Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, 21 juillet 2022
Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, 21 juillet 2022

Type de juridiction : Tribunal administratif

Juridiction : Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne

Thématique : Snapchat : atteinte à l’image et l’intimité d’une étudiante

Résumé

La décision du président de l’université de Reims Champagne-Ardenne d’interdire l’accès à l’établissement à un étudiant pendant trente jours a été confirmée par les juridictions. Cet étudiant avait diffusé sur Snapchat une photographie dénudée d’une camarade, prise sans son consentement, accompagnée de propos indécents. L’étudiante, en proie à une détresse psychologique, a exprimé des pensées suicidaires. La gravité de la situation a justifié cette mesure d’éloignement, considérée comme nécessaire pour protéger la victime et maintenir l’ordre au sein de l’université, malgré l’absence de caractérisation de harcèlement.

La décision par laquelle le président de l’université de Reims Champagne-Ardenne a interdit l’accès à l’enceinte et aux locaux de cette université pour une durée de trente jours à l’auteur d’un Snap portant atteinte à l’image d’une étudiante, a été confirmée par les juridictions.

Photographie publiée en story

A la suite d’une soirée étudiante, l’étudiant a pris une photographie dénudée d’une étudiante de l’URCA, alors qu’elle était dans sa salle de bains, qu’il a publiée sur le réseau social Snapchat dans sa « story », et assortie de propos indécents sans le consentement de l’intéressée.

Cette « story » était visible de l’ensemble de ses abonnés au nombre desquels figurent d’autres étudiants de l’URCA et la nouvelle s’est par la suite diffusée au sein de l’UFR de droit-sciences politiques et à des associations étudiantes.

Plainte de l’étudiante

Après ces évènements, l’étudiante a souhaité porter plainte, laquelle a été refusée faute de pouvoir identifier son visage sur la photographie en question. Elle a également été prise de panique et l’université a été avisée de ses pensées suicidaires et automutilations.

Gravité du comportement de l’étudiant

La déléguée d’une association d’étudiants mentionne également qu’elle a développé une phobie scolaire, craignant que les étudiants évoquent cette photographie chaque fois qu’elle se rendait à l’université, étant précisé qu’ils fréquentaient les mêmes bâtiments universitaires et des cercles communs d’étudiants.

Par suite, la condition de désordre ou de menace de désordre au sein de l’établissement fixée par l’article R. 712-8 du code de l’éducation est établie, en dépit de l’absence de caractérisation du harcèlement téléphonique.

Dans ces conditions, compte tenu de la gravité du comportement de l’étudiant et du risque suicidaire et d’automutilation de la victime, et dès lors que la présence à l’université de l’auteur peut présenter un danger pour cette étudiante, la mesure d’interdiction attaquée de trente jours a été regardée comme adaptée, nécessaire et proportionnée, aucune autre mesure moins restrictive que l’éloignement temporaire de la seule personne à l’origine de la diffusion illégale de la photographie dénudée de la victime ne pouvant être envisagée.

Pouvoir de sanction des présidents d’université

Pour rappel, aux termes de l’article L. 712-2 du code de l’éducation :  » () Le président assure la direction de l’université. A ce titre : () 6° Il est responsable du maintien de l’ordre et peut faire appel à la force publique dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat ; (). « . Aux termes de l’article R. 712-8 du même code : »

En cas de désordre ou de menace de désordre dans les enceintes et locaux définis à l’article R. 712-1, l’autorité responsable désignée à cet article en informe immédiatement le recteur chancelier. Dans les cas mentionnés au premier alinéa : 1° La même autorité peut interdire à toute personne et, notamment, à des membres du personnel et à des usagers de l’établissement ou des autres services ou organismes qui y sont installés l’accès de ces enceintes et locaux. Cette interdiction ne peut être décidée pour une durée supérieure à trente jours.

