Reconnaissance de la faute inexcusable liée à l’exposition à l’amiante dans le milieu professionnel

·

·

Reconnaissance de la faute inexcusable liée à l’exposition à l’amiante dans le milieu professionnel

L’Essentiel : La caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 29] a reconnu un mésothéliome comme maladie professionnelle pour un salarié, décédé en mars 2017. Les ayants droit de ce salarié ont été indemnisés par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante pour les préjudices subis et ont engagé une procédure pour obtenir la reconnaissance de la faute inexcusable de ses employeurs. Le tribunal a débouté les ayants droit de leur demande, mais ceux-ci ont interjeté appel, demandant la reconnaissance de la faute inexcusable. La cour a finalement conclu que les employeurs avaient commis une faute inexcusable en ne protégeant pas le salarié des risques liés à l’amiante.

Contexte de l’affaire

La caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 29] a reconnu un mésothéliome comme maladie professionnelle pour [R] [U], déclaré le 10 novembre 2015. Ce dernier est décédé le 2 mars 2017, et la caisse a établi que son décès était imputable à cette pathologie, fixant son taux d’incapacité permanente à 100 % à partir du 11 novembre 2015.

Indemnisation des ayants droit

Les ayants droit de [R] [U] ont été indemnisés par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) pour les préjudices moraux et ceux subis par la victime. Ils ont également engagé une procédure devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de [Localité 29] pour obtenir la reconnaissance de la faute inexcusable de ses employeurs.

Jugement du tribunal

Le 30 mai 2022, le tribunal a débouté les ayants droit et le Fiva de leur demande de reconnaissance de la faute inexcusable des employeurs de [R] [U]. Les sociétés concernées ont également été déboutées de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Appel des consorts [U]

Les consorts [U], comprenant la veuve et les enfants de la victime, ont interjeté appel de cette décision le 13 juin 2022, demandant l’infirmation du jugement et la reconnaissance de la faute inexcusable de leurs anciens employeurs.

Prétentions des parties

Les consorts [U] ont formulé plusieurs demandes, incluant la reconnaissance de la faute inexcusable, la majoration de la rente pour la veuve, et des indemnités pour les préjudices subis. Le Fiva a également demandé l’infirmation du jugement et la reconnaissance de la faute inexcusable des employeurs.

Réponses des sociétés intimées

Les sociétés intimées ont contesté les demandes des consorts [U] et du Fiva, demandant la confirmation du jugement initial et leur mise hors de cause. Elles ont également soulevé des arguments concernant l’absence de lien contractuel avec [R] [U] et la non-exposition à l’amiante.

Éléments de preuve

Les consorts [U] ont présenté des attestations d’anciens collègues de [R] [U] confirmant son exposition à l’amiante lors de son travail sur le port de [Localité 29]. Ces témoignages ont été cruciaux pour établir la réalité de l’exposition et la responsabilité des employeurs.

Reconnaissance de la faute inexcusable

La cour a conclu que les sociétés [32], [24], [39] et [43] avaient commis une faute inexcusable, en ne protégeant pas [R] [U] des risques liés à l’amiante, malgré leur connaissance des dangers associés à cette substance.

Indemnisation des préjudices

La cour a fixé les indemnités pour les souffrances physiques et morales de [R] [U], ainsi que pour le préjudice moral des ayants droit. Les montants ont été déterminés en fonction de la gravité des souffrances et de l’impact sur la vie des proches.

Action récursoire de la caisse

La caisse a été reconnue comme responsable de verser les indemnités, avec possibilité de recours contre les sociétés reconnues coupables de faute inexcusable pour récupérer les sommes versées.

Frais de justice

Les sociétés condamnées ont été tenues de payer les dépens et des sommes au titre de l’article 700 du code de procédure civile aux consorts [U] et au Fiva, en raison de leur perte dans le procès.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conséquences de la reconnaissance de la faute inexcusable des employeurs sur l’indemnisation des ayants droit ?

La reconnaissance de la faute inexcusable des employeurs a des conséquences significatives sur l’indemnisation des ayants droit de la victime, conformément aux dispositions des articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

L’article L. 452-2 stipule que :

« En cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues. »

Cela signifie que les ayants droit peuvent prétendre à une augmentation des indemnités de base qui leur sont normalement allouées en cas de maladie professionnelle.

De plus, l’article L. 452-3 précise que :

« En cas de faute inexcusable, la victime d’une maladie professionnelle peut demander à l’employeur la réparation d’autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale. »

Ainsi, les ayants droit d’un assuré décédé, ainsi que les ascendants et descendants qui n’ont pas droit à une rente, peuvent demander réparation du préjudice moral.

En conséquence, les consorts [U] ont droit à une indemnité forfaitaire, ainsi qu’à des indemnisations pour les préjudices subis, qui incluent des montants spécifiques pour les souffrances physiques et morales, comme cela a été décidé dans le jugement.

Comment la preuve de la faute inexcusable est-elle établie dans le cadre de la législation sur les maladies professionnelles ?

La preuve de la faute inexcusable repose sur le salarié ou ses ayants droit, comme le stipule la jurisprudence et les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, qui imposent à l’employeur une obligation de sécurité et de protection de la santé envers le travailleur.

