Reconnaissance de l’origine professionnelle d’une pathologie psychique liée aux conditions de travail

·

·

Reconnaissance de l’origine professionnelle d’une pathologie psychique liée aux conditions de travail

La reconnaissance d’une maladie d’origine professionnelle, en l’absence de tableau de maladies professionnelles, est régie par l’article L.461-1 du code de la sécurité sociale, qui stipule qu’une maladie peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne une incapacité permanente d’au moins 25 %. Cette reconnaissance nécessite un avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), dont l’avis s’impose à la caisse primaire d’assurance maladie (Cpam). En matière de maladies psychiques, la jurisprudence (Cass. Civ. 2ème, 7 novembre 2019, n°18-19.764) précise que la démonstration d’un lien direct et essentiel entre la pathologie et l’exposition professionnelle doit être établie, sans que le travail habituel soit la cause unique de la maladie (Cass. Civ. 2ème, 4 février 2010, n°09-11.190). Les facteurs de risque psychosociaux, tels que la charge de travail, la reconnaissance professionnelle, et la qualité des rapports sociaux, doivent être pris en compte pour apprécier ce lien. En l’espèce, les éléments de preuve indiquent une dégradation des conditions de travail et un lien direct entre la maladie déclarée et l’exposition professionnelle, justifiant ainsi la reconnaissance de l’origine professionnelle de la pathologie.

L’Essentiel : La reconnaissance d’une maladie d’origine professionnelle nécessite qu’elle soit causée par le travail habituel de la victime et entraîne une incapacité permanente d’au moins 25 %. Un avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles est requis. En matière de maladies psychiques, il faut établir un lien direct entre la pathologie et l’exposition professionnelle, en tenant compte des facteurs de risque psychosociaux. Les éléments de preuve indiquent une dégradation des conditions de travail et un lien direct avec l’exposition professionnelle.
Résumé de l’affaire :

Exposé des faits et de la procédure

Un dirigeant de ventes régional au sein de la société PWF, puis de DIM FRANCE, et enfin de HANES FRANCE, a sollicité le 30 janvier 2023 la caisse primaire d’assurance maladie (Cpam) de la Somme pour la reconnaissance de l’origine professionnelle d’une dépression sévère. Cette demande était fondée sur un certificat médical du 23 janvier 2023, mentionnant dépression et stress, avec une première constatation médicale de la maladie fixée au 29 août 2022. En l’absence de tableau applicable, la demande a été examinée dans le cadre du système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles.

Après une enquête administrative et un constat d’incapacité permanente prévisible d’au moins 25 %, la Cpam a transmis le dossier au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) des Hauts-de-France. Le 5 septembre 2023, le comité a rejeté la demande, arguant d’un manque de lien direct entre la maladie et l’exposition professionnelle. La Cpam a alors notifié un refus de prise en charge. Suite à un recours, la commission de recours amiable (CRA) n’a pas statué dans le délai imparti, entraînant un rejet implicite.

Le 5 mars 2024, le dirigeant a saisi le tribunal judiciaire d’Amiens pour contester la décision de la Cpam et demander la désignation d’un second CRRMP. Le tribunal a désigné le CRRMP de la région Grand Est pour évaluer l’existence d’un lien entre la maladie et l’exposition professionnelle. Ce second comité a également rejeté la demande le 23 mai 2024, invoquant une pathologie intercurrente.

L’affaire a été initialement évoquée le 1er juillet 2024, puis reportée au 14 octobre 2024, avec une décision prévue pour le 18 novembre 2024.

Prétentions et moyens des parties

Lors de l’audience, le dirigeant, représenté par son Conseil, a demandé la réformation de la décision de la Cpam et la reconnaissance de l’origine professionnelle de sa pathologie. De son côté, la Cpam a demandé l’entérinement des avis des deux CRRMP, affirmant qu’il n’existait pas de lien direct entre la pathologie et l’exposition professionnelle, et a rejeté les prétentions du dirigeant.

