Rétention administrative : conditions et garanties de représentation en question

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Rétention administrative : conditions et garanties de représentation en question

L’Essentiel : M. [L] [P], ressortissant algérien né en Algérie et connu sous un alias tunisien, a été condamné à six mois d’emprisonnement pour vol avec violences. Après sa libération, il a été placé en rétention administrative, prolongée par le tribunal. M. [L] [P] a interjeté appel, contestant la légalité de la procédure, notamment l’utilisation de la visioconférence. Toutefois, la cour a jugé que les conditions de l’audience étaient respectées et a confirmé la légitimité de la rétention, considérant ses antécédents judiciaires et l’absence de garanties de représentation comme des motifs suffisants.

Identité et situation de M. [L] [P]

M. [L] [P] est un ressortissant algérien, né à [Localité 3] en Algérie, mais également connu sous un alias tunisien, né à [Localité 1] en Tunisie. Il a été soumis à un arrêté d’obligation de quitter le territoire français, notifié le 31 juillet 2024, avec une interdiction de retour d’un an.

Condamnation et rétention administrative

Le 5 août 2024, M. [L] [P] a été condamné par le tribunal correctionnel de Nantes à six mois d’emprisonnement et à une interdiction du territoire français de cinq ans pour vol avec violences et violation d’une interdiction de paraître dans des lieux spécifiques. Il a été placé en rétention administrative le 3 janvier 2025, après sa libération, avec une prolongation de vingt-six jours autorisée par le juge du tribunal judiciaire de Rouen le 10 janvier 2025.

Appel et moyens de contestation

M. [L] [P] a interjeté appel de la décision de prolongation de sa rétention, invoquant plusieurs moyens, notamment l’irrégularité de la visioconférence utilisée lors de l’audience, la violation de l’article 8 de la CEDH, et l’insuffisance des diligences de l’administration française concernant son éloignement.

Observations du préfet et avis du parquet

Le préfet de la Loire-Atlantique a fourni des observations écrites, et le parquet général a requis la confirmation de l’ordonnance de prolongation de la rétention, soutenant la légitimité de la décision.

Motivations de la décision

L’appel a été jugé recevable. Concernant la visioconférence, il a été établi que les conditions de confidentialité et de publicité des débats étaient respectées, permettant ainsi de rejeter ce moyen. En ce qui concerne l’actualisation du registre du centre de rétention, il a été déterminé que la non-mention des convocations n’affectait pas la recevabilité de la requête.

Placement en rétention et appréciation des risques

Le juge a confirmé que le placement en rétention était justifié par les antécédents judiciaires de M. [L] [P], son comportement menaçant pour l’ordre public, et l’absence de garanties de représentation. Les motifs retenus par le préfet ont été jugés suffisants pour justifier cette mesure.

Violation de la vie familiale et perspectives d’éloignement

M. [L] [P] a soutenu que la rétention portait atteinte à sa vie familiale, mais n’a pas fourni de preuves de ses liens familiaux. La cour a estimé que la rétention, étant temporaire, ne constituait pas une atteinte disproportionnée. De plus, les diligences entreprises par l’administration pour son éloignement ont été jugées adéquates, malgré les complications liées à son identification.

Conclusion de la décision

La cour a déclaré recevable l’appel de M. [L] [P] et a confirmé la décision de prolongation de sa rétention administrative, considérant que tous les moyens soulevés avaient été rejetés.

Q/R juridiques soulevées :

Sur la recevabilité de l’appel

L’appel interjeté par M. [L] [P] à l’encontre de l’ordonnance rendue le 10 janvier 2025 est déclaré recevable.

Cette décision repose sur le principe fondamental du droit à un recours effectif, tel que garanti par l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui stipule que toute personne a droit à un recours effectif devant une instance nationale, même si la violation alléguée a été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles.

Il est donc essentiel que les voies de recours soient accessibles et que les décisions puissent être contestées devant une juridiction compétente.

Sur le recours à la visioconférence

L’article L.743-7 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) précise que l’audience doit se tenir dans une salle d’audience attribuée au ministère de la justice, spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention.

