L’Essentiel : Dans l’affaire opposant la société Alexandre Landre à la fondation Z, la demande d’expertise sur l’authenticité de la sculpture « Femme plate V » a été rejetée. Le juge a souligné que le droit moral de l’auteur ne contraint pas celui-ci à certifier l’authenticité des œuvres. La fondation, ayant déjà exprimé un avis sur la défectuosité de la sculpture, ne pouvait être tenue responsable d’un éventuel abus. La société Landre, qui a perdu le procès, a été condamnée à payer 4 000 euros à la fondation pour couvrir ses frais.
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Il ne saurait d’y avoir d’abus ni plus généralement aucune faute, pour le titulaire du droit moral d’un auteur, à exprimer, à la demande du propriétaire d’une oeuvre, un avis sur l’authenticité de celle-ci fondé sur l’analyse d’un comité d’experts reconnus dans le domaine.
Le droit moral de l’auteurLe droit moral de l’auteur au respect de son nom ne donne pas à celui-ci (ainsi qu’à ses héritiers ou légataires) le devoir de se prononcer sur l’authenticité de chaque oeuvre qu’on lui présente, ni a fortiori de modifier son avis à chaque fois qu’on lui présente des éléments nouveaux. Autrement formulé, la loi ne fait pas du titulaire du droit moral un certificateur obligatoire. La mission de « certificateur »S’il exerce une telle mission de certificateur, il se place dans la même situation que toute personne prétendant pouvoir distinguer les oeuvres authentiques des imitations, et c’est seulement aux personnes concernées (amateurs, propriétaires…) qu’il incombe de lui donner du crédit dans ce rôle. L’affaire GiacomettiEn l’espèce, au-delà de l’argument du droit moral qui est manifestement dépourvu de fondement, l’action envisagée vise à reprocher à une personne d’avoir émis, à la demande de l’intéressé, un avis exprimé sur la base de l’opinion de techniciens reconnus pour des motifs certes succincts mais explicites (défectuosité apparente du tirage), et d’avoir refusé de modifier ultérieurement cet avis lorsqu’un autre expert a adopté une opinion contraire. Il est manifeste qu’un tel grief n’est pas susceptible de caractériser une faute. L’action envisagée est donc vouée à l’échec. La demande d’expertisePour rappel, aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé. L’obtention de telles mesures est subordonnée à plusieurs conditions, à savoir : – l’absence de procès devant le juge du fond ; À ce stade, le juge n’est pas tenu de caractériser l’intérêt légitime du demandeur au regard des règles de droit éventuellement applicables ou des différents fondements juridiques des actions que ce dernier envisage d’engager, puisqu’il s’agit seulement d’analyser le motif légitime qu’a le demandeur de conserver ou d’établir l’existence de faits en prévision d’un éventuel procès, lequel peut être de nature civile ou pénale. Si le litige au fond peut n’être qu’éventuel, la mesure sollicitée doit toutefois reposer sur des faits précis, objectifs et vérifiables, qui permettent de projeter ce litige futur comme plausible et crédible (Cass. 2e Civ., 16 mars 2017, n° 16-13.950). Dès lors, si l’action est manifestement vouée à l’échec, la mesure d’instruction n’a pas de motif légitime (Cass. Com., 18 janvier 2023, pourvoi n° 22-19.539). Résumé de l’affaire : La société Alexandre Landre détient, pour le compte de M. N, une sculpture intitulée « Femme plate V » du sculpteur Z. En 2014, le comité V de la fondation Z a jugé que cette sculpture était un « tirage défectueux » et ne devait pas figurer dans le catalogue raisonné de l’artiste. En 2022, la société Landre a sollicité l’expertise de M. T, qui a trouvé la sculpture conforme à un autre exemplaire, mais n’a pas pu comparer avec celui de la fondation, qui a refusé, qualifiant la sculpture de contrefaçon. Insatisfaite, la société Landre a assigné la fondation en référé pour obtenir une expertise judiciaire sur l’authenticité de la sculpture. La société demande que l’expert compare la sculpture avec d’autres exemplaires et réclame 7 000 euros. La fondation s’oppose à l’expertise et demande 8 000 euros. La société Landre argue que la fondation a un devoir d’authentification, tandis que la fondation soutient que son refus est légitime et que l’action est prescrite. Le juge des référés a rejeté la demande d’expertise et condamné la société Landre à payer 4 000 euros à la fondation.
