Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire d’Amiens
Thématique : Conflit locatif : enjeux de la résiliation et obligations de maintenance dans un bail professionnel
→ RésuméLa SARL Lofer a conclu un bail avec Mme [C] pour un local professionnel à [Localité 3] en 2012. En septembre 2022, la SARL a mis en demeure Mme [C] pour des loyers impayés. En réponse, elle a résilié le bail, invoquant des manquements du bailleur. La SARL a contesté cette résiliation, arguant que le bail commercial ne permettait pas un congé avant la fin de la période triennale. Le tribunal a finalement statué en faveur de la SARL, condamnant Mme [C] à payer des loyers dus tout en lui accordant une indemnité pour préjudice de jouissance.
|
DU : 27 Novembre 2024
__________________
JUGEMENT CIVIL
1ère Chambre
Demande en paiement des loyers et charges et/ou tendant à la résiliation du bail et/ou à l’expulsion
Sans procédure particulière
AFFAIRE :
S.A.R.L. LOFER
C/
[C]
Répertoire Général
N° RG 23/00409 – N° Portalis DB26-W-B7H-HOEQ
__________________
Expédition exécutoire le :
27.11.24
à : Me Lopes
à : Me Duponchelle
à :
à :
Expédition le :
à :
à :
à :
à :
à :
à : Expert
à : AJ
TRIBUNAL JUDICIAIRE
D’AMIENS
_____________________________________________________________
J U G E M E N T
du
VINGT SEPT NOVEMBRE DEUX MIL VINGT QUATRE
_____________________________________________________________
Dans l’affaire opposant :
S.A.R.L. SOCIETE LOFER (RCS D’AMIENS 582 059 879) représentée par son gérant M. [V] [H]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me David LACROIX, avocat plaidant au barreau de DOUAI, Me Justine LOPES, avocat postulant au barreau d’AMIENS substituée par Me Bénédicte CHATELAIN, avocat au barreau d’AMIENS
– DEMANDEUR (S) –
– A –
Madame [T] [C] épouse [L]
de nationalité Française
domiciliée : chez Maître [W] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Maître Patrice DUPONCHELLE de la SCP VAN MARIS-DUPONCHELLE, avocat au barreau d’AMIENS
– DÉFENDEUR (S) –
Le TRIBUNAL JUDICIAIRE D’AMIENS a rendu le jugement contradictoire suivant par mise à disposition de la décision au greffe, après que la cause eut été retenue le 25 Septembre 2024 devant :
– Monsieur Aurélien PETIT, juge au tribunal judiciaire d’AMIENS, qui, conformément aux dispositions des articles 812 et suivants du Code de procédure civile, a tenu seul(e) l’audience, assisté(e) de :
– Madame Céline FOURCADE, Greffière, pour entendre les plaidoiries.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par acte sous signature privée du 25 juin 2012, la SARL Lofer a donné à bail à Mme [I] [C], avec effet au 1er juillet 2012, un local professionnel situé [Adresse 1] à [Localité 3] (Somme), comprenant deux bureaux, un local d’archives, une entrée et une place de stationnement, pour l’exercice de son activité d’avocat.
Par lettres recommandées avec accusé de réception des 21 et 27 septembre 2022, la SARL Lofer a, par l’intermédiaire de son conseil, mis en demeure Mme [C] de régler la somme de 3.453, 16 euros correspondant aux loyers et provisions sur charges des mois de juin à septembre 2022.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 octobre 2022, Mme [C] a informé la SARL Lofer de son intention de résilier le bail à compter du 30 novembre 2022.
Par lettre officielle du 26 octobre 2022 adressée au conseil de la SARL Lofer, Mme [C], par l’intermédiaire de son conseil, a déploré le non-respect par le bailleur de ses obligations de délivrance et de prendre en charge les grosses réparations en application des dispositions des articles 606 et 1719 du code civil.
