Tribunal judiciaire de Nîmes, 20 janvier 2025, RG n° 22/04899
Tribunal judiciaire de Nîmes, 20 janvier 2025, RG n° 22/04899

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Nîmes

Thématique : Responsabilité et garanties en matière de location d’équipement : enjeux et interprétations contractuelles

Résumé

Contexte de l’affaire

La SARL Equip plus, spécialisée dans la location de machines pour la construction, était assurée par la SA Albingia entre le 1er août 2008 et le 1er janvier 2020. Le 8 octobre 2019, elle a loué une pelleteuse à la SARL Etap [R] [X], qui a subi un accident le 11 octobre 2019, entraînant des dommages importants.

Déroulement de l’accident

L’accident s’est produit dans le bassin des Onglous, où la SARL Etap [R] [X] travaillait en tant que sous-traitante pour la SAS Alliance Environnement Exploitation. La SARL Etap [R] [X] a informé la SARL Equip plus du sinistre le 21 octobre 2019. Une expertise amiable a été ordonnée, mais n’a pas abouti, conduisant à une expertise judiciaire ordonnée par le juge des référés en avril 2021.

Demandes de la SARL Equip plus

Dans ses conclusions, la SARL Equip plus a demandé au tribunal de condamner la SA Albingia à lui verser 142.000 euros, tout en sollicitant une indemnisation de 131.131 euros pour la perte de la pelleteuse et 5.000 euros pour préjudice moral. Elle a soutenu que la clause d’exclusion de la SA Albingia ne s’appliquait pas, arguant que la pelleteuse ne travaillait pas sur l’eau au moment de l’accident.

Réponse de la SA Albingia

La SA Albingia a demandé le rejet des demandes de la SARL Equip plus, affirmant que cette dernière n’était pas propriétaire de la pelleteuse en raison d’un contrat de crédit-bail. Elle a également invoqué l’exclusion de garantie, soutenant que la pelleteuse était en train de travailler sur l’eau au moment de l’accident.

Position de la SARL Etap [R] [X]

La SARL Etap [R] [X] a demandé le rejet des demandes de la SARL Equip plus et a soutenu que la pelleteuse s’était enlisée dans un sol mouvant, ce qui ne relevait pas de l’exclusion de garantie. Elle a également affirmé qu’aucune faute n’avait été commise et que l’accident était dû à des circonstances imprévues.

Arguments de la SAS Alliance Environnement Exploitation

La SAS Alliance Environnement Exploitation a demandé le rejet des demandes à son encontre, arguant qu’aucun manquement ne pouvait lui être reproché et que les circonstances de l’enlisement n’avaient pas été vérifiées. Elle a également souligné que la SARL Etap [R] [X] avait tardé à informer la SARL Equip plus.

Conclusion du tribunal

Le tribunal a statué en faveur de la SARL Equip plus, condamnant la SARL Etap [R] [X] à lui verser 131.131 euros pour la perte de la pelleteuse. Les autres demandes ont été rejetées, et la SARL Etap [R] [X] a été condamnée à payer les dépens et des frais irrépétibles aux autres parties.

Copie ❑ exécutoire
❑ certifiée conforme
délivrée le
à
la SELARL CHABANNES-RECHE-BANULS
Me Marjorie ESTRADE
Me Jean-baptiste ITIER
la SCP LOBIER & ASSOCIES
la SCP REY GALTIER

TRIBUNAL JUDICIAIRE Par mise à disposition au greffe
DE NIMES
Le 20 Janvier 2025
1ère Chambre Civile
————-
N° RG 22/04899 – N° Portalis DBX2-W-B7G-JV5J

JUGEMENT

Le Tribunal judiciaire de NIMES, 1ère Chambre Civile, a, dans l’affaire opposant :

S.A.R.L. EQUIP PLUS,
immatriculée au RCS de Nîmes sous le numéro 499 493 690, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, dont le siège social est sis [Adresse 6]

représentée par Me Jean-baptiste ITIER, avocat au barreau d’AVIGNON, avocat plaidant,

à :

S.A. ALBINGIA,
immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro 429 369 309, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège (assureur de la société EQUIP PLUS – police n° MA 11 0655), dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par la SELARL CHABANNES-RECHE-BANULS, avocats au barreau de NIMES, avocats postulant et par Maître Delphine ABERLEN, Avocat au Barreau de PARIS, avocat plaidant