Le juge peut également siéger au tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe le lieu de rétention.

Il est stipulé que les deux salles d’audience doivent être ouvertes au public et reliées par un moyen de communication audiovisuelle garantissant la confidentialité et la qualité de la transmission.

Ainsi, tant que ces conditions sont respectées, l’utilisation de la visioconférence ne contrevient pas aux droits de l’individu, notamment à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit le droit à un procès équitable.

En l’espèce, la salle d’audience était conforme aux exigences légales, permettant ainsi de rejeter le moyen soulevé par M. [L] [P].

Sur l’actualisation du registre

M. [L] [P] soutient que la copie du registre du centre de rétention n’est pas actualisée.

L’article L.744-2 du CESEDA impose que le registre contienne des mentions relatives à l’état civil des personnes retenues ainsi que les conditions de leur placement.

Il est établi que la non-production d’une copie actualisée du registre peut constituer une fin de non-recevoir. Cependant, aucune disposition législative n’exige la mention des recours formés par l’intéressé dans le registre.

Ainsi, le moyen tiré du défaut d’actualisation du registre est rejeté, car la requête était accompagnée d’un registre conforme aux exigences légales.

Sur la motivation de l’arrêté de placement en rétention

L’article L.741-1 du CESEDA stipule que l’autorité administrative peut placer en rétention un étranger qui ne présente pas de garanties de représentation effectives.

Le préfet a justifié sa décision en se basant sur plusieurs éléments, notamment la condamnation de M. [L] [P] pour des faits délictuels et son comportement qui représente une menace pour l’ordre public.

Il n’est pas nécessaire que le préfet mentionne tous les éléments de la situation personnelle de l’intéressé, tant que les motifs retenus suffisent à justifier le placement en rétention.

En conséquence, le moyen soulevé par M. [L] [P] concernant la motivation de l’arrêté est rejeté.

Sur l’erreur manifeste d’appréciation

L’article L.731-1 du CESEDA permet à l’autorité administrative de prendre une décision d’assignation à résidence, mais le placement en rétention est une mesure exceptionnelle.

Il est constant que la décision de placement en rétention est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation lorsque l’administration s’est trompée grossièrement dans l’appréciation des faits.

En l’espèce, le préfet a pris en compte des éléments concrets, tels que les antécédents judiciaires de M. [L] [P] et son comportement, pour justifier le placement en rétention.

Ainsi, il n’y a pas eu d’erreur manifeste d’appréciation, et le moyen est rejeté.

Sur la violation de l’article 8 de la CEDH

M. [L] [P] allègue que la rétention administrative porte atteinte à sa vie familiale, protégée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Cependant, la rétention administrative, par son caractère temporaire, ne constitue pas en soi une atteinte disproportionnée à la vie familiale.

Les liens familiaux peuvent être maintenus par des visites ou des communications, ce qui permet de rejeter ce moyen.

Sur la méconnaissance de l’article L742-4 du CESEDA

L’article L742-4 du CESEDA ne s’applique pas à la première prolongation de la rétention administrative.

Par conséquent, le moyen soulevé par M. [L] [P] est inopérant et est rejeté.

Sur les diligences entreprises par l’administration française et les perspectives d’éloignement

L’article L.741-3 du CESEDA stipule qu’un étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ.

L’administration doit justifier les diligences entreprises pour saisir les autorités consulaires, mais elle n’est pas tenue de relancer ces autorités.

En l’espèce, les autorités algériennes et tunisiennes n’ont pas reconnu M. [L] [P] comme l’un de leurs ressortissants, ce qui complique son identification.

L’administration a donc satisfait à son obligation de diligences, et le moyen est rejeté.

