L’employeur a l’obligation de proposer un reclassement à un salarié déclaré inapte à son poste par le médecin du travail, conformément à l’article L. 1226-10 du Code du travail. Cet article stipule que lorsque le salarié est déclaré inapte à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur doit lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe, en tenant compte des conclusions du médecin du travail et des indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes.
De plus, l’article L. 4121-1 du Code du travail impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ce qui inclut des actions de prévention des risques professionnels et des aménagements de postes adaptés aux besoins des salariés, notamment ceux reconnus comme travailleurs handicapés. En cas de licenciement pour inaptitude, il incombe à l’employeur de prouver qu’il a respecté ses obligations de reclassement et qu’il a effectué des recherches sérieuses et loyales pour trouver un poste compatible avec les restrictions médicales du salarié. Si l’employeur ne peut justifier de ces efforts, le licenciement peut être considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse, en vertu de l’article L. 1232-1 du Code du travail. Les articles L. 1132-1 et L. 5213-6 du Code du travail renforcent également la protection des travailleurs handicapés en interdisant toute discrimination à leur égard et en imposant à l’employeur de prendre des mesures appropriées pour leur permettre d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification. |
L’Essentiel : L’employeur doit proposer un reclassement à un salarié déclaré inapte par le médecin du travail, en tenant compte de ses capacités. Il doit également prendre des mesures pour assurer la sécurité et la santé des travailleurs, y compris des aménagements pour les travailleurs handicapés. En cas de licenciement pour inaptitude, l’employeur doit prouver qu’il a respecté ses obligations de reclassement. Si ce n’est pas le cas, le licenciement peut être jugé sans cause réelle et sérieuse.
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Résumé de l’affaire :
Présentation de la sociétéLa société concernée est une société par actions simplifiée (SAS) immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre, spécialisée dans la construction et la commercialisation de véhicules automobiles, et employant plus de 11 salariés. Engagement de l’exploitant industrielUn exploitant industriel a été engagé par la société en contrat à durée indéterminée à temps complet à partir du 27 mars 2005, avec des relations régies par la convention collective nationale de la métallurgie. Déclaration d’inaptitudeSuite à un avis de la médecine du travail en octobre 2009, l’exploitant a été déclaré inapte à plusieurs postes, avec des recommandations pour des postes adaptés à son état de santé. Accident de trajet et reconnaissance de handicapEn janvier 2010, l’exploitant a été victime d’un accident de trajet. En janvier 2013, il a été reconnu comme travailleur handicapé pour une période déterminée, renouvelée par la suite. Inaptitude et dispense d’activitéEn octobre 2015, l’exploitant a de nouveau été déclaré inapte à tous les postes de fabrication, et a été placé en dispense d’activité rémunérée par la société à partir du 15 octobre 2015. Recours contre l’avis d’inaptitudeL’exploitant a saisi l’inspection du travail d’un recours contre l’avis d’inaptitude, qui a confirmé son inaptitude à certains postes tout en indiquant des possibilités de reclassement. Proposition de reclassementEn février 2016, la société a proposé un reclassement à l’exploitant sur un poste de nettoyage, proposition acceptée par ce dernier. Licenciement pour inaptitudeEn juillet 2020, la société a notifié le licenciement de l’exploitant pour inaptitude d’origine professionnelle et impossibilité de reclassement, ce qui a conduit l’exploitant à saisir le conseil de prud’hommes. Jugement du conseil de prud’hommesEn mai 2022, le conseil de prud’hommes a jugé que le licenciement n’était pas nul et que la société n’avait pas manqué à son obligation de sécurité, déboutant l’exploitant de ses demandes. Appel de l’exploitantL’exploitant a interjeté appel de ce jugement, demandant la réintégration et des indemnités, tandis que la société a contesté les demandes de l’exploitant. Arguments de l’exploitantL’exploitant a soutenu que la société n’avait pas respecté ses obligations de reclassement et avait agi de manière discriminatoire en raison de son handicap. Arguments de la sociétéLa société a démontré avoir respecté ses obligations de reclassement, en justifiant ses décisions par des éléments objectifs et en prouvant qu’elle avait proposé des postes conformes aux préconisations médicales. Décision de la cour d’appelLa cour d’appel a confirmé le jugement du conseil de prud’hommes, rejetant les demandes de l’exploitant et de l’Union des syndicats anti-précarité, et a condamné ces derniers aux dépens. |
Q/R juridiques soulevées :