Toutefois, au cas où des poursuites disciplinaires ou judiciaires seraient engagées, elle peut être prolongée jusqu’à la décision définitive de la juridiction saisie. () « . Les mesures de police édictées par le président d’une université dans le cadre des pouvoirs qu’il tient des dispositions de l’article L. 712-2 du code de l’éducation doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu et les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés de désordre ou de menace de désordre.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne

3ème chambre, 21 juillet 2022, n° 2102366

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 2 novembre 2021, 27 décembre 2021 et 20 janvier 2022, M. C A représenté par Me Tellache, demande au tribunal :

1°) d’annuler, pour excès de pouvoir, l’arrêté du 28 octobre 2021 par lequel le président de l’université de Reims Champagne-Ardenne lui a interdit l’accès à l’enceinte et aux locaux de cette université pour une durée de trente jours ;

2°) de mettre à la charge de l’université de Reims Champagne-Ardenne une somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

— la décision attaquée a été prise en violation de la procédure contradictoire prévue aux articles L. 122-1 et L. 211-1 du code des relations entre le public et l’administration alors que la chronologie des faits révèle l’absence d’urgence ;

— la décision attaquée est insuffisamment motivée au regard des articles L. 211-2 et suivants du code des relations entre le public et l’administration ;

— la condition de désordre ou de menace de désordre au sein de l’établissement fixée par l’article R. 712-8 du code de l’éducation n’est pas établie ;

— il ne s’est pas livré au harcèlement téléphonique d’une étudiante ;

— il appartient à l’université de Reims Champagne-Ardenne d’établir qu’elle n’est pas à même de maintenir l’ordre au sein de l’établissement, alors qu’il ne se trouve pas dans la même année que l’étudiante et ne partage aucun cours avec elle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 janvier 2022, l’université de Reims Champagne-Ardenne représentée par la SELARL D4 Avocats Associés conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. A au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. A ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la Constitution ;

— le code de l’éducation ;

— le code des relations entre le public et l’administration ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. Herzog, rapporteur,

— les conclusions de M. Deschamps, rapporteur public,

— et les observations de Me Tellache représentant M. A et celles de Me Michel, représentant l’université de Reims Champagne-Ardenne.

Considérant ce qui suit :

1. M. A est étudiant en deuxième année de licence de droit et sciences politiques à l’Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA) pour l’année universitaire 2021-2022. Le 12 octobre 2021, des faits de diffusion d’une photographie dénudée d’une autre étudiante de l’URCA, Mme D B, prise par M. A, ont été portés à la connaissance de l’administration et de la doyenne de la faculté. Le 27 octobre 2021, Mme B a indiqué à la doyenne de la faculté être prise de panique et l’université a été avisée de ses pensées suicidaires et d’automutilations. Informe´ de ce signalement, le président de l’URCA, par une décision du 28 octobre suivant, dont M. A demande l’annulation, lui a interdit l’accès à l’enceinte et aux locaux de l’URCA pour une durée de trente jours en application des dispositions de l’article R. 712-8 du code de l’éducation.

Sur la légalité de la décision attaquée :

En ce qui concerne la légalité externe :

2. D’une part, selon l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration :  » Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : () 1° Restreignent l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; () « . En application de l’article L. 211-5 du même code : » La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision « . D’autre part, aux termes de l’article L. 121-1 de ce code : » Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l’article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d’une procédure contradictoire préalable « et aux termes de l’article L. 121-2 du même code : » Les dispositions de l’article L. 121-1 ne sont pas applicables : 1° En cas d’urgence ou de circonstances exceptionnelles () « .

3. L’arrêté attaqué vise le code de l’éducation et notamment ses articles L. 712-2 et R. 712-1 à R. 712-8. De plus, il mentionne que M. A, étudiant de l’URCA, a diffusé sur le réseau social Snapchat une photo dénudée d’une autre étudiante de l’URCA sans son consentement mais encore qu’il « harcèle par téléphone cette étudiante, en fragilité psychologique » depuis l’ébruitement de l’affaire. L’arrêté précise que cette mesure est motivée par le fait qu’il convient de garantir au mieux la sécurité de cette étudiante compte tenu du désordre et de la menace de désordre au bon fonctionnement de l’université que constitue le comportement de M. A. Par suite, l’arrêté attaqué, qui mentionne les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivé et le moyen doit être écarté.