Motivation

Le tribunal a rappelé qu’il est compétent pour se prononcer sur le fond du litige, à savoir le lien entre la maladie déclarée et le travail habituel du dirigeant. Il a noté qu’en l’absence de tableau, la reconnaissance d’une maladie professionnelle nécessite de prouver que la pathologie est directement causée par le travail habituel. Les éléments de preuve ont montré une dégradation progressive de la relation de travail, avec une augmentation de la charge de travail et une diminution de la reconnaissance professionnelle.

Le tribunal a conclu qu’il existait un lien direct entre la maladie et l’exposition professionnelle, et a donc accueilli la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée le 30 janvier 2023.

Décision finale

Le tribunal a statué que la maladie déclarée par le dirigeant a un lien direct et essentiel avec son travail habituel, et qu’elle doit être prise en charge par la Cpam au titre de la législation sur les risques professionnels. Les dépens de l’instance seront à la charge de la Cpam, sans exécution provisoire.

Q/R juridiques soulevées :

Sur la réformation de la décision de la Cpam de la Somme

Le pôle social du tribunal judiciaire est compétent pour juger le litige soumis, et non pour réformer la décision de la caisse primaire d’assurance maladie (Cpam) ou celle de la commission de recours amiable (CRA).

Il est établi que la juridiction doit se prononcer sur le fond du litige, à savoir si la maladie déclarée par l’assuré social a un lien direct et essentiel avec son travail habituel au sein de la société HANES FRANCE.

Ainsi, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la réformation de la décision de la Cpam de la Somme, ni sur l’infirmation de la décision implicite de rejet de la CRA.

Sur la demande de reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie

Selon l’article L.461-1 du code de la sécurité sociale, une maladie non désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d’origine professionnelle si elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime.

Cette reconnaissance est conditionnée à l’établissement d’un lien direct et essentiel entre la pathologie et l’exposition professionnelle, et à l’existence d’une incapacité permanente d’au moins 25 %.

En l’absence de tableau, il est nécessaire de démontrer que la pathologie est directement causée par le travail habituel de la victime. La jurisprudence précise qu’il n’est pas exigé que le travail soit la seule cause de la maladie, et qu’un autre facteur de risque ne constitue pas un obstacle à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie psychique.

Le guide à destination des CRRMP souligne l’importance de plusieurs paramètres dans l’appréciation d’un lien direct et essentiel entre la maladie et l’exposition professionnelle, tels que la charge de travail, la latitude décisionnelle, le soutien social, et les violences physiques ou psychologiques.

Les éléments de preuve présentés montrent une dégradation progressive de la relation de travail, avec une augmentation de la charge de travail et une diminution de la reconnaissance professionnelle, ce qui établit un lien direct entre la maladie et l’exposition professionnelle.

Sur les frais du procès et l’exécution provisoire

L’article 696 du code de procédure civile stipule que la partie perdante est condamnée aux dépens, sauf décision motivée du juge.

Dans cette affaire, la Cpam de la Somme, en tant que partie perdante, supportera les dépens de l’instance.

Il n’est pas justifié de la nécessité d’ordonner l’exécution provisoire, qui est facultative selon l’article R.142-10-6 du code de la sécurité sociale.

Ainsi, le tribunal a décidé que les éventuels dépens de l’instance seront à la charge de la Cpam de la Somme, sans exécution provisoire.