Sur la discriminationLa question de la discrimination se pose en vertu de l’article L. 1132-1 du code du travail, qui stipule qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire en raison de ses activités syndicales ou de son handicap. En application de l’article L. 1134-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant une discrimination, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments laissent supposer l’existence d’une telle discrimination. Si c’est le cas, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. L’article L. 5213-6 du code du travail impose à l’employeur de prendre des mesures appropriées pour garantir l’égalité de traitement des travailleurs handicapés. Cela inclut l’aménagement des postes de travail pour permettre aux travailleurs handicapés d’accéder à un emploi correspondant à leur qualification. Dans cette affaire, la salariée a allégué que son employeur n’a pas respecté ses obligations d’aménagement de poste, ce qui constituerait une discrimination. Cependant, la cour a constaté que l’employeur avait respecté ses obligations de reclassement et avait proposé des postes conformes aux préconisations médicales. Ainsi, la cour a jugé que la discrimination alléguée n’était pas caractérisée, car l’employeur a démontré qu’il avait pris des mesures appropriées pour le reclassement de la salariée. Sur le harcèlement moralLa question du harcèlement moral est régie par l’article L. 1152-1 du code du travail, qui interdit les agissements répétés de harcèlement moral ayant pour effet de dégrader les conditions de travail d’un salarié. Il revient au salarié d’établir la matérialité des faits, et le juge doit apprécier si ces faits laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral. Si tel est le cas, il incombe à l’employeur de prouver que ces faits sont justifiés par des éléments objectifs. Dans cette affaire, la salariée a soutenu avoir subi un harcèlement moral en raison de la dégradation de son état de santé et de son affectation à un poste inadapté. Cependant, la cour a relevé que les demandes de la salariée avaient été suivies d’effet, et que des postes de reclassement lui avaient été proposés. De plus, l’affectation à un poste de nettoyage était conforme aux préconisations médicales, et la salariée avait accepté ce poste après formation. Par conséquent, la cour a conclu que le harcèlement moral n’était pas établi. Sur la cause réelle et sérieuse du licenciementLa question de la cause réelle et sérieuse du licenciement est encadrée par l’article L. 1226-10 du code du travail, qui impose à l’employeur de proposer un autre emploi approprié à un salarié déclaré inapte. L’employeur doit prendre en compte les conclusions du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié. Dans cette affaire, la salariée a été déclarée inapte à son poste, et l’employeur a justifié avoir recherché des postes compatibles avec les restrictions médicales. La cour a constaté que l’employeur avait mené des recherches de reclassement loyales et sérieuses, et que les postes proposés étaient conformes aux préconisations du médecin du travail. Ainsi, la cour a jugé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse. Sur l’obligation de sécuritéL’article L. 4121-1 du code du travail impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. La cour a examiné les allégations de la salariée concernant un manquement à cette obligation. Elle a constaté que l’employeur avait justifié ses décisions par des éléments objectifs, notamment en ce qui concerne l’affectation de la salariée à un poste conforme aux préconisations médicales. La cour a également noté que l’accident de travail déclaré par la salariée n’avait pas été reconnu par la CPAM, ce qui affaiblit sa position. En conséquence, la cour a conclu qu’il n’y avait pas eu de manquement à l’obligation de sécurité. Sur les dommages-intérêts sollicités par l’Union des Syndicats Anti-PrécaritéL’article L. 2132-3 du code du travail permet aux syndicats d’agir en justice pour défendre l’intérêt collectif de la profession. Cependant, en l’absence de manquement de l’employeur aux obligations de discrimination, de harcèlement, de reclassement et de sécurité, la demande de dommages-intérêts formulée par le syndicat a été rejetée. La cour a confirmé le jugement de première instance, considérant que les demandes du syndicat n’étaient pas fondées. |
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-3
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 18 NOVEMBRE 2024
N° RG 22/01709 –
N° Portalis DBV3-V-B7G-VHBP
AFFAIRE :
[W] [K]
Syndicat UNION DES SYNDICATS ANTI PRECARITE
C/
S.A.S. RENAULT S.A.S
Décision déférée à la cour : Jugement rendue le 16 Mai 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de POISSY
N° Section : I
N° RG : F 21/00117
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Salif DADI
Me Christophe PLAGNIOL
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [W] [K]
née le 09 Août 1983 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Salif DADI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0912
Syndicat UNION DES SYNDICATS ANTI PRECARITE
N° SIRET : 789 894 599
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentant : Me Salif DADI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0912
APPELANTES
****************
S.A.S. RENAULT
N° SIRET : 780 12 9 9 87777
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentant : Me Christophe PLAGNIOL de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 14 Octobre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Laurence SINQUIN, Présidente,
Mme Florence SCHARRE, Conseillère,
Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,
La société Renault est une société par actions simplifiée (SAS) immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Nanterre, sous le n° 780 129 987.
La société Renault a pour activité la construction et la commercialisation de véhicules automobiles. Elle emploie plus de 11 salariés.
Par contrat à durée indéterminée à temps complet, Mme [K] a été engagée par la société Renault en qualité d’exploitant industriel, à compter du 27 mars 2005.