S.A.R.L. ETAP [R] [X]
Inscrite au RCS de Nîmes sous le n° 803 901 453, dont le siège social est sis [Adresse 4]

représentée par Me Marjorie ESTRADE, SELARL ESTRADE OLLIER avocat au barreau de NIMES, avocat plaidant,

Compagnie d’assurance GROUPAMA MEDITERRANEE,
immatriculée au RCS d’Aix-en-Provence sous le numéro 379 834 906, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège (assureur de la société ETAP [R] [X]), dont le siège social est sis [Adresse 3]

représentée par la SCP LOBIER & ASSOCIES, avocats au barreau de NIMES, avocats plaidant,

S.A.S. ALLIANCE ENVIRONNEMENT EXPLOITATION, dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par la SCP REY GALTIER, avocats au barreau de NIMES, avocats postulant, et par la SCP DE ANGELIS & ASSOCIES, Avocat au barreau de Marseille, avocat plaidant.

Rendu publiquement, le jugement contradictoire suivant, statuant en premier ressort après que la cause a été débattue en audience publique le 18 Novembre 2024 devant Nina MILESI, Vice-Présidente, Antoine GIUNTINI, Vice-président, et Margaret BOUTHIER-PERRIER, magistrat à titre temporaire, assistés de Aurélie VIALLE, greffière, et qu’il en a été délibéré entre les magistrats.

EXPOSE DU LITIGE

La SARL Equip plus est spécialisée dans la location de machines et équipements pour la construction et la réalisation de travaux, notamment des travaux publics.

Elle était assurée auprès de la SA Albingia entre le 1er aout 2008 et le 1er janvier 2020.

Le 8 octobre 2019, elle a loué à la SARL Etap [R] [X] une machine de type pelleteuse de marque Kobelco Ed-160 BR. Cette société est assurée auprès de la compagnie Groupama Méditerranée.

Le 11 octobre 2019, un accident est survenu et la pelleteuse a été gravement endommagée.

Cet accident a eu lieu dans le bassin des Onglous à [Localité 5] où la SARL Etap [R] [X] intervenait en qualité de sous-traitante de la SAS Alliance Environnement Exploitation.

La SARL Etap [R] [X] a informé la SARL Equip plus le 21 octobre 2019 de la survenue du sinistre.

Une expertise amiable a été ordonnée mais n’a pas abouti.

Par ordonnance du 14 avril 2021, le juge des référés près le tribunal judiciaire de Nîmes a ordonné une expertise et l’a confiée à M. [T], lequel a rendu son rapport définitif le 30 juin 2022.

Par actes de commissaire de justice délivrés les 13, 17, 19 et 24 octobre 2022, la SARL Equip plus a fait assigner la SARL Etap [R] [X], la SA Albingia, la compagnie Groupama Méditerranée et la SAS Alliance Environnement Exploitation devant le tribunal judiciaire de Nîmes afin d’obtenir l’indemnisation de son préjudice.

***

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 30 octobre 2024, la SARL Equip plus demande au tribunal judiciaire de :
à titre principal : condamner la SA Albingia à lui payer la somme de 142.000 euros ; à titre subsidiaire : retenir la faute contractuelle de la SARL Etap [R] [X] dans le cadre de l’exécution du contrat de location ; condamner in solidum SARL Etap [R] [X] et son assureur Groupama à lui payer la somme de 131.131 euros au titre de la perte définitive de la pelleteuse, outre la somme de 5.000 euros au titre de son préjudice moral ; en tout état de cause : condamner in solidum la SA Albingia, la SARL Etap [R] [X] et la compagnie Groupama à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens qui comprendront les frais d’expertise.
Au soutien de sa demande principale à l’encontre de son assureur, la SARL Equip plus expose que le contrat d’assurance garantit le bris de machine et qu’en conséquence, son assureur doit l’indemniser à hauteur du prix de la valeur d’achat de la pelleteuse, déduction faite de la franchise de 1.000 euros.

Elle indique que la clause d’exclusion dont se prévaut la SA Albingia relative « aux dommages survenus aux biens assurés lorsque ceux-ci travaillent sur ou sous l’eau » doit être interprétée strictement ; qu’en l’espèce la pelleteuse a évolué sur un sol argileux qui s’est affaissé ce qui ne peut pas être assimilé à travailler sur l’eau.

