L’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat envers ses salariés, ce qui inclut la protection contre les maladies professionnelles. Cette obligation est codifiée dans les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail, qui imposent à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. En cas de manquement à cette obligation, la faute inexcusable de l’employeur peut être reconnue, conformément à l’article L.452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. La preuve de cette faute inexcusable incombe à la victime, qui doit démontrer que l’employeur a eu connaissance des risques et n’a pas agi en conséquence. En cas de reconnaissance de la faute inexcusable, l’article L.452-2 du Code de la sécurité sociale prévoit une majoration des indemnités dues à la victime, ainsi que la possibilité pour celle-ci de demander réparation pour les préjudices subis, tels que les souffrances physiques et morales, conformément à l’article L.452-3 du même code.
|
L’Essentiel : L’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat envers ses salariés, incluant la protection contre les maladies professionnelles. Cette obligation impose de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs. En cas de manquement, la faute inexcusable de l’employeur peut être reconnue si celui-ci avait connaissance du danger et n’a pas agi. La preuve de cette faute incombe à la victime, qui doit démontrer la connaissance des risques par l’employeur.
|
Résumé de l’affaire :
Présentation de l’affaireUn salarié, ayant travaillé pour un établissement public, a été exposé à des substances chimiques durant sa carrière, ce qui a conduit à la déclaration d’une maladie professionnelle. Il a demandé la reconnaissance de la faute inexcusable de son ancien employeur, suite à un cancer du rein diagnostiqué. Déclaration de la maladie professionnelleLe salarié a déclaré une maladie professionnelle sous forme de cancer du rein à la Caisse Régionale de la Sécurité Sociale dans les Mines, accompagnée d’un certificat médical. Après évaluation, le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles a reconnu le lien entre la maladie et l’activité professionnelle. Reconnaissance de la faute inexcusableLe tribunal a jugé que la maladie était due à la faute inexcusable de l’employeur, l’Agent Judiciaire de l’État, représentant l’établissement liquidé. Le tribunal a ordonné une majoration de la rente et a fixé l’indemnisation des préjudices personnels du salarié à un montant total de 34.800 euros. Appel de l’Agent Judiciaire de l’ÉtatL’Agent Judiciaire de l’État a interjeté appel, contestant la reconnaissance de la faute inexcusable et demandant l’infirmation du jugement. Il a soutenu que les risques liés à l’exposition au trichloréthylène n’étaient pas connus à l’époque de l’exposition. Arguments du salariéLe salarié a affirmé avoir été exposé à des substances dangereuses sans protection adéquate, et a produit des témoignages d’anciens collègues pour corroborer ses dires. Il a également souligné que l’employeur avait connaissance des risques associés à ces substances. Obligations de l’employeurL’employeur a une obligation de sécurité envers ses salariés, incluant la prévention des risques professionnels. Le tribunal a retenu que l’employeur n’avait pas pris les mesures nécessaires pour protéger le salarié, ce qui constitue une faute inexcusable. Indemnisation des préjudicesLe tribunal a confirmé que le salarié avait droit à une indemnisation pour ses souffrances physiques et morales, ainsi que pour son préjudice d’agrément. Les montants des indemnités ont été fixés, et l’Agent Judiciaire de l’État a été condamné à rembourser les sommes avancées par la Caisse. Conclusion de l’affaireLe jugement a été partiellement infirmé, notamment concernant la demande d’indemnisation du déficit fonctionnel permanent, mais a confirmé la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. L’Agent Judiciaire de l’État a été condamné à verser des frais au salarié et à la Caisse. |
Q/R juridiques soulevées :
Sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeurLa question de la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur se pose dans le cadre de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale, qui stipule que « lorsqu’un accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur, la victime a droit à une indemnisation complémentaire ». Pour établir cette faute, il faut démontrer que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel le salarié était exposé et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour le protéger. Dans cette affaire, il a été retenu que l’employeur avait connaissance des risques liés à l’utilisation du trichloréthylène, un produit reconnu comme cancérigène. Les témoignages des anciens collègues de travail de la victime, ainsi que l’avis du Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles, ont contribué à établir ce lien entre l’exposition au risque et la maladie professionnelle. Sur les conséquences financières de la faute inexcusableLes conséquences financières de la faute inexcusable sont régies par l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale, qui prévoit que « dans le cas mentionné à l’article précédent, la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues ». Cette majoration est destinée à compenser la perte de revenus et à garantir que la rente versée ne dépasse pas un certain seuil. Dans le cas présent, la rente de la victime a été fixée à 30% d’incapacité permanente, et la majoration a été ordonnée pour suivre l’évolution de son état de santé. Il a également été précisé que cette majoration serait maintenue pour le conjoint survivant en cas de décès de la victime, conformément aux dispositions de l’article L.452-2. Sur l’indemnisation des préjudices personnelsL’article L.452-3 du code de la sécurité sociale stipule que « la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales ». Dans cette affaire, la victime a sollicité