Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Nancy
Thématique : Refus de prise en charge des soins à l’étranger pour non-respect des procédures d’autorisation
→ RésuméContexte médical et décèsLe 29 juillet 2022, un patient a été diagnostiqué avec un lymphome lymphoblastique avec métastases à l’âge de 34 ans. Malheureusement, il est décédé le 10 juin 2023. Demande de soins à l’étrangerLe 21 décembre 2022, en raison de ses convictions religieuses, le patient a demandé au Centre national de soins à l’étranger (CNSE) de la CPAM du Morbihan une autorisation préalable pour des soins en Belgique, souhaitant éviter toute transfusion sanguine. Sa demande a été envoyée le 22 décembre 2022 et reçue le 26 décembre 2022. Refus de prise en chargeLe 28 décembre 2022, le CNSE a refusé la demande, arguant que celle-ci ne respectait pas la procédure d’autorisation préalable, car les soins avaient déjà été réalisés, et qu’un traitement équivalent était disponible en France. Recours administratifLe 23 février 2023, le patient a contesté cette décision devant la commission de recours amiable de la CPAM des Vosges, qui a accusé réception de son recours le 6 mars 2023. Le 5 juillet 2023, la conjointe du patient, agissant pour elle-même et pour leurs enfants mineurs, a également contesté la décision implicite de rejet de la commission. Jugement du tribunalLe 13 décembre 2023, le tribunal a ordonné la jonction des procédures et a confirmé le refus de prise en charge des soins à l’étranger. La conjointe a été déboutée de toutes ses demandes et condamnée aux dépens. Appel de la décisionLe 15 janvier 2024, la conjointe a interjeté appel de ce jugement, demandant à la cour d’infirmer la décision de refus de prise en charge des soins en Belgique, en soutenant que la demande était bien préalable aux soins. Arguments de la conjointeDans ses conclusions, la conjointe a fait valoir que le litige ne portait que sur l’existence d’un traitement équivalent en France et que la demande d’autorisation avait été faite dans les délais requis. Elle a également souligné que les dispositions du droit européen interdisent la discrimination fondée sur la religion. Arguments de la CPAMLa CPAM des Vosges a demandé à la cour de débouter la conjointe de son recours, affirmant que le litige portait sur le non-respect du caractère préalable de la demande d’autorisation. Elle a soutenu qu’il existait des traitements identiques en France et que le refus de prise en charge était justifié pour des motifs médicaux. Décision de la courLa cour a confirmé le jugement du tribunal, statuant que la demande d’autorisation n’avait pas été faite dans les délais requis et que la CPAM avait agi correctement en refusant la prise en charge. La conjointe a été condamnée aux dépens d’appel. |
ARRÊT N° /2025
SS
DU 12 MARS 2025
N° RG 24/00098 – N° Portalis DBVR-V-B7I-FJRN
Pole social du TJ d’EPINAL
23/157
13 décembre 2023
COUR D’APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE
SECTION 1
APPELANTE :
Madame [B] [J] épouse [N] agissant tant en son nom propre qu’au nom de ses deux enfants mineurs, [S], [E], [R] [N] et [Z], [K] [N],
[Adresse 1]
[Localité 4]
Assistée de Me Jaël NGOS, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
CPAM DES VOSGES prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Madame [T] [G], régulièrement munie d’un pouvoir de représentation
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des parties
Président : M. LIZET
Siégeant en conseiller rapporteur
Greffier : Madame REVEILLARD (lors des débats)
Lors du délibéré,
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue en audience publique du 04 Décembre 2024 tenue par M. LIZET, magistrat chargé d’instruire l’affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Corinne BOUC, présidente, Jérôme LIZET, président assesseur et Dominique BRUNEAU, conseiller, dans leur délibéré pour l’arrêt être rendu le 12 Février 2025 ; puis à cette date le délibéré a été prorogé au 12 Mars 2025 ;
Le 12 Mars 2025, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :
Faits, procédure, prétentions et moyens
Monsieur [U] [N], s’est vu diagnostiqué le 29 juillet 2022 un lymphome lymphoblastique avec métastases, à l’âge de 34 ans.
Il est décédé le 10 juin 2023.
Le 21 décembre 2022, Monsieur [N], en considération de ses convictions religieuses de témoin de Jeovah, et refusant dès lors tout protocole de soins impliquant une transfusion sanguine, a sollicité du Centre national de soins à l’étranger (CNSE) ‘ CPAM du Morbihan une autorisation préalable de soins dispensés en Belgique devant débuter à compter du jour même.
