Salles de Spectacles : obligation de sécurité des exploitants 

·

·

Salles de Spectacles : obligation de sécurité des exploitants 

Une spectatrice, victime d’un accident dans une salle de spectacle, a été déboutée de son action en responsabilité contre l’exploitant du lieu. Celle-ci s’était levée de sa chaise, restant toujours sur l’estrade où se trouvait la table ; soudain la scène s’est éclairée avec le nom du spectacle de manière très lumineuse, elle alors effectué un mouvement pour revenir vers sa chaise avant que le spectacle ne commence et a chuté brutalement du haut en bas de cette estrade qui n’était pas sécurisée.

Dans la mesure où la spectatrice est tombée d’une hauteur de 20 centimètres, la juridiction a retenu que l’exploitant n’avait pas selon le règlement de sécurité contre les risques incendie et de panique dans les établissements recevant du public l’obligation d’installer une rambarde. L’installation d’une telle rambarde, compte tenu de la faible hauteur de l’estrade, n’apparaît pas plus devoir être retenue au titre de son obligation d’assurer la sécurité des clients lors de leurs déplacements.

La spectatrice a également fait grief à l’exploitant de ne pas avoir assuré un éclairage suffisant de sa salle de spectacle permettant un déplacement en toute sécurité. Or, le constat d’huissier dressé a révélé une luminosité suffisante pour toute personne normalement attentive.

__________________________________________________________________

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 03/06/2021

N° de MINUTE : 21/262

N° RG 19/05066 – N° Portalis DBVT-V-B7D-SSVU

Jugement (N° 18/01402) rendu le 02 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Dunkerque

APPELANTE

Madame E X

née le […] à […]

de nationalité française

[…]

[…]

Représentée par Me Alain-François Deramaut, avocat au barreau de Lille

INTIMÉES

SARL Kent & Kim Berquin

[…]

59232 Vieux-Berquin

Représentée par Me Thierry Courquin, avocat au barreau de Dunkerque

Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Roubaix Tourcoing

[…]

[…]

A laquelle la déclaration d’appel a eu lieu le 4 novembre 2019 à personne habilitée

SA Gan Assurances

[…]

[…]

Représentée par Me Thierry Courquin, avocat au barreau de Dunkerque

DÉBATS à l’audience publique du 24 mars 2021 tenue par Hélène Château magistrate chargée d’instruire le dossier qui, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIERE LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Hélène Château, première présidente de chambre

Sara Lamotte, conseillère

Claire Bertin, conseillère

ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 3 juin 2021 après prorogation du délibéré en date du 27 mai 2021 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Hélène Château, présidente et Harmony Poyteau, greffière, à laquelle la minute a été remise par la magistrate signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 8 mars 2021

Le 20 mars 2016, Mme X a chuté d’une estrade alors qu’elle assistait à un dîner-spectacle au Grand cabaret du Vieux Berquin exploité par la société Kent Kim Derrick prod.

Invoquant avoir subi des blessures à l’épaule droite du fait de sa chute, elle a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Dunkerque.

Par ordonnance du 6 avril 2017, le président du tribunal de grande instance de Dunkerque statuant en référé a :

— ordonné une expertise médicale de Mme X et commis le docteur F Z pour y procéder,

— ordonné une mesure de constatation, désigné Maître M.Y., huissier de justice à Merville,

— ordonné aux parties de lui remettre, préalablement à son déplacement dans les lieux, l’ensemble des pièces utiles à la reconstitution de l’état des lieux au 20 mars 2016 (structure de la salle, éclairage, positionnement du mobilier…), en se limitant à la seule zone où s’est déroulé l’accident survenu à Mme X, et notamment à partir des témoignages, photographies, plans explicatifs, billets de réservation, factures des travaux réalisés au sein de l’établissement exploité par la société Kent Kim Derrick prod « le Grand cabaret du Vieux Berquin », notamment s’agissant des modifications susceptibles d’avoir été apportées à la configuration des lieux depuis le 20 mars 2016 ou des travaux ayant conduit à l’installation de garde-corps antérieurs à cette date,

— condamné provisionnellement Mme X aux dépens de l’instance en référé,

— rappelé que l’ordonnance est exécutoire de droit à titre provisoire.