une indemnisation pour divers préjudices, y compris le préjudice moral et le préjudice d’agrément. Les juges ont reconnu l’existence de souffrances physiques et morales, en tenant compte de la nature de la maladie et de son impact sur la qualité de vie de la victime. Les montants alloués pour ces préjudices ont été justifiés par les circonstances de la maladie et l’angoisse liée à un diagnostic de cancer. Sur le préjudice d’agrémentLe préjudice d’agrément est également pris en compte dans le cadre de l’indemnisation, comme le précise l’article L.452-3. Pour être indemnisé, il faut prouver que la victime avait l’habitude de pratiquer une activité de loisir avant la maladie et qu’elle ne peut plus la pratiquer. Dans cette affaire, la victime a cessé de se rendre à son club de pétanque après le diagnostic de sa maladie, ce qui a été reconnu comme un préjudice d’agrément. Le tribunal a donc alloué une somme pour compenser cette perte d’activité. Sur le préjudice esthétiqueConcernant le préjudice esthétique, il est nécessaire de prouver l’existence de cicatrices ou de modifications corporelles résultant des traitements médicaux. Dans ce cas, les éléments médicaux fournis n’ont pas permis de confirmer l’existence d’une cicatrice sur le corps de la victime. Ainsi, la demande d’indemnisation pour préjudice esthétique a été rejetée, conformément aux principes établis par la jurisprudence. Sur l’action récursoire de la CaisseL’article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale précise que la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur entraîne l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dues. La Caisse Primaire d’Assurance Maladie, agissant pour le compte de la Caisse Autonome Nationale de la Sécurité Sociale dans les Mines, a donc le droit d’exercer une action récursoire contre l’employeur. Cela signifie que l’Agent Judiciaire de l’État doit rembourser les sommes avancées par la Caisse au titre de la majoration de la rente et des préjudices subis par la victime. Cette disposition vise à garantir que les victimes soient indemnisées tout en permettant à la Caisse de récupérer les montants dus par l’employeur fautif. |
18 Novembre 2024
—————
N° RG 22/02550 – N° Portalis DBVS-V-B7G-F3AH
——————
Pole social du TJ de METZ
23 Septembre 2022
17/00207
——————
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
CHAMBRE SOCIALE
Section 3 – Sécurité Sociale
ARRÊT DU
dix huit Novembre deux mille vingt quatre
APPELANT :
L’AGENT JUDICIAIRE DE l’ ETAT (AJE)
Ministères économiques et financiers Direction des affaires juridiques
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 5]
représenté par Me Laure HELLENBRAND, avocat au barreau de METZ
INTIMÉS :
Monsieur [L] [B]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Cédric DE ROMANET DE BEAUNE, avocat au barreau de PARIS
LA CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE MOSELLE
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 2]
représentée par M. [U], muni d’un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Septembre 2024, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, magistrat chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur [L] [B], né le 2 décembre 1957, a travaillé pour le compte des Houillères du Bassin de Lorraine (HBL) devenues l’établissement public Charbonnages de France (CDF), du 22 décembre 1975 au 31 mars 2003.
Il a occupé les postes suivants, exclusivement au jour :
du 22/12/1975 au 31/12/1975 : électricien d’entretien,
du 01/01/1976 au 31/03/2003 : électricien exploitation et entretien.
Il a bénéficié d’un congé charbonnier fin de carrière du 1er avril 2003 au 29 février 2004.
Par formulaire du 9 mai 2014, Monsieur [L] [B] a déclaré à la Caisse Régionale de la Sécurité Sociale dans les Mines de l’Est (ci-après la CARMI DE L’EST) une maladie professionnelle sous forme de « cancer du rein », transmettant avec ladite demande un certificat médical initial établi le 6 mai 2014 par le Docteur [E].
Le 23 septembre 2014, le colloque médico-administratif de la Caisse s’est orienté vers une transmission du dossier au Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) au titre de l’ancien article L.461-1 alinéa 4 du code de la sécurité sociale (à savoir : maladie hors tableau avec un taux d’IPP prévisible au moins égal à 25%).
Le dossier a été transmis au CRRMP le 20 novembre 2014.
Le 4 novembre 2015, le CRRMP de [Localité 8] Alsace-Moselle a considéré que le lien direct entre l’activité professionnelle et l’affection déclarée était établi, et a émis un avis favorable à la reconnaissance de la maladie professionnelle.
Selon courrier recommandé du 11 juin 2015, la CARMI DE L’EST a informé l’ANGDM de la prise en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, de la pathologie hors tableau déclarée par Monsieur [L] [B].
Le 14 octobre 2015, la CARMI DE L’EST a fixé le taux d’incapacité permanente de Monsieur [L] [B] à 30% et lui a attribué une rente mensuelle d’un montant de 585,33 euros, à compter du 7 mai 2014 (lendemain de la consolidation).
Monsieur [L] [B] a introduit une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son ancien employeur, devant la Caisse, par courrier du 28 septembre 2016.
Après échec de la tentative de conciliation, Monsieur [L] [B] a, selon courrier recommandé expédié le 1er février 2017, saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Moselle (devenu Pôle social du tribunal de grande instance de Metz le 1er janvier 2019, puis Pôle social du tribunal judiciaire de Metz le 1er janvier 2020) aux fins d’obtenir la reconnaissance de la faute inexcusable des Charbonnages de France dans la survenance de sa maladie professionnelle, et de solliciter le bénéfice des conséquences indemnitaires qui en découlent.
Il convient de préciser que l’établissement public Charbonnages de France a été définitivement liquidé le 31 décembre 2017, ses droits et obligations étant transférés à l’État, représenté par l’Agent Judiciaire de l’État (AJE).