N° RG 25/00143 – N° Portalis DBV2-V-B7J-J3KE

COUR D’APPEL DE ROUEN

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 14 JANVIER 2025

Brigitte HOUZET, conseillère à la cour d’appel de Rouen, spécialement désignée par ordonnance de la première présidente de ladite cour pour la suppléer dans les fonctions qui lui sont spécialement attribuées,

Assistée de Mme DEMANNEVILLE, Greffière lors des débats et Mme VESPIER, greffière lors du délibéré ;

Vu les articles L 740-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Vu la décision du tribunal correctionnel de Nantes en date du 5 août 2024 condamnant M. [L] [P], né le 01 Janvier 1997 à [Localité 3] (ALGERIE) à une interdiction du territoire français pour 5 ans ;

Vu l’arrêté du préfet de Loire Atlantique en date du 3 janvier 2025 de placement en rétention administrative de M. [L] [P] ayant pris effet le 6 janvier 2025 à 9h14 ;

Vu la requête de M. [L] [P] en contestation de la régularité de la décision de placement en rétention administrative ;

Vu la requête du préfet de Loire Atlantique tendant à voir prolonger pour une durée de vingt six jours la mesure de rétention administrative qu’il a prise à l’égard de M. [L] [P] ;

Vu l’ordonnance rendue le 10 Janvier 2025 à 11h59 par le Juge des libertés et de la détention de ROUEN, déclarant la décision de placement en rétention prononcée à l’encontre de Monsieur [L] [P] régulière, et ordonnant en conséquence son maintien en rétention pour une durée de vingt six jours à compter du 10 janvier 2025 à 9h14 jusqu’au 5 février 2025 à la même heure ;

Vu l’appel interjeté par M. [L] [P], parvenu au greffe de la cour d’appel de Rouen le 13 janvier 2025 à 10h48 ;

Vu l’avis de la date de l’audience donné par le greffier de la cour d’appel de Rouen :

– aux services du directeur du centre de rétention de [Localité 2],

– à l’intéressé,

– au préfet de Loire Atlantique,

– à Me Antoine LABELLE, avocat au barreau de ROUEN, de permanence,

– à Mme [E] [W], interprète en langue allemande ;

Vu les dispositions des articles L 743-8 et R 743-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Vu la décision prise de tenir l’audience grâce à un moyen de télécommunication audiovisuelle et d’entendre la personne retenue par visioconférence depuis les locaux dédiés à proximité du centre de rétention administrative de [Localité 2] ;

Vu la demande de comparution présentée par M. [L] [P] ;

Vu l’avis au ministère public ;

Vu les débats en audience publique, en présence de Mme Anne-Emmanuelle FOURNIER, qui a prêté serment, en l’absence du préfet de Loire Atlantique et du ministère public ;

Vu la comparution de M. [L] [P] par visioconférence depuis les locaux dédiés à proximité du centre de rétention administrative de [Localité 2] ;

Me Antoine LABELLE, avocat au barreau de ROUEN, étant présent au palais de justice ;

Vu les réquisitions écrites du ministère public ;

Vu les observations écrites du préfet de Loire Atlantique en date du 13 janvier 2025 ;

Vu les conclusions écrites de Me Antoine LABELLE, avocat au barreau de Rouen, en date du 14 janvier 2025 ;

Les réquisitions et les conclusions ont été mises à la disposition des parties ;

L’appelant et son conseil ayant été entendus ;

Décision prononcée par mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS

M. [L] [P] déclare être ressortissant algérien pour être né à [Localité 3] (Algérie). Il est également connu sous l’alias [L] [P], né à [Localité 1] (Tunisie).

Il a fait l’objet d’un arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai et avec interdiction de retour d’une durée de un an notifié le 31 juillet 2024.

Il a été condamné par le tribunal correctionnel de Nantes le 5 août 2024 à une peine d’emprisonnement de six mois et à une interdiction du territoire français pendant une durée de cinq ans pour des faits commis le 3 août 2024 et constitutifs de vol avec violences n’ayant pas entraîné d’incapacité totale de travail et violation de l’interdiction de paraître dans des lieux où l’infraction a été commise.

Il a été placé en rétention administrative selon arrêté du 3 janvier 2025, notifié le 6 janvier 2025, à l’issue de sa levée d’écrou.

La prolongation de sa rétention administrative a été autorisée par ordonnance du juge du tribunal judiciaire de Rouen du 10 janvier 2025 pour une durée de vingt-six jours.

