Cour d’appel de Paris, 12 mars 2025, RG n° 23/01841
Cour d’appel de Paris, 12 mars 2025, RG n° 23/01841

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Paris

Thématique : Responsabilité bancaire et manquement à l’obligation de vigilance dans des opérations inhabituelles

Résumé

Contexte de l’affaire

Dans cette affaire, un acheteur a intenté une action en justice contre une banque, suite à des virements qu’il a ordonnés vers des comptes étrangers, pensant investir dans des projets immobiliers. Ces virements, d’un montant total de 200 000 euros, ont été réalisés à la suite d’une escroquerie orchestrée par un site en ligne. L’acheteur a dénoncé cette escroquerie dans une plainte pénale et a demandé réparation à la banque, qui a été déboutée en première instance.

Appel de l’acheteur

L’acheteur a interjeté appel du jugement, soutenant que la banque avait manqué à son obligation de vigilance. Il a fait valoir que la plateforme en ligne avait été désactivée avant le dernier virement et que la banque était au courant des escroqueries similaires. Il a également affirmé que les montants et la fréquence des virements étaient inhabituels et que la banque aurait dû l’alerter sur ces anomalies.

Arguments de la banque

La banque a contesté les prétentions de l’acheteur, arguant qu’il était un investisseur averti et qu’il avait réalisé les virements de son plein gré. Elle a soutenu qu’aucune anomalie n’était apparente dans les ordres de virement et qu’elle n’avait pas d’obligation de s’immiscer dans les décisions d’investissement de son client. La banque a également demandé la confirmation du jugement initial et le remboursement de ses frais.

Analyse des virements

Les virements effectués par l’acheteur ont été examinés. Il a été établi que les ordres de virement avaient été exécutés conformément à sa demande, sans que la banque ne puisse être tenue responsable d’une mauvaise exécution. Cependant, les montants des virements étaient nettement plus élevés que ceux habituellement traités par l’acheteur, ce qui aurait dû alerter la banque sur la nécessité de vérifier les circonstances de ces opérations.

Obligation de vigilance de la banque

La cour a souligné que la banque avait une obligation de vigilance envers son client, surtout lorsque des opérations inhabituelles sont détectées. Bien que la banque ait des obligations de non-ingérence, elle doit également s’assurer que les opérations ne présentent pas de risques pour le client. Dans ce cas, la banque n’a pas justifié avoir satisfait à cette obligation pour les deux premiers virements.

Décision de la cour

La cour a finalement infirmé le jugement initial, reconnaissant que la banque avait manqué à son obligation de vigilance. Elle a condamné la banque à verser des dommages-intérêts à l’acheteur, évaluant la perte de chance de ce dernier à 40 % des sommes perdues. La banque a été condamnée à payer 77 600 euros à l’acheteur, ainsi qu’une somme supplémentaire pour les frais de justice.

RÉPUBLIQUE FRAN’AISE

AU NOM DU PEUPLE FRAN’AIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 6

ARRÊT DU 12 MARS 2025

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/01841 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHAH6

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Décembre 2022 – tribunal judiciaire de Paris 9ème chambre 3ème section – RG n° 21/05972

APPELANT

Monsieur [S] [I]

né le [Date naissance 2] 1948 à [Localité 7] (Maroc)

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Gaël COLLIN de la SELARL COLMAN AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : C907, avocat plaidant

INTIMÉE

S.A. BNP PARIBAS

[Adresse 1]

[Localité 4]

N° SIREN : 662 042 449

agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Eric ALLERIT de la SELEURL TBA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0241

Ayant pour avocat plaidant Me Dominique PENIN de MORGAN LEWIS & BOCKIUS UK LLP, avocat au barreau de Paris, toque : J11, substitué à l’audience par Me Virginia BARAT de MORGAN LEWIS & BOCKIUS UK LLP, avocat au barreau de Paris, toque : J11

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 13 Janvier 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Vincent BRAUD, président de chambre

M. Marc BAILLY, président de chambre

Mme Laurence CHAINTRON, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par M. Marc BAILLY dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Vincent BRAUD, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 16 décembre 2022 qui, à la suite de l’assignation délivrée le 27 avril 2021 par M. [S] [I] à la société Bnp Paribas au moyen de laquelle il recherche sa responsabilité à raison de trois virements d’un montant total de 200 000 euros qu’il a ordonnés les 9 et 17 septembre et 20 octobre 2020 vers des comptes dans des banques allemande, portugaise et espagnole à l’instigation d’un site en ligne nommé Pantheraeurope au terme d’une opération qui s’est avérée être une escroquerie qu’il a dénoncée dans une plainte pénale, complétée d’une constitution de partie civile, l’a débouté de ses demandes et condamné à payer à la banque la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Vu l’appel interjeté par M. [S] [I] par déclaration au greffe en date du 13 janvier 2023 ;

