Tribunal judiciaire de Paris, 21 février 2025, RG n° 21/09261
Tribunal judiciaire de Paris, 21 février 2025, RG n° 21/09261

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris

Thématique : Le Boncoin c/ Directannonces : blanc-seing à l’extraction massive de données ?

Résumé

Contexte de l’affaire

La société LBC France, exploitant un site de petites annonces en ligne, a été créée en 2006 par une société mère qui lui a accordé une licence d’exploitation. Ce site, particulièrement dans la catégorie « immobilier », représente une part significative des annonces immobilières en France, attirant 14 millions de visiteurs uniques par mois.

Accusations de contrefaçon

La société LBC France accuse la société Directannonces d’avoir mis en place un système d’extraction et de réutilisation des annonces immobilières de son site sans autorisation. Cette pratique aurait porté atteinte à ses droits en tant que productrice de base de données, en collectant des informations sur les annonceurs pour les revendre à des tiers.

Procédures judiciaires

Suite à une ordonnance autorisant une saisie-contrefaçon, la société LBC France a effectué des saisies dans les locaux de la société Directannonces. Cette dernière a invoqué le secret des affaires pour contester la saisie, mais le juge a maintenu les éléments sous séquestre en attendant des justifications. La cour d’appel a confirmé cette décision, limitant toutefois la saisie à des éléments postérieurs à une certaine date.

Assignation et demandes

La société LBC France a assigné la société Directannonces devant le tribunal, soulevant des questions de prescription et de qualité à agir. Dans ses conclusions, elle demande le rejet des fins de non-recevoir, la protection de sa base de données, et l’arrêt des pratiques d’extraction par la société Directannonces, ainsi qu’une indemnisation pour le préjudice subi.

Décision du tribunal

Le tribunal a déclaré irrecevables les demandes de la société LBC France fondées sur la concurrence déloyale et a reconnu sa recevabilité à agir pour défendre ses droits sur la base de données. Cependant, il a débouté la société LBC France de l’ensemble de ses demandes, condamnant également cette dernière aux dépens et à verser une somme à la société Directannonces au titre des frais de justice.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]

3ème chambre
2ème section

N° RG 21/09261
N° Portalis 352J-W-B7F-CUXU7

N° MINUTE :

Assignation du :
02 juillet 2021

JUGEMENT
rendu le 21 février 2025
DEMANDERESSE

S.A.S.U. LBC FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Pierre-Olivier LAMBERT de la SELEURL POLMBRT AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, avocats postulant, vestiaire #P0545, et Maître Carolle SANCHEZ, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

DÉFENDERESSE

S.A. DIRECTANNONCES
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Corinne LE FLOCH, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B1167

Copies délivrées le :
Me LAMBERT – P0545
Me LE FLOCH – B1167

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistés de Monsieur Quentin CURABET, Greffier lors des débats, et de Madame Alice LEFAUCONNIER, Greffière lors de la mise à disposition

DEBATS

A l’audience du 14 novembre 2024 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l’audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2025, puis prorogé au 07 février 2025, puis au 21 février 2025.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

Exposé du litige

La société LBC France exploite le site Internet de petites annonces en ligne , créé en 2006 par son associée unique et représentante légale (la société successivement nommée Adevinta, Schibsteb, EAM et SCM France) qui lui a donné licence de l’exploiter par acte du 28 juin 2011.

Elle expose que la catégorie «immobilier» de ce site représente 80% des annonces immobilières de particuliers déposées en ligne en France, tous sites confondus, et est la plus visitée du site avec 14 millions de visiteurs uniques par mois, soit 1 visiteur sur 2, à la date de l’assignation.

Elle reproche à la société Directannonces d’avoir mis en place à son insu un système d’extraction systématique et répétée ainsi que de réutilisation des annonces immobilières et de collecte des coordonnées des annonceurs sur son site précité, qu’elle communique à des tiers moyennant abonnement sur son site ou par l’application Directmandat, portant atteinte à son droit de productrice de base de données.
Autorisée par ordonnance du 2 juin 2021, la société LBC France à fait procéder à une saisie contrefaçon dans les locaux de la société Directannonces les 15, 16 et 17 juin 2021 ; le saisi a invoqué le secret des affaires pour tous les éléments saisis qui ont été placés sous séquestre. Le juge des requêtes a rejeté la demande de mainlevée de la saisie et a maintenu sous séquestre les pièces saisies dans l’attente de la remise par la société Directannonces des éléments justifiant de leur caractère de secret des affaires.
Le 19 avril 2023, la cour d’appel a confirmé la décision mais a cantonné la saisie aux éléments postérieurs au 2 juillet 2016 à l’exception des logiciels, programmes et codes sources saisis. Le 23 avril 2023, le juge des requêtes, confirmé par la cour d’appel de Paris le 18 septembre 2024, a ordonné la communication des pièces saisies à LBC France selon certaines modalités.

Par acte du 2 juillet 2021, la société LBC France a fait assigner la société Directannonces devant ce tribunal. Le 15 septembre 2022, le juge de la mise en état a renvoyé au tribunal statuant au fond l’examen de deux fin de non-recevoir soulevées par la société Directannonces tirées de la prescription et du défaut de qualité à agir.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 18 octobre 2023, la société LBC France demande au tribunal de :- rejeter les fins de non-recevoir soulevées en défense,
– rejeter les demandes de nullité de la saisie-contrefaçon des 15, 16 et 17 juin 2021,
– juger que la base de données leboncoin et sa sous-base “immobilier” sont protégées au titre du droit sui generis du producteur de base de données,
à titre principal sur le fondement du droit du producteur de la base de données, à titre subsidiaire sur le fondement de la responsabilité contractuelle et à titre plus subsidiaire sur le fondement de la responsabilité délictuelle (agissements parasitaires)
– enjoindre à la société Directannonces de :
cesser toute extraction et réutilisation des annonces immobilières de vente et de location de la base de données leboncoin et de sa sous base de données immobilière, sous astreintes,
supprimer celles réalisées et ne pas les diffuser,
détruire les outils informatiques développés pour les besoins de l’extraction et de la réutilisation illicite des annonces immobilières du site leboncoin,
faire réaliser à ses frais et à lui adresser, chaque semestre à compter du prononcé du jugement, un procès-verbal de constat des annonces publiées dans les 7 derniers jours sur l’interface Directmandat ou tout autre site créé par elle pendant toute la durée de protection de la base de données du site leboncoin et de sa sous base de données “immobilier”,
– condamner la société Directannonces à lui payer une provision de 2.500.000 euros à valoir sur la réparation du préjudice résultant des extractions et réutilisations illicites,
– surseoir à statuer sur la liquidation du préjudice dans l’attente d’une décision définitive sur le sort des pièces saisies et séquestrées,

PAR CES MOTIFS

Déclare irrecevables comme prescrites les demandes de la société LBC France fondées sur la concurrence déloyale ;

Dit n’y avoir lieu à rejet des pièces 16 à 19 de la société LBC France ;

Déclare la société LBC France recevable à agir en défense du droit sui generis du producteur de base de données pour les faits postérieurs au 2 juillet 2016 ;

Dit que la base d’annonces leboncoin et la sous-base “immobilier” constituent des bases de données dont la société LBC France est la productrice ;

Dit n’y avoir lieu à annuler la saisie-contrefaçon des 15, 16 et 17 juin 2021 ;

Déboute la société LBC France de l’ensemble de ses demandes ;

Condamne la société LBC France aux dépens ;

Condamne la société LBC France à payer à la société Directannonces la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 21 février 2025

La Greffière La Présidente
Alice LEFAUCONNIER Irène BENAC

 


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