Mme X a interjeté appel de l’ordonnance de référé le 28 avril 2017 afin d’obtenir la mise en oeuvre d’une expertise technique afin de déterminer les responsabilités, avec mission de se rendre sur les lieux au sein du Grand cabaret du Vieux Berquin de décrire l’endroit où elle se trouvait juste avant sa chute, de décrire le mécanisme accidentel de ladite chute, la hauteur de la chute et les circonstances environnementales en vigueur le 20 mars 2016, se faire communiquer à cette fin tous documents utiles de la société Kent Kim Derrick prod, et notamment toutes les factures de travaux réalisés dans les lieux, dire si des travaux relatifs à la sécurité des lieux ont été réalisés depuis cette date et les décrire, préconiser toute mesure technique nécessaire à assurer la sécurité des lieux.

Par arrêt en date du 14 décembre 2017, la 3° chambre de la cour d’appel de Douai a :

— confirmé l’ordonnance querellée en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

— dit que la mesure de constatation devra être effectuée contradictoirement en présence des deux parties, régulièrement appelées et invitées lors du déroulement des opérations,

A la suite du dépôt du rapport d’expertise médicale et du procès-verbal de constat contradictoire établi Maître Y, huissier de justice à Merville en date du 16 janvier 2018, Mme X a fait assigner la société Kent Kim Derrick prod, Gan assurances et la caisse primaire d’assurance maladie de Roubaix-Tourcoing devant le tribunal de grande instance de Dunkerque par actes d’huissier des 5 et 7 juin 2018 afin d’obtenir leur condamnation à lui payer la somme de 189 176,35 euros en réparation de ses préjudices, outre 7000 euros d’indemnité d’article 700 du code de procédure civile.

Suivant jugement en date du 2 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Dunkerque a débouté Mme X de l’ensemble de ses demandes, de même que la caisse primaire d’assurance maladie de Roubaix-Tourcoing et a condamné Mme X aux dépens, retenant que la responsabilité de la SARL Kent Kim Derrick Prod ne pouvait être retenue sur le fondement des articles 1134 et 1147 anciens du code civil, seuls applicables, faute pour Mme X de prouver une faute commise par cette entreprise de spectacle, à savoir un manquement à son obligation de sécurité qui n’est qu’une obligation de moyens.

Par déclaration du 13 septembre 2019, Mme X a formé appel de ce jugement.

Au terme de ses dernières conclusions notifiées le 27 mai 2020, Mme X demande à la cour de :

— déclarer recevable son appel,

— réformer les dispositions du jugement du 2 septembre 2019,

statuant à nouveau de :

— dire et juger la SARL Kent Kim Derrick Prod le Grand cabaret du Vieux Berquin responsable d’un manquement à son obligation de sécurité,

— dire et juger que son droit à indemnisation est complet,

en conséquence,

— condamner solidairement la SARL Kent Kim Derrick Prod le Grand cabaret du Vieux Berquin et Gan assurances à lui payer les sommes de :

—  19500 euros au titre de l’assistance tierce personne avant consolidation, sur une base de 20 euros par heure

—  111,50 euros de frais divers

—  4680 euros de déficit fonctionnel temporaire, sur une base de 30 euros par jour au titre du déficit fonctionnel temporaire total,

—  15 000 euros au titre des souffrances endurées,

—  6157,49 euros au titre des frais de logement adapté,

—  20 000 euros au titre du véhicule avec boîte automatique,

—  68 908,56 euros au titre de l’assistance par tierce personne, après consolidation

—  28 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,

—  10 000 euros au titre du préjudice d’agrément,

—  1500 euros au titre du préjudice esthétique permanent,

— condamner la SARL Kent Kim Derrick Prod le Grand cabaret du Vieux Berquin au paiement de 7000 euros d’indemnité d’article 700 du code de procédure civile,

— condamner la SARL Kent Kim Derrick Prod le Grand cabaret du Vieux Berquin aux dépens des procédures de référé tant de première instance que d’appel, de la procédure au fond de première instance et d’appel, du constat de Maître Y et des frais d’expertise du docteur Z.