L’article L. 4121-1 dispose que :

« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. »

L’article L. 4121-2 précise que :

« Ces mesures comprennent : 1° L’évaluation des risques qui ne peuvent pas être évités ; 2° L’adaptation de la mesure qui doit être prise en fonction de l’évolution de la technique ; 3° La prise en compte de l’évolution de la technique ; 4° La planification de la prévention, en intégrant la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, la relation sociale et l’influence de l’environnement professionnel. »

Pour établir la faute inexcusable, il faut démontrer que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Dans le cas présent, les consorts [U] ont produit des attestations et des éléments de preuve montrant que la victime, [R] [U], a été exposée à l’amiante sans protection adéquate, ce qui constitue une négligence de la part des employeurs, entraînant ainsi la reconnaissance de leur faute inexcusable.

Quelles sont les implications de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie ?

La décision de prise en charge de la maladie professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie a des implications importantes, notamment en ce qui concerne les droits des ayants droit et les obligations des employeurs.

Selon l’article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale, il est stipulé que :

« Quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L. 452-3 du même code. »

Cela signifie que, même si l’employeur conteste la reconnaissance de la maladie professionnelle, une décision de justice qui établit la faute inexcusable entraîne des obligations financières pour l’employeur, y compris le remboursement des sommes versées par la caisse.

En conséquence, la caisse peut obtenir le remboursement des indemnités versées aux ayants droit auprès des sociétés reconnues responsables, ce qui souligne l’importance de la prise en charge par la caisse dans le cadre de la législation sur les maladies professionnelles.

N° RG 22/01979 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JDII

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 31 JANVIER 2025

DÉCISION DÉFÉRÉE :

18/00217

Jugement du POLE SOCIAL DU TJ DU HAVRE du 30 Mai 2022

APPELANTS :

Madame [H] [X] veuve [U]

[Adresse 9]

[Localité 15]

Madame [E] [U]

[Adresse 5]

[Localité 16]

Monsieur [Y] [U]

[Adresse 9]

[Localité 15]

Madame [J] [U] épouse [B]

[Adresse 9]

[Localité 15]

représentés par Me Frédéric QUINQUIS de la SELARL Ledoux & Associés, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES :

S.A.S. [32]

[Adresse 4]

[Localité 29]

représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me François MAZOT, avocat au barreau du HAVRE

S.A. [26] ([24])

[Adresse 10]

[Localité 14]

représentée par Me Samuel ROTHOUX de la SELARL LHJ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

S.A.S [21] venant aux droits de la société [38]

[Adresse 6]

[Localité 17]

représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX de la SELARL MARCOUYEUX ET ASSOCIEES, avocat au barreau de MARSEILLE

S.A.S. [42] [43]

[Adresse 7]

[Localité 29]

représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me François MAZOT, avocat au barreau du HAVRE

S.A [23]

[Adresse 22]

[Localité 2]

représentée par Me Olivier GRIMALDI de la SELARL SELARL GRIMALDI ET ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Louis DUBECQ, avocat au barreau de MARSEILLE

S.A. [39] venant aux droits de la société [40]

[Adresse 18]

[Localité 11]

représentée par Me Laura JOUSSELIN de la SELARL Littler France, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Cyril CAPACCI, avocat au barreau de ROUEN

S.A. [30]

[Adresse 3]

[Localité 12]

représentée par Me Julie VERDON de l’ASSOCIATION HASCOET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Elsa GASIOREK, avocat au barreau de PARIS

S.A [45]

[Adresse 1]

[Localité 13]

représentée par Me Elodie KONG de la SELARL QUADRIGE AVOCATS, avocat au barreau de RENNES substitué par Me Raphaëlle POIGNY, avocat au barreau de ROUEN

CPAM [Localité 29]

[Adresse 8]

[Localité 29]

dispensée de comparaître

FONDS D INDEMNISATION DES VICTIMES DE L AMIANTE (FIVA)

[Adresse 44]

[Localité 19]

représentée par Me Carole BONVOISIN de la SELARL BESTAUX BONVOISIN MATRAY, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 12 Décembre 2024 sans opposition des parties devant Madame ROGER-MINNE, Conseillère, magistrat chargé d’instruire l’affaire.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ROGER-MINNE, Conseillère

Madame DE BRIER, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 12 décembre 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 31 janvier 2025

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 31 Janvier 2025, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

* * *

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La caisse primaire d’assurance maladie [Localité 29] (la caisse) a pris en charge au titre du tableau n° 30D des maladies professionnelles un mésothéliome, déclaré le 10 novembre 2015 par [R] [U], qui est décédé le 2 mars 2017.

La caisse a reconnu l’imputabilité du décès à la pathologie professionnelle et a fixé le taux d’IPP d'[R] [U] à 100 % à compter du 11 novembre 2015.

Les ayants droit de la victime ont été indemnisés par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) de leurs préjudices moraux ainsi que des préjudices subis par [R] [U], au titre de l’action successorale, en application d’un arrêt de la présente cour du 30 avril 2019.

Ils ont par ailleurs saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale [Localité 29] d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable des employeurs d'[R] [U].