Par lettre officielle du 24 novembre 2022 adressée au conseil de Mme [C], la SARL Lofer a, par l’intermédiaire de son conseil, contesté le congé, arguant que s’agissant d’un bail commercial il ne peut être donné qu’à l’issue de la période triennale.
Par lettre officielle du 28 novembre 2022, adressée au conseil de la SARL Lofer, Mme [C], par l’intermédiaire de son conseil, a contesté la qualification de bail commercial au profit de celle de bail professionnel et indiqué que le contrat stipule un préavis d’un mois.
Par acte de commissaire de justice du 08 février 2023, la SARL Lofer a fait assigner Mme [C] devant le tribunal judiciaire d’Amiens aux fins, d’une part, de voir juger que le congé donné par celle-ci le 14 octobre 2022 ne peut produire ses effets qu’au 30 juin 2024 et, d’autre part, de condamnation à lui payer la somme de 21.469,75euros au titre des loyers et charges.
Par ordonnance du 1er février 2024, le juge de la mise en état de ce tribunal a :
Dit que le bail régularisé le 25 juin 2012 entre la SARL Lofer et Mme [C] est un bail à usage professionnel au sens de l’article 57 A de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ;Débouté la SARL Lofer de sa demande tendant à voir déclarer Mme [C] irrecevable en sa demande reconventionnelle en remboursement des provisions sur charges et taxes foncières pour la période courant de juin 2012 à juin 2018 ; Déclaré Mme [C] irrecevable en sa demande reconventionnelle indemnitaire au titre du préjudice de jouissance pour la période antérieure au 26 juin 2018 ;Réservé les dépens ; Débouté la SARL Lofer et Mme [C] de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles.
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 27 juin 2024.
L’affaire a été appelée à l’audience de plaidoiries du 25 septembre 2024 et mise en délibéré au 27 novembre 2024.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Suivant dernières conclusions notifiées le 27 mars 2024, la SARL Lofer demande au tribunal de :
Condamner Mme [C] à lui payer la somme de 9.446, 69 euros au titre des loyers et charges ; Condamner Mme [C] à lui payer la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles ; Débouter Mme [C] de ses demandes.
Au visa de l’article 57 A de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, la SARL Lofer observe que le bail professionnel a été conclu pour six ans du 25 juin 2012 au 25 juin 2018, puis a été renouvelé tacitement pour six ans jusqu’au 25 juin 2024. Elle indique que Mme [C] lui a notifié son intention de quitter les lieux le 14 octobre 2022 à la date du 30 novembre 2022. Soulignant que le délai de préavis est de six mois et qu’il s’agit d’une règle d’ordre public, elle expose que les effets du congé se trouvent reportés au 14 avril 2023. Elle conteste donc que Mme [C] puisse se prévaloir d’un délai de préavis d’un mois. Par ailleurs, la SARL Lofer soutient que Mme [C] ne règle plus les loyers depuis le mois de juin 2022. A cet égard, elle conteste tout manquement à son obligation de délivrance depuis cette date, de sorte que Mme [C] doit être déboutée de sa demande reconventionnelle indemnitaire au titre d’un préjudice de jouissance. S’agissant de la demande reconventionnelle indemnitaire relative au remboursement des provisions sur charges, la SARL Lofer expose qu’elle n’est pas tenue d’établir annuellement un récapitulatif des charges de sorte que le contrat de bail, qui prévoit de telles provisions, s’applique sans que le bailleur n’ait à justifier des charges exposées. Néanmoins, elle indique produire les justificatifs afférents aux charges de copropriété et à la taxe foncière. Enfin, concernant la demande reconventionnelle de remboursement de la moitié du coût de l’état des lieux de sortie, la SARL Lofer fait valoir, au visa de l’article 57 B de la loi susmentionnée, qu’un tel état des lieux ne peut être établi à frais partagés que lors de la restitution des lieux. Elle considère donc que l’état des lieux que Mme [C] a fait réaliser unilatéralement par acte extrajudiciaire du 30 novembre 2022, alors que la restitution des clés devait intervenir le 14 avril 2023, doit rester à sa charge.