Vu les dernières conclusions en date du 7 avril 2023 de M. [S] [I] qui fait valoir :

– que la plate forme en ligne Pantheraeuropa a été désactivée et est inscrite sur la liste noire de l’AMF depuis le 9 octobre 2020, avant le dernier des virements litigieux,

– que la banque connaissait le mode opératoire des escroqueries financières de ce type sur lesquels alertent depuis 2015 les autorités que sont l’APCR et aussi l’AMF mais encore le parquet de Paris,

– que s’il ne remet pas en cause la validité des ordres de virements qu’il a donnés, il n’en reste pas moins que la banque a manqué à son obligation de vigilance lui imposant de déceler les anomalies intellectuelles dans le fonctionnement du compte que sont les montants très inhabituels des virements, leur fréquence et leurs destinations à l’étranger,

– que lorsque le banquier décèle des opérations autorisées mais inhabituelles par rapport au comportement normal de son client, son devoir de vigilance se matérialise par une alerte adressée à son client sur le caractère anormal du fonctionnement de son compte bancaire comme il est au demeurant stipulé dans le contrat liant les parties, que cette alerte ne peut s’apparenter au devoir de mise en garde et de conseil, ce qui est précisé dans l’exemplaire de la convention de compte de la Bnp Paribas elle-même datée du mois d’avril 2020,

– que sa perte de chance ne saurait être inférieure à 75% des sommes investies et perdues, de sorte qu’il demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et de :

‘- CONDAMNER la BNP Paribas au paiement de dommages et intérêts d’un montant de 150.000 euros au bénéfice de Monsieur [S] [I] en réparation de son préjudice financier ;

– CONDAMNER la BNP Paribas à 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’à tous les dépens de la présente instance ainsi que de la première instance’.

Vu les dernières conclusions de la société Bnp Paribas du 5 juillet 2023 qui poursuit la confirmation du jugement, le débouté des prétentions adverses et l’obtention d’une somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles en exposant :

– que M. [I], avant sa retraite, était averti puisqu’il était directeur d’une fondation de maisons de résidence seniors et avait répondu dans son questionnaire être familier des supports d’investissements sur les actions internationales y compris des pays émergents, les produits de défiscalisation, à haut rendement y compris ceux ‘sans protection du capital’,

– que rien n’objective dans ses pièces qu’il aurait été victime d’une escroquerie au marché du Forex ou aux options binaires, le seul courriel provenant du prétendu escroc étant relatif à un investissement immobilier, ce qui rend inopérantes les considérations de M. [I] sur des escroqueries de ce type et les alertes afférentes des autorités,

– qu’il a réalisé ces virements seul, de son plein gré en se rendant en l’agence et en affirmant qu’il s’agissait de placements immobiliers, et ce, en remettant même des copies de factures d’achat de parts de SCPI à la demande de la banque, de sorte qu’il lui était impossible de connaître le but réel des opérations,

– à titre principal, que les virements litigieux ont été réalisés et confirmés par M. [I], sans que Bnp Paribas ne prenne la moindre part à ces prétendus investissements, et que ces ordres autorisés ne présentaient aucune anomalie apparente qui aurait pu attirer l’attention d’un banquier normalement vigilant, que, tenue par son obligation de non-immixtion, elle ne saurait se voir reprocher la moindre faute, à la différence de l’appelant qui a de toute évidence commis une série de négligences graves et fautives en se laissant duper par des stratagèmes grossiers qu’une personne normalement attentive aurait détectés et qu’il était seul à pouvoir déceler,

– à titre subsidiaire, que M. [I] ne justifie nullement ni du caractère certain et actuel, ni du quantum du préjudice qu’il invoque, ni de son lien de causalité avec une prétendue faute de la banque.

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 26 novembre 2024 ;

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que la société Bnp Paribas a manqué à son obligation conventionnelle de vigilance relativement aux virements litigieux ;

En conséquence, CONDAMNE la société Bnp Paribas à payer à M. [S] [I] la somme de 77 600 euros de dommages-intérêts ;

CONDAMNE la société Bnp Paribas à payer à M. [S] [I] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Bnp Paribas aux entiers dépens.

* * * * *

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


Votre avis sur ce point juridique ? Une actualité ? Une recommandation ?

Merci pour votre retour ! Partagez votre point de vue, une info ou une ressource utile.

Chat Icon