Tribunal des Conflits, 11 avril 2022, C4244
Tribunal des Conflits, 11 avril 2022, C4244
Type de juridiction : Tribunal des Conflits Juridiction : Tribunal des Conflits

Résumé

La convention signée entre le centre hospitalier de Cadillac et l’association « Les Sœurs Grées » pour des ateliers musicaux n’a pas pour objet de répondre aux besoins de services du centre. Bien qu’elle s’inscrive dans une politique culturelle, elle ne constitue pas un marché public. Le tribunal a conclu que ce contrat relevait du droit privé, ce qui signifie que les litiges liés à son exécution doivent être traités par la juridiction judiciaire. Ainsi, le centre hospitalier ne peut pas imposer le retrait des vidéos diffusées par l’association sur sa plateforme et YouTube.

La conclusion d’un contrat portant cession des droits de diffusion (Youtube) avec un établissement public ne relève pas nécessairement du droit public.

Convention d’animation culturelle filmée

Par une convention, un centre hospitalier a accepté de collaborer avec l’association à une animation culturelle comportant la mise en place, avec des patients de l’établissement, d’ateliers musicaux. Lors de ces ateliers ont été tournées des vidéos, dont la convention prévoyait qu’elles seraient diffusées sur la plateforme numérique de l’association et sur Youtube.

Refus de diffusion

Toutefois, le centre hospitalier, à qui ces vidéos ont été soumises avant leur diffusion, s’est opposé à celle-ci par un courrier, au motif qu’elles présentaient les techniques d’écoute musicale comme ayant une dimension thérapeutique, en méconnaissance des stipulations de la convention.

En dépit de ce refus, l’association a mis en ligne et diffusé les vidéos. Le centre hospitalier a saisi le tribunal administratif de Bordeaux, en tant que juge du contrat, pour lui demander d’enjoindre à l’association « Les Sœurs Grées » de retirer définitivement les vidéos de sa plateforme, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

Convention hors marché public

En premier lieu, aux termes de l’article 3 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, en vigueur lors de la signature de la convention litigieuse : « Les marchés publics relevant de la présente ordonnance passés par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs ».

Aux termes du 2ème alinéa de l’article 4 de la même ordonnance : « Les marchés sont les contrats conclus à titre onéreux par un ou plusieurs acheteurs soumis à la présente ordonnance avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ».

Aux termes du III de l’article 5 de la même ordonnance, « Les marchés publics de services ont pour objet la réalisation de prestations de services ».

Il ne ressort ni des termes de la convention du 8 mars 2019, ni des écritures des parties que cette convention, bien que s’inscrivant dans le cadre d’une politique visant à ouvrir les établissements de santé aux pratiques culturelles, ait eu pour objet de répondre aux besoins du centre hospitalier en matière de services. Elle ne constitue donc pas un marché public au sens de l’article 4 de l’ordonnance du 23 juillet 2015.

Un contrat de droit privé

En second lieu, aux termes de l’article L. 6111-1 du code de la santé publique : « Les établissements de santé publics, privés d’intérêt collectif et privés assurent, dans les conditions prévues au présent code, en tenant compte de la singularité et des aspects psychologiques des personnes, le diagnostic, la surveillance et le traitement des malades, des blessés et des femmes enceintes et mènent des actions de prévention et d’éducation à la santé.

Ils délivrent les soins, le cas échéant palliatifs, avec ou sans hébergement, sous forme ambulatoire ou à domicile, le domicile pouvant s’entendre du lieu de résidence ou d’un établissement avec hébergement relevant du code de l’action sociale et des familles.

Ils participent à la coordination des soins en relation avec les membres des professions de santé exerçant en pratique de ville et les établissements et services médico-sociaux, dans le cadre défini par l’agence régionale de santé en concertation avec les conseils départementaux pour les compétences qui les concernent.

Ils participent à la mise en œuvre de la politique de santé et des dispositifs de vigilance destinés à garantir la sécurité sanitaire.

Ils mènent, en leur sein, une réflexion sur l’éthique liée à l’accueil et la prise en charge médicale. Ils peuvent participer à la formation, à l’enseignement universitaire et post-universitaire, à la recherche et à l’innovation en santé. Ils peuvent également participer au développement professionnel continu des professionnels de santé et du personnel paramédical ».

La convention que le centre hospitalier de Cadillac a conclue avec l’association « Les Sœurs Grées » n’a pas pour objet l’organisation ou l’exécution d’une mission de service public incombant au centre hospitalier en vertu des dispositions citées ci-dessus. Elle ne comporte aucune clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, impliquerait, dans l’intérêt général, qu’elle relève du régime exorbitant des contrats administratifs.

Il résulte de ce qui précède que le contrat conclu entre le centre hospitalier de Cadillac et l’association « Les Sœurs Grées » présentait le caractère d’un contrat de droit privé (compétence du juge judiciaire).