Par jugement du 30 mai 2022, le pôle social du tribunal judiciaire du Havre, devenu compétent pour statuer, a :

– débouté les ayants droit et le Fiva de leur demande de reconnaissance de la faute inexcusable des sociétés [42] ([43]), [23], [32], [26] ([24]), [21] et [39], ainsi que de leurs demandes,

– débouté les sociétés [39], [42], [23], [32] et [45] de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Mme [H] [X] veuve de la victime, Mme [E] [U], M. [Y] [U] et Mme [J] [U] épouse [B], enfants de la victime, (les consorts [U]), ont interjeté appel de cette décision le 13 juin 2022.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions remises le 11 juin 2024, soutenues oralement, les consorts [U] demandent à la cour de :

– infirmer le jugement,

– déclarer recevable le recours,

– rejeter toutes fins et exceptions de non-recevoir invoquées par les sociétés intimées, la caisse et le Fiva,

– juger que la maladie professionnelle dont est décédé [R] [U] est due à une faute inexcusable de ses anciens employeurs, les sociétés [32], [24], [21] venant aux droits de la société [34], elle-même venant aux droits de la [36] ([38]) ou la société [42] venant aux droits de la société [38], [23] venant aux droits de la société [28], elle-même venant aux droits de la société [35], elle-même venant aux droits de la société [31], [39] venant aux droits de la [41] elle-même venant aux droits de la [37] ([40]),

– fixer au maximum la majoration de la rente due à la veuve de la victime,

– allouer à la succession d'[R] [U] l’indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation à laquelle il aurait pu prétendre avant son décès,

– juger que l’ensemble des sommes dues portera intérêt au taux légal à compter de la date de l’arrêt à intervenir,

– condamner toute partie succombant au paiement des dépens,

– condamner en cause d’appel toute partie succombant à leur verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions remises le 20 juin 24, soutenues oralement, le Fiva demande à la cour de :

– infirmer le jugement,

– déclarer recevables la demande des consorts [U] ainsi que sa demande, en tant que subrogé dans les droits des ayants droit d'[R] [U],

– dire que la maladie professionnelle de la victime est la conséquence de la faute inexcusable de ses employeurs,

– accorder le bénéfice de l’indemnité forfaitaire de l’article L. 452-3 alinéa 1er du code de la sécurité sociale et dire qu’elle sera versée par la caisse à la succession d'[R] [U],

– fixer au maximum la majoration de la rente servie au conjoint survivant de la victime, qui sera directement versée à celui-ci par l’organisme de sécurité sociale,

– fixer l’indemnisation des préjudices personnels d'[R] [U] comme suit :

‘ 45’000 euros au titre des souffrances morales,

‘ 27’800 euros au titre des souffrances physiques,

‘ 10’500 euros au titre du préjudice d’agrément,

‘ 1 500 euros au titre du préjudice esthétique,

– fixer l’indemnisation des préjudices moraux des ayants droit comme suit :

‘ 38’000 euros pour Mme [H] [U],

‘ 18’000 euros pour M. [Y] [U],

‘ 16’000 euros pour Mme [E] [U],

‘ 7 500 euros pour chacun des trois petits-enfants,

– dire que la caisse devra lui verser ces sommes, en sa qualité de créancier subrogé,

– condamner in solidum les sociétés [32], [24], [21], [42], [23] et [39] à lui payer une somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la partie succombant aux dépens.

Par conclusions remises le 12 septembre 2024, soutenues oralement, la société [32] demande la cour de :

– confirmer le jugement,

– débouter les consorts [U] et le Fiva de leurs demandes de reconnaissance d’un lien contractuel entre [R] [U] et elle-même, de reconnaissance d’une exposition à l’amiante et d’une faute inexcusable à son encontre, de reconnaissance de l’opposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle par la caisse à son encontre,

– condamner les consorts [U] aux dépens et au paiement d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions remises le 16 septembre 2024, soutenues oralement, la société [24] demande à la cour de :

– la mettre hors de cause,

– confirmer le jugement en ses dispositions déboutant les consorts [U] et le Fiva de leur demande de reconnaissance d’une faute inexcusable à son encontre,

– juger que les consorts [U] sont irrecevables et mal fondés en leur action et en leurs prétentions à son encontre,

– les débouter de l’intégralité de leurs demandes,

– débouter le Fiva de l’intégralité de ses prétentions dirigées à son encontre,

– en tout état de cause, juger qu’aucune faute inexcusable ne saurait lui être reprochée,

– à titre subsidiaire, ramener à de plus justes proportions les prétentions formulées au titre des souffrances physiques et morales endurées par [R] [U], ainsi qu’au titre du préjudice esthétique et des préjudices moraux des ayants droit, et débouter le Fiva de sa demande au titre de l’indemnisation du préjudice d’agrément,

– en tout état de cause, condamner solidairement les consorts [U] aux dépens et à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions remises le 1er août 2024, soutenues oralement, la société [21], venant aux droits de la société [34], elle-même venant aux droits de la [38], demande à la cour de :

– confirmer le jugement,

– débouter les ayants droit d'[R] [U] de leurs demandes à son encontre,

– prononcer sa mise hors de cause,

– en tout état de cause, juger que la décision de reconnaissance de maladie professionnelle d'[R] [U] et ses conséquences ainsi que celles d’une éventuelle faute inexcusable lui sont inopposables,

– en tout état de cause, débouter les ayants droit d'[R] [U] et le Fiva de leur demande d’indemnisation,

– juger que toute condamnation prononcée à l’encontre des employeurs sera affectée au compte spécial disposé par la loi.

Par conclusions remises le 12 septembre 2024, soutenues oralement, la société [43] demande à la cour de :

– confirmer le jugement,

– condamner les consorts [U] et le Fiva solidairement au paiement d’une somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– les condamner aux dépens.