Ce courrier, expédié le 22 décembre 2022, a été reçu le 26 décembre 2022.
Par décision du 28 décembre 2022, le CNSE – CPAM du Morbihan a refusé de faire droit à sa demande aux motifs d’une part que sa demande ne respectait pas la procédure d’autorisation préalable, les soins ayant déjà été effectués, d’autre part que les conditions de prise en charge n’étant pas réunies, un traitement identique ou présentant le même degré d’efficacité étant disponible en France.
Le 23 février 2023, M. [U] [N] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable de la CPAM des Vosges, qui en a accusé réception le 6 mars 2023.
Le 5 juillet 2023, Mme [B] [N], agissant en son nom et pour le compte de ses deux enfants mineurs, [S] et [Z] [N], a contesté la décision implicite de rejet de ladite commission par la voix amiable.
Entretemps, par décision du 3 juillet 2023, la commission de recours amiable de la caisse a rejeté sa demande en relevant que la demande, portant sur des soins finalement réalisés du 19 au 23 janvier 2023, ont été refusés dès lors qu’un traitement identique ou présentant le même degré d’efficacité existait en France.
Le 8 septembre 2023, Mme [B] [N] a contesté cette décision devant le pôle social du tribunal judiciaire d’Epinal.
Par jugement du 13 décembre 2023, le tribunal a :
– ordonné la jonction des procédures RG 23/157 et 23/213 sous le numéro unique RG 23/157,
– reçu Mme [B] [J] épouse [N], agissant en son nom propre et au nom de ses deux enfants mineurs [S] et [Z] [N] en son recours,
– confirmé la décision de refus de prise en charge des soins à l’étranger de M. [U] [N]
– débouté Mme [B] [J] épouse [N], agissant en son nom propre et au nom de ses deux enfants mineurs [S] et [Z] [N] de toutes ses demandes,
– condamné Mme [B] [J] épouse [N] aux entiers dépens de l’instance.
Par acte du 15 janvier 2024, Mme [B] [N] a interjeté appel de ce jugement.
Suivant ses conclusions n° 2 reçues au greffe par voie électronique le 3 décembre 2024, Mme [B] [N] demande à la cour de :
– la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
Y faisant droit,
– infirmer le jugement dont appel sur les chefs du dispositif critiqué,
Statuant à nouveau,
– infirmer ensemble :
– la décision implicite de refus de prise en charge des soins programmés en Belgique de M. [U] [N] pour le traitement du cancer dont il était atteint, née du silence gardé pendant deux mois à compter de la réception, par la commission de recours amiable de la caisse primaire d’assurance maladie des Vosges, le 6 mars 2023 de son recours contre la décision de refus de prise en charge du 28 décembre 2022,
– la décision explicite de refus de la commission de recours amiable de la caisse primaire d’assurance maladie des Vosges en date du 3 juillet 2023 uniquement en ce qu’elle s’est retranchée derrière l’avis du service du contrôle médical de la caisse pour rejeter la demande de prise en charge des soins de santé de M. [U] [N] en Belgique,
– confirmer la décision de la commission de recours amiable de la Caisse primaire d’assurance maladie des Vosges, uniquement en ce qu’elle a reconnu que la demande de prise en charge de ses soins de santé en Belgique faite par M. [U] [N] le 21 décembre 2022 était bien préalable aux soins débutés le 19 janvier 2023,
– juger que la caisse primaire d’assurance maladie des Vosges n’a pas qualité pour contester ou remettre en cause la décision prise le 3 juillet 2023 par un de ses organes, en l’occurrence la commission de recours amiable, à l’égard de l’assuré social qu’est M. [U] [N],
– juger que la demande de prise en charge de ses soins de santé en Belgique effectuée le 21 décembre 2022 par M. [U] [N] est bien préalable à la date de début de ses soins et remplit par conséquent les conditions fixées par l’article R. 160-2-1 du Code de la sécurité sociale,
– juger que l’autorisation de prise en charge des frais exposés par M. [N] pour les soins réalisés en Belgique à compter du 19 janvier 2023 ne pouvait être refusée par la Caisse primaire d’assurance maladie des Vosges car un traitement identique ou présentant le même degré d’efficacité n’a pu être obtenu en France dans un délai acceptable sur le plan médical, compte tenu de son état de santé et de l’évolution probable de son affection tel qu’exigé par l’article R. 160-2-11 du Code de la sécurité sociale,