Par ailleurs, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Moselle (CPAM ou caisse) qui agit pour le compte de la Caisse Autonome Nationale de la Sécurité Sociale dans les Mines (CANSSM) depuis le 1er juillet 2015.
Par jugement du 23 septembre 2022, le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz a :
déclaré le jugement commun à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Moselle agissant pour le compte de la Caisse Autonome Nationale de la Sécurité Sociale dans les Mines,
dit que la maladie professionnelle hors tableau déclarée par Monsieur [L] [B] est due à la faute inexcusable de son employeur, l’Agent Judiciaire de l’Etat, venant aux droits de l’établissement Charbonnages de France, anciennement Houillères du Bassin de Lorraine,
ordonné la majoration à son maximum de la rente allouée à Monsieur [L] [B] dans les conditions prévues à l’article L.452-2 alinéa 3 du code de la sécurité sociale,
dit que cette majoration suivra l’évolution de son taux d’incapacité permanente en cas d’aggravation de son état de santé et qu’en cas de décès résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant,
fixé l’indemnisation des préjudices personnels de Monsieur [L] [B], résultant de sa maladie professionnelle hors tableau à la somme de 34.800 euros, soit 1.800 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 12.000 euros au titre du préjudice physique, 20.000 euros au titre du préjudice moral et 1.000 euros au titre du préjudice d’agrément,
dit que cette somme sera versée par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM, l’Assurance Maladie des Mines, à Monsieur [L] [B],
débouté Monsieur [L] [B] de sa demande formée au titre de son préjudice esthétique,
rappelé que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM, l’Assurance Maladie des Mines, est fondée à exercer son action récursoire contre l’Agent Judiciaire de l’Etat,
condamné l’Agent Judiciaire de l’Etat à rembourser à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Moselle agissant pour le compte de la CANSSM, l’Assurance Maladie des Mines, l’ensemble des sommes, en principal et intérêts, qu’elle sera tenue d’avancer sur le fondement des articles L.452-1 à L.452-3 du code de la sécurité sociale au titre de la pathologie professionnelle hors tableau de Monsieur [L] [B],
condamné l’Agent Judiciaire de l’Etat aux entiers frais et dépens de la procédure,
condamné l’Agent Judiciaire de l’Etat à verser à Monsieur [L] [B] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
ordonné l’exécution provisoire de la décision.
Par déclaration déposée au greffe le 28 octobre 2022, l’AJE a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée par LRAR datée du 28 septembre 2022 dont l’accusé de réception ne figure pas au dossier de première instance.
Par conclusions datées du 3 septembre 2024, soutenues oralement à l’audience de plaidoirie par son conseil, l’Agent Judiciaire de l’Etat demande à la cour de :
A TITRE PRINCIPAL :
juger l’Agent Judiciaire de l’Etat recevable et bien fondé en son appel,
infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Metz en date du 23 septembre 2022 en ce qu’il a estimé que la faute inexcusable de l’ancien exploitant était établie,
Par conséquent, et statuant à nouveau :
juger que la preuve d’une faute inexcusable de l’ancien exploitant à l’égard de Monsieur [L] [B] n’est pas rapportée,
débouter Monsieur [L] [B] et l’Assurance Maladie des Mines de l’ensemble de leurs demandes formulées à l’encontre de l’Agent Judiciaire de l’Etat,
A TITRE SUBSIDIAIRE : si par extraordinaire la faute inexcusable venait à être retenue :
Sur les préjudices personnels de Monsieur [L] [B] :
infirmer le jugement en ce qu’il a fixé l’indemnisation des préjudices personnels de Monsieur [L] [B] à la somme de 34.800 euros,
confirmer le jugement entrepris le 23 septembre 2022 en ce qu’il a débouté Monsieur [L] [B] de ses demandes présentées au titre du préjudice esthétique,
En conséquence,
débouter purement et simplement Monsieur [L] [B] de ses demandes au titre des souffrances physiques et morales endurées ainsi qu’au titre du préjudice d’agrément et du préjudice esthétique,
plus subsidiairement encore, réduire à de plus justes proportions les demandes de Monsieur [L] [B],
EN TOUTE HYPOTHESE :
Sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile :
infirmer le jugement en ce qu’il a admis la demande présentée par Monsieur [L] [B],
déclarer infondée toute demande présentée par Monsieur [L] [B] sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
par conséquent, débouter Monsieur [L] [B] de toute demande présentée sur ce fondement, ou à tout le moins, réduire à la somme de 500 euros toute condamnation prononcée de ce chef,
Sur les éventuels dépens :
infirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné l’Agent Judiciaire de l’Etat aux dépens engagés à compter du 1er janvier 2019,
dire n’y avoir lieu à dépens de première instance et d’appel.
