disciplinairement et que la faute commise n’a eu aucune conséquence humaine, M. [P] n’ayant pas été blessé, ou matérielle. Aucun retard dans le chantier n’est mentionné. Il en résulte que la sanction choisie était disproportionnée.

En conséquence, le licenciement de M. [J] est sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement est confirmé de ce chef.

2-Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Le salaire mensuel de référence à retenir est de 2466,53 euros.

2-1-Sur l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents

La salariée peut prétendre à 3 mois de préavis. Il lui est dû de ce chef la somme de 7399,59 euros.

Le salarié réclame également les congés payés afférents. L’employeur s’y oppose soulignant qu’en application de la convention collective du bâtiment et des travaux publics applicable, le paiement des congés payés est assuré directement par la caisse des congés payés du bâtiment.

Effectivement, le service des indemnités de congés payés est assuré par cette caisse sur la base du certificat justificatif de ses congés prévu par l’article D. 3141-9 du code du travail.

Cependant, au cas d’espèce, la société ne justifie ni même n’allègue avoir pris les mesures propres à assurer au salarié la possibilité de bénéficier effectivement auprès de la caisse de congés payés de son droit à congé payé, lequel comprend le droit au paiement d’une indemnité de congés payés, pour la période de trois mois de préavis, de sorte que la caisse ne peut valablement être substituée à l’employeur.

La société sera en conséquence condamnée à payer à M. [J], la somme de 739,95 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement est confirmé de ce chef.

2-2-Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement

En application de la convention collective et de son ancienneté, le salarié a droit à une indemnité conventionnelle de licenciement d’un montant de 28265,87 euros.

Le jugement est confirmé de ce chef.

2-3-Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

En application de l’article L. 1235-3 du code du travail, l’intimé peut prétendre, au regard de son ancienneté dans l’entreprise, à une indemnité équivalente au minimum à 3 mois et au maximum à 19,5 mois de salaire brut.

En considération notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [J] de son âge au jour de son licenciement (56 ans), de son ancienneté à cette même date (28 années), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation, son état de santé et son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels que ces éléments résultent des pièces et des explications fournies à la cour, il y a lieu de lui allouer la somme de 29 598,36 euros (12 mois de salaire) à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement est infirmé sur le quantum de ce chef.

3-Sur la remise des documents de fin de contrat.

Il convient d’ordonner la remise d’une attestation Pôle Emploi, devenu France Travail, d’un solde de tout compte et d’un certificat de travail conformes à la présente décision, celle-ci étant de droit.

4- sur le remboursement des indemnités de chômage

En application des dispositions de l’article L1235-4 du code du travail, il y a par ailleurs lieu d’ordonner le remboursement par l’employeur à pôle emploi devenu France travail des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié licencié à compter de son licenciement dans la limite de six mois d’indemnités.

5-Sur les intérêts et leur capitalisation

La cour rappelle qu’en application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les intérêts au taux légal portant sur les créances salariales sont dus à compter de la date de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et d’orientation et les intérêts au taux légal portant sur les créances de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce.

La capitalisation des intérêts échus dus au moins pour une année entière sera ordonnée en application de l’article 1343-2 du code civil.

6-Sur les demandes accessoires

Le jugement est confirmé sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile.

Partie perdante,la SAS Eiffage Route Ile-de-France Centre Ouest est condamnée aux dépens d’appel.

L’équité commande de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel au profit de M. [U] [J] ainsi qu’il sera dit au dispositif.

La SAS Eiffage Route Ile-de-France Centre Ouest est déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qui concerne le quantum alloué à M. [U] [J] au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

L’INFIRME de ce chef,

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

CONDAMNE la SAS Eiffage Route Ile-de-France Centre Ouest à payer à M. [U] [J] la somme de 29598,36 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

ORDONNE à la SAS Eiffage Route Ile-de-France Centre Ouest de remettre à M. [U] [J] un certificat de travail, une attestation destinée au Pôle Emploi devenu France Travail et un solde de tout compte conformes au présent arrêt dans un délai d’un mois à compter de sa signification,

RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, les créances de nature indemnitaire portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

ORDONNE la capitalisation des intérêts échus dus au moins pour une année entière en application de l’article 1343-2 du code civil

ORDONNE d’office à la SAS Eiffage Route Ile-de-France Centre Ouest le remboursement à Pôle Emploi, devenu France Travail, des indemnités de chômage versées à M. [U] [J] dans la limite de six mois d’indemnités,

DIT que conformément aux dispositions des articles L. 1235-4 et R. 1235-2 du code du travail, une copie du présent arrêt sera adressée par le greffe au Pôle Emploi du lieu où demeure le salarié.

CONDAMNE la SAS Eiffage Route Ile-de-France Centre Ouest à payer à M. [U] [J] la somme de 1200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel,

DÉBOUTE la SAS Eiffage Route Ile-de-France Centre Ouest de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel,

CONDAMNE la SAS Eiffage Route Ile-de-France Centre Ouest aux dépens d’appel.

Le greffier La présidente de chambre


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