M. [L] [P] a interjeté appel de cette décision.

Au soutien de son appel, il fait valoir :

– l’irrégularité du recours à la visioconférence

– la violation de l’article 8 de la CEDH

– l’insuffisance des diligences entreprises par l’administration française et l’absence de perspectives d’éloignement

Le préfet de la Loire-Atlantique a communiqué des observations écrites.

Le dossier a été communiqué au parquet général qui, par avis écrit du 13 janvier 2025, a requis la confirmation de l’ordonnance.

A l’audience, son conseil a réitéré les moyens développés dans l’acte d’appel, y ajoutant les moyens tirés:

– de l’irrecevabilité de la requête du préfet, en l’absence de copie actualisée du registre centre de rétention

-du défaut de motivation de l’arrêté de placement en rétention

– de l’erreur manifeste d’appréciation

– la méconnaissance de l’article L742-4.

M. [L] [P] a été entendu en ses observations.

MOTIVATION DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l’appel

Il résulte des énonciations qui précédent que l’appel interjeté par M. [L] [P] à l’encontre de l’ordonnance rendue le 10 Janvier 2025 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Rouen est recevable.

Sur le fond

Sur le recours à la visioconférence :

L’article L.743-7 du CESEDA, dans sa rédaction issue de la loi du 26 janvier 2024, dispose : « Afin d’assurer une bonne administration de la justice et de permettre à l’étranger de présenter ses explications, l’audience se tient dans la salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention.

Le juge peut toutefois siéger au tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe le lieu de rétention. Les deux salles d’audience sont alors ouvertes au public et reliées entre elles en direct par un moyen de communication audiovisuelle garantissant la confidentialité et la qualité de la transmission.

Dans le cas mentionné au deuxième alinéa, le conseil de l’étranger, de même que le représentant de l’administration, peuvent assister à l’audience dans l’une ou l’autre salle. Il a le droit de s’entretenir avec son client de manière confidentielle. Une copie de l’intégralité du dossier est mise à la disposition du requérant. Un procès-verbal attestant de la conformité des opérations effectuées au présent article est établi dans chacune des salles d’audience.

Le juge peut, de sa propre initiative ou sur demande des parties, suspendre l’audience lorsqu’il constate que la qualité de la retransmission ne permet pas à l’étranger ou à son conseil de présenter ses explications dans des conditions garantissant une bonne administration de la justice.

Par dérogation au premier alinéa, lorsqu’aucune salle n’a été spécialement aménagée à proximité immédiate ou en cas d’indisponibilité de la salle, l’audience se tient au siège du tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe le lieu de rétention.

Par dérogation au présent article, lorsqu’est prévue une compétence territoriale dérogatoire à celle fixée par voie réglementaire, l’audience se tient au siège du tribunal judiciaire auquel appartient le juge compétent. Le juge peut toutefois décider que l’audience se déroule avec l’utilisation de moyens de communication audiovisuelle, dans les conditions prévues aux deuxième et troisième alinéas. »

Tant le Conseil d’Etat (18 novembre 2011) que la Cour de cassation (notamment 12 octobre 2011) ont estimé que si la salle d’audience était autonome et hors de l’enceinte du centre de rétention administrative, qu’elle était accessible au public par une porte autonome donnant sur la voie publique, que la ou les salles d’audience n’étaient pas reliées aux bâtiments composant le centre, qu’une clôture la séparait du centre de rétention, ces conditions permettent au juge de statuer publiquement, dans le respect de l’indépendance des magistrats et de la liberté des parties.

Il est par ailleurs acquis que l’utilisation de la visioconférence lors de l’audience devant le juge des libertés et de la détention ne contrevient pas aux dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit à un procès équitable.

