Tribunal judiciaire de Paris, 5 avril 2018
Tribunal judiciaire de Paris, 5 avril 2018

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris

Thématique : Preuve de la contrefaçon : le rôle des stagiaires en cabinet

Résumé

Dans le cadre de la preuve de contrefaçon, une stagiaire en cabinet d’avocats peut légalement commander des produits présumés contrefaisants et faire constater ces achats par un huissier. Ce dernier doit se limiter à vérifier les faits sans émettre d’avis sur les conséquences juridiques. La validité des procès-verbaux de constat d’huissier ne peut être contestée que pour des vices de forme ou des irrégularités de fond, et non sur la base du droit à un procès équitable. Ainsi, l’absence d’indépendance de la stagiaire n’affecte pas la loyauté de la preuve, tant qu’aucun stratagème déloyal n’est établi.

Pour établir des faits de contrefaçon, une stagiaire en cabinet d’avocats peut commander les produits supposés contrefaisants (y compris commander par email) et faire constater ces opérations d’achat par un huissier.  Le procédé est légal dès lors que l’huissier se borne à constater, sur la messagerie personnelle de la stagiaire, deux commandes effectuées par elle par emails.  

Nullité des procès-verbaux de constats d’huissier

Une société poursuivie pour contrefaçon ne peut demander la nullité des procès-verbaux de constats d’huissier que sur le fondement de la nullité des actes de procédure pour vice de forme prévue par les articles 112 et suivants du Code de procédure civile ou celui de la nullité des actes de procédure pour irrégularité de fond régie par les articles 117 et suivants dudit Code. La critique peut, par exemple, porter sur une irrégularité formelle affectant les procès-verbaux, ou un défaut de capacité ou de pouvoir d’une personne figurant au procès.

Question du droit au procès équitable

Une demande de nullité de procès-verbaux n’est pas admissible si elle se fonde sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le droit à un procès équitable. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme (SCHENK c. SUISSE, 12 juillet 1988), a rappelé que, si la Convention européenne des droits de l’homme garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui dès lors relève au premier chef du droit interne.

Missions et pouvoirs des huissiers

Aux termes de l’article 1er de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, les huissiers de justice peuvent, commis par justice ou à la requête de particuliers, effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Sauf en matière pénale où elles ont valeur de simples renseignements, ces constatations font foi jusqu’à preuve contraire.

En l’espèce, l’huissier de justice ayant procédé aux constats a été saisi par une stagiaire avocat au cabinet conseil du demandeur, laquelle a procédé à l’achat et à la réception des parfums qualifiés de contrefaisants.

Or, la seule circonstance que la personne assistant l’huissier de justice ait la qualité d’avocat stagiaire du conseil de la demanderesse est sans incidence sur la validité de l’administration de la preuve, dès lors qu’hors la preuve d’un stratagème déloyal de nature à influer sur ses opérations, l’huissier de justice a pu constater lui-même tous les faits qu’il relate dans ses procès-verbaux de constats.

L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 25 janvier 2017 aux termes duquel la Cour de cassation a retenu que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme exigeant que la personne qui assiste l’huissier instrumentaire lors de l’établissement d’un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante, a statué dans un cas où la personne assistant l’huissier de justice a pénétré seule dans deux magasins avant d’en ressortir avec des produits supposés contrefaisants, ce qui impliquait que l’huissier de justice n’avait pas assisté à la vente qu’il relatait dans son constat. A la différence de la précédente affaire soumise à la censure de la Cour de cassation, la stagiaire n’a, à aucun moment, effectué des opérations matérielles qui n’ont pu être vérifiées par l’huissier de justice, qui a pu ainsi s’assurer de l’absence de tout stratagème de sa part, de sorte que l’absence d’indépendance de la personne assistant l’huissier, à la supposer établie s’agissant d’une stagiaire et non d’un salarié du cabinet d’avocat ou de la société requérante, est sans incidence sur la loyauté de la preuve obtenue.

En l’occurrence, aucun stratagème déloyal n’a été retenu. L’huissier de justice a relevé les réponses qui lui ont été faites par e-mails à partir de l’adresse sollicitant des informations complémentaires pour la vente et le paiement, constaté les règlements effectués par chèque par la stagiaire et la livraison de flacons de parfums. Aussi, l’huissier de justice ayant personnellement constaté les faits relatés dans ses procès-verbaux de constats, hors de tout stratagème déloyal, il n’existait aucun motif légitime justifiant de les écarter des débats.

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