Prise en charge contestée d’un accident de travail : enjeux de la motivation des réserves employeur

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Prise en charge contestée d’un accident de travail : enjeux de la motivation des réserves employeur

En matière de prise en charge des accidents du travail, l’article R.441-11 du Code de la sécurité sociale impose à la caisse d’assurance maladie d’envoyer un questionnaire ou de procéder à une enquête lorsque l’employeur formule des réserves motivées concernant le caractère professionnel de l’accident. Ces réserves doivent porter sur les circonstances de l’accident ou sur l’existence d’une cause totalement étrangère au travail. La jurisprudence précise que la simple mention d’un état antérieur de santé par l’employeur constitue une réserve motivée, entraînant l’obligation pour la caisse de diligenter une enquête. En l’espèce, l’absence de prise en compte de ces réserves motivées par la CPAM entraîne l’inopposabilité de sa décision de prise en charge de l’accident, conformément aux principes énoncés par le Code de la sécurité sociale et la jurisprudence applicable.

L’Essentiel : L’article R.441-11 du Code de la sécurité sociale impose à la caisse d’assurance maladie d’envoyer un questionnaire ou de procéder à une enquête lorsque l’employeur formule des réserves motivées sur le caractère professionnel de l’accident. Ces réserves doivent concerner les circonstances de l’accident ou une cause étrangère au travail. La jurisprudence indique qu’une mention d’état antérieur de santé par l’employeur constitue une réserve motivée, entraînant l’obligation d’une enquête par la caisse.
Résumé de l’affaire :

Engagement et Accident de Travail

Un conducteur de machines a été engagé par une société en tant qu’employé. Le 20 mars 2019, cette société a établi une déclaration d’accident de travail concernant un incident survenu le 19 mars 2019, dont le conducteur a été victime. Dans cette déclaration, des réserves ont été émises, mentionnant que le conducteur avait déjà ressenti des douleurs au dos et avait subi un accident de trajet quelques jours auparavant.

Prise en Charge par la CPAM

Un certificat médical initial, daté du 20 mars 2019, a diagnostiqué des lombalgies aiguës et a prescrit un arrêt de travail jusqu’au 25 octobre 2019. La caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du Rhône a informé la société de la prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle. Cependant, la société a contesté cette prise en charge en formant un recours gracieux devant la commission de recours amiable (CRA) de la CPAM.

Décision de la CRA

Lors d’une réunion, la CRA a confirmé la prise en charge de l’accident, rejetant ainsi la demande de la société. En réponse, la société a saisi le tribunal judiciaire de Lyon pour contester cette décision, demandant l’inopposabilité de la prise en charge et des arrêts de travail consécutifs à l’accident.

Arguments de la Société et de la CPAM

À l’audience, la société a soutenu que la décision de prise en charge était inopposable en raison du non-respect du principe du contradictoire, arguant que des réserves motivées avaient été émises. De son côté, la CPAM a affirmé avoir respecté ce principe et a contesté la validité des réserves de la société, soutenant qu’elles ne remettaient pas en cause le caractère accidentel de l’événement.

Recevabilité du Recours et Motifs de la Décision

Le tribunal a déclaré le recours de la société recevable. Il a également constaté que les réserves formulées par la société étaient motivées, remettant en question le caractère professionnel de l’accident en raison d’un état antérieur. En conséquence, le tribunal a ordonné l’inopposabilité de la décision de prise en charge de la CPAM, ainsi que des arrêts de travail et soins associés.

Conclusion du Jugement

Le tribunal a rendu un jugement déclarant recevable le recours de la société et ordonnant l’inopposabilité de la décision de la CPAM concernant l’accident du 19 mars 2019. La CPAM a été condamnée aux dépens, et le jugement a été mis à disposition au greffe le 18 novembre 2024.

Q/R juridiques soulevées :

Sur la recevabilité du recours de la société

La recevabilité du recours formé par la société [3] est confirmée par les articles R. 142-6 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale.

Ces articles stipulent que le recours doit être exercé dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision contestée.

En l’espèce, la société [3] a respecté ce délai, ce qui rend son recours recevable.

Il est donc établi que le recours est en conformité avec les exigences légales, et aucune contestation n’a été soulevée à ce sujet.

Sur le respect du contradictoire

L’article R. 441-11 du code de la sécurité sociale précise que, en cas de réserves motivées de l’employeur, la caisse doit envoyer un questionnaire ou procéder à une enquête.

Le dernier alinéa de cet article indique que cette enquête est obligatoire en cas de décès, mais elle peut également être nécessaire dans d’autres situations où des réserves sont émises.