DU DIX HUIT NOVEMBRE DEUX MIL VINGT QUATRE

__________________

POLE SOCIAL

__________________

[U] [S]

C/

CPAM DE LA SOMME

__________________

N° RG 24/00101
N°Portalis DB26-W-B7I-H3M5

Minute n°

Grosse le

à :

à :

Expédition le :

à :

à :

Expert
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

TRIBUNAL JUDICIAIRE
D’AMIENS

POLE SOCIAL
_

J U G E M E N T

COMPOSITION DU TRIBUNAL

M. Emeric VELLIET DHOTEL, vice-président au tribunal judiciaire d’Amiens chargé du pôle social,
Mme Isabelle WATBLED, assesseur représentant les travailleurs salariés
M. David SALOMEZ, assesseur représentant les travailleurs non salariés

et assistés de M. David CREQUIT, greffier lors du prononcé par mise à disposition au greffe.

DÉBATS

L’affaire a été examinée à l’audience publique du 14 octobre 2024 du pôle social du tribunal judiciaire d’Amiens, tenue par M. Emeric VELLIET DHOTEL, président de la formation de jugement, Mme Isabelle WATBLED et M. David SALOMEZ, assesseurs, assistés de M. David CREQUIT, greffier.

ENTRE :

PARTIE DEMANDERESSE :

Monsieur [U] [S]
48 rue Dhavernas
80000 AMIENS
Représentant : Maître Franck DELAHOUSSE de la SELARL DELAHOUSSE ET ASSOCIÉS, avocats au barreau d’AMIENS

ET :

PARTIE DEFENDERESSE :

CPAM DE LA SOMME
8 Place Louis Sellier
80021 AMIENS CEDEX
Représentée par Mme [B] [N]
Munie d’un pouvoir en date du 26/08/2024

A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré et le président a avisé les parties que le jugement serait prononcé le 18 Novembre 2024 par mise à disposition au greffe de la juridiction.

Jugement contradictoire et en premier ressort

*****

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Monsieur [U] [S], chef de ventes régional au sein de la société PWF (PLAYTEX) puis de la société DIM FRANCE, ensuite devenue société HANES FRANCE, a demandé le 30 janvier 2023 à la caisse primaire d’assurance maladie (Cpam) de la Somme de reconnaître l’origine professionnelle d’une “dépression sévère liée à ses conditions de travail et au comportement de sa hiérarchie depuis son retour d’arrêt maladie suite à infarctus survenu en octobre 2019″, sur le fondement d’un certificat médical initial du 23 janvier 2023 mentionnant à la fois dépression et stress, et fixant au 29 août 2022 la date de première constatation médicale de la maladie.

En l’absence de tableau applicable, la demande a été instruite dans le cadre du système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles.

Après enquête administrative et constatation par le médecin-conseil d’un taux d’incapacité permanente prévisible au moins égal à 25 %, la Cpam de la Somme a transmis le dossier au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) de la région Hauts-de-France.

Suivant avis du 5 septembre 2023, le comité a rejeté l’origine professionnelle de la maladie déclarée par l’assuré social, motif pris de l’absence de lien direct et essentiel entre l’affection présentée et l’exposition professionnelle au regard du manque d’éléments factuels convaincants.

Liée par cet avis, la Cpam a notifié à l’assuré sociale une décision de refus de prise en charge de sa maladie au titre de la législation sur les risques professionnels.

Saisie du recours formé par [U] [S], la commission de recours amiable (CRA) n’a pas fait connaître sa décision dans le délai imparti, générant ainsi une décision implicite de rejet.

Procédure :

Suivant requête déposée au greffe le 5 mars 2024, [U] [S] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire d’Amiens d’une contestation de la décision de la Cpam de la Somme refusant la reconnaissance de l’origine professionnelle de la pathologie susvisée, et d’une demande de désignation d’un second CRRMP.

Après avis donné aux parties de faire valoir leurs observations quant à la désignation d’un second CRRMP en application des articles R.142-10-5 et R.142-17-2 du code de la sécurité sociale et de l’article 771 du code de procédure civile, le président de la formation de jugement a rendu le 12 mars 2024 une ordonnance désignant le CRRMP de la région Grand Est aux fins de recueillir son avis sur l’éventuelle existence d’un lien direct et essentiel entre la maladie déclarée et l’exposition professionnelle de l’assurée social.

