Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Responsabilité bancaire et négligence dans l’encaissement de chèques frauduleux
→ RésuméContexte de l’affaireDans cette affaire, un styliste indépendant, désigné comme un créateur, a ouvert un compte bancaire auprès d’une banque, la Société générale. Le 29 septembre 2020, il a reçu une commande d’un client, un acheteur, pour un montant de 620 euros, et a demandé un acompte de 120 euros. Événements déclencheursL’acheteur a ensuite affirmé avoir versé par erreur 3 120 euros au créateur, au lieu des 120 euros demandés. Suite à cela, l’acheteur a demandé la restitution du trop-perçu. Le créateur, ayant constaté le montant crédité sur son compte, a effectué un virement de 3 000 euros le 8 octobre 2020. Cependant, la somme créditée provenait d’un chèque déposé par un tiers, qui a été rejeté par la banque le 9 octobre 2020. Actions entreprises par le créateurLe créateur a demandé à la Société générale le retour des fonds et a déposé une plainte pour escroquerie. La banque a refusé d’indemniser le créateur, arguant qu’elle n’était pas responsable de l’incident. Le 25 mai 2021, le créateur a mis en demeure la banque de réparer le préjudice subi, s’élevant à 5 620 euros, et a assigné la Société générale devant le tribunal de commerce de Paris le 23 novembre 2021. Décision du tribunal de commerceLe tribunal de commerce de Paris a rendu un jugement le 15 décembre 2022, déboutant le créateur de toutes ses demandes et le condamnant à verser 2 000 euros à la banque au titre des frais de justice. Le créateur a interjeté appel de ce jugement le 13 janvier 2023. Arguments du créateur en appelDans ses conclusions, le créateur a demandé à la cour d’infirmer le jugement, en soutenant que la Société générale avait commis des fautes dans le traitement du chèque, notamment en ne vérifiant pas la régularité de l’endos et en ne mettant pas en garde le créateur sur les risques liés à l’encaissement du chèque. Réponse de la Société généraleLa Société générale a contesté les accusations, affirmant qu’aucune faute ne pouvait lui être reprochée, car la fraude n’avait pas été prouvée et que le créateur n’avait pas démontré d’anomalie sur le chèque. Elle a également soutenu que le préjudice était dû au virement effectué par le créateur lui-même. Préjudices allégués par le créateurLe créateur a fait valoir avoir subi plusieurs préjudices, dont un préjudice financier de 3 000 euros, des dommages et intérêts pour le temps passé sur le dossier, ainsi qu’un préjudice moral. Il a également soutenu que la banque avait fait preuve de mauvaise foi en refusant de communiquer des documents relatifs au chèque. Décision de la cour d’appelLa cour d’appel a infirmé le jugement initial, condamnant la Société générale à verser 1 500 euros de dommages et intérêts au créateur pour son préjudice financier, tout en déboutant le créateur du surplus de ses demandes. La banque a également été condamnée à payer 3 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens de l’instance. |
RÉPUBLIQUE FRAN’AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN’AIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 6
ARRÊT DU 12 MARS 2025
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/01838 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHAHY
Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Décembre 2022 – tribunal de commerce de Paris 6ème chambre- RG n° 2021057378
APPELANT
Monsieur [Y] [N], entrepreneur individuel répertorié sous le numéro SIREN [Numéro identifiant 6] ayant son siège [Adresse 3]
né le [Date naissance 1] 1994 à [Localité 8] (Etats-Unis)
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Guillaume DAUCHEL de la SELARL CABINET SEVELLEC DAUCHEL, avocat au barreau de Paris, toque : W09
INTIMÉE
S.A. SOCIETE GENERALE
[Adresse 2]
[Localité 5]
N°SIREN : 552 120 222
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié es qualité audit siège
Représentée par Me Caroline MEUNIER, avocat au barreau de Paris, toque : K0126
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 13 Janvier 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Vincent BRAUD, président de chambre chargé du rapport
M. Marc BAILLY, président de chambre
Mme Laurence CHAINTRON, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Vincent BRAUD, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * **
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
[Y] [N], styliste indépendant, dispose d’un compte bancaire auprès de la Société générale.
Le 29 septembre 2020, il a reçu une commande d’un certain [M] [V] pour un montant de 620 euros et a demandé de recevoir 120 euros à titre d’acompte. Il a communiqué à cette occasion son relevé d’identité bancaire, pour qu'[M] [V] vire les fonds.