Les relations contractuelles étaient régies par les dispositions de la convention collective nationale de la métallurgie.
Par avis de la médecine du travail du 20 octobre 2009, Mme [K] a été déclarée :
« Inapte aux postes d’opérateur sur chaîne de montage et kitting SE8.
Inapte médicalement aux gestes forcés et répétés des 2 membres supérieurs et à l’utilisation d’outils par ces 2 membres. Pas d’aménagements possibles des postes de kitting SE8 en fonction de l’état de santé. Serait médicalement apte à des postes de contrôle visuels/qualité / conduite / joquetage / secrétariat / tertiaire / administratif ou tout autre poste ou formation respectant les inaptitudes ».
Apte temporairement dans l’attente de propositions de postes au poste de pousseur de chariot entrée SE8 (activité temporaire). ».
Le 13 janvier 2010, Mme [K] a été victime d’un accident de trajet.
Par décision de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées notifiée le 24 janvier 2013, il a été reconnue à Mme [K] la qualité de travailleur handicapé du 1er septembre 2012 au 31 août 2017, statut qui a été ensuite renouvelé à compter du 1er septembre 2017.
Par avis de la médecine du travail en date du 13 octobre 2015, Mme [K] a été déclarée inapte « sur l’ensemble des postes de fabrication. Son reclassement doit être envisagé sur un poste tertiaire après un bilan de compétences et formation adaptée si besoin. »
A compter du 15 octobre 2015, Mme [K] a été placée en dispense d’activité rémunérée par la société Renault.
Le 16 octobre 2015, Mme [K] a saisi l’inspection du travail d’un recours contre l’avis d’inaptitude rendu le 13 octobre 2015 par la médecine du travail.
Par décision de l’inspection du travail du 17 novembre 2015, Mme [K] a été déclarée « inapte aux postes en ligne de fabrication comportant une station debout permanente, la manutention de charges, le travail en ante flexion du tronc et les gestes répétitifs/forcés des membres supérieurs. Elle est donc apte aux postes en fabrication hors ligne ou tout poste administratif respectant ces contre-indications. Elle est également apte à bénéficier d’une formation lui permettant d’accéder à un poste adapté. ».
Par courrier en date du 3 février 2016, la société Renault a proposé à Mme [K] son reclassement sur un poste de nettoyage, ce qu’elle a accepté.
Par avis de la médecine du travail du 20 février 2020, Mme [K] a été déclarée inapte sous réserves, exprimées en ces termes : « poste compatible avec : pas de port de charge répétitive et de plus de 5kg, pas de gestes répétitifs de l’épaule droite et sans élévation de plus de 60°, pas de geste répétitif du poignet droit ».
A cette même date, la société Renault a notifié à Mme [K] une autorisation d’absence avec maintien de la rémunération.
Par courrier du 30 juin 2020, la société Renault a informé Mme [K] de l’impossibilité de procéder à son reclassement dans un emploi.
Par courrier en date du 8 juillet 2020, la société Renault a convoqué Mme [K] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, prévu le 17 juillet 2020.
Par courrier en date du 23 juillet 2020, la société Renault a notifié à Mme [K] son licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle et impossibilité de reclassement.
Par requête introductive reçue au greffe le 12 mars 2021, Mme [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Poissy d’une demande tendant à ce que son licenciement pour inaptitude soit jugé nul et à obtenir sa réintégration dans un emploi compatible avec les préconisations de la médecine du travail.
Par jugement en date du 16 mai 2022, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Poissy a :
– dit que la discrimination à l’égard de Mme [W] [K] n’est pas caractérisée ;
– dit et jugé que le licenciement de Mme [W] [K] n’est pas frappé de nullité et qu’il repose sur une cause réelle et sérieuse ;
– dit que la société Renault n’a pas manqué à son obligation de sécurité vis-à-vis de Mme [W] [K] ;
– dit que le harcèlement moral à l’encontre de Mme [W] [K] n’est pas caractérisé ;
En conséquence,
– débouté Mme [W] [K] de l’ensemble de ses demandes ;
– débouté le syndicat Union des Syndicats Anti Précarité de l’ensemble de ses demandes ;
– débouté la société Renault de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens.