Suivant dernières conclusions notifiées le 29 mai 2024, Mme [C] demande au tribunal de :
Débouter la SARL Lofer de ses demandes ; Condamner la SARL Lofer à lui payer les sommes de : 18.750 euros au titre des provisions sur charges et taxes foncières non justifiées de juillet 2012 à novembre 2022 ; 10.600 euros au titre du préjudice de jouissance du 26 juin 2018 au 30 novembre 2022 ; 247, 57 euros en remboursement de la moitié du coût de l’état des lieux de sortie ; Subsidiairement, condamner la SARL Lofer à lui payer la somme de 9.900 euros au titre des provisions sur charges et taxes foncières non justifiées de juillet 2012 à décembre 2017 ; Condamner la SARL Lofer aux dépens ; Condamner la SARL Lofer à lui payer la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Mme [C] observe que le contrat régularisé est un bail professionnel, soumis à un ordre public de protection auquel les parties peuvent déroger en retenant notamment une durée de préavis inférieure à six mois, si bien qu’elle se prévaut d’un délai contractuel d’un mois. Par ailleurs, au visa des articles 1719 et 1720 du code civil, Mme [C] expose que le local loué est impropre à son usage, si bien que le bailleur, auquel il est reproché un manquement à son obligation de délivrance et d’entretien, est tenu de l’indemniser de son préjudice de jouissance qui court, selon elle, depuis 2012. Elle reproche en effet à la SARL Lofer de n’avoir pas fait procéder à des travaux en toiture de nature à mettre fin aux infiltrations récurrentes avant le mois de juillet 2022. Elle en conclut que la SARL Lofer ne peut réclamer les loyers à compter du mois de juin 2022 à raison de ce manquement. Concernant les provisions sur charges et la taxe foncière, Mme [C] estime que les pièces justificatives versées aux débats par la SARL Lofer sont partielles et ses calculs contestables, de sorte qu’elle en demande le remboursement.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIVATION
Sur la demande principale de paiement des loyers et charges
Sur la date de l’expiration du bail professionnel
L’article 57 A de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 prévoit que « le contrat de location d’un local affecté à un usage exclusivement professionnel est conclu pour une durée au moins égale à six ans. Il est établi par écrit. Au terme fixé par le contrat et sous réserve des dispositions du troisième alinéa du présent article, le contrat est reconduit tacitement pour la même durée. Chaque partie peut notifier à l’autre son intention de ne pas renouveler le contrat à l’expiration de celui-ci en respectant un délai de préavis de six mois. Les notifications mentionnées au présent article sont effectuées par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte d’huissier. Les parties peuvent déroger au présent article dans les conditions fixées au 7° du I de l’article L. 145-2 du code de commerce ».
L’article 57 A de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 est d’ordre public. S’agissant d’un ordre public de protection, si le preneur peut renoncer à se prévaloir de ces dispositions à la condition que cette renonciation procède d’une volonté non équivoque, ce n’est que pour soumettre le contrat de bail au statut des baux commerciaux.
En soumettant le contrat litigieux au statut du bail professionnel, les cocontractants ne pouvaient décider de n’appliquer que certaines de ses dispositions et ainsi déroger conventionnellement pour partie au régime statutaire.
Il s’ensuit que le congé doit respecter un délai de préavis de six mois, ce qui suppose qu’un délai de six mois au moins doit s’écouler entre la date de notification du congé et la date de l’expiration du bail.
En l’espèce, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 14 octobre 2022, Mme [C] a notifié le congé, manifestant son intention de quitter le local professionnel le 30 novembre 2022.
Au vu de ce qui précède, la date de l’expiration du bail professionnel ne pouvait être le 30 novembre 2022, nonobstant la stipulation d’un délai de préavis d’un mois au contrat, mais le 14 avril 2023.
