Le juge judiciaire, en tant que garant de la liberté individuelle, doit examiner les irrégularités affectant les procédures préalables à la décision de placement en rétention, conformément à l’article 66 de la Constitution et aux dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce contrôle vise à assurer l’effectivité des droits de l’étranger, notamment dans les cas où un retour immédiat dans le pays d’origine pourrait être ordonné sans examen juridictionnel des circonstances de l’interpellation. Selon l’article L. 743-11 du code précité, aucune irrégularité antérieure à une audience de prolongation de la rétention ne peut être soulevée lors d’une audience ultérieure, sauf si l’intéressé prouve l’impossibilité de faire valoir ses droits. De plus, l’article R. 743-2 impose que la requête de l’autorité administrative soit accompagnée de toutes pièces justificatives utiles, sous peine d’irrecevabilité, sauf justification de leur impossibilité. En ce qui concerne la prolongation de la rétention, l’article L. 742-5 prévoit que le juge peut être saisi à nouveau dans des situations exceptionnelles, telles que l’obstruction à l’exécution de la décision d’éloignement ou la présentation d’une demande d’asile, et que la menace pour l’ordre public doit être appréciée in concreto, en tenant compte des comportements récents de l’étranger. La jurisprudence souligne que la commission d’une infraction pénale ne suffit pas à établir une menace pour l’ordre public, qui doit être réelle et actuelle.
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L’Essentiel : Le juge judiciaire doit examiner les irrégularités affectant les procédures de placement en rétention, afin d’assurer l’effectivité des droits de l’étranger. Selon l’article L. 743-11, aucune irrégularité antérieure à une audience de prolongation ne peut être soulevée, sauf preuve d’impossibilité de faire valoir ses droits. L’article R. 743-2 impose que la requête de l’autorité administrative soit accompagnée de pièces justificatives, sous peine d’irrecevabilité. La prolongation de la rétention peut être demandée dans des situations exceptionnelles.
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Résumé de l’affaire :
Appelant et IntiméL’appelant est un agent d’accueil dans un bar, de nationalité tunisienne, qui a été retenu dans un centre de rétention. L’intimé est le préfet de police, représenté par un avocat. Ordonnance de RétentionLe juge des libertés et de la détention a rejeté les exceptions de nullité soulevées par l’appelant et a ordonné la prolongation de sa rétention pour une durée maximale de 15 jours. Appel de l’OrdonnanceL’appelant a interjeté appel de cette ordonnance, demandant son infirmation, tandis que le conseil du préfet de police a plaidé pour sa confirmation. Contrôle de RégularitéLe juge judiciaire doit examiner les irrégularités affectant les procédures préalables à la rétention, afin de garantir les droits individuels de l’étranger. Limites du Contrôle JudiciaireLe contrôle du juge de la rétention est soumis à des conditions spécifiques, notamment l’irrecevabilité des irrégularités antérieures à une audience de prolongation, sauf impossibilité de faire valoir un droit. Absence de Pièces JustificativesLe préfet doit fournir toutes les pièces justificatives utiles avec sa requête, et leur absence peut entraîner l’irrecevabilité de la demande. Conditions de Prolongation de RétentionLe juge peut prolonger la rétention au-delà de la durée maximale si des circonstances exceptionnelles, telles qu’une menace pour l’ordre public, sont établies. Évaluation de la Menace à l’Ordre PublicLa menace pour l’ordre public doit être appréciée en fonction des comportements de l’étranger, et la commission d’infractions pénales ne suffit pas à établir cette menace. Conclusion de l’OrdonnanceL’ordonnance de prolongation de la rétention a été confirmée, en raison de la persistance d’une menace pour l’ordre public, sans qu’il soit nécessaire d’examiner d’autres critères. |
Q/R juridiques soulevées :
Sur le principe d’un contrôle de régularité des actes antérieurs au placement en rétentionIl appartient au juge judiciaire, en sa qualité de gardien de la liberté individuelle, de se prononcer sur les irrégularités, invoquées par l’étranger, affectant les procédures préalables à la notification de la décision de placement en rétention. Cela est fondé sur l’article 66 de la Constitution et les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui imposent au juge de la rétention de s’assurer de l’effectivité des droits de l’étranger. Le contrôle sur les circonstances de mise en œuvre des décisions relatives à la privation de liberté d’un retenu doit être exercé par le juge de la rétention, dans les limites inhérentes à chaque dossier. Sur les limites de l’office du juge au regard de la procédure