Suivant avis du 23 mai 2024, ce second comité s’est également dit défavorable à la prise en charge de la maladie au titre de la législation sur les risques professionnels, motif pris de l’existence d’une pathologie intercurrente pouvant avoir un impact important sur le psychisme de l’assuré social.

Initialement évoquée à l’audience du 1er juillet 2024, l’affaire a fait l’objet d’un report à celle du 14 octobre 2024, à l’issue de laquelle le président a indiqué qu’elle était mise en délibéré et que la décision serait rendue le 18 novembre 2024 par mise à disposition publique au greffe de la juridiction, en application des dispositions des articles 450 alinéa 2 et 451 alinéa 2 du code de procédure civile.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

A l’audience :

1) [U] [S], représenté par son Conseil, développe ses conclusions visées à l’audience et demande au tribunal de réformer la décision de la Cpam de la Somme rejetant la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée, et de reconnaître l’origine professionnelle de sa pathologie, avec toutes conséquences de droit.

2) la Cpam de la Somme, régulièrement représentée, développe ses conclusions envoyées par voie dématérialisée le 27 juin 2024 et demande en substance l’entérinement des avis concordants des deux CRRMP, de dire qu’il n’est pas établi de lien direct et essentiel entre la pathologie déclarée et l’exposition professionnelle, et de rejeter les prétentions de la demanderesse.

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait référence aux conclusions des parties pour l’exposé de leurs moyens respectifs.

MOTIVATION

1. Sur la réformation de la décision de la Cpam de la Somme :

Le pôle social du tribunal judiciaire est juge du litige qui lui est soumis, et non de la décision de la caisse ni, incidemment, de celle de la commission de recours amiable (en ce sens : Cass. Civ. 2ème, 11 février 2016, n°15-13.202, publié au bulletin).

Il appartient à la juridiction du contentieux général de se prononcer sur le fond du litige, en l’occurrence le fait de savoir si la maladie déclarée par [U] [S] a, ou non, un lien direct et essentiel avec son travail habituel au sein de la société HANES FRANCE.

Partant, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la réformation de la décision de la Cpam de la Somme portant refus de prise en charge de la maladie, et pas davantage sur l’infirmation de la décision implicite de rejet de la CRA.

2. Sur la demande de reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie :

Il résulte de l’article L.461-1 du code de la sécurité sociale que peut être reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles, notamment une pathologie psychique, lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’un taux évalué dans les conditions mentionnées à l’article L.434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé [en l’occurrence, 25 %]. Dans ce cas, la caisse primaire reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, dont l’avis s’impose à elle.

En l’absence de tableau, la reconnaissance de la maladie professionnelle suppose la démonstration que la pathologie est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime (en ce sens : Cass. Civ. 2ème, 7 novembre 2019, n°18-19.764, publié au bulletin). Il n’est cependant pas exigé que le travail habituel soit la cause unique et essentielle de la maladie (en ce sens : Cass. Civ. 2ème, 4 février 2010, n°09-11.190). Dès lors, l’existence d’un autre facteur de risque, notamment personnel, ne constitue pas automatiquement un obstacle à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie psychique ; elle conduit seulement à rechercher si la pathologie déclarée est essentiellement liée au travail habituel ou, au contraire, à cet autre facteur de risque.

En matière de prise en charge de maladies psychiques au titre de la législation sur les risques professionnels, le guide à destination des CRRMP invite à prendre notamment en considération, dans l’appréciation d’un lien direct et essentiel entre la maladie et l’exposition professionnelle : la charge de travail, la latitude décisionnelle, le soutien social et d’éventuelles violences et menaces physiques ou psychologiques. Ces quatre paramètres ne constituent qu’une liste indicative, d’autres facteurs pouvant être pris en compte, tels que les conflits éthiques, une faible reconnaissance professionnelle ou une “qualité empêchée” (manque de moyens ou de temps pour effectuer un travail de qualité).