Il s’ensuit que les loyers et charges sont dus par Mme [C] jusqu’au 14 avril 2023.
Sur les obligations d’entretien et d’assurer une jouissance paisible de la chose louée
L’article 1719 du code civil dispose que « le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière : 1° De délivrer au preneur la chose louée ». (…) ; 2° D’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ; 3° D’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ».
L’article 1720 du code civil précise que « le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce. Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives ».
La clause par laquelle le locataire prend les lieux dans l’état où ils se trouvent ne décharge pas le bailleur de son obligation de délivrance, ni de son obligation de les maintenir en cours de bail en état de servir à l’usage auxquels ils sont destinés.
A titre liminaire, il est rappelé que la délivrance d’un local professionnel s’opère par la remise des clés. Or, en l’espèce, il n’est pas contesté que la SARL Lofer a mis à disposition de Mme [C] ce local professionnel, et qu’à la date de la remise des clés ce local était conforme à la destination prévue et en bon état de réparations. En revanche, la locataire se prévaut d’un manquement du bailleur à son obligation d’entretien (articles 1719 2° et 1720 alinéa 2 du code civil) et à son obligation d’assurer une jouissance paisible (article 1719 3° du code civil).
Sur ce, il ressort des pièces versées aux débats que Mme [C] a, par courrier du 10 septembre 2012, demandé à la SARL Lofer de faire réparer le plafond du local à archives. Cette demande, qui n’est pas circonstanciée, ne permet pas de retenir que la destination de ce local a été compromise. Sans toutefois le justifier, la SARL Lofer indique que la locataire souhaitait alors qu’une dalle de plafond soit changée.
Par ailleurs, par courrier du 10 août 2017, Mme [C] a signalé au bailleur avoir subi cinq dégâts des eaux, le cinquième en juin 2017, et lui a demandé de faire procéder à l’intervention d’un professionnel. A cet égard, le tribunal relève que la survenance de quatre dégâts des eaux prétendument subis avant le mois de juin 2017 n’est corroborée par aucune pièce. De surcroît, comme précédemment, le courrier adressé par Mme [C] à la SARL Lofer, qui n’est accompagné d’aucune déclaration de sinistre, d’aucun constat ou rapport d’expertise amiable, ne permet pas de circonstancier le dégât des eaux survenu en juin 2017. Notamment, la locataire n’en démontre pas l’ampleur et ne justifie pas qu’il en a résulté une perturbation de son activité professionnelle.
Toutefois, il est relevé que la SARL Lofer a sollicité l’entreprise Martin Manuel en juillet 2019 aux fins de procéder à des travaux de dépose d’une couverture en tôle et ardoises, de chéneaux en zinc, en vue de leur remplacement par une couverture en bac acier et par des chêneaux en zinc avec joints de dilatation (devis de l’entreprise Martin Manuel du 21 juillet 2019), ainsi que des travaux de dépose et remplacement d’un faitage en zinc et d’une banquette en larmier (devis de l’entreprise Martin Manuel du 21 juillet 2019). Il n’est cependant pas démontré que ces travaux ont été entrepris à défaut de production des factures de l’entreprise Martin Manuel.
D’ailleurs, Mme [C] produit encore un constat amiable de dégât des eaux en date du 15 novembre 2019 faisant état de la poursuite d’infiltrations par la toiture de l’immeuble. Elle s’est également plainte par courrier du 28 février 2020 d’un nouveau dégât des eaux depuis le 2 février 2020 tant dans l’entrée du cabinet, que l’un des bureaux et le local à archives. Si ce sinistre n’est pas plus circonstancié, la SARL Lofer ne justifie pas avoir fait procéder aux travaux susmentionnés, à tout le moins en suite du nouveau dégât des eaux constaté le 15 novembre 2019.