Par conclusions remises le 19 août 2024, soutenues oralement, la société [23] demande à la cour de :

– la mettre hors de cause,

– débouter les demandeurs de leurs demandes,

– réformer le jugement en ce qu’il a estimé que la société [31] avait la qualité d’employeur d'[R] [U],

– réformer le jugement en ce qu’il n’a pas considéré qu’elle n’avait pas la qualité d’employeur d'[R] [U],

– à titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu’il a débouté les ayants droit d'[R] [U] et le Fiva de leur demande de reconnaissance de la faute inexcusable des différentes sociétés,

– à titre infiniment subsidiaire, juger que la décision de prise en charge de la maladie d'[R] [U] au titre de la législation sur les maladies professionnelles par la caisse lui est inopposable et que la caisse est irrecevable et mal fondée à récupérer auprès d’elle les compléments de rente et indemnités qui seront éventuellement versés par elle aux consorts [U],

– en tout état de cause, dire que les assureurs [45] et [30] seront condamnés à la relever et garantir de toute condamnation en principal, intérêts, dommages-intérêts, frais de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens qui viendraient à être prononcés à son encontre,

– condamner les demandeurs ou tout succombant à lui verser la somme de 3 500 euros au titre des frais exposés pour assurer sa défense ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 16 septembre 2024, soutenues oralement, la société [45] demande à la cour de :

– confirmer le jugement,

à titre subsidiaire :

– à titre principal, déclarer irrecevables les demandes des consorts [U] dirigées à l’encontre de la société [23] et les en débouter,

– à titre subsidiaire, déclarer infondées les demandes des consorts [U] et du Fiva dirigées à l’encontre de la société [23] et les en débouter,

– à titre infiniment subsidiaire, déclarer inopposable à cette société la décision de prise en charge de la maladie d'[R] [U] et juger que la caisse est irrecevable, et à défaut infondée, à récupérer auprès de cette société les compléments de rentes et indemnités qui seraient versés aux consorts [U],

en tout état de cause :

– déclarer irrecevable ou à défaut infondée la demande de la société [23] de condamnation dirigée à son encontre, la débouter de sa demande de condamnation,

– débouter toute partie de toute demande présentée contre elle,

– la mettre hors de cause ou lui déclarer la décision à intervenir uniquement commune et opposable,

– condamner la société [23] aux dépens et à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions remises le 4 septembre 2024, soutenues oralement, la société [30] demande à la cour de :

– infirmer le jugement en ce qu’il a considéré qu’il était démontré l’existence d’un lien contractuel entre [R] [U] et la société [31], aux droits de laquelle serait venue la société [23],

– débouter les consorts [U] et le Fiva de leurs demandes à l’encontre de cette société,

– débouter la société [23] de l’ensemble de ses demandes formées à son encontre,

– à titre subsidiaire, confirmer le jugement et débouter les consorts [U], le Fiva et la société [23] de leurs demandes,

– à titre subsidiaire, débouter le Fiva de ses demandes au titre du préjudice d’agrément et du préjudice moral des enfants et petits-enfants des consorts [U] ou, à défaut, réduire à de plus justes proportions l’évaluation des préjudices,

– en toute hypothèse, déclarer l’arrêt à intervenir commun et opposable à son égard.

Par conclusions remises le 12 septembre 2024, soutenues oralement, la société [39], venant aux droits de la [41] ([40]), demande à la cour de :

– la mettre hors de cause,

– débouter les consorts [U] de leurs demandes,

– à titre subsidiaire, débouter les consorts [U] de leur demande de reconnaissance de l’existence d’une faute inexcusable et des conséquences y afférentes, et débouter le Fiva de ses demandes,

– à titre infiniment subsidiaire, juger que la décision de prise en charge de la maladie d'[R] [U] lui est inopposable,

– en tout état de cause, condamner les consorts [U] aux dépens et à lui verser la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions remises le 16 septembre 2024, la caisse, qui a été dispensée de comparution à l’audience, demande à la cour de :

– constater l’absence d’intérêt à agir des sociétés [23] et [21], s’agissant de l’inopposabilité soulevée,

– à titre subsidiaire, constater que l’inopposabilité ne pourrait en aucun cas remettre en cause son action récursoire ou, à défaut, constater que ces sociétés ne peuvent prétendre à la fois ne pas avoir été l’employeur de l’assuré et soulever l’inopposabilité,

– s’agissant de la demande de reconnaissance d’une faute inexcusable, lui donner acte de ce qu’elle s’en rapporte à justice,

en cas de reconnaissance d’une telle faute :

– constater qu’elle s’en rapporte à justice en ce qui concerne l’attribution d’une indemnité forfaitaire,

– rejeter la demande formulée au titre du préjudice d’agrément d'[R] [U] et la demande d’indemnisation du préjudice sollicitée par les petits-enfants,

– condamner solidairement les employeurs à lui rembourser le montant de l’ensemble des réparations qu’elle pourrait avancer au titre de la faute inexcusable.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé détaillé de leurs moyens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur les demandes de mise hors de cause des sociétés [24], [23], [21] et [45]

La société [24] fait valoir que sa branche d’activité de manutention portuaire a été apportée en 1989 à la société [27] ([25]).

La société [23] et ses assureurs, la société [30] et la société [45], soutiennent que la [23] n’a acquis auprès du groupe [20], en 2006, que la branche d’activité de transport maritime de marchandises de l’ancienne société [28], venant aux droits de la société [31], de sorte qu’elle n’a jamais exercé une quelconque activité de manutention. La société [45] soutient par ailleurs que si la cour examinait les demandes formées par la société [23] contre ses assureurs, elle ne saurait faire l’objet d’une quelconque condamnation compte tenu des exclusions de garantie opposables à son assuré.