[M] [V] a, par la suite, indiqué à [Y] [N] lui avoir versé par erreur 3 120 euros et non pas les 120 euros demandés. II a donc demandé la restitution du trop-versé. [Y] [N] ayant vu apparaître sur son compte les 3 120 euros s’est exécuté, en ordonnant un virement de 3 000 euros le 8 octobre 2020. En fait, la somme créditée sur le compte de [Y] [N] ne provenait pas d’un virement, tel qu’annoncé, mais d’un chèque déposé par un tiers, tiré sur la Banque populaire Rives de [Localité 7], qui s’est trouve rejeté le 9 octobre 2020.
[Y] [N] a demandé à la Société générale le retour des fonds et a déposé plainte contre personne non dénommée pour escroquerie le 9 octobre 2020. La Société générale a refusé d’indemniser [Y] [N], estimant qu’elle n’était pas responsable de l’incident intervenu.
Le 25 mai 2021, [Y] [N], par l’intermédiaire de son conseil, a mis en demeure la Société générale de réparer le préjudice subi, soit 5 620 euros compte tenu des frais exposés.
Par exploit en date du 23 novembre 2021, [Y] [N] a assigné la Société générale devant le tribunal de commerce de Paris.
Par jugement contradictoire en date du 15 décembre 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
‘ Débouté [Y] [N] de toutes ses demandes ;
‘ Condamné [Y] [N] à verser à la Société générale 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ Condamné [Y] [N] aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 70,86 euros dont 11,60 euros de taxe sur la valeur ajoutée.
Par déclaration du 13 janvier 2023, [Y] [N] a interjeté appel du jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 22 février 2023, [Y] [N] demande à la cour de :
– Infirmer le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
– Juger que la SOCIETE GENERALE a commis des fautes, manquements et négligences (absence de contrôle de la régularité de l’endos, absence de procédure de contrôle du dépositaire du chèque, défaillance dans les précautions à prendre lors de l’encaissement du chèque, négligence fautive et absence de mise en garde de la Banque, octroi d’un crédit non sollicité et sans convention),
– Juger que les fautes et manquements de la Banque SOCIETE GENERALE ont permis la fraude puisque ces manquements sont la cause exclusive du dommage,
– Juger que la responsabilité de la Banque SOCIETE GENERALE est donc engagée et qu’elle doit réparation intégrale des dommages occasionnés,
– Condamner, en conséquence, la Banque SOCIETE GENERALE à réparer les préjudices subis par Monsieur [Y] [N] à savoir ;
– la somme de 3 000 EUR, correspondant au virement effectué,
– la somme de 1 500 EUR à titre de dommages et intérêts pour temps passé,
– la somme de 1 500 EUR au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
– la somme de 1 500 EUR au titre de dommages et intérêts pour violation du principe de bonne foi (article 1104 du Code Civil, ancien article 1134),
– Condamner la Banque SOCIETE GENERALE au paiement de la somme de 3 000 EUR pour les frais irrépétibles sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– Condamner la Banque SOCIETE GENERALE aux entiers frais et dépens de l’instance.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 19 mai 2023, la société anonyme Société générale demande à la cour de :
‘ CONFIRMER le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Par conséquent,
‘ DEBOUTER Monsieur [N] de ses demandes formées contre SOCIETE GENERALE,
‘ CONDAMNER Monsieur [N] à verser à SOCIETE GENERALE la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
‘ CONDAMNER Monsieur [N] aux entiers dépens de l’instance.
Pour l’essentiel, les parties développent les moyens et arguments suivants.
Sur les fautes reprochées à la Société générale :
[Y] [N] fait valoir que la Société générale a commis une faute en ne procédant pas aux vérifications préalables à l’encaissement du chèque. En effet, il soutient que la banque ne s’est assurée ni de l’existence de la provision du chèque avant de le créditer sur le compte de son client, ni de l’identité de la personne à l’origine de la remise du chèque. Il lui reproche également de ne pas avoir contrôlé l’endos du chèque litigieux, alors que celui-ci était frauduleux ou non endossé, faute de porter sa signature, et était de plus non accompagné d’un bordereau, ce qui constitue des anomalies apparentes.
Par ailleurs, il soutient que la Société générale a manqué aux obligations lui incombant en tant que dépositaire. Tout d’abord, elle n’a pas mis en place un système de sécurité permettant de contrôler l’identité des dépositaires de chèques, similaire à ceux adoptés par d’autres établissements bancaires. Ensuite, elle n’a pas averti son client qu’un chèque dont l’endos était irrégulier et sans bordereau avait été déposé sur son compte, de sorte qu’elle a manqué à son obligation de mise en garde et de vigilance. Enfin, en créditant le chèque sur le compte de [Y] [N] sans vérifier qu’il était provisionné, elle a octroyé à son client un prêt non sollicité.