préalable à la rétentionLe contrôle du juge de la rétention s’exerce sous réserve des dispositions de l’article L. 743-11 du code précité, qui stipule qu’à peine d’irrecevabilité, aucune irrégularité antérieure à une audience à l’issue de laquelle le juge a prolongé la mesure ne peut être soulevée lors d’une audience ultérieure, sauf circonstances établissant l’impossibilité pour l’intéressé de faire valoir un droit correspondant à des diligences antérieures. La finalité du contrôle est de permettre un examen effectif des droits de l’étranger en l’absence de tout autre contrôle juridictionnel des conditions d’interpellation et de la procédure subséquente. Sur l’absence de pièces justificatives utiles dans le dossier initial joint à la requête du préfetL’article R.743-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit qu’à peine d’irrecevabilité, lorsque la requête est formée par l’autorité administrative, elle doit être accompagnée de toutes pièces justificatives utiles, notamment une copie du registre prévu à l’article L. 744-2. Il ne peut être suppléé à leur absence par leur seule communication à l’audience, sauf s’il est justifié de l’impossibilité de les joindre à la requête. La jurisprudence considère que les pièces justificatives utiles doivent être jointes à la requête du préfet à peine d’irrecevabilité, sauf justification de l’impossibilité de les joindre. Sur les conditions d’une troisième prolongation de la rétention administrativeIl résulte des dispositions de l’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qu’à titre exceptionnel, le juge peut être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsque certaines situations apparaissent dans les quinze derniers jours. Ces situations incluent l’obstruction à l’exécution de la décision d’éloignement, la présentation d’une demande de protection contre l’éloignement, ou le défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat. La menace pour l’ordre public doit être appréciée in concreto, au regard d’un faisceau d’indices permettant d’établir la réalité des faits et la gravité de la menace. En l’espèce, le comportement de l’intéressé, qui a été placé en garde à vue pour des faits de viol, constitue une menace pour l’ordre public, justifiant ainsi la prolongation de la rétention. |
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
L. 742-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour
des étrangers et du droit d’asile
ORDONNANCE DU 24 DECEMBRE 2024
(1 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général et de décision : B N° RG 24/06012 – N° Portalis 35L7-V-B7I-CKQJO
Décision déférée : ordonnance rendue le 22 décembre 2024, à 11h49, par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris
Nous, Dorothée Dibie, conseillère à la cour d’appel de Paris, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Maxime Martinez, greffier aux débats et au prononcé de l’ordonnance,
M. [B] [N]
né le 04 septembre 1992 à [Localité 3], de nationalité tunisienne
déclare être agent d’accueil dans un bar dans le [Localité 1]
RETENU au centre de rétention : [2]
assisté de Me Adrien Namigohar, substitué par Me Natacha Gabory, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis
INTIMÉ :
LE PREFET DE POLICE
représenté par Me Bruno Mathieu de la SELAS Mathieu et Associe, avocats au barreau de Paris
MINISTÈRE PUBLIC, avisé de la date et de l’heure de l’audience
ORDONNANCE :
– contradictoire
– prononcée en audience publique
– Vu l’ordonnance du 22 décembre 2024 du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris rejetant les exceptions de nullité soulevées et ordonnant la prolongation du maintien de l’intéressé, dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, pour une durée maximale de 15 jours ;
– Vu l’appel motivé interjeté le 23 décembre 2024, à 10h04, par M. [B] [N] ;
– Après avoir entendu les observations :
– de M. [B] [N], assisté de son avocat, qui demande l’infirmation de l’ordonnance ;
– du conseil du préfet de police tendant à la confirmation de l’ordonnance ;
1. Sur le principe d’un contrôle de régularité des actes antérieurs au placement en rétention
Il appartient au juge judiciaire, en sa qualité de gardien de la liberté individuelle, de se prononcer sur les irrégularités, invoquées par l’étranger, affectant les procédures préalables à la notification de la décision de placement en rétention (2e Civ., 28 juin 1995, pourvoi n° 94-50.002, 2e Civ., 28 juin 1995, pourvoi n° 94-50.006, 2e Civ., 28 juin 1995, pourvoi n° 94-50.005 ), aux fins de permettre un contrôle effectif des droits individuels, notamment dans les hypothèses qui conduiraientà un retour immédiat des personnes étrangères dans le pays dont elles sont ressortissantes, sans aucun examen juridictionnel des circonstances de l’interpellation et de la procédure pénale subséquente.