Il en résulte que le recours à la visioconférence est subordonné à la condition que soit assurée la confidentialité de la transmission entre le tribunal et la salle d’audience spécialement aménagée à cet effet, ouverte au public et située dans les locaux attribués au ministère de la justice (décision n°2018-770 DC du 6 septembre 2018, §28) à proximité immédiate et non à l’intérieur du centre de rétention ou dans des locaux relevant du Ministère de l’Intérieur, étant précisé que le fait que cette salle soit éventuellement gérée par le ministère de l’intérieur n’est pas de nature à remettre en cause son attribution au ministère de la justice.

En l’espèce, sur le caractère adapté ou non de la salle d’audience aménagée, la cour relève que ladite salle, la salle de télévision où se trouve la personne retenue et la salle réservée aux entretiens confidentiels avec l’avocat, sont situées dans l’enceinte territoriale de l’Ecole de Police de [Localité 2], comme le centre de rétention administrative lui-même, mais dans des locaux totalement indépendants du centre, en ce qu’elle n’est pas reliée aux bâtiments composant le centre, qu’elle est accessible au public par une porte autonome donnant sur la voie publique, une clôture séparant son accès du centre de rétention. En tout état de cause, il n’est pas soutenu, et a fortiori justifié de ce que des personnes se seraient présentées pour assister à l’audience depuis la salle située à [Localité 2] et en auraient été empêchées.

L’audience devant le juge des libertés et de la détention de Rouen s’est donc tenue, conformément au deuxième alinéa de l’article précité, dans une salle ouverte au public au tribunal judiciaire située à proximité immédiate des locaux du centre de rétention, spécialement aménagée à cet effet et attribuée au ministère de la justice, par un moyen de communication audiovisuelle garantissant, la clarté, la sincérité et la publicité des débats, la confidentialité et la qualité de la transmission, un procès-verbal de l’audience en visio-conférence ayant été établi à cet effet.

En conséquence, le moyen sera rejeté.

Sur l’actualisation du registre :

M. [L] [P] soutient que la copie du registre du centre de rétention jointe à la requête n’est pas actualisée faute de mention des convocations à comparaître devant le magistrat du siège du tribunal judiciaire et celui de la cour d’appel.

Au regard du moyen pris du défaut d’actualisation du registre, il n’est pas contesté que le registre doit être actualisé et que la non-production d’une copie actualisée, permettant un contrôle de l’effectivité de l’exercice des droits reconnus à l’étranger au cours de la mesure de rétention, constitue une fin de non-recevoir pouvant être accueillie sans que celui qui l’invoque ait à justifier d’un grief (1re Civ., 26 octobre 2022, pourvoi n° 21-19.352; 18 octobre 2023, pourvoi n° 22.18-742 ; 5 juin 2024, pourvoi n° 23-10.130 ; 5 juin 2024, pourvoi n° 22-23.567).

Or aucune disposition législative ou réglementaire n’impose la mention sur le registre du centre de rétention administrative des recours formés par l’intéressé (en l’espèce le 14 septembre 2024, soit peu avant la saisine du juge de la rétention) devant la juridiction administrative et ce point n’est pas contredit à hauteur d’appel. A nouveau, il est rappelé que la nature du contenu des pièces justificatives utiles est variable selon la nature du dossier.

Sauf à imposer un formalisme excessif à l’administration, en exigeant que soit mentionnés tous les actes et pièces d’un dossier de procédure, il n’y a pas lieu d’interpréter les dispositions de l’article L. 744-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en imposant d’autres mentions que celles relatives à « l’état civil des personnes retenues ainsi que les conditions de leur placement ou de leur maintien en rétention », ce qui implique la mention des précédentes décisions de prolongation (1re Civ., 5 juin 2024, pourvoi n° 22.23-567) ainsi que des heures de sortie et de retour du centre de rétention (1re Civ., 18 octobre 2023, pourvoi n° 22.18-742).

A ce stade de la procédure et dans le présent dossier, il y a donc lieu de considérer que la requête est accompagnée d’un registre actualisé, que la requête du préfet est recevable et, par suite, que le moyen doit être rejeté.