Mme [C] produit enfin un rapport d’expertise établi par la SAS Polyexpert Nord Picardie le 20 juillet 2022 en suite d’une fuite survenue le 6 juin 2022 sur une conduite d’évacuation des eaux pluviales située au-dessus du local loué. Aux termes de ce rapport, accompagné de photographies, l’infiltration a endommagé des dalles de faux plafond, le mobilier et le matériel. Il ressort de ce rapport qu’il a été mis fin au dégât des eaux. En effet, la SARL Lofer produit une facture émise par la SARL 2GRC le 14 juin 2022 libellé « réparation provisoire et divers couverture », faisant état de la réparation provisoire d’un chéneau, du nettoyage d’un coin de mur et de la remise en place d’une noue en zinc. Elle produit également une facture émise par l’entreprise DS Habitat le 7 juillet 2022 pour le nettoyage d’un chéneau, la recherche de fuites, leur réparation par soudure à froid, la reprise de la membrane d’étanchéité, ainsi que la reprise d’un solin.
La réalité des infiltrations dénoncées par Mme [C] ressort encore de l’état des lieux de sortie établi par acte extrajudiciaire du 30 novembre 2022, les photographies annexées témoignant des stigmates des précédents dégâts des eaux dans le premier bureau en entrant sur la droite.
Il ressort de ce qui précède qu’entre août 2017 et juin 2022, Mme [C] a régulièrement dénoncé auprès de la SARL Lofer la survenance de dégâts des eaux, que cette dernière a tardé à circonscrire en ne faisant réaliser des travaux réparatoires qu’en juillet 2022.
En revanche, Mme [C] échoue à démontrer que le local n’était pas suffisamment chauffé pendant la durée du bail en se prévalant du seul constat extrajudiciaire du 30 novembre 2022, lequel fait état d’un local désormais inoccupé où la température relevée est de 15°C.
Sur la demande de paiement des loyers et charges
Aux termes de l’article 1728 du code civil, « le preneur est tenu de deux obligations principales : 1° D’user de la chose louée raisonnablement et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d’après les circonstances, à défaut de convention ; 2° De payer le prix du bail aux termes convenus ».
Le preneur ne peut suspendre le paiement de son loyer sous prétexte que le bailleur ne remplit pas son obligation d’exécuter les travaux. L’exception d’inexécution n’est admise que lorsque le preneur, du fait des manquements du bailleur à son obligation d’entretien, se trouve dans l’impossibilité d’utiliser les lieux loués.
Au vu de ce qui précède, il n’est pas démontré que Mme [C] s’est trouvée dans l’impossibilité d’utiliser le local loué en raison du comportement de la SARL Lofer, nonobstant la tardiveté de son intervention pour faire procéder aux travaux nécessaires à la suppression des infiltrations ponctuelles.
Il s’ensuit que Mme [C] n’était pas fondée à suspendre le paiement du loyer à compter du mois de juin 2022 et jusqu’au 14 avril 2023.
La SARL Lofer, qui verse les factures de loyers des mois de janvier à octobre 2022, justifie que le montant du loyer est de 560, 66 euros HT auquel les sommes de 80 euros HT au titre des provisions pour charges et de 75 euros HT au titre de la taxe foncière, soit un total de 858, 79 euros.
Par conséquent, Mme [C] est condamnée à payer à la SARL Lofer la somme de 8.988, 66 euros TTC au titre des loyers dus pour la période courant du 1er juin 2022 au 14 avril 2023.
II. Sur les demandes reconventionnelles
Sur la demande reconventionnelle indemnitaire au titre du préjudice de jouissance
Aux termes de l’article 1231-1 du code civil, « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ».
Mme [C], qui justifie avoir demandé à la SARL Lofer de faire procéder aux réparations propres à mettre un terme aux infiltrations par courriers des 10 août 2017 et 28 février 2020, sans obtenir satisfaction avant le mois de juillet 2022, démontre que le bailleur, tenu d’assurer l’entretien de la chose louée, a manqué à cette obligation en s’abstenant de faire effectuer les réparations, notamment de la toiture, laissant ainsi persister l’origine des dégâts des eaux pendant plusieurs années.