La jurisprudence constante depuis 1995 est fondée sur l’article 66 de la Constitution et les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile imposant au juge de la rétention de s’assurer de l’effectivité des droits de l’étranger.
A cet égard, le contrôle sur les circonstances de mise en oeuvre des décisions relatives à la privation de liberté d’un retenu (délais en jeu, notifications, conditions d’exercice du droit au recours) doit être exercé par le juge de la rétention, dans les limites inhérentes à chaque dossier.
2. Sur les limites de l’office du juge au regard de la procédure préalable à la rétention
En premier lieu, le contrôle du juge de la rétention s’exerce sous réserve des dispositions de l’article L. 743-11 du code précité, aux termes duquel à peine d’irrecevabilité, prononcée d’office, aucune irrégularité antérieure à une audience à l’issue de laquelle le juge a prolongé la mesure ne peut être soulevée lors d’une audience ultérieure, sauf circonstance établissant l’impossibilité pour l’intéressé de faire valoir un droit correspondant à des diligences antérieures à cette date.
En second lieu, la finalité du contrôle est de permettre un examen effectif des droits de l’étranger en l’absence de tout autre contrôle juridictionnel des conditions d’interpellation et de la procédure subséquente. L’office du juge de la rétention est ainsi mis en oeuvre à la condition que la procédure en cause ne fassent pas l’objet d’un examen concurrent parallèle par des judictions chargées par la loi d’assurer ce contrôle.
3. Sur l’absence de pièces justificatives utiles dans le dossier initial joint à la requête du préfet
L’article R.743-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit qu’à peine d’irrecevabilité lorsque la requête est formée par l’autorité administrative, elle est accompagnée de toutes pièces justificatives utiles, notamment une copie du registre prévu à l’article L. 744-2 précité.
Il ne peut être suppléé à leur absence par leur seule communication à l’audience, sauf s’il est justifié de l’impossibilité de les joindre à la requête (1re Civ., 26 octobre 2022, pourvoi n° 21-19.352).
L’article R.743-2 n’a pas été modifié par la loi du 26 janvier 2024 (les mêmes dispositions qont en vigueur depuis la refonte de l’article R. 552-3) et la jurisprudence considère toujours que les pièces justificatives utiles doivent être jointes à la requête du préfet à peine d’irrecevabilité sauf s’il est justifié de l’impossibilité de les joindre à la requête (1re Civ., 14 décembre 2022, pourvoi n°21-19.715, 1re Civ., 4 septembre 2024, pourvoi n° 23-13.180).
La loi ne précise pas le contenu de ces pièces justificatives, hormis le registre actualisé : il s’agit des pièces nécessaires à l’appréciation par le juge des éléments de fait et de droit dont l’examen lui permet d’exercer pleinement ses pouvoirs. Peuvent ainsi être exclues de la liste des pièces justificatives, des éléments qui échappent au contrôle du juge (tels que les actes portant création du lieu de privation de liberté, 1re Civ., 15 mai 2024, pourvoi n° 22-50.035), ou qui sont attestés par d’autres éléments du dossiers, s’agissant par exemple des notifications des décisions.