Au soutien de sa demande subsidiaire à l’encontre de la SARL Etap [R] [X] et de son assureur, la SARL Equip plus fait valoir que le locataire avait la garde juridique de la pelleteuse et qu’il a commis une faute en utilisant la pelleteuse sur un terrain manifestement inadapté puisqu’il s’est affaissé. Elle indique que la SARL Etap [R] a commis d’autres fautes tenant au retard dans la transmission de l’information, les conditions dans lesquelles la pelleteuse a été sortie et a fait l’objet d’une tentative de redémarrage.

Elle ajoute qu’en application du contrat de location, le montant de l’indemnisation est égal à la valeur de remplacement pour un matériel neuf à la date du sinistre après déduction d’un pourcentage de vétusté de 0,83 % par mois d’ancienneté pour une machine ayant moins d’un an au moment du sinistre.

Elle précise être propriétaire de la pelleteuse pour avoir levé l’option d’achat à la fin de l’année 2023.

***

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 3 juillet 2024, la SA Albingia demande au tribunal judiciaire de :
à titre principal : rejeter les demandes de la SARL Equip plus ; à titre subsidiaire : condamner in solidum la SARL Etap [R] [X] et son assureur Groupama ainsi que la SAS Alliance Environnement Exploitation à la garantir et la relever de l’ensemble des condamnations susceptibles d’être mises à sa charge en principal, accessoire, frais et intérêts outre capitalisation ; en tout état de cause : condamner in solidum la SARL Equip plus, la SARL Etap [R] [X] et son assureur à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens dont distraction à Maître Banuls, avocat au barreau de Nîmes.
La SA Albingia expose que la SARL Equip plus n’est pas propriétaire de la pelleteuse car elle a conclu un contrat de crédit-bail auprès de la société CMCIC Lease et qu’elle ne justifie pas de la levée de l’option d’achat emportant transfert de propriété.

Pour refuser sa garantie, la SA Albingia se prévaut d’une exclusion de garantie lorsque le dommage survient au bien assuré lorsqu’il travaille sur ou sous l’eau ; qu’une photographie reproduite dans le rapport d’expertise judiciaire montre que la pelleteuse travaillait sur l’eau au moment du sinistre. Elle précise que la pelleteuse n’a pas basculé depuis un milieu sec vers le bassin mais qu’elle était déjà positionnée dans le bassin.
Elle ajoute que c’est l’action de l’eau qui a endommagé la pelleteuse et empêché son redémarrage.

Subsidiairement, au soutien de ses demandes à l’encontre de la SARL Etap [R] [X] et de son assureur, la SA Albingia fait valoir que :
– la clause de renonciation à recours contre le locataire n’a pas vocation à s’appliquer lorsque ce dernier a commis une faute caractérisée dans la garde de la machine ou un manquement à une obligation de sécurité ;
– la SARL Etap [R] [X] avait la garde juridique de la pelleteuse au moment du sinistre ;
– la faute caractérisée de la SARL Etap [R] [X] constiste à avoir utilisé la pelleteuse dans un bassin dont elle ignorait les caractéristiques du sol ;
– la SARL Etap [R] [X] a tardé à informer la SARL Equip plus qui aurait pu faire intervenir des techniciens compétents et limiter la gravité du dommage.

***

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 3 juillet 2024, la SARL Etap [R] [X] demande au tribunal judiciaire de :
à titre principal : débouter la SARL Equip plus et la SA Albingia de leurs demandes ; à titre subsidiaire : juger que la société Groupama garantisse les condamnations prononcées à son encontre ; à titre plus subsidiaire : juger que la SAS Alliance Environnement Exploitation garantisse les condamnations prononcées à son encontre ; en tout état de cause : condamner toute partie qui succombe à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens et les frais d’expertise.
La SARL Etap [R] [X] soutient que la SA Albingia doit sa garantie car l’exclusion de garantie est inapplicable au motif que la pelleteuse s’est enlisée dans un sol mouvant et qu’elle n’était donc pas dans l’eau au moment du sinistre.