La société [21] expose qu’elle a absorbé la société [34] le 31 décembre 2015 et soutient que lors de l’apport partiel d’actifs de la société [38] à la société [34], le 29 décembre 1993, [38] n’exerçait plus l’activité de manutention portuaire, qui avait été transférée à la société [43], le 31 décembre 1992.

Sur ce :

L’opération de cession partielle d’actif n’ayant pas fait disparaître la personne morale qui avait été l’employeur, lequel demeure responsable sur son patrimoine personnel des conséquences de sa faute inexcusable en application des dispositions de l’article L. 452-4 du code de la sécurité sociale, le salarié, ses ayants droit ou le Fiva, en sa qualité de créancier subrogé dans les droits de la victime et de ses ayants droit, peuvent agir en reconnaissance de faute inexcusable contre l’employeur qu’ils estiment auteur de cette dernière ou contre le tiers cessionnaire des droits et obligations de toute nature afférents à la branche complète d’activités constituée par l’établissement où le salarié travaillait lors de son exposition au risque considéré.

– Il en résulte que la circonstance que la [24] ait cédé sa branche d’activité de manutention portuaire à la [25] est indifférente et que les ayants droit d'[R] [U] peuvent rechercher la responsabilité de la société [24].

– Il ressort des extraits Kbis produits que la société [31], dont l’activité était celle d’une entreprise d’arrimage de chargement et déchargement de navires- manutention-magasinage, a été radiée avec effet au 31 décembre 1992 à la suite de l’apport à la société [35]. Il est par ailleurs mentionné la vente de la branche d’activité manutention portuaire arrimage de chargement et de déchargement de navires à la société [33] à compter du 1er septembre 1990.

La société [35] a fait l’objet d’une fusion absorption par la société [28] le 31 décembre 1991. La société [28], qui exerce une activité de transports maritimes et d’organisation de transports, a été dissoute à la suite d’une transmission universelle du patrimoine à la société [23]. Cette société produit des publications évoquant son acquisition de la société [28], en 2006, du groupe [20], s’agissant de l’activité de transport maritime. Les ayants droit comme le Fiva ne produisent pas d’éléments permettant de retenir que la [23] était cessionnaire de l’activité de manutention portuaire de la société [31]. Il convient en conséquence de mettre hors de cause la société [23].

Il en résulte que les demandes de la société [23] à l’égard de ses assureurs sont sans objet, de même que les demandes de la société [45] à l’égard de la société [23], nonobstant le fait que l’arrêt est commun et opposable aux deux compagnies d’assurances.

– S’agissant de la société [21], il ressort des extraits Kbis produits que la société [38] a apporté à la société [43], à compter du 31 décembre 1992, l’activité de manutention de navires ‘full containers’ et mixtes. Ainsi, la société [34] qui est venue aux droits de la [38], à la suite d’une fusion absorption, à compter du 1er décembre 1993 n’a pu reprendre l’activité de manutention portuaire, de sorte que la société [21], qui a absorbé la société [34] le 31 décembre 2015, n’est pas cessionnaire des droits et obligations afférentes à cette branche d’activité dans laquelle [R] [U] a travaillé. Il convient en conséquence de la mettre hors de cause.

2. Sur les irrecevabilités

– Il résulte de la mise hors de cause des sociétés [23] et [21] que sont sans objet :

– leurs demandes d’inopposabilité, à leur égard, de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle dont était atteint [R] [U], de même que les demandes d’inopposabilité de la prise en charge et d’irrecevabilité de la caisse en son action récursoire, formées par la société [45], dès lors qu’elles sont soutenues dans l’hypothèse où la cour retiendrait une faute inexcusable à leur encontre,

– la fin de non-recevoir tirée d’un défaut d’intérêt des sociétés [23] et [21] à solliciter cette inopposabilité, soulevée par la caisse.

3. Sur le bien-fondé de la demande de reconnaissance d’une faute inexcusable

Il convient de rappeler à titre liminaire que la conséquence d’une éventuelle absence de preuve de la qualité d’employeur d’une société ne saurait être une irrecevabilité de la demande.

3.1 Sur le moyen tiré de la date de cessation d’activité de la victime

La société [43] expose avoir commencé son activité en octobre 1993, après avoir reçu, par apport notamment de la société [38], l’activité de manutention de navires. Elle considère qu'[R] [U] n’a jamais été son salarié, puisqu’il a cessé son activité en mars 1987 et que l’apport de la société [38] est sans conséquence sur sa situation, dès lors qu’elle n’a pu recevoir de droits et obligations au sens des articles L. 452-1 à L. 452-5 du code de la sécurité sociale et que l’apport ne pouvait comprendre le contrat de travail d'[R] [U].

Sur ce :

Il résulte des articles L. 206-3, L. 236-20, L. 236-22 du code du commerce, que sauf dérogation expresse prévue par les parties dans le traité d’apport, l’apport partiel d’actifs emporte, lorsqu’il est placé sous le régime des scissions, transmission universelle de la société apporteuse à la société bénéficiaire de tous les biens, droits et obligations dépendant de la branche d’activité qui fait l’objet de l’apport.

La société [43] ne justifie pas de l’existence d’une dérogation. Ainsi, il est indifférent qu'[R] [U] ait cessé son activité à la date de l’apport de l’activité de manutention portuaire par la société [38] à la société [43].