Elle fait valoir que les premiers juges ont confondu les obligations légales et réglementaires d’ouverture au public et l’obligation d’assurer la sécurité des spectateurs ; qu’elle a chuté depuis une estrade étroite, puisque mesurant 1,54 m de largeur, occupée par une table de 70 centimètres de largeur et des chaises qui font un empiètement de 55 centimètres avec le recul du dossier, laissant très peu de place pour le passage, dépourvue de rambarde de sécurité, dans un environnement sombre.

Dans ses conclusions notifiées le 16 janvier 2020, la société Kent Kim Derrick prod et la société Gan assurances sollicitent la confirmation du jugement entrepris, et la condamnation de l’appelante aux dépens et à lui payer une somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Subsidiairement, elle a demandé de procéder à un partage de responsabilité, de retenir que Mme X est la principale responsable de son préjudice, en laissant à la charge de celle-ci 90% et proposent de liquider comme suit le préjudice de Mme X, avant application du partage :

9108 euros au titre de l’assistance tierce personne avant consolidation, sur une base de 12 euros par heure

2965 euros de déficit fonctionnel temporaire, sur une base de 20 euros par jour au titre du déficit fonctionnel temporaire total,

8 000 euros au titre des souffrances endurées,

68 908,56 euros au titre de l’assistance par tierce personne, après consolidation

22 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,

1500 euros au titre du préjudice d’agrément,

800 euros au titre du préjudice esthétique permanent,

Elle indique que Mme X a été conduite à la table 118, que la configuration de la salle n’a pas été modifiée 2002 et donc nullement entre le 20 mars date de l’accident et 16 octobre 2016, que seul le sol a été refait, la moquette de couleur saumon ayant été enlevée et un revêtement de sol en imitation parquet a été posé, qu’elle verse au débat un procès-verbal de constat d’huissier en date du 19 décembre 2016 qui permet d’établir qu’aucune barrière de sécurité n’a été installée près de la table 118, que la marche litigieuse mesure 20 centimètres et non 50 centimètres comme a pu le soutenir Mme X, que le nez des marches était éclairé par une bande en led blanche et que la salle était normalement éclairée, le spectacle n’ayant pas encore commencé.

Elle ajoute qu’au moment du service du café, Mme X a quitté sa place pour aller discuter avec des personnes installées à d’autres tables, alors même qu’il est formellement déconseillé de se déplacer dans la salle, sauf pour raison impérative, que l’accident n’est dû qu’à la maladresse ou l’inattention de la cliente qui n’a eu de cesse que de modifier ses explications sur sa chute.

Par ordonnance en date du 28 janvier 2021, le magistrat de la mise en état a déclaré caduc l’appel formé par Mme X à l’encontre du jugement du tribunal de grande instance de Dunkerque du 2 septembre 2019 à l’encontre de la caisse primaire d’assurance maladie de Roubaix-Tourcoing.

MOTIFS DE LA DECISION

En cause d’appel, les parties s’accordent sur le fondement juridique sur lequel peut reposer l’action engagée par Mme X pour obtenir l’indemnisation des préjudices consécutifs à sa chute du 20 mars 2016 dans l’établissement exploité par la SARL Kent Kim Derrick Prod à Vieux Berquin, à savoir les articles 1134 et 1147 du code civil, cette société étant tenue d’une obligation d’assurer la sécurité de ses clients, cette obligation s’analysant comme une obligation de moyens.

La cour note en premier lieu que les circonstances dans lesquelles Mme X a chuté le 20 mars 2016, alors qu’elle assistait à un spectacle au Grand cabaret de Vieux Berquin, n’ont pas été relatées par elle de manière constante et les attestations de ses amis présents lors du spectacle ne sont pas plus éclairantes.

Dans le cadre de ses déclarations au docteur Z lors des opérations d’expertise, telles que reprises par ce dernier, Mme X avait en effet indiqué qu’elle était assise sur une estrade et qu’en se levant de sa chaise, elle avait chuté en arrière sur une estrade d’une hauteur de plusieurs dizaines de centimètres 40 à 50 centimètres.