Par ailleurs, le rapport du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, rédigé en 2011 par [P] [Y], sociologue du travail, et [W] [E], statisticienne à l’INSEE, classe les facteurs de risques psycho-sociaux en six axes principaux :
– intensité du travail et temps de travail (exigences de quantité et de qualité, pression temporelle) ;
– exigences émotionnelles (relation au public, contact avec la souffrance, nécessité de dissimuler ses émotions, peur au travail) ;
– autonomie insuffisante ;
– mauvaise qualité des rapports sociaux au travail (avec les collègues, avec la hiérarchie, soutien social, discrimination) ;
– conflits de valeurs ;
– insécurité de la situation de travail (changements, pérennité de l’activité ou de l’emploi).

En l’espèce, il résulte des éléments produits aux débats que le poste de travail de [U] [S] le conduisait jusqu’en octobre 2019 à assumer la responsabilité d’une dizaine de négociateurs et promoteurs de ventes sur le secteur de la région N7 correspondant au secteur géographique de Paris et de la région parisienne.

Un infarctus survenu le 12 octobre 2019 a entraîné une hospitalisation suivie d’arrêts de travail jusqu’au mois de mai 2020.

Une télévisite de pré-reprise organisée le 18 mai 2019 avec le médecin du travail a conduit à un avis favorable à la reprise du travail avec les aménagements suivants : poste en télétravail uniquement avec des horaires aménagés de type mi-temps ; pas de déplacements ou de présence sur un site de travail en dehors de son domicile. Un avenant au contrat de travail en date du 3 juin 2020 a acté la reprise du travail en mi-temps thérapeutique à concurrence de 2,5 jours par semaine uniquement en télétravail. Une visite de reprise organisée le 9 juin 2020 avec le médecin du travail confirmait les précédentes recommandations. L’employeur n’émettra alors aucune contestation.

[U] [S] a repris le travail à compter du 25 mai 2020 dans les conditions de l’avenant susvisé. Par courriel du 19 février 2021, il se voyait félicité pour sa gestion “de main de maître” et ses résultats de l’année 2020.

Parallèlement, le départ des chefs de ventes régionaux des zones S6 et N1 a entraîné en février 2021 un nouveau découpage des zones géographiques existantes.

Il a alors été demandé à [U] [S], qui résidait à Amiens, de reprendre la zone N1 (Hauts-de-France) composée de douze négociateurs, au lieu des dix qu’il encadrait précédemment. L’assuré social a pris en compte ce nouveau poste, d’abord dans le cadre de son mi-temps thérapeutique (avis du médecin du travail des 4 mai 2021 puis 21 juin 2021, confirmant les recommandations initiales de mai et juin 2020), puis à temps complet, suite à l’émission par le médecin du travail, le 20 octobre 2021 de nouvelles recommandations (télétravail restant à favoriser ; déplacements possibles dans le cadre du travail, si nécessaire, sous réserve de l’accord d’un médecin agréé pour la conduite automobile).

[U] [S] recevait début janvier 2022 les remerciements de son employeur pour “son professionnalisme, son implication, son esprit d’entreprise, sa bienveillance, son accompagnement des équipes et des projets d’évolution majeurs” au cours de l’année 2021.

Il n’en demeure pas moins que plusieurs événements témoignent d’une dégradation progressive de la relation de travail au sein de l’entreprise. S’agissant des seuls éléments antérieurs à la survenance de la maladie professionnelle, médicalement constatée pour la première fois le 29 août 2022, peuvent être ainsi relevés les éléments suivants :