Par déclaration remise au greffe de la cour d’appel de Versailles, le 26 mai 2022, Mme [W] [K] a interjeté appel de ce jugement.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 18 septembre 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 8 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, Mme [K], appelante, demande à la cour de :
– recevoir Mme [W] [K] en ses demandes et l’y déclaré bien fondée ;
Et y faisant droit :
– infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
Statuant à nouveau :
A titre principal :
– juger le licenciement nul et de nul effet ;
– et en ce sens, ordonner la réintégration de Mme [W] [K] dans un emploi adapté aux préconisations de la médecine du travail, en tout état de cause dans un emploi comportant le même niveau de rémunération, la même qualification et les mêmes perspectives de carrière (Cass. soc. 24 janv. 1990, n° 89-41003) et dans le même secteur géographique (Cass. soc. 10 déc. 2010, n° 01-45110) que l’emploi initial ;
– en outre, condamner la société Renault à verser à Mme [W] [K] les sommes suivantes à titre de provision :
* 116 254,72 euros soit 2 683,20 euros x 36 mois = 96 595,20 euros + 10% de revalorisation = 106 254,72 euros + 10 000 euros d’intéressement à titre d’indemnité d’éviction équivalente aux salaires et à l’intéressement perdus pendant la période d’éviction entre le licenciement nul et le prononcé de la décision de réintégration ;
* 11 625 euros au titre des congés payés.
– dire et juger qu’il appartiendra à la société, si elle conteste les 10% de revalorisation et les 10 000 euros d’intéressement, d’apporter la preuve des revalorisations de salaire moyennes et médianes intervenues dans la société sur la même période ainsi que du montant de l’intéressement.
A titre subsidiaire :
– juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– et en ce sens, condamner la société Renault à verser à Mme [W] [K] les sommes suivantes :
* 34 881,60 euros au titre du l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* 3 488,16 euros, au titre du préavis ;
* 348,82 euros au titre des congés payés y afférents.
En tout état de cause :
– condamner la société Renault à verser à Mme [W] [K] les sommes suivantes :
* 30 000 euros au titre de dommages et intérêts pour violation de l’article L. 4121-1 du code du travail ;
* 20 000 euros au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Y ajoutant,
– condamner la société Renault à payer à Mme [K] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– ordonner conformément à l’article 1343-2 du code civil, la capitalisation des intérêts légaux, à compter de la saisine du conseil, sur les sommes ci-dessus octroyées ayant une nature salariale;
– ordonner conformément aux dispositions de l’article L. 313-3 du code monétaire et financier, la majoration du taux de l’intérêt légal de cinq points à l’expiration d’un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision ;
– et ordonner conformément à l’article 1343-2 du code civil, la capitalisation des intérêts légaux, à compter de la saisine du conseil, sur les sommes octroyées ayant une nature salariale ;
Au regard de la mise en cause des intérêts collectifs de la profession :
– recevoir l’Union des Syndicats Anti-Précarité en ses demandes et condamner la société Renault à lui verser les sommes suivantes :
* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en sa qualité de partie civile pour le préjudice subi par la collectivité des salariés ;
* 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 17 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société Renault, intimée, demande à la cour de :
– déclarer mal fondé l’appel de Mme [W] [K] et de l’Union des Syndicats Anti-précarité ;
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Poissy le 16 mai 2022 ;
En conséquence :
– juger les demandes de l’Union des Syndicats Anti-Précarité mal fondées ;
– juger les demandes de Mme [W] [K] mal fondées ;
– juger que Mme [W] [K] n’a jamais été victime de la moindre discrimination ;
– juger que le licenciement de Mme [W] [K] n’est pas nul ;
– juger que le licenciement de Mme [W] [K] repose sur une cause réelle et sérieuse ;
– juger que Mme [W] [K] n’a pas été victime de harcèlement moral ;
– juger que le société Renault n’a pas manqué à son obligation de sécurité vis-à-vis de Mme [W] [K] ;
– débouter l’Union des Syndicats Anti-précarité de l’ensemble de ses demandes ;
– débouter Mme [W] [K] de l’ensemble de ses demandes ;
– condamner l’Union des Syndicats Anti-précarité et Mme [W] [K] à verser, chacun, à la société Renault une somme de 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur la discrimination
Selon l’article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, en raison de ses activités syndicales.
En application de l’article L. 1134-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’une telle discrimination et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Selon l’article L. 5213-6 du code du travail, afin de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard des travailleurs handicapés, l’employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1° à 4° et 9° à 11° de l’article L. 5212-13 d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée.
L’employeur s’assure que les logiciels installés sur le poste de travail des personnes handicapées et nécessaires à leur exercice professionnel sont accessibles. Il s’assure également que le poste de travail des personnes handicapées est accessible en télétravail. (‘) Ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en oeuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l’aide prévue à l’article L. 5213-10 qui peut compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l’employeur. Le refus de prendre des mesures au sens du premier alinéa peut être constitutif d’une discrimination au sens de l’article L. 1133-3.
Dénonçant une discrimination en raison de son handicap, Mme [K] invoque le fait que son employeur avait l’obligation d’aménager son poste au regard de son handicap afin de lui permettre de se maintenir dans un emploi au sein de l’entreprise en procédant au besoin à un aménagement et une transformation du poste de travail, conformément aux indications de l’inspection du travail dans son courrier du 28 décembre 2015. Elle souligne que la société Renault n’a pas pris les mesures appropriées afin de permettre son reclassement, qu’elle n’a pas mobilisé les dispositifs spécifiques en faveur des personnes handicapées et en sollicitant les aides financières octroyées par l’association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelles des personnes handicapées, violant le principe d’égalité de traitement.