4. L’arrêté litigieux a eu pour objet dans les circonstances de l’espèce, compte tenu du risque de suicide et d’automutilation de Mme B, de mettre fin à un danger grave et immédiat, ce qui constitue un cas d’urgence au sens du 1° de l’article L. 121-2 du code des relations entre le public et l’administration. Dès lors, le président de l’URCA pouvait dans ce contexte particulier se dispenser de la formalité prévue à l’article L. 121 du même code. Par suite, le moyen tiré de ce que l’arrêté litigieux aurait été pris au terme d’une procédure irrégulière dans la mesure où il n’aurait pas permis à l’intéressé de présenter des observations au préalable doit être écarté. A cet égard, le requérant ne saurait utilement invoquer la partialité alléguée de la doyenne de la faculté de droit et de sciences politiques alors qu’elle n’est pas l’auteur de la décision attaquée.

En ce qui concerne la légalité interne :

5. Aux termes de l’article L. 712-2 du code de l’éducation :  » () Le président assure la direction de l’université. A ce titre : () 6° Il est responsable du maintien de l’ordre et peut faire appel à la force publique dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat ; (). « . Aux termes de l’article R. 712-8 du même code : » En cas de désordre ou de menace de désordre dans les enceintes et locaux définis à l’article R. 712-1, l’autorité responsable désignée à cet article en informe immédiatement le recteur chancelier. Dans les cas mentionnés au premier alinéa : 1° La même autorité peut interdire à toute personne et, notamment, à des membres du personnel et à des usagers de l’établissement ou des autres services ou organismes qui y sont installés l’accès de ces enceintes et locaux. Cette interdiction ne peut être décidée pour une durée supérieure à trente jours. Toutefois, au cas où des poursuites disciplinaires ou judiciaires seraient engagées, elle peut être prolongée jusqu’à la décision définitive de la juridiction saisie. () « . Les mesures de police édictées par le président d’une université dans le cadre des pouvoirs qu’il tient des dispositions de l’article L. 712-2 du code de l’éducation doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu et les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés de désordre ou de menace de désordre.

6. Il ressort des pièces du dossier que, le 7 septembre 2021, à la suite d’une soirée étudiante, M. A a pris une photographie dénudée de Mme B, également étudiante de l’URCA, alors qu’elle était dans sa salle de bains, qu’il a publiée sur le réseau social Snapchat dans sa « story », et assortie de propos indécents sans le consentement de l’intéressée. Cette « story » était visible de l’ensemble de ses abonnés au nombre desquels figurent d’autres étudiants de l’URCA et la nouvelle s’est par la suite diffusée au sein de l’UFR de droit-sciences politiques et à des associations étudiantes. Après ces évènements, l’étudiante a souhaité porter plainte, laquelle a été refusée faute de pouvoir identifier son visage sur la photographie en question. Elle a également été prise de panique et l’université a été avisée de ses pensées suicidaires et automutilations. La déléguée d’une association d’étudiants mentionne également qu’elle a développé une phobie scolaire, craignant que les étudiants évoquent cette photographie chaque fois qu’elle se rendait à l’université, étant précisé qu’ils fréquentaient les mêmes bâtiments universitaires et des cercles communs d’étudiants. Par suite, la condition de désordre ou de menace de désordre au sein de l’établissement fixée par l’article R. 712-8 du code de l’éducation est établie, en dépit de l’absence de caractérisation du harcèlement téléphonique à l’encontre de Mme B.

7. Dans ces conditions, compte tenu de la gravité du comportement de M. A et du risque suicidaire et d’automutilation de Mme B, et dès lors que la présence à l’université de M. A peut présenter un danger pour cette étudiante, la mesure d’interdiction attaquée de trente jours doit être regardée comme adaptée, nécessaire et proportionnée, aucune autre mesure moins restrictive que l’éloignement temporaire de la seule personne à l’origine de la diffusion illégale de la photographie dénudée de Mme B ne pouvant être envisagée.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision du 28 octobre 2021 par laquelle l’accès à l’enceinte et aux locaux de l’URCA lui a été interdit pour une durée de trente jours.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’URCA, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. A une somme de 2 000 euros réclamée par l’URCA au même titre.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l’université de Reims Champagne-Ardenne au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. C A et à l’université de Reims Champagne-Ardenne.

Délibéré après l’audience du 24 juin 2022, à laquelle siégeaient :

M. Cristille, président,

M. Maleyre, premier conseiller,

M. Herzog, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juillet 2022.

Le rapporteur,

Signé

I. HERZOGLe président,

Signé

P. CRISTILLELe greffier,

Signé

A. PICOT

N°2102366

 


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