Par conclusions datées du 19 juillet 2024, soutenues oralement à l’audience de plaidoirie par son conseil, Monsieur [L] [B] demande à la cour de :
confirmer le jugement du 23 septembre 2022 rendu par le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz en ce qu’il a :
dit que la maladie professionnelle hors tableau déclarée par Monsieur [L] [B] est due à la faute inexcusable de son employeur, l’Agent Judiciaire de l’Etat, venant aux droits de l’établissement Charbonnages de France, anciennement Houillères du Bassin de Lorraine,
ordonné la majoration à son maximum de la rente allouée à Monsieur [L] [B] dans les conditions prévues à l’article L.452-2 alinéa 3 du code de la sécurité sociale,
dit que cette majoration suivra l’évolution de son taux d’incapacité permanente en cas d’aggravation de son état de santé et qu’en cas de décès résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant,
fixé la réparation du déficit fonctionnel temporaire à la somme de 1.800 euros,
y ajoutant : fixer l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent de Monsieur [L] [B] à la somme de 66.600 euros,
réformer le jugement du 23 septembre 2022 rendu par le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz pour le surplus, et, statuant de nouveau :
fixer la réparation des préjudices subis par Monsieur [L] [B] de la façon suivante :
en réparation du préjudice de la souffrance physique : 40.000 euros,
en réparation du préjudice de la souffrance morale : 100.000 euros,
en réparation du préjudice d’agrément : 20.000 euros,
en réparation du préjudice esthétique : 15.000 euros,
condamner l’Agent Judiciaire de l’Etat succombant à payer à Monsieur [L] [B], une somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance.
Par courrier daté du 16 septembre 2024, repris oralement lors de l’audience de plaidoirie par son représentant, la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, a informé la juridiction qu’elle ne déposera pas d’écritures et s’en remet à la cour quant à la reconnaissance de la faute inexcusable et aux montants susceptibles d’être alloués sur cette base, mais sollicite la condamnation de l’employeur au remboursement de l’intégralité des sommes qu’elle devra avancer dans l’hypothèse où la faute inexcusable serait reconnue.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.
SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L’EMPLOYEUR :
L’Agent Judiciaire de l’Etat sollicite l’infirmation du jugement entrepris. Il précise que ce n’est qu’en 2012 que le centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé le trichloréthylène comme cancérigène avéré et que les risques de cancer du rein en lien avec ce produit ne pouvaient être connus pendant la période d’exploitation des mines. Il rappelle que la maladie de Monsieur [L] [B] est hors tableau et que les tableaux n°3 et 12 ne peuvent faire présumer d’une connaissance des risques liés à l’utilisation de trichloréthylène dès lors que ces deux tableaux ne font pas référence à des carcinomes rénaux. L’AJE souligne que les CDF ont mis en place des dispositifs de prévention et protection des salariés, notamment en testant les produits avant leur utilisation, afin de les refuser s’ils présentaient un risque pour la santé des mineurs. Il déclare qu’il effectuait un suivi continu des produits employés afin de pouvoir, le cas échéant, les remplacer par des produits moins dangereux. L’AJE précise que les mineurs étaient informés par plusieurs moyens : représentants du personnel, réunions et formations, étiquetage des produits, mémentos et manuels. Il ajoute que l’exploitant minier a effectué de nombreux investissements pour améliorer l’aérage des lieux de travaux et mis en place de nombreuses protections individuelles, notamment des lunettes, des masques, des gants, ainsi que des combinaisons jetables.
L’AJE critique les témoignages au motif qu’il n’est pas possible d’établir un lien de travail direct entre les témoins et Monsieur [L] [B].
Monsieur [L] [B] fait valoir que, durant de nombreuses années, il a été exposé quotidiennement au trichloréthylène, aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), aux graisses et huiles dérivées de la houille, ainsi qu’aux poussières de silice cristalline et à l’amiante. Il indique que le CRRMP de [Localité 8] a retenu son exposition quotidienne au trichloréthylène, et que ses anciens collègues de travail attestent de son exposition au trichloréthylène, ainsi qu’aux huiles sales et bitumeuses. Il soutient que le tableau n°12 relatif aux « affections professionnelles provoquées par les dérivés halogènes des hydrocarbures aliphatiques » dont fait partie le trichloréthylène a été créé dès le 14 décembre 1938, et le tableau n°3 prévoyant dans les travaux susceptibles d’entraîner une « intoxication professionnelle par le tétrachloréthane » la « préparation, emploi, manipulation du tétrachloréthane ou des produits en renfermant, notamment : utilisation comme matière première dans l’industrie chimique, en particulier pour la fabrication du trichloréthylène ». Concernant les HAP, il indique que leur dangerosité a été découverte au début du siècle dernier et que le tableau n°16 a été créé par décret du 14 décembre 1938, puis complété par le tableau n°16bis avec le décret du 6 mai 1988. Monsieur [L] [B] souligne qu’il n’était pas informé des dangers relatifs aux substances manipulées et que l’employeur, malgré sa connaissance des risques, n’a pas mis en place de mesures de protection.
La Caisse s’en remet à la cour.
***********************
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l’entreprise.
Les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l’employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur.
Dans le cadre de son obligation générale de sécurité, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
La preuve de la faute inexcusable de l’employeur incombe à la victime. La faute inexcusable doit s’apprécier en fonction de la législation en vigueur et des connaissances scientifiques connues ou susceptibles de l’avoir été par l’employeur aux périodes d’exposition au risque du salarié.
Sur l’exposition au risque :
L’AJE ne conteste pas expressément l’exposition de Monsieur [L] [B] au trichloréthylène, indiquant prendre acte de l’avis rendu par le CRRMP, lequel a retenu l’existence d’un lien direct et essentiel entre le cancer du rein de Monsieur [L] [B] et son activité professionnelle.
Il est constant que Monsieur [L] [B] a travaillé pour le compte des CDF, anciennement HBL, du 22 décembre 1975 au 31 mars 2003, exclusivement au jour, aux postes suivants : électricien d’entretien, et électricien exploitation et entretien.