Elle justifie à ce titre de son statut de travailleur handicapé, et produit un courrier de l’inspection du travail adressé à la société Renault le 28 décembre 2015 faisant suite à la décision d’inaptitude avec réserve rendue par l’inspection du travail du 17 novembre 2015, indiquant à la société Renault, après lui avoir rappelé ses obligations au titre de l’emploi des travailleurs handicapés : « je considère que vous manquez à vos obligations contractuelles de reclassement de Mme [K] et je vous invite à mettre en ‘uvre de réels efforts de reclassement et à m’en tenir informé dans les plus brefs délais », une demande d’entretien formulée auprès de son employeur le 1er février 2016 afin de faire le point sur sa situation au vu du courrier précité, le courrier de réponse de son employeur du 3 février 2016 lui proposant un poste au titre de son reclassement et celui du 5 février par lequel la société Renault répond au courrier de l’inspection du travail.
Mme [K] produit également l’avis d’inaptitude du 20 février 2020 et les documents afférents à la procédure de licenciement qui s’en est suivie pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
La cour retient que ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence de la discrimination alléguée.
Il incombe dès lors à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
La société Renault soutient que durant les trois périodes d’inaptitude s’étant échelonnées sur 11 ans, elle a respecté ses obligations de reclassement à l’égard de la salariée.
L’employeur démontre d’abord que suite à l’avis de la médecine du travail du 20 octobre 2009 ayant déclaré Mme [K] inapte aux postes d’opérateur sur chaînes de montage et de kitting, elle a été affectée sur un poste de nature administrative conforme aux préconisations du médecin du travail.
Après un accident de trajet subi le 13 janvier 2010, et la reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé notifiée le 24 janvier 2013 à effet du 1er septembre 2012 au 31 août 2017, la société établit que le FONGECIF a accepté de financer une formation d’assistante en comptabilité sollicitée par Mme [K], qui devait se dérouler entre le 12 novembre 2013 et le 20 juin 2014, que la salariée l’a commencée, mais qu’elle a décidé de l’abandonner le 26 novembre 2013.
Il ressort ensuite du courrier adressé à l’inspection du travail par la société le 4 juin 2015 qu’à la suite des préconisations du médecin du travail, dans l’attente d’un reclassement à long terme, la société a affecté Mme [K] à des activités de type 5 S ou des activités de préparation bord de chaîne, conformes aux préconisations du médecin du travail dans l’attente d’une formation CAP petite enfance à la rentrée de septembre 2015 financée par le FONGECIF, qu’elle a reçu la salariée en entretien le 12 mars 2015 qui l’a informé de démarches engagées afin de suivre cette formation et d’adhérer au dispositif GPEC afin de devenir assistante maternelle, et que l’employeur a accepté d’aménager ses horaires de travail au regard de ses demandes et de son état de santé. La salariée n’a cependant pas pu effectuer la formation de CAP petite enfance en raison du refus de financement apporté par le FONGECIF le 12 juin 2015. La cour observe que l’inspection du travail n’a pas formulé d’observation à la suite de ce courrier de l’employeur.
Les pièces produites au dossier établissent par ailleurs qu’à la suite de l’avis de la médecine du travail du 13 octobre 2015, l’employeur a dispensé Mme [K] d’activité tout en la rémunérant, puis que la décision de l’inspection du travail du 17 novembre 2015 saisie sur recours de cet avis l’a déclaré « inapte aux postes en ligne de fabrication comportant une station debout permanente, la manutention de charges, le travail en ante flexion du tronc et les gestes répétitifs/forcés des membres supérieurs. Elle est donc apte aux postes en fabrication hors ligne ou tout poste administratif respectant ces contre-indications. Elle est également apte à bénéficier d’une formation lui permettant d’accéder à un poste adapté. », et que l’inspection du travail a adressé un courrier à l’employeur le 28 décembre 2015 afin de lui rappeler ses obligations de reclassement à l’égard de la salariée handicapée.
La société Renault démontre cependant qu’après consultation des délégués du personnel le 17 décembre 2015, elle a proposé le 3 février 2016 à Mme [K] un reclassement sur un poste au service de nettoyage, pour lequel le médecin du travail l’a déclarée apte, et que la salariée a accepté ce poste après avoir été reçue en entretien par son employeur le 8 février 2016 et avoir été formée.