Dans cette affaire, la société [3] a formulé des réserves motivées concernant le caractère professionnel de l’accident, en mentionnant un état antérieur de douleurs au dos.

Ces réserves, qui soulèvent un doute sur le lien entre l’accident et le travail, imposent à la caisse d’examiner la situation de manière approfondie.

La jurisprudence constante souligne que les réserves motivées doivent porter sur les circonstances de l’accident ou sur l’existence d’une cause étrangère au travail.

En l’occurrence, la CPAM du Rhône n’a pas respecté cette obligation d’enquête, ce qui entraîne l’inopposabilité de sa décision de prise en charge.

Sur l’inopposabilité de la décision de prise en charge

L’absence de prise en compte des réserves motivées formulées par la société [3] entraîne l’inopposabilité de la décision de prise en charge de l’accident du 19 mars 2019.

La caisse aurait dû diligenter une enquête pour vérifier les circonstances de l’accident, conformément à l’article R. 441-11 du code de la sécurité sociale.

En ne le faisant pas, elle a manqué à son obligation de respecter le principe du contradictoire, ce qui est fondamental dans le cadre de la procédure administrative.

Ainsi, la décision de la CPAM du Rhône, qui a reconnu la matérialité de l’accident sans enquête préalable, est déclarée inopposable à la société [3].

Cette inopposabilité s’applique également à l’ensemble des arrêts de travail et soins pris en charge à ce titre, renforçant la position de la société dans ce litige.

MINUTE N° :

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

POLE SOCIAL – CONTENTIEUX GENERAL

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

JUGEMENT DU :

MAGISTRAT :
ASSESSEURS :

DÉBATS :

PRONONCE :

AFFAIRE :

NUMÉRO R.G :

18 Novembre 2024

Madame Justine AUBRIOT, présidente
Madame Miren-Amaya FABREGOULE DECHENAUX, assesseur collège employeur
Madame Yasmina SEMINARA, assesseur collège salarié

assistées lors des débats et du prononcé du jugement par Madame Isabelle BELACCHI, greffiere

tenus en audience publique le 09 Septembre 2024

jugement contradictoire, rendu en premier ressort, le 18 Novembre 2024 par le même magistrat

S.A.S [3] C/ CPAM DU RHONE

N° RG 20/01417 – N° Portalis DB2H-W-B7E-VB47

DEMANDERESSE

S.A.S [3], dont le siège social est sis [Adresse 1]
représentée par Me Virginie GAY-JACQUET, avocat au barreau de BORDEAUX, substituée par Me BELLEUDY

DÉFENDERESSE

CPAM DU RHONE, dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée par Madame [Y], munie d’un pouvoir

Notification le :
Une copie certifiée conforme à :

S.A. [3]
CPAM DU RHONE
Me Virginie GAY-JACQUET,
Une copie revêtue de la formule exécutoire :

S.A. [3]
Me Virginie GAY-JACQUET,
Une copie certifiée conforme au dossier

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [Z] [N] a été engagé par la société [3] en tant que conducteur de machines.

Le 20/03/2019, la société [3] a établi une déclaration d’accident de travail relative à un accident de travail le 19/03/2019 dont Monsieur [Z] [N] a été victime, et a émis des réserves dans l’encadré prévu en ces termes : « Monsieur [N] a déjà ressenti des douleurs dans le dos. Il a eu un accident de trajet le 15/03/2019 ».

Le certificat médical initial, établi le 20/03/2019, fait état de « lombalgies aigues ». Le médecin a prescrit un arrêt de travail à Monsieur [Z] [N] jusqu’au 25/10/2019, date de consolidation.

Par courrier du 01/04/2019, la caisse primaire d’assurance maladie (la CPAM) du Rhône a informé la société [3] de la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l’accident de Monsieur [Z] [N] survenu le 19/03/2019.

Dès lors, le 17/05/2019, la société [3] a formé un recours gracieux devant la commission de recours amiable (la CRA) de la CPAM du Rhône en contestation de la prise en charge de l’accident de Monsieur [Z] [N].

Lors de sa réunion du 23/04/2020, la CRA de la CPAM du Rhône a confirmé l’opposabilité à l’employeur de la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l’accident dont a été victime Monsieur [Z] [N], le 19/03/2019, de la durée de soins et arrêts de travail et a donc rejeté la demande de la société [3].

Par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception du 22/07/2020, la société [3] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon d’une demande en inopposabilité de la prise en charge par la CPAM du Rhône, au titre de la législation professionnelle, de l’accident dont a été victime Monsieur [Z] [N] le 19/03/2019 ainsi que des soins et arrêts consécutifs au dit accident.

L’affaire a été appelée à l’audience du 09/09/2024.