Sur la motivation de l’arrêté de placement en rétention :

Il appartient au juge chargé du contrôle de cette mesure de vérifier le bien-fondé de la décision de placement en rétention, notamment au regard des dispositions de l’article L.741-1 du même code, qui permet le placement en rétention administrative d’une personne qui se trouve dans l’un des cas prévus à l’article L. 731-1 lorsqu’il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l’exécution de la décision d’éloignement et qu’aucune autre mesure n’apparaît suffisante à garantir efficacement l’exécution effective de cette décision. Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l’article L. 612-3 ou au regard de la menace pour l’ordre public que l’étranger représente.

Sur l’appréciation des garanties de représentation, le préfet n’est pas tenu de faire état dans sa décision de tous les éléments de la situation personnelle de l’intéressé dès lors que les motifs positifs qu’il retient suffisent à justifier le placement en rétention.

Le préfet a notamment retenu les motifs suivants :

– l’intéressé a fait l’objet d’une condamnation le 05 août 2024 pour des faits délictuels;

– Une interdiction du territoire français pendant une durée de cinq ans a été prononcée à son encontre

– il représente une menace pour l’ordre public avec risque de récidive eu égard à ses antécédents judiciaires.

– il dissimule volontairement des éléments de son identité en faisant usage de plusieurs alias, ne rapporte pas la preuve d’une résidence stable et effective, n’a pas sollicité la délivrance d’un titre de séjour et n’a pas exécuté volontairement la mesure d’éloignement prise à son encontre.

A la date à laquelle le préfet a statué, il pouvait considérer, notamment au regard de l’absence de justificatifs fournis sur la situation personnelle, familiale et l’existence d’une résidence stable en France, que le maintien en rétention de l’intéressé se justifiait pour permettre l’éloignement.

Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur l’erreur manifeste d’appréciation :

L’article L. 731-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que l’autorité administrative peut prendre une décision d’assignation à résidence à l’égard de l’étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l’éloignement demeure une perspective raisonnable.

L’article L 741-1 du même code ajoute que :

‘L’autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quatre jours, l’étranger qui se trouve dans l’un des cas prévus à l’article L. 731-1 lorsqu’il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l’exécution de la décision d’éloignement et qu’aucune autre mesure n’apparaît suffisante à garantir efficacement l’exécution effective de cette décision.

Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l’article L. 612-3 ou au regard de la menace pour l’ordre public que l’étranger représente.’

L’article L 612-3 du même code précise que :

‘Le risque mentionné au 3° de l’article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants :

1° L’étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n’a pas sollicité la délivrance d’un titre de séjour ;

2° L’étranger s’est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d’un titre de séjour ;

3° L’étranger s’est maintenu sur le territoire français plus d’un mois après l’expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l’occasion d’une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ;

4° L’étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ;

5° L’étranger s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement ;

6° L’étranger, entré irrégulièrement sur le territoire de l’un des États avec lesquels s’applique l’acquis de Schengen, fait l’objet d’une décision d’éloignement exécutoire prise par l’un des États ou s’est maintenu sur le territoire d’un de ces États sans justifier d’un droit de séjour ;

7° L’étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d’identité ou de voyage ou a fait usage d’un tel titre ou document ;

8° L’étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu’il ne peut présenter des documents d’identité ou de voyage en cours de validité, qu’il a refusé de communiquer les renseignements permettant d’établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu’il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d’empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l’article L. 142-1, qu’il ne justifie pas d’une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu’il s’est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5.’

Il en résulte que le placement en rétention administrative est une mesure exceptionnelle, subsidiaire à l’assignation à résidence qui doit être privilégiée dès lors qu’il existe des éléments suffisants pour garantir efficacement l’exécution de la mesure d’éloignement.

Il est constant que la décision de placement en rétention est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation lorsque l’administration s’est trompée grossièrement dans l’appréciation des faits qui ont motivé sa décision. Le juge peut, sans substituer son appréciation à celle de l’administration, sanctionner une erreur manifeste d’appréciation des faits à condition qu’elle soit grossière, flagrante, repérable par le simple bon sens, et qu’elle entraîne une solution choquante dans l’appréciation des faits par l’autorité administrative.