La cour observe que si la salariée a exprimé lors de son entretien d’évaluation du 17 mars 2016 qu’elle considérait ce poste comme transitoire, dans l’attente d’un autre poste et de formations dans le tertiaire lui permettant de se convertir, pour autant cette proposition de reclassement est conforme aux préconisations du médecin du travail et n’a pas donné lieu à observation de la part de l’inspection du travail à la suite du courrier de réponse de la société Renault du 5 février 2016.
Enfin, par avis de la médecine du travail du 20 février 2020, Mme [K] a été déclarée inapte sous réserves, exprimées en ces termes : « poste compatible avec : pas de port de charge répétitive et de plus de 5kg, pas de gestes répétitifs de l’épaule droite et sans élévation de plus de 60°, pas de geste répétitif du poignet droit » et la société Renault a notifié le jour-même à Mme [K] une autorisation d’absence avec maintien de la rémunération.
L’employeur justifie aux termes de ses nombreuses pièces avoir interrogé les entreprises sur le site de Renault [Localité 8] ou sur le périmètre de [Localité 7], mais également les entreprises situées en région parisienne et en Bretagne, et auprès de la société RCI Bank and Services à plusieurs reprises en février, puis mars 2020 et enfin, en juin 2020, à la suite de propositions de reclassement sur des services d’inventaire, de conditionnement, et des « clefs » qui ont été proposés par les représentants du personnel lors de la commission santé sécurité du travail du 24 juin 2020 ayant précédé la consultation du comité social et économique, mais qu’aucun poste n’était disponible.
La cour retient de l’ensemble de ces éléments que la société justifie par des éléments objectifs exempts de discrimination liée au handicap de Mme [K] ses recherches de reclassement sur l’ensemble des périodes d’inaptitude précitées. Si elle n’a pas spécifiquement sollicité les dispositifs dédiés aux personnes handicapées, pour autant l’employeur justifie avoir donné suite aux différentes demandes de Mme [K], qu’il s’agisse de projet de formation en 2013, de reclassements en 2010, 2015 et 2016, étant précisé que si elle doit procéder à des aménagements et transformations de postes existants, elle n’était pas tenue de créer un poste correspondant aux souhaits de reclassement de la salariée dans le tertiaire, étant précisé que Mme [K] a abandonné la formation en comptabilité commencée en novembre 2013, qui lui aurait permis d’acquérir des compétences dans ce domaine.
En conséquence, la discrimination alléguée n’est pas caractérisée.
Par suite, il convient, par voie de confirmation du jugement entrepris, de débouter Mme [K] de sa demande de nullité du licenciement ainsi que de ses prétentions subséquentes financières et au titre de la réintégration.
Sur le harcèlement moral
Mme [K] sollicite la somme de 20 000 euros de dommages-intérêts en réparation du harcèlement moral subi de la part de l’employeur, ce que ce dernier conteste.
L’article L. 1152-1 du code du travail dispose qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il revient au salarié d’établir la matérialité des faits, à charge pour le juge d’apprécier si ces faits, pris en leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral. Dans la négative, le harcèlement moral ne peut être reconnu. Dans l’affirmative, il revient à l’employeur de prouver que ces faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, à l’appui du harcèlement moral, Mme [K] indique que la dégradation de son état de santé, le choix de l’employeur de la laisser chez elle loin de la communauté des travailleurs, son affectation sur un poste de nettoyage sans rapport avec ses compétences et son expérience, constituent des éléments objectifs précis et matériellement vérifiables de nature à compromettre son avenir professionnel, ce qui est constitutif d’un harcèlement exercé à son encontre.
Elle allègue à ce titre :
Ses nombreuses demandes d’occuper un poste conforme aux prescriptions de la médecine du travail :
Elle en justifie aux termes de ses courriers du 13 novembre 2013, du 14 avril 2015 et du 1er février 2016.
La cour relève à la lecture des pièces qu’elle verse aux débats que ses demandes ont été suivies d’effet puisque la salariée a bénéficié d’une formation en comptabilité en 2013 qu’elle a abandonnée, qu’elle a été reçue par l’employeur le 12 mars 2015 et le 8 février 2016 et que des postes de reclassement lui ont été proposés à cette occasion.
Elle invoque le courrier de l’inspection du travail du 28 décembre 2015 ayant considéré que l’employeur manquait à son obligation de reclassement. Ce courrier a néanmoins été suivi d’une proposition de poste le 3 février 2016, qui n’a pas donné lieu à observation de l’inspection du travail.
Le choix de l’employeur de la laisser chez elle, la séparant sciemment de ses collègues et de la communauté des travailleurs, mettant en ‘uvre un ostracisme qui va à l’encontre de la volonté de la salariée de pouvoir occuper un poste :
si la salariée justifie des autorisations d’absence rémunérées notifiées le 15 octobre 2015 et le 20 février 2020 à la suite des avis d’inaptitude avec réserve émis par l’inspection du travail, elle ne produit aucun élément de nature à démontrer les faits allégués.