La jurisprudence retient que les pièces justificatives utiles, qui sont nécessaires au contrôle de la régularité de la procédure, doivent être « mises à disposition immédiate de l’avocat de l’étranger » (1re Civ., 13 février 2019, pourvoi n° 18-11.655). L’objectif est ainsi de permettre un examen contradictoire de l’ensemble des pièces pertinentes. En l’espèce, comme le retient à juste titre le premier juge, la décision, ici en deuxième prolongation, dont la mention ne figure pas au registre ne saurait faire grief à l’intéressé dans la mesure où la décision figure au dossier et que c’est un formalisme excessif que sa mention au registre est également requise.
Ainsi il convient de confirmer l’ordonnance querellée sur ce point.
Sur les conditions d’une troisième prolongation de la rétention administrative
Il résulte des dispositions de l’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qu’à titre exceptionnel, le juge peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours :
1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;
2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :
a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;
b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;
3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.
Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.
Les critères ainsi énumérés ne sont pas cumulatifs.
Pour l’application du dernier alinéa de l’article précité à la requête en troisième prolongation, créé par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, il appartient à l’administration de caractériser l’urgence absolue ou la menace pour l’ordre public.
Dans ce contexte, la menace pour l’ordre public fait l’objet d’une appréciation in concreto, au regard d’un faisceau d’indices permettant, ou non, d’établir la réalité des faits, la gravité, la récurrence ou la réitération, et l’actualité de la menace selon le comportement de l’intéressé et, le cas échéant, sa volonté d’insertion ou de réhabilitation.
Dans le cadre adopté par le législateur, la notion de menace à l’ordre public a pour objectif manifeste de prévenir, pour l’avenir, les agissements dangereux commis par des personnes en situation irrégulières sur le territoire national.
L’appréciation de cette menace doit prendre en considération les risques objectifs que l’étranger en situation irrégulière fait peser sur l’ordre public (ainsi que l’a jugé le Conseil d’Etat dont la jurisprudence peut inspirer le juge judiciaire dans un souci de sécurité juridique CE, Réf. N°389959 , 7 mai 2015, ministre de l’intérieur, B).
La commission d’une infraction pénale n’est pas de nature, à elle seule, à établir que le comportement de l’intéressé présenterait une menace pour l’ordre public, et, surtout, cette menace doit être réelle à la date considérée, étant précisé que ce n’est pas l’acte troublant l’ordre public qui est recherché, mais bien la réalité de la menace à la date de l’appréciation de cette circonstance.
En l’espèce, il y a lieu de constater que M. [B] [N], a été placé en garde à vue pour des faits de viol et qu’il présente un signalement pour du 20 avril 2024 pour des faits de violence avec usage ou menace d’une arme suivie d’incapacité supérieure à huit jours. Un tel comportement, dont l’actualité n’est pas sérieusement contestée, perpétue un trouble l’ordre et la santé publique, notamment lorsque la conduite délictuelle est banalisée.
En outre, aucune pièce ne permet d’établir la volonté d’insertion ou de réhabilitation de M. [B] [N]. La menace pour l’ordre public perdure donc au sens de l’article L.742-5 précité et doit être considérée comme établie au stade de la troisième prolongation.
L’administration peut donc se fonder sur cette disposition, sans qu’il y ait lieu de statuer les autres critères, notamment ceux relatifs aux « brefs délais » de délivrance d’un laissez-passer, pour solliciter une troisième prolongation de rétention, dans un contexte où il n’est pas contesté que l’administration demeure dans l’attente d’une réponse des autorités consulaires sur lesquelles elle ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte.
Il convient donc de confirmer l’ordonnance critiquée.
CONFIRMONS l’ordonnance,
ORDONNONS la remise immédiate au procureur général d’une expédition de la présente ordonnance.
Fait à Paris le 24 décembre 2024 à
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
REÇU NOTIFICATION DE L’ORDONNANCE ET DE L’EXERCICE DES VOIES DE RECOURS : Pour information : L’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition.
Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d’attente ou la rétention et au ministère public.
Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.
Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.
Le préfet ou son représentant L’intéressé L’avocat de l’intéressé
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