– [U] [S] (comme plusieurs autres salariés de l’entreprise) saisissait dès le mois de mars 2016 le conseil des prud’hommes de Nanterre de demandes en paiement de rappel de salaires sur la période de mai 2011 à décembre 2015. S’en est ensuivie une longue et éprouvante procédure émaillée par le jugement du conseil des prud’hommes rejetant la demande de [U] [S] (2017), par l’arrêt confirmatif de la cour d’appel de Versailles (2020), par l’arrêt de la cour de cassation (2022), et finalement par l’arrêt rendu le 8 février 2023 par la cour d’appel de Versailles, après cassation, allouant au salarié les sommes respectives de 72 889 euros et 7 289 euros ;

– un questionnaire établi en octobre 2019 par la société SECAFI à destination du CSE de l’employeur met de manière générale en évidence une détérioration de l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle (55 % des réponses au questionnaire) ; un climat social insatisfaisant (66 % des réponses) en évolution négative (73 % des réponses) ; un dialogue social insatisfaisant (51 % des réponses) ; une reconnaissance financière peu motivante (77 % des réponses) en évolution négative (84 % des réponses) ; et la constatation d’agressions verbales (37 % des réponses) et même physiques (10 % des réponses), de harcèlement moral (25 % des réponses) et sexuel (8 % des réponses). Les principaux facteurs de risque identifiés sont, outre la rémunération, l’insuffisance de reconnaissance (démotivation importante pour 55 % des réponses, et légère pour 28 % des réponses), les conditions de travail (démotivation importante pour 53 % des réponses, et légère pour 29 % des réponses) et la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle (démotivation importante pour 49 % des réponses, et légère pour 29 % des réponses). Par ailleurs, 47 % des réponses évoquent une fatigue physique régulière ; 31 % un épuisement physique régulier et 25 % une atteinte psychologique au moral ;

– le compte-rendu de la réunion tenue par le CSE le 27 novembre 2019 confirme notamment l’existence de certains comportements inadaptés et inappropriés, ainsi que la nécessité d’aider rapidement les salariés qui sont potentiellement en détresse. Lors de la réunion du CSE tenue le 25 mars 2021, il est demandé à la direction d’indiquer ce qui sera mis en place pour remédier à la dégradation des conditions de travail et à la fragilité psychologique grandissante des équipes ;

– sollicitations ponctuelles de [U] [S] en dehors des horaires de son mi-temps thérapeutique, lesquels avaient pourtant été fixés par avenant au contrat de travail ;

– double contestation par l’employeur, devant le conseil des prud’hommes de Nanterre, des recommandations successivement émises par le médecin du travail les 4 mai 2021 et 21 juin 2021. Si l’employeur précisait à son salarié – en le rendant destinataire des requêtes introductives d’instance – que ces procédures ne constituaient pas des contentieux dirigés contre lui, il n’en demeure pas moins que les requêtes considérées tendaient ni plus ni moins à obtenir l’annulation des recommandations du médecin du travail et, subsidiairement, l’émission d’un avis d’inaptitude de [U] [S] à son poste de travail. Ces procédures ne prospéreront pas, et pas davantage la procédure d’appel initiée par l’employeur à l’encontre de l’une des deux décisions du conseil des prud’hommes. Pour autant, le salarié ne pouvait alors se méprendre sur les intentions de l’employeur, lequel soutenait sans ambiguïté que les préconisations de la médecine du travail n’étaient pas compatibles avec l’exécution des missions confiées à [U] [S] ;

– refus de l’employeur, exprimé le 13 avril 2022, de faire bénéficier [U] [S] de l’augmentation du salaire “au mérite” en principe applicable au 1er avril 2022.

Il résulte par ailleurs de l’enquête administrative réalisée par la Cpam de la Somme que, pendant l’arrêt maladie de [U] [S], un nouveau directeur a été nommé en vue de manager l’ensemble des chefs de ventes régionaux, avec lequel [U] [S] ne s’entendait pas ; que la charge de travail de [U] [S] n’a pas été allégée à sa reprise en mi-temps thérapeutique ; que l’intéressé travaillait même durant son arrêt maladie. L’enquête met également en évidence une augmentation de la charge de travail et une pression accrue depuis environ cinq ans, qui engendre beaucoup d’arrêts de travail notamment au niveau des cadres ; une tendance de l’employeur à la suppression des primes antérieurement distribuées (notamment en ce qui concerne [U] [S]) ; et la dégradation progressive de l’état psychologique de [U] [S].