3.2 Sur la faute inexcusable des sociétés [32], [24], [43] et [39]

Les consorts [U] font valoir que la victime a effectué un travail de manipulation, de déchargement, de conditionnement de sacs d’amiante, sans la moindre protection respiratoire et qu’elle était également confrontée à l’amiante sous différentes formes, en vrac, en amiante-ciment, en tôle ondulée. Ils indiquent que le port [Localité 29] a été inscrit sur la liste des établissements de la construction et de la réparation navale et des métiers exercés exposant massivement aux poussières d’amiante, dans le cadre du dispositif de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA) et que les sociétés [32], [24], [38], [31] et [40] étaient les principales sociétés de manutention sur le port [Localité 29] qui affectaient les dockers à la manipulation d’amiante. Ils considèrent que les employeurs d'[R] [U] avaient conscience du danger lié à l’inhalation de fibres d’amiante au regard de la législation applicable à l’époque, de l’état des connaissances scientifiques liées aux graves maladies provoquées par l’amiante, de l’ancienneté et de l’importance de leurs activités et qu’ils ne l’ont pas protégé de ce danger par des dispositifs de sécurité appropriés, suffisants et efficaces, ce dont il résulte que leur faute inexcusable est incontestable.

La société [32] fait valoir que les fluctuations des tonnages et des escales généraient d’importantes distorsions dans le besoin de main-d »uvre, de sorte que des ouvriers dockers étaient embauchés ponctuellement, ne travaillant que quelques jours, voire un jour par mois ou par an pour une entreprise de manutention portuaire.

Elle soutient que de 1958 à 1993, la principale branche de son activité était constituée des denrées alimentaires, principalement les fruits et que l’autre branche concernait le coton et le café ; qu’ainsi, compte tenu de la nature de ces produits, aucune manutention d’amiante ne pouvait être intégrée sur les quais ou dans les hangars de stockage. Elle précise qu’il ne peut être prétendu que le port [Localité 29] avait comme principale activité l’importation/exportation d’amiante, de sorte qu’il n’est pas permis de prétendre que toutes les entreprises de manutention, ou les principales d’entre elles, assuraient le chargement et le déchargement d’amiante. Elle en déduit que si [R] [U] était ouvrier docker pour la manutention de produits de matières premières ou produits finis industriels comme l’amiante, il n’a pu être embauché par elle et que s’il a effectué de la manutention portuaire à son profit, il n’a jamais été en contact avec de l’amiante.

La [24] fait valoir que les consorts [U] ne démontrent pas sa qualité d’employeur, dès lors que la déclaration de maladie professionnelle ainsi que le certificat médical initial indiquent comme employeur d'[R] [U], le bureau central de main d’oeuvre (BCMO) du port [Localité 29] ; qu’il n’est versé aux débats ni bulletin de salaire, ni contrat de travail ; que les attestations produites ne précisent pas les prétendues périodes d’emploi pour son compte, la durée de celles-ci ou les conditions dans lesquelles [R] [U] aurait été amené à travailler pour elle.

La société [43] fait valoir que son activité concernait exclusivement le chargement et déchargement de containers, de sorte que la marchandise était captive dans ces containers.

La société [39] indique qu’elle était l’actionnaire unique de la société [41] qui a été radiée en décembre 2017. Elle relève que cette société n’était initialement pas visée dans la tentative de conciliation dans le cadre de la procédure en reconnaissance de la faute inexcusable et soutient qu’elle n’a jamais été l’employeur de la victime. Elle fait valoir également que la société [40] n’a jamais utilisé l’amiante comme matière première et ne participait pas à l’activité industrielle de fabrication ou de transformation de l’amiante ; qu’en tant que docker, [R] [U] n’a nullement pu être exposé de manière directe et habituelle à l’amiante ; que sur la période d’exposition alléguée, les travaux d’entretien ou de maintenance effectués sur des matériaux ou dans des locaux contenant de l’amiante ne faisaient l’objet d’aucune restriction au titre de la législation professionnelle.

Sur ce :

Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur sur le fondement des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

La preuve de la faute inexcusable de l’employeur repose sur le salarié ou ses ayants droit.

II convient de rappeler que pour qu’une faute inexcusable puisse être reconnue, il suffit que l’exposition à l’amiante ait été habituelle, peu important le fait que l’employeur ne participait pas au processus de fabrication ou de transformation de l’amiante.

Avant la loi du 9 juin 1992, en fonction des besoins des entreprises de manutention portuaire transmis quotidiennement au BCMO, les dockers étaient affectés par celui-ci au service de telle ou telle entreprise de manutention. Le BCMO qui était un service administratif organisant pour le compte des employeurs la gestion générale de l’embauche des dockers intermittents n’avait pas, pour autant, la qualité d’employeur. En effet, durant la vacation, le docker se trouvait dans un lien de subordination avec l’acconier.

En l’absence de bulletins de salaire ou de certificat de travail, la preuve d’un contrat de travail avec chacune des sociétés peut être rapportée notamment par attestations.

Il n’est pas contesté qu'[R] [U], titulaire de la carte « G », a travaillé en qualité de docker intermittent sur le port [Localité 29], du 1er mars 1954 au 1er juillet 1956 et du 22 octobre 1958 au 31 mars 1987, pour le compte de plusieurs sociétés.