Son affectation sur un poste de nettoyage sans rapport avec ses compétences et son expérience :
les pièces que la salariée produit démontrent qu’elle n’était plus en mesure d’exécuter un travail d’exploitant de production en 2016, compte tenu de l’avis d’inaptitude, que ce poste correspondait aux restrictions du médecin du travail, qu’il a recueilli un avis favorable de ce dernier, et que la salariée l’a accepté puis exécuté après avoir reçu une formation. Le fait allégué n’est donc pas établi.
Enfin, les différents avis d’inaptitude produits aux débats établissent la dégradation de l’état de santé de Mme [K], entre 2009 et 2020 compte tenu de maladies professionnelles. Il n’est cependant pas établi de lien de causalité entre la dégradation de l’état de santé et une situation de harcèlement.
Les faits allégués par Mme [K] à l’appui du harcèlement moral, en ce compris les éléments médicaux, ne laissent pas présumer l’existence d’un harcèlement moral.
En conséquence, le harcèlement moral n’étant pas établi, il convient, par voie de confirmation du jugement entrepris, de débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts afférents.
Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement
A titre subsidiaire, Mme [K] invoque l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement en l’absence de mesure de reclassement dans l’entreprise ni au niveau du groupe, ce que la société conteste en soulignant avoir respecté ses obligations de reclassement à l’égard de la salariée.
Selon l’article L. 1226-10 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, lorsque le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l’article L. 4624-4, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise.
Le médecin du travail formule également des indications sur l’aptitude du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en ‘uvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
En l’espèce, le 20 février 2020, Mme [K] a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail avec les conclusions suivantes s’agissant des indications relatives au reclassement : « poste compatible avec : pas de port de charge répétitive et de plus de 5kg, pas de gestes répétitifs de l’épaule droite et sans élévation de plus de 60°, pas de geste répétitif du poignet droit ».
L’employeur verse aux débats le procès-verbal de la réunion de la commission santé sécurité des conditions de travail (CSSCT) du 24 juin 2020 ayant étudié les possibilités de reclassement de Mme [K], ainsi que l’extrait de la réunion du comité social et économique du 25 juin 2020 ayant été consulté à ce titre.
L’employeur justifie avoir recherché des postes dans les entreprises et filiales du groupe situées sur le site de [Localité 8] ou sur le périmètre de [Localité 7], en février, mars, puis juin 2020, conformément aux indications relatives au reclassement faites par le médecin du travail, en accord avec les desiderata de la salariée ayant restreint le périmètre du reclassement sur ces secteurs, de sorte que la critique de la salariée portant sur l’absence de recherche de reclassement au sein du groupe auquel appartient l’entreprise est inopérante. Il y a lieu de souligner à ce titre que la société a repris ses recherches auprès des sociétés du secteur ciblé par la salariée après observations faites par les représentants du personnel lors de la réunion de la CSSCT du 24 juin 2020 sur l’existence d’emplois disponibles sur les services inventaires et conditionnements d’une part et aux clefs d’autre part, celles-ci n’ayant pu aboutir en l’absence de poste disponible.
La salariée reproche à la société de ne pas lui avoir proposé des tâches tertiaires qui existaient sur le site ou dans le périmètre de [Localité 7], mais ces indications de reclassement correspondant à l’avis de la médecine du travail du 13 octobre 2015 auquel s’est substituée la décision de l’inspection du travail du 17 novembre 2015 statuant sur recours de Mme [K] ne sont pas applicables en l’espèce puisque les recherches de reclassement de la société doivent se fonder sur les conclusions écrites du médecin du travail dans son avis d’inaptitude précité du 20 février 2020 et les indications qu’il a formulées de la manière suivante : « poste compatible avec : pas de port de charge répétitive et de plus de 5kg, pas de gestes répétitifs de l’épaule droite et sans élévation de plus de 60°, pas de geste répétitif du poignet droit ».
Sur ce point, la société démontre avoir mené des recherches de reclassement loyales et sérieuses au regard des préconisations du médecin du travail du 20 février 2020, étant précisé que si l’employeur doit procéder à des aménagements et transformations de postes existants, il n’était pas tenu de créer un poste correspondant aux souhaits de reclassement de la salariée dans le tertiaire sans indication à ce titre du médecin du travail, la salariée ayant au surplus abandonné la formation en comptabilité commencée en novembre 2013 qui lui aurait permis d’envisager sa reconversion.