Monsieur [L] [B] produit les témoignages d’anciens collègues de travail afin de justifier de son exposition au trichloréthylène, ainsi qu’aux huiles minérales employées. L’AJE critique les attestations au motif qu’il n’est pas possible d’établir le lien de travail direct entre les témoins et Monsieur [L] [B], en l’absence de relevé de carrière. Il souligne que les témoignages de Messieurs [M] [K] et [Z] [A] sont similaires et ne peuvent dès lors être retenus.
A titre liminaire, la cour précise qu’elle ne retiendra pas la force probante des témoignages versés par Monsieur [L] [B] dans ses pièces générales alors que les témoins n’ont pas travaillé directement avec lui et ne peuvent dès lors décrire ses conditions de travail.
De même, comme relevé par les premiers juges, les attestations de Messieurs [M] [K] et [Z] [A] (pièces n°17 et 18) comportent des passages similaires qui ne permettent pas de retenir leur force probante.
La cour relève que les témoins allèguent avoir travaillé aux côtés de Monsieur [L] [B] :
Monsieur [W] [O] déclare qu’il a travaillé à l’unité de jour de [Localité 7] du 6 janvier 1981 au 1er novembre 2010, en travail de nuit et service continu (pièce n°14) ;
Monsieur [D] [H] précise qu’il a travaillé avec Monsieur [L] [B] alors que lui-même était délégué surface de juin 1988 à juin 1997 à l’unité d’exploitation jour de [Localité 7] (pièce n°15) ;
Monsieur [G] [J] indique qu’il a travaillé aux HBL du 8 décembre 1980 au 1er janvier 2011 à l’unité de [Localité 7] aux postes de nuit, ainsi qu’au service continu (pièce n°16) ;
Monsieur [P] [Y] relate qu’il a travaillé au service électrique jour de [Localité 7] avec Monsieur [L] [B] de 1975 à 1996 (pièce n°25) ;
Monsieur [R] [X] expose qu’il a travaillé en tant qu’électromécanicien au service électromécanique jour du siège de [Localité 7] et y a côtoyé Monsieur [L] [B] de 1975 à 2000 (pièce n°26) ;
Monsieur [S] [F] explique qu’il a travaillé à la maintenance électromécanique du siège de [Localité 7] avec Monsieur [L] [B] de 1975 à 1999 (pièce n°27).
Seuls les témoignages de Messieurs [W] [O] et [G] [J] seront écartés, ces derniers ne précisant pas la période commune d’activité dans leurs attestations respectives.
Les autres témoignages sont suffisamment précis afin d’établir que leurs auteurs ont bien travaillé aux côtés de Monsieur [L] [B].
Monsieur [D] [H] indique que Monsieur [L] [B] a « manipulé aussi des solvants et des dégraissants comme le trichloréthylène, mais a également été au contrat des huiles et graisses sales, ainsi que des huiles de transport contenant du pyralène ».
Monsieur [P] [Y] déclare que « comme tous les agents du service, Monsieur [L] [B] a travaillé pratiquement tous les jours avec du trichloréthylène. Ce produit miracle nous servait à tout moment pour dégraisser les pièces électromécaniques que nous devions entretenir et réparer ».
Monsieur [R] [X] expose qu’afin de nettoyer les parties électromécaniques sur lesquelles lui-même et Monsieur [L] [B] devaient travailler, ils utilisaient « de très grandes quantités de solvants, le matériel électronique n’aimant pas l’eau. Ces solvants ont été principalement des solvants chlorés et surtout du trichloréthylène ». Le témoin ajoute « nous nettoyions avec [L] [B] les pièces avec des pinceaux, des chiffons et de la putzwohl trempés dans du trichloréthylène. Pour les grosses pièces, comme les gros moteurs, nous avions fabriqué une lance qui projetait le trichlor à haute pression sur la pièce à nettoyer. C’est très efficace, mais les vapeurs du trichlor nous incommodaient ».
Monsieur [S] [F] confirme que Monsieur [L] [B] nettoyait les matériels électromécaniques avec des solvants, et notamment du trichloréthylène.
Les attestations susvisées sont suffisamment précises et circonstanciées pour que la cour retienne leur force probante, l’AJE n’apportant aucun élément permettant de contester leur bien-fondé, ou de remettre en cause la sincérité des auteurs et la réalité des tâches décrites par ces derniers.
Ainsi, c’est à juste titre que les premiers juges ont retenu que l’exposition au risque de Monsieur [L] [B] était établie.
Sur la conscience du danger par l’employeur :
S’agissant de la conscience du risque, c’est par des motifs pertinents que la cour adopte que le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz a retenu que l’employeur a eu ou aurait dû avoir conscience du danger auquel son salarié était exposé.
Il est ajouté qu’au regard de la création du tableau n°12, par un décret du 9 décembre 1938, l’exploitant minier devait, à minima, avoir conscience des dangers potentiels du trichloréthylène à compter de cette date, dès lors que ledit tableau indiquait, dès 1938, que la fabrication, l’emploi et la manipulation des dérivés chlorés de l’éthylène et des produits en renfermant était susceptible de provoquer des maladies.
De même, le fait que le tableau n°101 relatif aux « affections cancéreuses provoquées par le trichloréthylène » n’ait été créé que par le décret du 20 mai 2021 est sans emport, dès lors que les tableaux de maladies professionnelles ont pour objectif principal de faciliter la prise en charge par l’organisme de sécurité sociale de maladies au titre de la législation sur les risques professionnels, dès lors que les critères posés par le tableau sont remplis.