Il bénéficiait d’une attestation d’exposition à l’amiante pour la période de 1954 à 1992, établie par le médecin du travail. L’attestation mentionne qu’il n’avait aucun équipement de protection individuelle et collective au cours de cette période. Par ailleurs, dans une lettre du 8 décembre 2015, l’inspectrice du travail a indiqué à la caisse que le port [Localité 29] faisait partie de la liste des établissements, chantiers navals et ports exposés à l’amiante, de sorte qu'[R] [U] avait vraisemblablement été exposé à l’amiante durant sa carrière professionnelle. Le port [Localité 29] figure en effet sur la liste des ports susceptibles d’ouvrir droit à l’ACAATA en faveur des dockers professionnels, pour la période de 1949 à 1992.

M. [P] [I], ancien docker, atteste avoir travaillé avec [R] [U] dans les années 1968 à 1972 sur le port [Localité 29], en contact avec des fibres d’amiante lors des travaux de déchargement de navires et sous hangar, sans protection individuelle ni ventilation, pour les sociétés [31], [24], [38] et [40].

M. [K] [N] atteste avoir travaillé avec [R] [U] de mars 1970 jusqu’à janvier 1980 sur le port [Localité 29], en tant que docker intermittent, au contact des fibres d’amiante lors des travaux à bord des navires et pour la charge de wagons, sans protection individuelle ou collective, pour le compte d’entreprises portuaires : [40], [32], [31] et [24].

M. [M] [W] atteste avoir effectué à plusieurs reprises des déchargements de sacs d’amiante avec [R] [U], en tant que docker intermittent, de 1960 à 1993. Il précise que le déchargement des sacs se faisait dans des lieux confinés (cales, wagons) sans protection ni aération ; que les palanquées, souvent « accrochées » déversaient une pluie d’amiante sur eux ; que le travail était le même que ce soit chez [31] ou autres sociétés de manutention.

M. [T] [O] atteste avoir travaillé avec [R] [U], en tant que docker intermittent, de 1973 à 1987, au déchargement de sacs d’amiante en provenance du Canada, sans protection individuelle ou collective et qu’ils ont travaillé ensemble pour les entreprises de manutention portuaire [31], [32] et [24].

Il s’évince de ces éléments que les ayants droit de la victime démontrent que celle-ci a effectué des travaux de déchargement de sacs contenant de l’amiante de façon régulière au cours de sa carrière de docker, entre 1960 et 1987, pour les sociétés [38], [31], [24], [40] et [32], étant constaté que cette dernière société, si elle justifie avoir eu une activité d’importation de fruits, n’apporte pas d’éléments probants contredisant les attestations produites dont il résulte que le salarié, dans le cadre de la relation salariée avec cette entreprise, a travaillé en contact avec de l’amiante.

Dès le début du 20ème siècle des études scientifiques ont mis en évidence les risques liés à l’inhalation des poussières d’amiante. En 1945, la fibrose pulmonaire consécutive à l’inhalation de poussières d’amiante a été inscrite au tableau des maladies professionnelles. Un décret du 31 août 1950 a créé le tableau n° 30 propre à l’asbestose et un décret du 13 septembre 1955 a qualifié d’indicative la liste des travaux visés au tableau 30. Le cancer broncho-pulmonaire et le mésothéliome primitif ont été inscrits à ce tableau par un décret du 5 janvier 1976. Avant le décret du 17 août 1977 sur la protection contre le risque d’exposition aux poussières d’amiante, il existait une réglementation imposant une protection du personnel contre les poussières, ce qui concernait nécessairement les poussières d’amiante.

Ainsi, compte tenu de ces éléments, de l’activité des employeurs ainsi que des travaux effectués par le salarié, les sociétés ne pouvait ignorer ou auraient dû avoir conscience du danger auquel [R] [U] était exposé.

Or, il est établi par les attestations et l’attestation d’exposition à l’amiante que le salarié n’a pas bénéficié de mesures de protection contre les poussières d’amiante.

Les conditions de la faute inexcusable des employeurs sont dès lors caractérisées.

Toutefois, compte tenu de ce qui a été jugé précédemment seules les sociétés [32], [24], [39] (venant aux droits de [40]) et [43] (venant aux droits de [38]) peuvent voir leur faute inexcusable retenue.

4. Sur les conséquences de la faute inexcusable

En application de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, en cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues.

Il résulte de l’article L. 452-3 du même code, tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, qu’en cas de faute inexcusable, la victime d’une maladie professionnelle peut demander à l’employeur la réparation d’autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Les ayants droit d’un assuré décédé ainsi que les ascendants et descendants qui n’ont pas droit à une rente peuvent demander à l’employeur réparation du préjudice moral.

En outre, si la victime est atteinte d’un taux d’incapacité permanente de 100%, il lui est alloué une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

Mme [H] [U] est en conséquence bien fondée en sa demande de majoration de sa rente de conjoint survivant.

Les consorts [U] sont en droit d’obtenir l’indemnité forfaitaire dès lors que le taux d’IPP de la victime a été fixé à 100 %, ainsi qu’il ressort de la notification de la caisse du 28 septembre 2016.

Le Fiva, subrogé dans les droits d'[R] [U] et de ses ayants droit, est bien fondé à solliciter la fixation des préjudices de ceux-ci.

4.1 Sur les préjudices subis par la victime

[R] [U] était âgé de 79 ans lorsque son mésothéliome a été diagnostiqué et de 81 ans lorsqu’il en est décédé. Il a subi une biopsie par thoracoscopie suivie d’un talcage, d’une radiothérapie et d’une chimiothérapie. Il a présenté des métastases costales puis cérébrales responsables de douleurs importantes, ainsi qu’un déficit de l’hémicorps gauche. Ses douleurs n’étaient pas apaisées malgré la prise d’antalgiques de palier II.