Enfin, l’absence de démarches par l’employeur auprès de Cap emploi ou de la Sameth n’est pas de nature à établir le manquement de la société à son obligation de reclassement, dès lors qu’il n’a pas été identifié de poste de travail au sein des sociétés du groupe compatible avec les restrictions signalées par la médecine du travail permettant une affectation à Mme [K] en mettant en ‘uvre le cas échéant des mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
En conséquence de l’ensemble de ces éléments, il n’est pas établi de manquement de l’employeur à son obligation de reclassement de sorte que la cour déboute Mme [K] de sa demande visant à dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et de ses demandes subséquentes (dommages-intérêts et indemnité compensatrice de préavis), par voie de confirmation de la décision déférée.
Sur l’obligation de sécurité
En application de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers ses salariés, prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte de l’article L. 4121-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure et postérieure à l’ordonnance n°2017-1389 du 22 septembre 2017 et de l’article L. 4121-2 du même code dans sa rédaction antérieure et postérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, est distincte de la prohibition du harcèlement moral instituée par l’article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle.
En premier lieu, il convient de rejeter les moyens développés de ce chef par Mme [K], et qui ont été précédemment écartés par la cour tenant à soutenir que la salariée a été sciemment éloignée de tout emploi dans l’entreprise, tandis qu’aucune recherche d’aménagement de postes au sein de l’entreprise n’a été réalisée par l’employeur, conduisant la salariée à une situation d’exclusion et de vulnérabilité.
En deuxième lieu, Mme [K] soutient que la société a manqué à son obligation de sécurité de résultat en la positionnant sur un poste Kitting SE8 (chariots de pièces) totalement inadapté, dans la mesure où elle devait remplir puis pousser des chariots lourdes vers la chaîne.
Néanmoins, l’employeur justifie aux termes de sa réponse détaillée apportée à l’inspection du travail le 4 juin 2015 que le poste de Kitting SE8 sur lequel Mme [K] a été affectée les 30 et 31 mars 2015 consistait en une activité de bord de chaîne apportant un renfort au titulaire du poste, qu’elle effectuait du dépotage de pièces pour lequel elle devait retirer l’emballage plastique protégeant les pièces, elles-mêmes en plastique, destinées à garnir l’intérieur du véhicule, et que ces pièces très légères, contenues dans des bacs, étaient apportées régulièrement au poste de travail par un cariste. La société a ajouté que si Mme [K] a été amenée à soulever des bacs sur ce poste, elle l’a fait de sa propre initiative en désaccord avec les instructions données par sa hiérarchie et aux préconisations du médecin du travail.
La cour relève que ce courrier de l’employeur n’a pas donné lieu à observation de la part de l’inspection du travail, et que l’accident du travail du 31 mars 2015 qui a été déclaré par Mme [K] a fait l’objet d’un refus de prise en charge par la CPAM au titre des risques professionnels le 6 juillet 2015 au motif qu’il n’existait pas de preuve que l’accident invoqué se soit produit par le fait ou à l’occasion du travail, ni de présomptions favorables précises et concordantes en cette faveur. La cour retient s’agissant de ce second moyen qu’il n’est pas établi de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
Elle soutient en troisième lieu que le poste de nettoyage qui lui a été confié lui a occasionné une tendinopathie de l’épaule. La société Renault justifie cependant que ce poste a été attribué conformément aux préconisations figurant dans la décision de l’inspection du travail du 17 novembre 2015, qu’il a été aménagé selon les restrictions médicales de Mme [K], que la médecine du travail a déclaré la salariée apte à l’occuper le 8 février 2016 à l’issue d’une visite médicale et que la salariée l’a accepté. La cour écarte donc ce troisième moyen puisqu’il n’est pas établi de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité au titre du poste de nettoyage affecté à la salariée.
En conséquence de l’ensemble de ces éléments, Mme [K] sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de sécurité, par voie de confirmation de la décision entreprise.
Sur les dommages-intérêts sollicités par l’USAP
Aux termes de l’article L. 2132-3 du même code, les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.
En l’espèce, aucun manquement de l’employeur n’ayant été retenu au titre de la discrimination en raison du handicap, du harcèlement, des obligations de reclassement et de sécurité, il y a lieu de rejeter la demande de dommages-intérêts formulée par l’USAP au titre de la réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif, par voie de confirmation du jugement entrepris.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Il convient d’infirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles de première instance et de condamner Mme [K] et l’Union des syndicats anti-précarité aux dépens de première instance et d’appel.
L’équité commande en outre de condamner Mme [K] et l’Union des syndicats anti-précarité à verser à la société Renault la somme de 700 euros chacun en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Le surplus des demandes à ce titre seront rejetées.
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
CONFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Poissy du 16 mai 2022, sauf en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles,
Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,
CONDAMNE Mme [K] et l’Union des syndicats anti-précarité à verser à la société Renault la somme de 700 euros chacun,
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,
CONDAMNE Mme [K] et l’Union des syndicats anti-précarité aux dépens de première instance et d’appel.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Laurence SINQUIN, Présidente et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
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