Elle observe que la SA Albingia ne peut pas agir à son encontre au regard de la clause de non-recours, à l’encontre du locataire, insérée dans sa police d’assurance. Elle affirme qu’aucune faute de conduite n’a été caractérisée et que l’expert judiciaire a constaté que la pelleteuse s’était enlisée dans un bassin conçu pour supporter un tel engin.

A titre subsidiaire et au soutien de sa demande de garantie à l’encontre de son propre assureur, la SARL Etap [R] [X] fait valoir que l’exclusion de garantie qui lui est opposée (le fait que le régime juridique obligatoire d’assurance des véhicules terrestres à moteur prédomine sur tous les autres) est imprécise et par là même inapplicable.

Au soutien de sa demande de garantie à l’encontre de la SAS Alliance Exploitation Environnement, la SARL Etap [R] [X] indique que l’expert a constaté que la pelleteuse s’était enlisée dans un sol mouvant du bassin pourtant conçu pour supporter le poids d’engins utilisés pour des travaux de nettoyage. Elle soutient n’avoir commis aucune faute.

Elle relève qu’aucun contrat n’a été formalisé dans le cadre de la sous-traitance et que la SAS Alliance Exploitation Environnement aurait dû lui communiquer des éléments relatifs à la stabilité du bassin, de même qu’un plan de prévention des risques aurait dû lui être transmis.

Elle rappelle que l’obligation de résultat du sous-traitant cède en cas de démonstration d’une cause étrangère, ce qui est le cas en l’espèce.

Sur le montant de l’indemnisation sollicitée, la SARL Etap [R] [X] fait valoir que la SARL Equip plus ne justifie pas de la clause fixant ce montant à la valeur d’achat, déduction faite d’un abattement de vétusté et qu’en outre, ce montant ne tient pas compte de la valeur de sauvegarde du matériel.

Elle conteste enfin l’existence d’un quelconque préjudice moral.

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Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 8 avril 2024, la SAS Alliance Environnement Exploitation demande au tribunal judiciaire de :
à titre principal : rejeter les demandes formulées à son encontre ; à titre reconventionnel : condamner la SARL Equip plus ou toutes parties succombantes, in solidum, à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
La SAS Alliance Environnement Exploitation indique qu’aucun manquement ne peut lui être reproché ; que les circonstances exactes de l’enlisement n’ont jamais pu être vérifiées ; que la position de la SARL Etap [R] [X] selon laquelle le bassin aurait présenté un problème n’est qu’une supposition ; qu’en outre, l’expert a relevé que la SARL Etap [R] [X] a tardé à informer le loueur et n’aurait pas dû procéder à une tentative de redémarrage.
Elle rappelle que le sous-traitant à une obligation de résultat et un devoir de conseil, de mise en garde et même de critique sur les travaux envisagés vis-à-vis de l’entreprise générale.

La SAS Alliance Environnement Exploitation soutient que la SARL Equip plus, la SARL Etap [R] [X] et la société Albingia ne rapportent pas la preuve du quantum des préjudices invoqués et du lien de causalité avec une faute, de toute façon inexistante.

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Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 21 février 2023, la compagnie Groupama Méditerranée conclut au rejet des demandes formulées à son encontre et sollicite reconventionnellement l’allocation d’une somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle se prévaut d’une exclusion de garantie lorsque les dommages sont subis par un véhicule, ce qui est le cas en l’espèce.

***

La clôture a été fixée au 4 novembre 2024. A l’audience du 18 novembre 2024, la décision a été mise en délibéré au 20 janvier 2025.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort :

Condamne la SARL Etap [R] [X] à payer à la SARL Equip plus la somme de 131.131 euros à titre de dommages-intérêts ;

Rejette les autres demandes ;

Condamne la SARL Etap [R] [X] à payer au titre des frais irrépétibles :
à la SARL Equip plus une somme de 3.000 euros, à la SA Albingia une somme de 1.500 euros, à la compagnie Groupama Méditerranée une somme de 1.500 euros, à la SAS Alliance Environnement Exploitation une somme de 1.500 euros.
Condamne la SARL Etap [R] [X] à payer les dépens de l’instance, qui comprendront les frais de l’expertise judiciaire ;

Accorde à Maître Christine Banuls, avocat au barreau de Nîmes, le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Rappelle que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.

Le présent jugement a été signé par Nina MILESI, Vice-Présidente et par Aurélie VIALLE, greffière présente lors de sa mise à disposition.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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