Par ordonnance du 1er février 2024, le juge de la mise en état de ce tribunal a rappelé que la demande indemnitaire de Mme [C] au titre du préjudice de jouissance est irrecevable à raison de la prescription pour la période antérieure au 26 juin 2018.
Au vu de la gêne occasionnée par les infiltrations (infiltrations récurrentes à compter du 2 février 2020 dans l’entrée, un bureau et le local à archives dénoncées par courrier du 28 février 2020 ; infiltration du 6 juin 2022 dans le local professionnel ayant affecté le mobilier, les dossiers et les embellissements constatée par la SAS Polyexpert Nord Picardie), la SARL Lofer est condamnée à payer à Mme [C] la somme de 4.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance.
Sur la demande au titre des provisions sur charges et de la taxe foncière
En matière de bail professionnel, la nature des charges récupérables à l’encontre du locataire peut être librement déterminée par les cocontractants.
Par ailleurs s’il est prévu le règlement de provisions, il doit y avoir une régularisation en fin d’exercice et les charges doivent être justifiées par le bailleur. L’absence de régularisation de charges rend sans cause les appels de provision à valoir sur le paiement des charges, de sorte qu’en l’absence de régularisation des charges, les provisions versées par le locataire doivent être remboursées.
En l’espèce, le contrat de bail professionnel stipule : « Une provision pour charges estimée à 75 euros par mois sera payable en même temps que le loyer. Elle comprend l’eau, l’entretien de la cour et l’éclairage de la cour, l’éclairage et le nettoyage des communs, le chauffage au fioul au prorata des surfaces occupées. Également, le preneur remboursera au bailleur sa quote-part de taxe foncière, au prorata des lots occupés. Elle sera de 900 euros par an, payable mensuellement en même temps que le loyer soit 75 euros. Les provisions pour charges, ainsi que la quote-part de taxe foncière sont révisables annuellement ».
En l’espèce, les cocontractants ont convenu que la clé de répartition des provisions sur charges et de la taxe foncière se ferait au prorata des surfaces occupées, soit pour Mme [C] 9, 72 % (50 m² dans un ensemble immobilier de 513, 96 m²).
Or, il ressort des pièces versées aux débats (avis d’imposition au titre de la taxe foncière ; factures de fioul ; factures d’électricité ; facture d’entretien des essuie-mains ; factures de nettoyage des parties communes ; factures d’entretien de la chaudière) que le montant des provisions sur charges et taxe foncière payé annuellement par Mme [C], soit 1.800 euros HT, a toujours été inférieur aux charges réellement exposées par la SARL LOFER chaque année.
Par conséquent, Mme [C] est déboutée de sa demande de condamnation de la SARL Lofer à lui restituer la somme de 18.750 euros au titre des provisions sur charges et taxes foncières de juillet 2012 à novembre 2022, ainsi que de sa demande subsidiaire de lui restituer la somme de 9.900 euros au titre des provisions sur charges et taxes foncières de juillet 2012 à décembre 2017.
Sur la demande au titre de l’état des lieux de sortie
L’article 57 B de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 dispose que « au moment de chaque prise de possession des locaux par un locataire et lors de leur restitution, un état des lieux est établi contradictoirement et amiablement par les parties ou par un tiers mandaté par elles et joint au contrat de location. Si l’état des lieux ne peut être établi dans les conditions prévues au premier alinéa, il est établi par un huissier de justice, sur l’initiative de la partie la plus diligente, à frais partagés par moitié entre bailleur et le locataire ».
Conformément à l’article 16 de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, l’article 57 B dans sa rédaction résultant de la présente loi s’applique à toute restitution d’un local dès lors qu’un état des lieux a été établi lors de la prise de possession.