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 
Tribunal des Conflits
 
11 avril 2022, C4244, Inédit au recueil Lebon
 
Vu, enregistrée à son secrétariat le 27 janvier 2022, l’expédition du jugement du 26 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux, saisi par le Centre hospitalier spécialisé de Cadillac d’une demande tendant à ce qu’il soit enjoint à l’association « Les sœurs Grées » de retirer de la plateforme internet www.sonetsoin.com l’intégralité des vidéos tournées dans le cadre de l’exécution de la convention du 8 mars 2019 et de ne les diffuser sur aucun autre support, a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider de la question de compétence ;
 
Vu les observations, enregistrées le 24 février 2022, présentées par le Centre hospitalier de Cadillac. Le Centre hospitalier demande que la ARCOM soit déclarée compétente ;
 
Vu les observations, enregistrées le 1er avril 2022, présentées par le ministre des solidarités et de la santé. Le ministre s’en remet à la sagesse du Tribunal ;
 
Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à l’association « Les Sœurs Grées » qui n’a pas produit d’observations ;
 
Vu les autres pièces du dossier ;
 
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
 
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
 
Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
 
Vu le code de la santé publique ;
 
Vu l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
 
Après avoir entendu en séance publique :
 
— le rapport de M. B… A…, membre du Tribunal,
 
— les observations de la SCP Delamarre-Jehannin pour le centre hospitalier spécialisé de Cadillac ;
 
— les conclusions de M. Jean Lecaroz, rapporteur public ;
 
Considérant ce qui suit :
 
1. Dans le cadre de son projet culturel 2016-2020, le centre hospitalier de Cadillac a conclu avec l’association « Les Sœurs Grées », le 8 mars 2019, une convention relative à « la mise en œuvre d’une initiative culturelle transversale » dont il était précisé qu’elle n’aurait « aucune dimension thérapeutique dans ses objectifs ou modalités de mise en œuvre ».
 
Par cette convention, le centre hospitalier a accepté de collaborer avec l’association à une animation culturelle comportant la mise en place, avec des patients de l’établissement, d’ateliers musicaux qui se sont déroulés entre le 17 et le 31 mars 2019. Lors de ces ateliers ont été tournées des vidéos, dont l’article 6 de la convention prévoyait qu’elles seraient diffusées sur la plateforme numérique de l’association et sur Youtube.
 
Toutefois, le centre hospitalier, à qui ces vidéos ont été soumises avant leur diffusion, s’est opposé à celle-ci par un courrier du 15 janvier 2020, au motif qu’elles présentaient les techniques d’écoute musicale comme ayant une dimension thérapeutique, en méconnaissance des stipulations du 2ème alinéa de l’article 6 de la convention du 8 mars 2019. En dépit de ce refus, l’association a mis en ligne et diffusé les vidéos à compter du 6 avril 2020. Le 22 avril 2020, le centre hospitalier a saisi le tribunal administratif de Bordeaux, en tant que juge du contrat, pour lui demander d’enjoindre à l’association « Les Sœurs Grées » de retirer définitivement les vidéos de sa plateforme, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.
 
L’association a demandé au tribunal de rejeter la demande comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître. Par un jugement du 26 janvier 2022, le tribunal administratif de Grenoble a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence.
 
2. En premier lieu, aux termes de l’article 3 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, en vigueur lors de la signature de la convention litigieuse : « Les marchés publics relevant de la présente ordonnance passés par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs ». Aux termes du 2ème alinéa de l’article 4 de la même ordonnance : « Les marchés sont les contrats conclus à titre onéreux par un ou plusieurs acheteurs soumis à la présente ordonnance avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ». Aux termes du III de l’article 5 de la même ordonnance, « Les marchés publics de services ont pour objet la réalisation de prestations de services ».
 
3. Il ne ressort ni des termes de la convention du 8 mars 2019, ni des écritures des parties que cette convention, bien que s’inscrivant dans le cadre d’une politique visant à ouvrir les établissements de santé aux pratiques culturelles, ait eu pour objet de répondre aux besoins du centre hospitalier en matière de services. Elle ne constitue donc pas un marché public au sens de l’article 4 de l’ordonnance du 23 juillet 2015.
 