– juger que la prise en charge du coût de ses soins de santé en Belgique doit être effectuée par la caisse primaire d’assurance maladie des Vosges sur la base de la tarification qui n’entraînera aucun surcoût pour le système de sécurité sociale français,
– condamner la caisse primaire d’assurance maladie des Vosges à procéder au remboursement de tous les frais exposés par M. [U] [N] pour le traitement du cancer dont il était atteint à l’établissement [5], [Adresse 6], [Localité 8], Belgique, sur la base du tarif d’un protocole équivalent sans transfusion dans l’état membre de résidence, la France en l’espèce,
– condamner la caisse primaire d’assurance maladie des Vosges aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Elle fait valoir les moyens suivants :
Le litige tel que délimité par la décision de la CRA de la CPAM des Vosges, ne porte que sur l’existence d’un traitement équivalent en France, la question du caractère non préalable de la demande d’autorisation n’ayant pas été retenue au constat que les soins en litige ont été réalisés du 19 au 23 janvier 2023 ; qu’en conséquence le tribunal a mal apprécié en droit et en fait le litige en reprochant à la demanderesse le caractère non préalable de la demande et en retenant son abstention à formuler une autre demande quand le report des soins a été ordonné ;
Les dispositions de l’article R 160-2 du code de la sécurité sociale sont seules applicables au litige et étaient ici remplies, dès lors que le traitement sans transfusions sanguines, recherché sans succès sur le territoire français, ne s’est avéré possible qu’en Belgique à l’hôpital de [Localité 8], et que l’efficacité thérapeutique doit intégrer la notion de l’adhésion thérapeutique du malade incluant ses convictions religieuses profondes ;
Les dispositions du droit européen et l’interdiction de la discrimination fondée sur la religion conduisent à légitimer la demande dès lors que selon la jurisprudence de la CJUE seuls les critères d’équilibre financier du système de sécurité sociale et de maintien d’une capacité de soins de santé ou d’une compétence médicale dans l’Etat de résidence du patient peuvent justifier un refus, ce qui n’est pas caractérisé au cas d’espèces, et alors que la prise en charge financière n’excède pas le coût du traitement réalisé en France ;
Les articles 8,9 et 14 de la convention européenne des droits de l’homme répriment les discriminations religieuses directes et indirectes
Suivant conclusions n° 2 reçues au greffe le 2 septembre 2024, la caisse demande à la cour de :
A titre principal :
– débouter Mme [B] [N] de son recours et de ses demandes,
– confirmer le jugement rendu le 13 décembre 2023 par le pôle social du tribunal judiciaire d’Epinal en toutes ses dispositions,
– confirmer la décision de refus de prise en charge de soins programmés prise le 28 décembre 2022 par le Centre National de Soins à l’Etranger,
– condamner Mme [B] [N] aux dépens,
A titre subsidiaire :
– en cas de condamnation de la caisse primaire d’assurance maladie des Vosges à prendre en charge les soins dispensés à M. [N] en Belgique, ordonner que le calcul du montant remboursable soit effectué par l’organisme social sur la base de ce que prévoit la réglementation française.
La caisse fait valoir que le litige porte sur la décision initiale incluant le critère du non-respect du caractère préalable de la demande et de l’autorisation de la caisse.
Elle revendique l’existence en France de traitements identiques ou équivalents, refusés pour motifs personnels et alors que la CJUE estime comme une réponse proportionnée le refus basé sur des motifs purement médicaux, sans possibilité de déroger pour des considérations religieuses.
Pour l’exposé des moyens des parties, il convient de faire référence aux conclusions sus mentionnées soutenues à l’audience du 4 décembre 2024 par les parties représentées.
L’affaire a été mise en délibéré au 12 février 2025, prorogé au 12 mars 2025 en considération de la charge de travail du service.
PAR CES MOTIFS
La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
CONFIRME le jugement du 13 décembre 2023 du tribunal judiciaire d’EPINAL en toutes ses dispositions;
Y ajoutant,
CONDAMNE madame [B] [N], agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de ses enfants mineurs [S] et [Z] [N], aux dépens d’appel ;
Ainsi prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Madame Corinne BOUC, Présidente de Chambre, et par Madame Laurene RIVORY, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE
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