La Société générale fait valoir qu’aucune faute ne peut lui être reprochée, dans la mesure où d’une part, la fraude alléguée n’a pas été démontrée puisqu’aucune infraction pénale n’a été établie, et d’autre part, [Y] [N] n’a pas apporté la preuve d’une quelconque anomalie figurant sur le chèque.
La Société générale soutient également ne pas avoir commis de faute en créditant le montant du chèque avant de l’avoir encaissé auprès du tiré, puis en ayant contrepassé l’écriture lorsqu’il avait été rejeté, cette pratique étant admise par les tribunaux. De plus, elle souligne que le préjudice allégué par [Y] [N] découle du virement qu’il a lui-même ordonné et non de l’encaissement et de la contrepassation du chèque.
Par ailleurs, en exécutant le virement sans délai, elle dit s’être conformée aux instructions de son client et avoir rempli ses obligations, car l’opération avait été ordonnée régulièrement par [Y] [N] et son compte présentait un solde suffisant, de sorte que celle-ci ne pouvait pas être contestée.
Sur la négligence reprochée à [Y] [N] :
[Y] [N] fait valoir que son défaut de vigilance est dû au fait que la banque n’a pas procédé aux vérifications lui incombant et ne l’a pas informé du caractère irrégulier du chèque. Il soutient en effet qu’une alerte de la banque, due en raison du caractère apparent des anomalies qu’il présentait, lui aurait permis d’attendre l’expiration du délai légal pour s’assurer de la réalité de la provision du chèque, avant de procéder au virement.
La Société générale fait valoir que [Y] [N] a manqué de vigilance en réalisant le virement litigieux. Âgé de 26 ans au moment des faits, il était en mesure d’appréhender les risques que présente une transaction réalisée sur Internet avec un inconnu.
De plus, l’opération présentait des anomalies qui auraient dû l’alerter. Il s’agissait du fait que le devis et le compte bénéficiaire du virement étaient adressés à une société radiée du registre du commerce et des sociétés depuis plusieurs années, que la somme demandée était particulièrement importante, et qu’elle apparaissait au crédit du compte de [Y] [N] comme étant issue d’une remise de chèque et non d’un virement, information dont il avait connaissance car elle apparaissait sur l’espace en ligne à partir duquel il avait ordonné le virement litigieux.
Enfin, la Société générale soutient que [Y] [N] avait accepté le risque que présentait la transaction, en choisissant de ne pas utiliser la plateforme en ligne qui l’avait mis en relation avec [M] [V]. Il s’était ainsi privé de sa protection, malgré la mise en garde adressée par celle-ci.
Sur les préjudices allégués par [Y] [N] :
[Y] [N] fait valoir que les opérations litigieuses lui ont causé plusieurs préjudices.
Tout d’abord, [Y] [N] soutient qu’il a subi un préjudice s’élevant à 3 000 euros, correspondant au virement effectué en remboursement du trop-perçu. Ensuite, il dit avoir droit à une indemnité de 1 500 euros pour la désorganisation causée à son entreprise et le temps passé sur ce dossier. Il fait valoir que ces préjudices sont la conséquence du seul manque de vigilance de la banque et que même en considérant qu’il avait été négligent, celle-ci ne pouvait pas être exonérée de son obligation de réparer les conséquences de sa faute. En effet, en constatant que son compte avait été crédité, [Y] [N] soutient qu’il pouvait légitimement croire que la banque avait rempli ses propres obligations, de sorte que les manquements de celle-ci étaient la cause exclusive de ces préjudices.
De plus, il indique avoir subi un préjudice moral, car la perte occasionnée par le virement était intervenue dans un contexte défavorable pour ses affaires, en raison de la crise de covid 19. Il demande de ce fait une indemnisation de 1 500 euros. Enfin, il soutient que la banque a fait preuve de mauvaise foi en refusant de communiquer la copie du verso du chèque, ce qui empêche l’examen de la pièce litigieuse et lui permet de se dédouaner de sa responsabilité. Cela lui cause un préjudice, pour la réparation duquel il demande le versement d’une indemnité de 1 500 euros.
La Société générale fait valoir que [Y] [N] n’apporte la preuve d’aucun de ces préjudices, ceux-ci n’étant justifiés ni dans leur principe, ni dans leur quantum.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 26 novembre 2024 et l’audience fixée au 13 janvier 2025.
CELA EXPOSÉ,
Sur la responsabilité de la banque :
PAR CES MOTIFS,
INFIRME le jugement ;
Statuant à nouveau,
CONDAMNE la Société générale à payer à [Y] [N] la somme de 1 500 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier ;
DÉBOUTE [Y] [N] du surplus de ses demandes indemnitaires ;
CONDAMNE la Société générale à payer à [Y] [N] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la Société générale aux entiers dépens ;
REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire.
* * * * *
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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