4. En second lieu, aux termes de l’article L. 6111-1 du code de la santé publique : « Les établissements de santé publics, privés d’intérêt collectif et privés assurent, dans les conditions prévues au présent code, en tenant compte de la singularité et des aspects psychologiques des personnes, le diagnostic, la surveillance et le traitement des malades, des blessés et des femmes enceintes et mènent des actions de prévention et d’éducation à la santé. / Ils délivrent les soins, le cas échéant palliatifs, avec ou sans hébergement, sous forme ambulatoire ou à domicile, le domicile pouvant s’entendre du lieu de résidence ou d’un établissement avec hébergement relevant du code de l’action sociale et des familles. / Ils participent à la coordination des soins en relation avec les membres des professions de santé exerçant en pratique de ville et les établissements et services médico-sociaux, dans le cadre défini par l’agence régionale de santé en concertation avec les conseils départementaux pour les compétences qui les concernent. / Ils participent à la mise en œuvre de la politique de santé et des dispositifs de vigilance destinés à garantir la sécurité sanitaire. / Ils mènent, en leur sein, une réflexion sur l’éthique liée à l’accueil et la prise en charge médicale. / Ils peuvent participer à la formation, à l’enseignement universitaire et post-universitaire, à la recherche et à l’innovation en santé. Ils peuvent également participer au développement professionnel continu des professionnels de santé et du personnel paramédical ».
 
5. La convention que le centre hospitalier de Cadillac a conclue avec l’association « Les Sœurs Grées » n’a pas pour objet l’organisation ou l’exécution d’une mission de service public incombant au centre hospitalier en vertu des dispositions citées ci-dessus. Elle ne comporte aucune clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, impliquerait, dans l’intérêt général, qu’elle relève du régime exorbitant des contrats administratifs.
 
6. Il résulte de ce qui précède que le contrat conclu le 8 mars 2019 entre le centre hospitalier de Cadillac et l’association « Les Sœurs Grées » présente le caractère d’un contrat de droit privé. Il appartient, par suite, à la juridiction judiciaire de connaître des litiges relatifs à son exécution.
 
D E C I D E :
 
————–
 
Article 1er : La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant le centre hospitalier de Cadillac à l’association « Les Sœurs Grées ».
 
Article 2 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier de Cadillac, à l’association « Les Sœurs Grées » et au ministre des solidarités et de la santé.
 
Questions / Réponses juridiques

Quel était l’objet de la convention entre le centre hospitalier et l’association ?

La convention signée le 8 mars 2019 entre le centre hospitalier de Cadillac et l’association « Les Sœurs Grées » visait à mettre en œuvre une initiative culturelle. Cette initiative incluait la réalisation d’ateliers musicaux avec des patients de l’établissement. Ces ateliers avaient pour but de favoriser l’animation culturelle au sein de l’hôpital, sans aucune dimension thérapeutique, comme précisé dans la convention. Les vidéos tournées lors de ces ateliers devaient être diffusées sur la plateforme numérique de l’association et sur Youtube, selon les termes de la convention.

Pourquoi le centre hospitalier a-t-il refusé la diffusion des vidéos ?

Le centre hospitalier a opposé un refus à la diffusion des vidéos, arguant qu’elles présentaient les techniques d’écoute musicale comme ayant une dimension thérapeutique. Ce refus a été formulé par courrier le 15 janvier 2020, en se basant sur une méconnaissance des stipulations de la convention. Malgré ce refus, l’association a décidé de mettre en ligne et de diffuser les vidéos, ce qui a conduit le centre hospitalier à saisir le tribunal administratif de Bordeaux pour demander le retrait des vidéos.

La convention entre le centre hospitalier et l’association est-elle considérée comme un marché public ?

Non, la convention n’est pas considérée comme un marché public. Selon l’article 3 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, les marchés publics sont des contrats administratifs passés par des personnes morales de droit public. Cependant, la convention en question ne répondait pas aux critères d’un marché public, car elle ne visait pas à satisfaire les besoins du centre hospitalier en matière de services. Elle s’inscrivait plutôt dans une politique d’ouverture des établissements de santé aux pratiques culturelles, sans avoir pour objet l’organisation d’une mission de service public.

Quel est le cadre juridique applicable à la convention ?

Le cadre juridique applicable à la convention est celui du droit privé. L’article L. 6111-1 du code de la santé publique définit les missions des établissements de santé, qui incluent le diagnostic, la surveillance et le traitement des malades. La convention conclue avec l’association « Les Sœurs Grées » ne concernait pas l’exécution d’une mission de service public, et ne comportait pas de clauses impliquant des prérogatives de la personne publique contractante. Ainsi, le contrat a été qualifié de contrat de droit privé, ce qui signifie que les litiges relatifs à son exécution relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire.

Quelle a été la décision du Tribunal des Conflits concernant la compétence ?

Le Tribunal des Conflits a décidé que la juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant le centre hospitalier de Cadillac à l’association « Les Sœurs Grées ». Cette décision a été fondée sur l’analyse des termes de la convention et des dispositions légales en vigueur. Le tribunal a conclu que la convention ne relevait pas du régime exorbitant des contrats administratifs, ce qui a conduit à la compétence de la juridiction judiciaire pour traiter les différends liés à son exécution.
 

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