Dans le cadre de ses dernières conclusions devant la cour, elle indique que vers la fin du déjeuner, elle s’est levée de sa chaise, restant toujours sur l’estrade où se trouvait la table, elle s’est dirigée vers un couple d’amis situés sur cette même estrade légèrement plus loin ; que soudain la scène s’est éclairée avec le nom du spectacle de manière très lumineuse, qu’elle alors effectué un mouvement pour revenir vers sa chaise avant que le spectacle ne commence et qu’elle a chuté brutalement du haut en bas de cette estrade qui n’était pas sécurisée.

Des huit attestations versées aux débats par Mme X, une seule, émanant de Mme E B qui était sa voisine de droite à table, décrit les conditions de cette chute à laquelle elle a assisté ; elle indique que Mme E X a quitté sa place et qu’en souhaitant la rejoindre à table, surprise par l’annonce du spectacle, elle est malencontreusement et lourdement tombée en butant sur une estrade.

Si Mme H A fait état quant à elle de ce que Mme X aurait chuté d’une des zones surélevées (deux hautes marches) où elle avait dialogué avec deux autres personnes du groupe, en souhaitant regagner sa place afin de profiter du spectacle qui allait suivre, qu’elle est tombée. Dans la mesure où toutefois elle précise que c’est la clameur et le bruit des proches de l’endroit où Mme X est tombée qui l’a amenée à lui porter assistance, la cour en conclut qu’en réalité, Mme A n’a pas vu elle-même la manière dont Mme X est tombée.

Le procès-verbal de constat dressé de manière contradictoire par Maître M.Y. huissier de justice à Merville le 16 janvier 2018, établit quant à lui que Mme X avait bien pris place à la place 101 qui lui avait été attribuée, à une table située sur une estrade d’une hauteur de 20 centimètres, laquelle n’était protégée par aucune rambarde.

Dans la mesure où Mme X et Mme B indiquent que Mme X s’était levée pour parler à des amis qui avaient pris place autour d’une table située sur la même estrade, elle est donc tombée d’une hauteur de 20 centimètres.

Compte tenu de cette hauteur, les premiers juges ont à juste titre retenu que l’exploitant n’avait pas selon le règlement de sécurité contre les risques incendie et de panique dans les établissements recevant du public l’obligation d’installer une rambarde, la cour ajoutant que l’installation d’une telle rambarde, compte tenu de la faible hauteur de l’estrade, n’apparaît pas plus devoir être retenue au titre de son obligation d’assurer la sécurité des clients lors de leurs déplacements.

Mme X fait également grief à l’exploitant de ne pas avoir assuré un éclairage suffisant de sa salle de spectacle permettant un déplacement en toute sécurité.

A cet égard, à l’instar du premier juge, la cour retient que n’est pas établi le fait qu’au moment de la chute de Mme X, les lumières s’étaient éteintes. Si M. C et Mme D épouse de M. C indiquent qu’avant que le spectacle ne commence le 20 avril 2016, le personnel n’a pas invité les gens à regagner leur place et que la salle s’est éteinte, ils ne précisent pas que Mme X soit tombée après que les lumières se soient éteintes.

Reste à déterminer, si les lumières existantes étaient suffisantes pour assurer la sécurité des clients.

A cet égard, le procès-verbal de constat de l’huissier en date du 16 janvier 2018 révèle une luminosité suffisante pour toute personne normalement attentive.

Au vu de ces éléments, sera confirmée la décision du tribunal de grande instance de Dunkerque qui a conclu à l’absence de manquement de la SARL Kent Kim Derrick Prod à son obligation de sécurité.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté Mme X de ses demandes d’indemnisation.

Mme X partie perdante sera condamnée aux dépens en application de l’article 696 du code de procédure pénale tant de première instance, le jugement étant confirmé sur ce point, que d’appel.

Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des intimés les frais non compris dans les dépens qu’ils ont exposés, Mme X devant quant à elle également garder à sa charge ses frais..

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Dunkerque du 2 septembre 2019,

Y ajoutant,

Condamne Mme E X aux dépens d’appel,

Rejette comme étant mal fondées les demandes d’indemnité d’article 700 du code de procédure civile formées en cause d’appel.

La Greffière La Présidente


Chat Icon