Tribunal de commerce de Grenoble, 1 avril 2025, RG n° 2024J00252
Tribunal de commerce de Grenoble, 1 avril 2025, RG n° 2024J00252

Type de juridiction : Tribunal de commerce

Juridiction : Tribunal de commerce de Grenoble

Thématique : Responsabilité du dirigeant pour insuffisance d’actif suite à une gestion fautive.

Résumé

La société [K] [G], spécialisée dans la boulangerie, a été mise en liquidation judiciaire le 29 décembre 2023, après une procédure de redressement judiciaire ouverte le 19 juillet 2023. La gérante de la société, une dirigeante, a été assignée par le liquidateur judiciaire pour répondre de fautes de gestion ayant conduit à une insuffisance d’actif de 88 597€. Le liquidateur a soutenu que la dirigeante avait organisé la résiliation du bail commercial quelques jours avant l’ouverture de la procédure, privant ainsi la société de son actif principal.

La dirigeante a contesté les accusations, affirmant qu’elle n’avait pas agi de manière fautive et que la résiliation du bail était une mesure économique visant à réduire le passif. Elle a également soutenu que la résiliation n’excluait pas la possibilité de signer un nouveau bail avec un repreneur. En réponse, le liquidateur a mis en avant que la résiliation avait été cachée aux organes de la procédure, ce qui avait compromis le plan de cession.

Le tribunal a jugé que l’action en comblement du passif était recevable, confirmant l’existence d’une insuffisance d’actif et une faute de gestion de la part de la dirigeante. Il a été établi que la résiliation du bail, effectuée sans en informer les organes de la procédure, avait contribué à l’aggravation de la situation financière de la société. En conséquence, la dirigeante a été condamnée à verser 10 000€ pour le comblement partiel de l’insuffisance d’actif et 2 000€ au titre des frais de justice. Les dépens ont également été mis à sa charge.

TRIBUNAL DE COMMERCE DE GRENOBLE

01/04/2025

JUGEMENT DU PREMIER AVRIL DEUX MILLE VINGT-CINQ

Le tribunal a été saisi de la présente affaire par assignation en date du 28 juin 2024.

La cause a été entendue à l’audience du 03 février 2025 à laquelle siégeait : – Madame Catherine ROZAND, Présidente,assistée de : – Madame Vanessa LESNIEWSKI, commis-greffier,En présence de : – Monsieur Guillaume GEORGES, Premier substitut.

La Présidente a fait rapport à Madame Brigitte SIVERA, Juge, à Monsieur Olivier FAVELIN, Juge,

après quoi les Président et juges en ont délibéré pour rendre ce jour la présente décision dont les parties ont été avisées de la date du prononcé par sa mise à disposition au Greffe.

Rôle n° 2024J252

ENTRE

– Me [X] [W] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [K] [G]

[Adresse 8][Localité 3]DEMANDEUR – représenté(e) parMe LAURENT Philippe, Avocat,[Adresse 4] [Localité 1]

ET

– Mme [T] [E] épouse [G]

[Adresse 10] [Localité 2] – représenté(e) par Me Emmanuelle MANZONI, Avocat [Adresse 7] [Localité 1] Me Natalia SKLENARIKOVA, Avocate [Adresse 6] [Localité 9]

Rappel des faits et la procédure :

Immatriculée à effet du 12 mai 1992, la SARL [K] [G], détenue égalitairement par les époux [K] et [T] [G], exploitait un fonds de commerce de boulangerie, pâtisserie confiserie.

L’exploitation de ce fonds de commerce se déroulait dans le cadre d’un bail commercial qui avait été consenti à la société [K] [G] par une SCI dénommée la DUCHESSE ANNE et MCR IMMO détenue par [K] et [T] [G], dont le gérant était M. [K] [G]

Sur déclaration de sauvegarde, régularisée le 10 juillet 2023, sous la signature de Mme [T] [G], gérante de droit, le tribunal de commerce de Grenoble a, par jugement du 19 juillet 2023, constatant son état de cessation des paiements, ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la SARL [K] [G] et a fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 19 juillet 2023.

La SELARL AJ [I] ET ASSOCIES a été désignée aux fonctions d’administrateur judiciaire et Me [X] [W] à celle de mandataire judiciaire.

La procédure s’est orientée vers un plan de cession, qui n’aboutira pas.

Le 29 décembre 2023, le tribunal de commerce de Grenoble prononce la liquidation judiciaire de la société [K] [G], dont Mme [T] [G] est la gérante, désigne Maître [X] [W] en qualité de liquidateur judiciaire.

Le 28 juin 2024, Maître [X] [W], mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur judiciaire de la société [K] [G], fait assigner Mme [T] [E] épouse [G] devant le tribunal de commerce de Grenoble, afin d’être entendu sur les motifs tendant à faire prononcer à son égard une condamnation au titre de comblement partiel de l’insuffisance d’actifs à hauteur de 88 597€.

Dans son assignation, et conclusions déposées à l’audience, Me [X] [W], en qualité de liquidateur de la société [K] [G], demande au tribunal de :

Vu les dispositions de l’article L.651-2 du code de commerce,

Vu les pièces versées aux débats,

Constater que Mme [G] a commis de graves fautes de gestion.

Constater que cette faute a eu pour conséquence de priver les créanciers du prix de vente du fonds de commerce de l’entreprise constituant leur gage.

Condamner Mme [T] [G] à payer entre les mains de Me [W], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [K] [G], une somme de 88 597€, correspondant à l’insuffisance d’actifs déplorée.