Dans ses dernières conclusions développées oralement à l’audience, la société [3], représentée par Me BELLEUDY, demande au pôle social du tribunal judiciaire de Lyon:
-à titre principal, de déclarer inopposable la décision de prise en charge de l’accident dont a été victime Monsieur [Z] [N] le 19/03/2019, pour non-respect du principe du contradictoire en l’absence d’instruction mise en œuvre par la caisse alors même que la société a émis des réserves suffisamment motivées, à savoir un état antérieur d’accident de travail le 10/09/2018 sur un siège de lésions identique (dos), avec des arrêts de travail consécutifs jusqu’au 04/02/2019, soit 1 mois et demi avant le nouvel accident de travail le 19/03/2019,
-à titre subsidiaire, de lui déclarer inopposables les arrêts de travail pris en charge par la CPAM du Rhône, au titre de l’accident de travail du 19/03/2019,
-à titre plus subsidiaire, d’ordonner avant-dire droit une expertise médicale judiciaire sur pièces.

A l’audience, la CPAM du Rhône était présente et représentée par Madame [Y]. Elle a demandé de :
-constater que la caisse a respecté le principe du contradictoire, et que l’employeur n’a pas émis de réserves motivées ni circonstanciées. Elle soutient que l’employeur s’est seulement contenté de rappeler que l’assuré avait déjà ressenti des douleurs au dos et qu’il aurait un prétendu état pathologique antérieur. Elle fait remarquer également que les réserves de l’employeur ne portent pas sur le caractère d’accident de l’évènement, ni sur la réalité de sa survenance, et que les arguments développés ne présentent pas de caractère sérieux entraînant une obligation pour la caisse de diligenter une enquête,
-confirmer l’opposabilité de la prise en charge des soins et arrêts de travail consécutifs à l’accident de travail du 19/03/2019,
-rejeter la demande d’expertise.

L’affaire a été mise en délibéré au 18/11/2024.

MOTIFS

Sur la recevabilité du recours de la société

La recevabilité du recours formé dans le délai prévu par les articles R. 142-6 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale n’est pas contestée en l’espèce.
Le recours est déclaré recevable.

Sur le respect du contradictoire

Selon le dernier alinéa de l’article R.441-11 du code de la sécurité sociale alors applicable, en cas de réserves motivées de la part de l’employeur ou si elle l’estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l’employeur et à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l’accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés. Une enquête est obligatoire en cas de décès.

Il résulte d’une jurisprudence constante que les réserves motivées s’entendent de la contestation du caractère professionnel de l’accident qui porte sur les circonstances de temps et de lieu ou sur l’existence d’une cause totalement étrangère au travail.

Il est constant que la CPAM DU RHONE a réceptionné la déclaration d’accident de travail dans laquelle était formulée l’existence de réserves de l’employeur dans la rubrique « éventuelles réserves motivées : Monsieur [N] a déjà ressenti des douleurs dans le dos. Il a eu un accident de trajet le 15/03/2019. »

La contestation de l’employeur porte ainsi sur le caractère professionnel de l’accident et en particulier sur l’existence d’une cause totalement étrangère au travail, à savoir l’existence d’un état antérieur. En effet le seul fait pour l’employeur de mentionner l’existence d’un état antérieur dans ses réserves induisait nécessairement un doute sur le fait que les lésions aient été provoquées par l’accident de travail.

Ces réserves étaient donc motivées.

Il n’est pas pertinent pour la caisse de se prévaloir du faisceau d’indices pour se justifier d’avoir reconnu la matérialité de l’accident de Monsieur [N] puisqu’il lui appartenait en premier lieu de mettre en œuvre une mesure d’enquête conformément à l’article précité.

Par conséquent, l’absence de prise en compte des réserves motivées entraine l’inopposabilité à la société [3] de la décision de prise en charge de l’accident du 19 mars 2019 de Monsieur [N] au titre de la législation sur les risques professionnels sans qu’il soit nécessaire d’étudier les autres moyens.

PAR CES MOTIFS

Le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, après en avoir délibéré, par jugement contradictoire et en premier ressort, mis à disposition,

Déclare recevable le recours formé par la société [3] ;

Ordonne l’inopposabilité à la société [3] de la décision de la CPAM DU RHONE en date du 1er avril 2019 prenant en charge, au titre de la législation professionnelle, l’accident déclaré le 19 mars 2019 à Monsieur [N], ainsi que l’ensemble des arrêts de travail et soins pris en charge à ce titre ;

Condamne la CPAM DU RHONE aux dépens.

Jugement rendu par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2024, dont la minute a été signée par la Présidente et la Greffière.

La Greffière La Présidente


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