De même, dès le 14 décembre 1938, la création du tableau n°16 consacrait le classement des braies, goudrons et huile de houille parmi les matières susceptibles de provoquer des maladies. Par la suite un tableau n°16bis propre aux affections cancéreuses provoquées notamment par les goudrons, huiles et braies de houille, a été créé par décret du 6 mai 1988.
De plus, la réglementation en matière de protection des salariés exposés aux gaz, vapeurs et poussières remonte à la fin du XIXème siècle avec la loi du 12 juin 1893 qui oblige les établissements industriels à être tenus dans un état constant de propreté et présenter des conditions d’hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel. Le décret du 10 juillet 1913 a ainsi posé la règle selon laquelle les poussières et les gaz incommodes, insalubres ou toxiques doivent être évacués en dehors des locaux de travail au fur et à mesure de leur production, de sorte que l’air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans un état de propreté nécessaire à la santé des travailleurs.
Ainsi, au vu de ce qui vient d’être développé et compte tenu des emplois exercés par Monsieur [L] [B] dans les chantiers du jour des mines, il en résulte que les HBL puis les Charbonnages de France ne pouvaient ignorer le risque encouru par l’intéressé.
Sur les mesures prises par l’employeur pour préserver le salarié :
Les témoins relatent tous qu’ils n’avaient reçu aucune information quant aux dangers inhérents à l’inhalation et la manipulation de certains produits chimiques, dont fait partie le trichloréthylène.
Monsieur [P] [Y] souligne que Monsieur [L] [B] a été victime d’un accident du travail en 1992 en raison des vapeurs de trichlor, mais qu’aucune mesure n’a été prise suite à cet incident, le salarié, ainsi que ses collègues de travail continuant d’utiliser le trichloréthylène comme dégraissant et solvant.
Monsieur [R] [X] indique qu’ils étaient incommodés par les vapeurs de trichloréthylène et qu’ils devaient arrêter de temps en temps et sortir du local car ils devenaient « euphoriques ». Le témoin déclare « durant toute ma carrière aux HBL, je n’ai jamais entendu parler de mesures de valeurs de trichloréthylène dans les lieux, ateliers, et installations où [L] [B] et moi-même avons travaillé » et qu’ils n’ont « jamais bénéficié de protection contre ce risque, comme par exemple, des gants et des protections respiratoires adaptées ».
Monsieur [S] [F] précise que « le local où était l’engin à nettoyer était rempli de vapeurs de trichlor » et que, n’ayant pas été informés du risque lié au trichloréthylène, ils se versaient « du trichlor sur de [‘] pour se nettoyer les mains et les avants bras avant le casse-croûte et à la fin du poste ».
Ainsi, les témoignages confirment l’absence d’information délivrée par l’employeur sur les dangers liés à l’utilisation des produits contenant notamment du trichloréthylène, et font état de l’absence de mesures mises en ‘uvre pour les préserver contre ce risque, notamment quant au défaut de fourniture de masques et gants, ainsi que l’absence d’aération suffisante des locaux. De même, il est constant que les salariés ne pouvaient efficacement se protéger d’un danger dont il ignorait l’existence.
En outre, l’exploitant ne peut, sans contradiction, prétendre avoir pris les mesures pour protéger efficacement les salariés d’un risque qu’il soutient avoir ignoré.
Les documents produits par l’exploitant ne sont pas de nature à contrecarrer les témoignages fournis par la victime et à démontrer qu’elle a bénéficié de protections efficaces.
Enfin, quant aux dispositifs de prévention médicale mis en avant par l’AJE, il apparaît nécessaire de rappeler que si ces dispositifs permettaient de détecter une éventuelle pathologie et d’en éviter potentiellement l’aggravation, ils n’avaient aucunement pour vocation de prévenir l’apparition des maladies. En outre, il n’est pas établi que Monsieur [L] [B] en aurait personnellement bénéficié.
En l’état de l’ensemble de ces constatations, il doit donc être retenu que les Charbonnages de France, qui avaient conscience du danger auquel Monsieur [L] [B] était exposé, n’ont pas pris les mesures de protection individuelle nécessaires pour l’en préserver et ont ainsi commis une faute inexcusable à son égard.
Il s’ensuit que la maladie professionnelle hors tableau dont est atteint Monsieur [L] [B] doit être déclarée due à la faute inexcusable de Charbonnages de France, le jugement du 23 septembre 2022 étant donc confirmé.
SUR LES CONSEQUENCES FINANCIERES DE LA FAUTE INEXCUSABLE :
Sur la majoration de la rente
Aux termes de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur, la victime a le droit à une indemnisation complémentaire.
Aux termes de l’article L.452-2, alinéas 1, 3 et 6, du code de la sécurité sociale, « dans le cas mentionné à l’article précédent [faute inexcusable de l’employeur], la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre. [‘] Lorsqu’une rente a été attribuée à la victime, le montant de la majoration est fixé de telle sorte que la rente majorée allouée à la victime ne puisse excéder, soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire dans le cas d’incapacité totale. [‘] La majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l’employeur dans des conditions déterminées par décret ».