En l’espèce, la décision de placement en rétention cite les textes applicables à la situation de M. [L] [P] et énonce les circonstances qui justifient l’application de ces dispositions. Elle précise notamment que M. [L] [P], qui n’a pas sollicité la délivrance d’un titre de séjour, est connu sous plusieurs alias, ne produit aucun justificatif de son identité, de sa situation familiale ou d’une possibilité d’hébergement et a été condamné le 5 août 2024 pour des faits de vol avec violences, mais également pour la violation d’une interdiction de paraître dans les lieux où l’infraction a été commise, que son comportement représente ainsi une menace réelle et actuelle pour l’ordre public avec risque de récidive.

M. [L] [P] soutient qu’il n’a fait l’objet que d’une seule condamnation et ne représente donc pas une menace réelle pour l’ordre public, que, par ailleurs, si ses attaches familiales sont en Allemagne, l’une de ses cousines demeure à [Localité 4] et peut l’héberger.

M. [L] [P] ne produit néanmoins aucun justificatif à l’appui de ses dires. Il a été condamné récemment pour des faits de vol avec violences et également pour violation d’une interdiction de paraître à laquelle il avait antérieurement été condamné, ce qui démontre qu’il a fait l’objet de plusieurs condamnations et qu’il a méconnu l’une des peines prononcées.

En conséquence, l’autorité préfectorale n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant l’existence d’un risque de récidive, l’absence de garanties de représentation et ordonnant le placement en rétention administrative de l’intéressé.

Sur la violation de l’article 8 de la CEDH :

M. [L] [P] soutient que sa famille vit en Allemagne et que la rétention administrative porte une atteinte disproportionnée à sa vie familiale. Il ne justifie pas néanmoins de ses liens familiaux.

En tout état de cause, la rétention administrative, par son caractère temporaire et encadré ne porte pas en elle-même une atteinte disproportionnée à la vie familiale, alors que les liens familiaux peuvent être maintenus par visites organisées au centre ou communications par d’autres moyens.

Le moyen de ce chef sera donc rejeté.

Sur la méconnaissance de l’article L742-4 du CESEDA :

S’agissant d’une première prolongation de la rétention administrative, cet article n’est pas applicable.

Le moyen est donc inopérant.

Sur les diligences entreprises par l’administration française et les perspectives d’éloignement :

L’article L.741-3 du CESEDA dispose qu’un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration exerce toute diligence à cet effet.

L’autorité administrative doit justifier les diligences qu’elle a entreprises pour saisir les autorités consulaires compétentes, mais sans avoir à les relancer dès lors qu’elle n’a aucun pouvoir de coercition sur les autorités étrangères. Elle n’a l’obligation d’exercer toutes diligences en vue du départ de l’étranger qu’à compter du placement en rétention et le juge ne saurait lui imposer la réalisation d’actes sans véritable effectivité.

En l’espèce, les autorités algériennes et tunisiennes ont indiqué ne pas reconnaître M. [L] [P] comme l’un de leurs ressortissants. L’identification de l’intéressé a pu être perturbée par le fait qu’il est connu sous plusieurs alias, fait imputable à lui-même. Un réexamen de son dossier a été demandé le 6 janvier 2025. L’administration française a ainsi satisfait à son obligation de diligences.

Rien ne permet de conclure à ce jour à l’absence de perspectives d’éloignement.

Le moyen sera donc rejeté.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, par ordonnance réputée contradictoire et en dernier ressort,

Déclare recevable l’appel interjeté par M. [L] [P] à l’encontre de l’ordonnance rendue le 10 Janvier 2025 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Rouen ordonnant son maintien en rétention pour une durée de vingt six jours,

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions.

Fait à Rouen, le 14 Janvier 2025 à 16h40.

LE GREFFIER, LA CONSEILLERE,

NOTIFICATION

La présente ordonnance est immédiatement notifiée contre récépissé à toutes les parties qui en reçoivent une expédition et sont informées de leur droit de former un pourvoi en cassation dans les deux mois de la présente notification et dans les conditions fixées par les articles 973 et suivants du code de procédure civile.


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