Condamner Mme [T] [G] à payer à Me [W], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [K] [G] une somme de 5 000€ sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La condamner aux entiers dépens de l’instance.

Par conclusions en réponse n°2 déposées à l’audience, Mme [T] [G] demande au tribunal de :

Vu les dispositions de l’article L651-2 et suivants du code de commerce,

Constater que la faute de Mme [G] n’est pas démontrée, que la concluante n’a pas commis de faute.

Constater que la loi du 9 décembre 2016 exonère en toute hypothèse la concluante.

Constater que la concluante n’avait aucun intérêt personnel à la situation, ni à sa pérennisation.

Débouter Me [X] [W], ès qualités de liquidateur de la société [K] [G] de l’ensemble de ses demandes et prétentions.

Condamner Me [W], ès qualités de liquidateur de la société [K] [G] au paiement à Mme [T] [G] d’une somme de 5 000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamner Me [W], ès qualités de liquidateur de la société [K] [G] aux entiers dépens.

A l’audience du 3 février 2025, les parties ont déposé leurs entiers dossiers et elles ne s’opposent pas, conformément à l’article 869 du code de procédure civile, à ce que la décision soit rendue après instruction du juge chargé d’instruire l’affaire, qui en rend compte au tribunal dans son délibéré.

Moyens des parties :

Me [X] [W], en qualité de liquidateur de la SARL [K] [G], soutient sa demande de comblement de passif sur la base des dispositions de l’article L651-2 du code de commerce, reprochant à Mme [T] [G], dirigeante de la société [K] [G] :

D’avoir organiser la résiliation du bail commercial, quelques jours avant l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, privant ainsi l’actif de la liquidation judiciaire du prix de vente du fonds de commerce.

Malgré de nombreuses relances, le bail commercial n’a jamais été transmis à Me [W].

La dirigeante a estimé elle-même la valeur du fonds de commerce à 150 000€.

Par l’effet de la résiliation du bail, sans aucune contrepartie, ce qui s’explique par un actionnariat commun entre le preneur et le bailleur, la société débitrice s’est trouvée privée de son droit au bail, et a perdu son fonds de commerce.

Mme [G] n’a communiqué l’acte intitulé « résiliation du bail commercial », daté du 5 juin 2023, qu’au moment de la décision de céder le fonds de commerce aux enchères, dans le cadre de la liquidation judiciaire

Dans le cours du redressement judiciaire, et en vue de l’audience de cession du 18 décembre 2023, Mme [G] a pourtant déclaré les dettes de loyers à l’administrateur judiciaire, pour les périodes de juillet à décembre 2023 alors que le bail avait été résilié.

Si la cession avait abouti, la SCI DUCHESSE, créancier privilégié au regard des dispositions de l’article L622- 17 du code de commerce, aurait récupéré les loyers postérieurs pour un montant de 12 465€.

La faute reprochée à Mme [T] [G], ne peut être considérée comme étant une simple négligence, et est directement causale de l’insuffisance d’actif.

Mme [T] [G] soutient que :

Elle n’a pas agi de façon fautive ou déloyale et elle n’a trouvé aucun intérêt personnel.

La résiliation anticipée du bail, daté du 5 juin 2023, à effet au 6 juillet 2023, était une mesure temporaire et économique, qui a permis de réduire le passif de sommes correspondantes aux loyers de juillet à décembre 2023 soit 18 400€.

A la date de résiliation du bail, le montant des loyers impayés s’élevait à 32 200€.

Juridiquement et économiquement, la résiliation du bail n’exclut pas la signature d’un nouveau bail commercial entre le bailleur et un repreneur potentiel.

Le bailleur n’a jamais exprimé une opposition à la signature d’un nouveau bail.

La résiliation du bail commercial avant le dépôt de la demande de sauvegarde doit être interprété comme une intention de restructuration.

Mme [G] a fait part de sa volonté de céder le fonds de commerce, dans le cadre du plan de cession.

Aucune offre, autre que les offres reçues dans le cadre du plan de cession, valorisée à 10 000€ et à 35 000€, n’a été apportée par le demandeur, ce qui vide de son essence toute spéculation sur le bénéfice financier purement hypothétique d’une cession de fonds de commerce dans le cadre de la liquidation judiciaire

Son action relève, au pire d’une négligence et non d’une faute de gestion délibérée.

Dans son rapport écrit, le juge commissaire s’est déclaré favorable à la sanction envisagée.

Le ministère public s’en rapporte à la décision du tribunal.

PAR CES MOTIFS :

LE TRIBUNAL STATUANT EN CONFORMEMENT A LA LOI PAR UN JUGEMENT CONTRADICTOIRE RENDU EN PREMIER RESSORT :

JUGE que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif est recevable.

JUGE que Mme [T] [E] épouse [G] a commis de faute causale à l’insuffisance d’actif.

CONDAMNE Mme [T] [E] épouse [G] à payer à Me [X] [W] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [K] [G], la somme de 10 000€ au titre du comblement partiel de l’insuffisance d’actif de la société [K] [G].

CONDAMNE Mme [T] [E] épouse [G] à payer à Me [X] [W] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [K] [G], la somme de 2 000€ au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE Mme [T] [E] épouse [G] aux dépens.

LIQUIDE les dépens à la somme indiquée au bas de la 1ère page de la présente décision conformément aux dispositions de l’article 701 du code de procédure civile.

Ainsi jugé et prononcé

Le Président Catherine ROZAND

Le Greffier Vanessa LESNIEWSKI

 


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