Il est constant que la Caisse a notifié à Monsieur [L] [B], le 14 octobre 2016, un taux d’incapacité permanente partielle de 30%, avec attribution d’une rente annuelle de 7.023,96 euros à la date du 7 mai 2014 (lendemain de la date de consolidation).
Aucune discussion n’existe à hauteur de cour concernant la majoration au maximum de la rente versée à Monsieur [L] [B], par conséquent ladite rente sera majorée au maximum conformément aux conditions définies par l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale, étant admis que cette majoration suivra l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle résultant d’une aggravation de l’état de santé de Monsieur [L] [B], et que le principe de la majoration restera acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant en cas de décès de l’assuré consécutivement à la maladie professionnelle dont il souffrait.
Cette majoration sera versée par la Caisse directement à Monsieur [L] [B].
Le jugement querellé est confirmé.
Sur les préjudices personnels de Monsieur [L] [B]
Il résulte de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale qu’« indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. […] La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur ».
Les dispositions de cet article, telles qu’interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2010-8 QPC du 18 juin 2010, ne font pas obstacle à ce qu’en cas de faute inexcusable de l’employeur et indépendamment de la majoration de rente servie à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, celle-ci puisse demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation non seulement des chefs de préjudice énumérés par le texte susvisé, mais aussi de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.
Sur le déficit fonctionnel partiel
Il est de jurisprudence constante que le poste de préjudice de déficit fonctionnel temporaire répare la perte de qualité de vie de la victime des joies usuelles de la vie courante pendant la maladie traumatique, en l’espèce du 3 août 2015, date de la première constatation médicale de la maladie jusqu’à la date de consolidation, le 7 novembre 2016, au lendemain de laquelle, il s’est vu allouer une rente. Ce préjudice n’est pas couvert par le livre IV du code de la sécurité sociale et doit donc être indemnisé.
Le déficit fonctionnel temporaire correspond à l’indemnisation d’un préjudice précis et ne peut être fixé forfaitairement.
En l’espèce, il convient de confirmer le raisonnement des premiers juges, lesquels ont validé le calcul opéré par Monsieur [L] [B] et relevé que la période traumatique avait duré plus de deux mois, ce dernier ayant été hospitalisé et subi plusieurs interventions, dont une néphrectomie ayant nécessité une seconde hospitalisation de six jours. Le déficit fonctionnel temporaire subi par Monsieur [L] [B] a été justement indemnisé à hauteur de 1.800 euros.
Sur les souffrances physiques et morales
Monsieur [L] [B] sollicite l’infirmation du jugement entrepris et demande l’indemnisation de ses préjudices comme suit : 100.000 euros au titre du préjudice moral, et 40.000 euros pour ses souffrances physiques.
L’AJE sollicite le rejet des demandes présentées par Monsieur [L] [B] en indiquant que ce dernier ne peut se prévaloir de l’existence de préjudices, physique et moral, antérieurs à la date de consolidation, dans la mesure où cette dernière coïncide avec la date du premier certificat médical, ceci d’autant qu’il ne produit aucun élément pour en justifier. L’AJE ajoute qu’il appartient à la victime qui se prévaut de souffrances physiques et morales postérieures à la date de consolidation d’en justifier.
Il demande, à titre plus subsidiaire, de réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires présentées par Monsieur [L] [B].
La Caisse s’en rapporte à la cour.
*******************
Comme indiqué, il résulte de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale que se trouvent indemnisées à ce titre l’ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l’accident ou l’événement qui lui est assimilé.
En considération du caractère forfaitaire de la rente au regard de son mode de calcul tenant compte du salaire de référence et du taux d’incapacité permanente défini à l’article L.434-2 du code de la sécurité sociale, la Cour de cassation juge désormais, par un revirement de jurisprudence, que la rente versée par la caisse à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Cour de cassation, Assemblée plénière 20 janvier 2023, pourvoi n°21-23947). En conséquence, les souffrances physiques et morales de la victime peuvent être indemnisées.
Dès lors Monsieur [L] [B] est recevable en sa demande d’indemnisation des souffrances physiques et morales subies sous réserve qu’elles soient caractérisées.
S’agissant des souffrances physiques subies, Monsieur [L] [B] ne produit pas de nouveaux éléments médicaux en cause d’appel, se contentant de verser aux débats les pièces médicales déjà produites en première instance et antérieurement à la date de consolidation (pièces n°2 et 3). Rien ne permet de remettre en cause l’appréciation des premiers juges, et de justifier de l’existence de souffrances physiques imputables à la maladie professionnelle postérieures à la consolidation, de sorte que le jugement entrepris est confirmé en ce qu’il a indemnisé les souffrances physiques de Monsieur [L] [B] à hauteur de 12.000 euros, ayant relevé que le salarié avait subi des interventions chirurgicales pendant la période traumatique.
S’agissant du préjudice moral, Monsieur [L] [B] était âgé de 57 lorsqu’il a appris qu’il était atteint d’un cancer du rein. L’anxiété indissociablement liée au fait de se savoir atteint d’un cancer, pathologie emprunte d’un risque de récidive et engageant le pronostic vital du patient, a été justement indemnisé par les premiers juges par l’allocation de la somme de 20.000 euros de dommages-intérêts, eu égard à l’existence d’une maladie professionnelle cancéreuse, à la nature de la pathologie en cause et à l’âge de Monsieur [L] [B] au moment de son diagnostic.