Dès lors que le contrat de bail professionnel ne prévoit aucunement l’établissement d’un état des lieux lors de la prise de possession et qu’un éventuel état des lieux d’entrée n’est pas produit par les parties, les dispositions précitées n’ont pas vocation à s’appliquer, au bénéfice du droit commun du louage qui n’impose pas d’état des lieux et, en tout état de cause, ne règle pas la prise en charge de son coût.
En outre, le tribunal relève que l’intervention du commissaire de justice le 30 novembre 2022 ne correspond pas à la date de fin du bail professionnel, si bien que l’état des lieux, concomitant à la restitution des clés au bailleur, aurait dû intervenir le 14 avril 2023.
Toutefois, compte tenu des désaccords entre les cocontractants tant sur la date de fin du bail que sur le sort des loyers impayés à compter du mois de juin 2022 ou les conséquences des dégâts des eaux survenus au sein du local professionnel ainsi qu’en témoignent les courriers échangés entre le 21 septembre 2022 et le 28 novembre 2022, Mme [C] avait un intérêt, à l’instar de la SARL Lofer, à faire procéder au constat extrajudiciaire de l’état du bien litigieux qu’elle venait de quitter. Le coût de ce constat extrajudiciaire est de 222, 57 euros HT. En revanche, il n’est pas tenu compte du second constat extrajudiciaire, qui n’est d’ailleurs pas versé aux débats, pour un coût de 272, 57 euros HT, dont l’utilité n’est pas justifiée par Mme [C].
Par conséquent, la SARL Lofer est condamnée à payer à Mme [C] la somme de 111, 28 euros en remboursement de la moitié des frais afférents à l’état des lieux extrajudiciaire établi le 30 novembre 2022 par la SELURL [R] [F], commissaire de justice à [Localité 3] (Somme).
III. Sur les frais du procès
Sur les dépens
Aux termes de l’article 696 alinéa 1er du code de procédure civile, « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ».
Mme [C], partie perdante au principal, est condamnée aux dépens.
Sur les frais irrépétibles
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, « le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens (…). Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent ».
Compte tenu de la solution apportée au litige, l’équité commande de dire n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conséquent, la SARL Lofer est déboutée de sa demande de condamnation de Mme [C] à lui payer la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Mme [C] est déboutée de sa demande de condamnation de la SARL Lofer à lui payer la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal :
CONDAMNE Mme [I] [C] à payer à la SARL Lofer la somme de 8.988, 66 euros TTC au titre des loyers dus pour la période courant du 1er juin 2022 au 14 avril 2023 ;
CONDAMNE la SARL Lofer à payer à Mme [I] [C] la somme de 4.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance ;
DEBOUTE Mme [I] [C] de sa demande de condamnation de la SARL Lofer à lui restituer la somme de 18.750 euros au titre des provisions sur charges et taxes foncières de juillet 2012 à novembre 2022 :
DEBOUTE Mme [I] [C] de sa demande subsidiaire de condamnation de la SARL Lofer à lui restituer la somme de 9.900 euros au titre des provisions sur charges et taxes foncières de juillet 2012 à décembre 2017 ;
CONDAMNE la SARL Lofer à payer à Mme [I] [C] la somme de 111, 28 euros en remboursement de la moitié des frais afférents à l’état des lieux extrajudiciaire établi le 30 novembre 2022 par la SELURL [R] [F], commissaire de justice à [Localité 3] (Somme) ;
CONDAMNE Mme [I] [C] aux dépens ;
DEBOUTE la SARL Lofer de sa demande de condamnation de Mme [I] [C] à lui payer la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
DEBOUTE Mme [I] [C] de sa demande de condamnation de la SARL Lofer à lui payer la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Le jugement est signé par le président et la greffière.
LA GREFFIÈRE LE PRESIDENT
Laisser un commentaire