Les éléments susvisés témoignent donc d’une dégradation progressive de la relation de travail entre [U] [S] et son employeur, en lien avec une augmentation de la charge de travail, à tout le moins par l’absence d’adaptation de cette charge de travail aux conditions du mi-temps thérapeutique préconisé par le médecin du travail ; une diminution de la reconnaissance professionnelle du salarié ; et une insécurité grandissante de la situation de travail. Partant, il existe un lien direct entre la maladie et l’exposition professionnelle.

Dès lors, l’avis du premier CRRMP, qui écartait le lien direct et essentiel entre l’affection présentée et l’exposition professionnelle au regard du manque d’éléments factuels convaincants, n’apparaît plus pertinent au jour où le tribunal statue.

S’il ne peut être exclu que l’infarctus dont [U] [S] a été victime le 12 octobre 2019 ait eu une incidence sur la survenue de sa dépression, aucun des éléments produits aux débats n’est toutefois de nature à établir un tel lien. Etant donné que l’assuré social a ensuite repris le travail, d’abord en mi-temps thérapeutique à compter du mois de mai 2020, puis à plein temps à compter du mois d’octobre 2021, et que son action a été saluée par la direction de l’entreprise tant au titre de l’année 2020 que pour l’année 2021, l’infarctus en lui-même n’est en tout état de cause visiblement pas la cause essentielle de la dépression.

Dès lors, l’avis du second CRRMP, qui écartait le lien direct et essentiel entre l’affection présentée et l’exposition professionnelle au regard de l’existence d’une pathologie intercurrente pouvant avoir un impact important sur le psychisme de l’assuré social (l’infarctus) n’apparaît pas non plus pertinent, ce d’autant que la formulation retenue par le comité ne traduit pas une affirmation mais une simple hypothèse.

Il en résulte que la dépression déclarée par [U] [S] doit être considérée comme directement et essentiellement due à son travail habituel.

En conséquence, il convient d’accueillir la demande de [U] [S] tendant à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée le 30 janvier 2023 sur le fondement d’un certificat médical initial du 23 janvier 2023 fixant au 29 août 2022 la date de première constatation médicale de la maladie.

Décision du 18/11/2024 RG 24/00101

3. Sur les frais du procès et l’exécution provisoire :

L’article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

Partie perdante au sens où l’entend ce texte, la Cpam de la Somme supportera les éventuels dépens de l’instance.

Il n’est pas justifié de la nécessité d’ordonner l’exécution provisoire, qui n’est que facultative en application des dispositions de l’article R.142-10-6 du code de la sécurité sociale.

PAR CES MOTIFS

Le pôle social du tribunal judiciaire, statuant après débats en audience publique par jugement contradictoire en premier ressort, publiquement mis à disposition au greffe de la juridiction,

Dit n’y avoir lieu de se prononcer sur la réformation de la décision de la caisse primaire d’assurance maladie de la Somme, ni sur l’infirmation de la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable,

Dit que la maladie déclarée par [U] [S] le 30 janvier 2023 a un lien direct et essentiel avec le travail habituel de l’assuré social,

Dit en conséquence que la maladie considérée relève d’une prise en charge par la caisse primaire d’assurance maladie de la Somme au titre de la législation sur les risques professionnels,

Dit que les éventuels dépens de l’instance seront supportés par la caisse primaire d’assurance maladie de la Somme,

Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

Le greffier, Le président,

David Créquit Emeric Velliet Dhotel


Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?

Merci pour votre retour ! Partagez votre point de vue, une info ou une ressource utile.

Chat Icon