REPUBLIQUE FRANÇAISE 10 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Paris RG n° 24/52939 TRIBUNAL
JUDICIAIRE DE PARIS ■ N° RG 24/52939 – N° Portalis 352J-W-B7I-C4NKZ N° : 9-CH Assignation du : [1] [1] 2 Copies exécutoires ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ par Arthur COURILLON-HAVY, Juge au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal, Assisté de Célia HADBOUN, Greffière. LA SOCIÉTÉ ALEXANDRE LANDRE [Localité 5], société par actions simplifiée unipersonnelle représentée par Maître Pascal-pierre GARBARINI de la SAS GARBARINI ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS – #D0827 DEFENDERESSE LA FONDATION [Z] ET ANNETTE [V] représentée par Maître Hélène DUPIN de la SELARL HDA AVOCATS, avocats au barreau de PARIS – #D1370 DÉBATS A l’audience du 12 Septembre 2024, tenue publiquement, présidée par Arthur COURILLON-HAVY, Juge, assisté de Célia HADBOUN, Greffière, Nous, Président, Après avoir entendu les conseils des parties, Vu l’assignation en référé introductive d’instance, délivrée le 11 avril 2024, et les motifs y énoncés, EXPOSÉ DU LITIGE
La société ‘Alexandre landre [Localité 5]’ (la société Landre) détient, pour le compte de M. [S] [N] qui lui en a donné mandat de vente, un exemplaire de l’oeuvre « Femme plate V » du sculpteur Giacometti. Prétentions des parties À l’audience et dans ses conclusions soutenues oralement, la société Landre demande en substance que l’expert se prononce sur l’authenticité de sa sculpture après l’avoir notamment comparée aux deux exemplaires de la même oeuvre se trouvant à Beaubourg pour l’un et entre les mains de la fondation [V] pour l’autre, outre la condamnation de la défenderesse à lui payer 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. À l’audience et dans ses conclusions soutenues oralement, la fondation [V] s’oppose à l’expertise et réclame 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La société Landre estime que la recherche de la preuve d’authenticité de la sculpture en cause est en lien avec un éventuel procès en ce que la fondation [V], étant investie du droit moral de l’artiste, a le devoir de participer à l’authentification de ses oeuvres et son refus peut être fautif s’il est considéré comme abusif, outre que l’intégration d’une oeuvre authentique au catalogue raisonné d’un artiste peut être ordonnée judiciairement en raison de l’impératif d’objectivité auquel ce catalogue doit répondre (mais elle précise ne pas avoir demandé une telle intégration au catalogue). MOTIVATION
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé. À ce stade, le juge n’est pas tenu de caractériser l’intérêt légitime du demandeur au regard des règles de droit éventuellement applicables ou des différents fondements juridiques des actions que ce dernier envisage d’engager, puisqu’il s’agit seulement d’analyser le motif légitime qu’a le demandeur de conserver ou d’établir l’existence de faits en prévision d’un éventuel procès, lequel peut être de nature civile ou pénale. La société Landre, qui perd le procès, est tenue aux dépens et doit indemniser la défenderesse de ses frais, à une hauteur que l’équité permet de fixer à 4 000 euros. PAR CES MOTIFS
Le juge des référés, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire en premier ressort : Rejettons la demande d’expertise Condamnons la société Alexandre Landre [Localité 5] aux dépens ainsi qu’à payer 4 000 euros à la fondation [Z] et annette [V] au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Fait à Paris le 10 octobre 2024 La Greffière, Le Président, Célia HADBOUN Arthur COURILLON-HAVY |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le droit moral de l’auteur ?Le droit moral de l’auteur au respect de son nom ne donne pas à celui-ci (ainsi qu’à ses héritiers ou légataires) le devoir de se prononcer sur l’authenticité de chaque œuvre qu’on lui présente, ni a fortiori de modifier son avis à chaque fois qu’on lui présente des éléments nouveaux. Autrement formulé, la loi ne fait pas du titulaire du droit moral un certificateur obligatoire. Quelle est la mission de « certificateur » ?S’il exerce une telle mission de certificateur, il se place dans la même situation que toute personne prétendant pouvoir distinguer les œuvres authentiques des imitations, et c’est seulement aux personnes concernées (amateurs, propriétaires…) qu’il incombe de lui donner du crédit dans ce rôle. Quelles sont les circonstances de l’affaire Giacometti ?En l’espèce, au-delà de l’argument du droit moral qui est manifestement dépourvu de fondement, l’action envisagée vise à reprocher à une personne d’avoir émis, à la demande de l’intéressé, un avis exprimé sur la base de l’opinion de techniciens reconnus pour des motifs certes succincts mais explicites (défectuosité apparente du tirage), et d’avoir refusé de modifier ultérieurement cet avis lorsqu’un autre expert a adopté une opinion contraire. Il est manifeste qu’un tel grief n’est pas susceptible de caractériser une faute. L’action envisagée est donc vouée à l’échec. Quelles sont les conditions pour une demande d’expertise selon l’article 145 du code de procédure civile ?L’obtention de telles mesures est subordonnée à plusieurs conditions, à savoir : – l’absence de procès devant le juge du fond ; À ce stade, le juge n’est pas tenu de caractériser l’intérêt légitime du demandeur au regard des règles de droit éventuellement applicables ou des différents fondements juridiques des actions que ce dernier envisage d’engager. Quelles sont les implications si l’action est vouée à l’échec ?Si l’action est manifestement vouée à l’échec, la mesure d’instruction n’a pas de motif légitime (Cass. Com., 18 janvier 2023, pourvoi n° 22-19.539). Dès lors, la demanderesse indique elle-même que l’expertise n’a pas pour but de rechercher l’inscription de la sculpture en cause au catalogue raisonné de l’artiste. Quel est le jugement final concernant la demande d’expertise ?Le juge des référés a rejeté la demande d’expertise. La société Landre, qui perd le procès, est tenue aux dépens et doit indemniser la défenderesse de ses frais, à une hauteur que l’équité permet de fixer à 4 000 euros. Quelles sont les conséquences pour la société Alexandre Landre ?La société Alexandre Landre est condamnée aux dépens ainsi qu’à payer 4 000 euros à la fondation [Z] et Annette [V] au titre de l’article 700 du code de procédure civile. |
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