Sur le déficit fonctionnel permanent
Selon le rapport Dintilhac, le déficit fonctionnel permanent a vocation à indemniser « la réduction définitive du potentiel physique, psycho sensoriel, ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable donc appréciable par un examen clinique approprié complété par l’étude des examens complémentaires produits, à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l’atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours ».
Le taux d’incapacité permanente partielle fixé par la Caisse est quant à lui déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime, et d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle.
Par ailleurs, comme indiqué, la Cour de cassation retient désormais que la rente versée par la Caisse à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle indemnise les postes de perte de gains professionnels et d’incidence professionnelle, mais ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Cour de cassation, Assemblée plénière 20 janvier 2023, pourvoi n°21-23947).
Ainsi, le taux du déficit fonctionnel permanent est distinct du taux d’incapacité permanente déterminé par la Caisse, puisque ce dernier n’a vocation qu’à permettre de définir les droits de la victime aux prestations légales prévues par la législation professionnelle.
En l’espèce, il est relevé qu’aucune expertise judiciaire n’est sollicitée par les parties afin de déterminer le taux du déficit fonctionnel permanent de Monsieur [L] [B].
Monsieur [L] [B] sollicite l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent du défunt en prenant le taux d’incapacité permanente partielle fixé par la Caisse comme base de calcul.
Cependant, les éléments produits par Monsieur [L] [B], à qui il incombe de justifier du bien-fondé de sa demande, ne sont pas suffisants pour permettre à la cour de déterminer le déficit fonctionnel permanent.
Il n’est pas davantage possible de retenir le taux d’incapacité permanente partielle de 30% auquel l’intimé se réfère, ce dernier ne produisant aucun élément médical postérieur à la date de consolidation, et les témoignages des proches n’étant pas suffisamment détaillés pour permettre de déterminer le taux du déficit fonctionnel permanent.
En conséquence, Monsieur [L] [B] sera débouté de sa demande formée à ce titre.
Sur le préjudice d’agrément
L’indemnisation de ce poste de préjudice suppose qu’il soit justifié de la pratique régulière par la victime, antérieurement à sa maladie professionnelle, d’une activité spécifique sportive ou de loisir qu’il lui est désormais impossible de pratiquer.
En l’espèce, Monsieur [L] [B] sollicite l’indemnisation de son préjudice d’agrément à hauteur de 20.000 euros.
L’AJE s’oppose à l’indemnisation du préjudice d’agrément en indiquant que Monsieur [L] [B] ne produit pas d’éléments susceptibles de justifier d’un tel préjudice, notamment quant à la régularité de la pratique d’une activité spécifique de loisir.
La Caisse s’en rapporte à la sagesse de la cour.
********
En l’espèce, comme relevé par les premiers juges, les témoignages démontrent que suite à la découverte de sa pathologie, Monsieur [L] [B] a cessé de se rendre à son club de pétanque. Le préjudice d’agrément est dès lors établi et a été justement indemnisé par l’allocation d’un montant de 1.000 euros.
Sur le préjudice esthétique
Les éléments médicaux ne permettent pas de confirmer l’existence d’une cicatrice sur le corps de Monsieur [L] [B] suite aux interventions chirurgicales subies.
Ainsi, Monsieur [L] [B] est débouté de sa demande d’indemnisation du préjudice esthétique.
SUR L’ACTION RECURSOIRE DE LA CAISSE :
Aux termes de l’article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale, applicable aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur introduites devant les Tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013, il apparaît « quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L.452-1 à L.452-3 du même code ».
En outre, les articles L.452-2, alinéa 6, et D.452-1 du code de la sécurité sociale, applicables aux décisions juridictionnelles relatives aux majorations de rentes et d’indemnités en capital rendues après le 1er avril 2013, prévoient en outre que le capital représentatif des dépenses engagées par la Caisse au titre de la majoration est, en cas de faute inexcusable, récupéré dans les mêmes conditions et en même temps que les sommes allouées au titre de la réparation des préjudices mentionnés à l’article L.452-3.
Aucune discussion n’existant à hauteur d’appel sur ce point, la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, est fondée à exercer son action récursoire à l’encontre de l’AJE.
Par conséquent, l’AJE doit être condamné à rembourser à la CPAM de Moselle, les sommes qu’elle sera tenue d’avancer au titre de la majoration de la rente, ainsi que des préjudices extrapatrimoniaux subis par Monsieur [L] [B].
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES :
L’issue du litige conduit la cour à confirmer les dispositions du jugement entrepris ayant condamné l’AJE à verser à Monsieur [L] [B] une somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de l’instance.
Le jugement est uniquement infirmé en ce qu’il convient de préciser que les dépens de première instance concernent ceux engagés à compter du 1er janvier 2019.
L’AJE sera condamné à verser 2.500 euros à Monsieur [L] [B] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de l’instance d’appel.
La cour,
INFIRME le jugement entrepris du 23 septembre 2022 du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz, sauf en ce qu’il a :
condamné l’Agent Judiciaire de l’Etat aux entiers frais et dépens de la procédure,
Statuant à nouveau sur le point infirmé, et y ajoutant,
DEBOUTE Monsieur [L] [B] de sa demande d’indemnisation du déficit fonctionnel permanent,
CONDAMNE l’AJE à verser à Monsieur [L] [B] la somme de 2.500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE l’AJE aux dépens de première instance engagés à compter du 1er janvier 2019.
La Greffière Le Président
Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?