L’assuré a par ailleurs subi une souffrance morale résultant de la connaissance de sa contamination à l’amiante, du diagnostic de sa maladie et de la dégradation progressive de son état de santé qu’il savait irréversible, de sorte que son moral a été profondément affecté.

Ainsi au regard des douleurs physiques subies pendant plus de 16 mois, de l’existence d’un préjudice moral important et d’une cicatrice de thoracotomie, les indemnisations sont fixées aux sommes de :

– 27’800 euros pour les souffrances physiques,

– 45’000 euros pour les souffrances morales,

– 1 500 euros pour le préjudice esthétique.

En revanche, le Fiva n’apporte pas d’éléments permettant de caractériser l’existence d’un préjudice d’agrément qui consiste en l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs. Il est en conséquence débouté de sa demande à ce titre.

4.2 Sur le préjudice moral des ayants droit

[R] [U] et Mme [H] [X] étaient mariés depuis 51 ans. Leur fils [Y] a développé un syndrome anxiodépressif à la suite du décès de son père.

Au regard de ces éléments le préjudice moral de Mme [H] [U] est fixé à la somme de 38’000 euros et celui de M. [Y] [U] à la somme de 18’000 euros.

S’agissant de Mme [E] [U] (fille de la victime) et Mmes [G] et [A] [U] et [D] [Z] (petits-enfants de la victime), le Fiva ne produit pas d’éléments particuliers, de sorte que les indemnisations doivent être fixées à 15’000 euros pour la première et 3 000 euros pour chacune des petites-filles.

5. Sur l’action récursoire de la caisse

La société [39] conclut à l’inopposabilité à son égard de la reconnaissance de la maladie professionnelle d'[R] [U] au motif que la procédure contradictoire visée par les articles R. 441-11 et suivants du code de la sécurité sociale n’a pas été respectée à l’égard de la société [40], ce qui constitue selon elle une irrégularité de fond.

Sur ce :

Compte tenu des dispositions de l’article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale, selon lequel quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L. 452-3 du même code, le moyen invoqué par la société [39] est inopérant.

Les sommes fixées par la cour ainsi que la majoration de la rente et l’indemnité forfaitaire seront payées par la caisse qui pourra en obtenir remboursement auprès des sociétés [32], [24], [43] et [39].

6. Sur les frais du procès

Les sociétés [32], [24], [43] et [39] qui perdent le procès sont condamnées in solidum aux dépens. Elles sont également condamnées in solidum à payer aux consorts [U] une somme de 3 500 euros et au Fiva une somme de 2 000 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Il n’est pas inéquitable, au regard de la situation respective des parties, de laisser à la charge de la société [23] ses frais non compris dans les dépens. La société [45] est déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile, la société [23] n’étant pas condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort :

Infirme le jugement du pôle social [Localité 29] du 30 mai 2022 sauf en ce qu’il a débouté les sociétés [39], [43], [23], [32] et [45] de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau et ajoutant :

Déclare l’arrêt commun et opposable aux sociétés [45] et [30] ;

Met hors de cause les sociétés [21] et [23] 

Déclare sans objet les demandes de la société [23] à l’égard de ses assureurs, celles de la société [45] à l’égard de la société [23], la demande d’irrecevabilité de la caisse en son action récursoire, formée par la société [45], les demandes d’inopposabilité de la décision de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de la maladie d'[R] [U] des sociétés [23], [21] et [45], la fin de non-recevoir tirée d’un défaut d’intérêt des sociétés [23] et [21] à solliciter l’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie d'[R] [U], soulevée par la caisse ;

Dit que les sociétés [32], [24], [43] venant aux droits de la société [38], et [39], venant aux droits de la société [40], ont commis une faute inexcusable à l’origine de la maladie professionnelle d'[R] [U] dont il est décédé ;

Dit que la caisse primaire d’assurance maladie [Localité 29] devra verser à Mme [H] [X] veuve [U] la majoration, à son maximum, de sa rente ;

Dit que la caisse devra verser l’indemnité forfaitaire de l’article L. 452-3 alinéa 1er du code de la sécurité sociale à la succession d'[R] [U] ;

Dit que les sommes correspondantes porteront intérêt au taux légal à compter de la présente décision ;

Fixe l’indemnisation des préjudices d'[R] [U] aux sommes de :

– 27 800 euros pour les souffrances physiques,

– 45 000 euros pour les souffrances morales,

– 1 500 euros pour le préjudice esthétique ;

Fixe l’indemnisation des préjudices moraux des ayants droit de la victime aux sommes suivantes :

– 38 000 euros au titre du préjudice de Mme [H] [U],

– 18 000 euros au titre du préjudice de M. [Y] [U],

– 15 000 euros au titre du préjudice de Mme [E] [U],

– 3 000 euros, chacune, au titre du préjudice de Mmes [G] et [A] [U] et [D] [Z],

Dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la présente décision ;

Dit que la caisse devra verser ces sommes au Fiva ;

Condamne les sociétés [32], [24], [43] venant aux droits de la société [38], et [39], venant aux droits de la société [40], à lui rembourser le capital représentatif de la majoration de rente, l’indemnité forfaitaire ainsi que les sommes payées au Fiva ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne in solidum les sociétés [32], [24], [43] venant aux droits de la société [38], et [39], venant aux droits de la société [40], aux dépens ;

Les condamne in solidum à payer au Fiva la somme de 2 000 euros et aux consorts [U] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon