La présence de caméras installées par un voisin ne peut être qualifiée de trouble manifestement illicite s’il n’est pas établi que les caméras sont branchées, fonctionnelles et qu’elles puissent observer effectivement la propriété du demandeur (d’autant plus si des arbres sont présents entre ces caméras et le fond du jardin de l’intéressé, constituant ainsi une couverture végétale assurant une protection visuelle).
L’article 9 du code civil dispose que “ Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.” Aux termes de l’article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Le dommage imminent s’entend du dommage qui n’est pas encore réalisé mais qui se produirait sûrement si la situation présente devait se perpétuer, tandis que le trouble manifestement illicite s’entend de toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Les mesures conservatoires ou de remise en état que le juge des référés peut ordonner sur ce fondement peuvent intervenir, même en présence d’une contestation sérieuse affectant le fond du droit. Cependant, si l’existence de contestations sérieuses n’interdit pas au juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite, il reste qu’une contestation réellement sérieuse sur l’existence même du trouble et sur son caractère manifestement illicite doit conduire le juge des référés à refuser de prescrire la mesure sollicitée. Ces dispositions ne sont pas subordonnées à la condition d’urgence. Par ailleurs, aux termes des dispositions de l’article 835 du code de procédure civile, dans les cas où l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire statuant en référé peut toujours accorder une provision au créancier. L’octroi d’une provision suppose le constat préalable par le juge de l’existence d’une obligation non sérieusement contestable, au titre de laquelle la provision est demandée et ne peut l’être qu’à hauteur du montant non sérieusement contestable de cette obligation. |
Résumé de l’affaire :
Contexte de l’affaireM. [X] [L] est propriétaire d’une maison et d’un terrain à [Localité 8] – [Localité 4], adjacent à une parcelle louée à la société Martineau Bastien, où se trouve un garage. Plainte de M. [L]M. [L] a assigné la société Martineau Bastien en raison de caméras installées sur le garage, qu’il estime dirigées vers sa propriété, portant atteinte à sa vie privée. Il a demandé la suppression de ces caméras, des dommages et intérêts de 3.000 euros pour préjudice, ainsi que des frais de justice. Procédure judiciaireL’affaire a été portée devant le tribunal judiciaire d’Angers, avec une audience initiale le 16 mai 2024. Le juge a convoqué les parties pour une audience de règlement amiable le 27 juin 2024, qui n’a pas abouti à un accord. Arguments de M. [L]M. [L] a réitéré sa demande de suppression des caméras, qu’elles soient réelles ou factices, et a produit des procès-verbaux de constat attestant de la présence des caméras et du trouble qu’elles causent. Réponse de la société Martineau BastienLa société Martineau Bastien a contesté les demandes de M. [L], affirmant que les caméras ne filmaient pas sa propriété et que certaines étaient factices. Elle a également demandé des dommages et intérêts pour couvrir ses frais de justice. Audience et délibérationLors de l’audience du 26 septembre 2024, les parties ont réaffirmé leurs positions. M. [L] a précisé que sa demande de dommages et intérêts était à titre de provision. L’affaire a été mise en délibéré pour décision le 24 octobre 2024. Décision du tribunalLe tribunal a statué que M. [L] n’avait pas prouvé l’existence d’une atteinte à sa vie privée, déboutant ainsi sa demande de suppression des caméras et de provision. Dépens et frais irrépétiblesM. [L] a été condamné aux dépens, y compris les frais de constat, et à verser 3.000 euros à la société Martineau Bastien pour couvrir ses frais de justice. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Tribunal judiciaire d’Angers
RG n°
24/00116
TRIBUNAL JUDICIAIRE D’ ANGERS
-=-=-=-=-=-=-=-
N° RG 24/116 – N° Portalis DBY2-W-B7I-HOK4
N° de minute : 24/441
O R D O N N A N C E
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Le VINGT QUATRE OCTOBRE DEUX MIL VINGT QUATRE, Nous, Benoît GIRAUD, Président du Tribunal Judiciaire d’ANGERS, assisté de Aurore TIPHAIGNE, Greffière présente lors des débats et lors de la mise à disposition, avons rendu la décision dont la teneur suit :
DEMANDEUR :
Monsieur [X] [L]
né le 19 Juin 1964 à [Localité 7] (95)
[Adresse 5]
[Localité 8]
[Localité 4]
représenté par Maître Christophe BUFFET de la SCP ACR AVOCATS, Avocat au barreau d’ANGERS
DÉFENDERESSE :
S.A.R.L. MARTINEAU BASTIEN, immatriculée au RCS d’ANGERS sous le n° 881 345 375, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,
GARAGE [Adresse 6]
[Adresse 2]
[Localité 8]
[Localité 4]
représentée par Maître François-xavier JUGUET, Avocat au barreau d’ANGERS
*************
Vu l’exploit introductif du présent Référé en date du 15 Février 2024; les débats ayant eu lieu à l’audience du 26 Septembre 2024 pour l’ordonnance être rendue ce jour, ce dont les parties comparantes ont été avisées ;
C.EXE : Maître Christophe BUFFET
Maître François-xavier JUGUET
C.C :
Copie dossier
Le:
M. [X] [L] est propriétaire d’une maison d’habitation et d’un terrain situés sur la parcelle n°[Cadastre 1] à [Localité 8] – [Localité 4], jouxtant la parcelle n° [Cadastre 3], donnée en location à la société Martineau Bastien, sur laquelle est édifiée un garage.
*
Se plaignant de la présence de caméras sur l’immeuble de son voisin, lesquelles seraient dirigées en direction de sa propriété et porteraient atteinte à sa vie privée, M. [L] a, par acte de commissaire de justice du 15 février 2024, fait assigner la société Martineau Bastien, exerçant sous l’enseigne “Garage [Adresse 6]”, devant le président du tribunal judiciaire d’Angers statuant en référé, sur le fondement de l’article 9 du code civil, aux fins de voir :
– ordonner la suppression, par la société Martineau Bastien, de toute caméra située sur sa propriété et ayant vue sur la propriété de M. [L], sous astreinte de 500 euros par jour d’infraction constatée dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la présente ordonnance ;
– condamner la société Martineau Bastien à lui payer une somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice de jouissance ;
– condamner la société Martineau Bastien à lui payer une somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Martineau Bastien aux dépens.
L’affaire a été appelée à l’audience du 16 mai 2024.
Par ordonnance en date du 06 juin 2024, le juge des référés, au visa des dispositions des articles 774-1 et suivants du code de procédure civile, a convoqué les parties à une audience de règlement amiable fixée au 27 juin 2024.
Celle-ci n’a pas permis aux parties de résoudre leur différend.
*
Dans ses dernières conclusions, M. [L] demande au juge des référés, sur le fondement de l’article 9 du code civil, de :
-ordonner la suppression par la société Martineau Bastien, de toute caméra située sur sa propriété et ayant vue sur la propriété de M. [L], que cette caméra ou ces caméras soient réelles ou factices et en particulier les deux caméras figurant et étant évoquées au constat de commissaire de justice du 22 juillet 2024, et ceci sous astreinte de 500 euros par jour d’infraction constatée dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la présente ordonnance ;
– condamner la société Martineau Bastien à lui payer une somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice de jouissance ;
– condamner la société Martineau Bastien à lui payer une somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Martineau Bastien aux dépens, comprenant le coût des constats de Me [J], commissaire de justice, des 16 juin 2023 et 22juillet 2024.
A l’appui de ses prétentions, M. [L] expose avoir demandé à plusieurs reprises à la société Martineau Bastien de rediriger les caméras litigieuses, en vain. Il considère que le fait qu’elles soient dirigées vers sa parcelle constitue un trouble manifestement illicite, outre une infraction pénale. Il produit deux procès-verbaux de commissaire de justice dressés par Me [U] [J], les 16 juin 2023 et 22 juillet 2024, lesquels constateraient ce trouble.
*
Par voie de conclusions en réponse, la société Martineau Bastien, sur le fondement des dispositions des articles 9 du code civil et 835 du code de procédure civile, sollicite du juge de débouter M. [L] de ses demandes de suppression des caméras litigieuses et de dommages et intérêts, ainsi que de le condamner à lui payer une somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, comprenant les frais de procès-verbal de constat de Me [D] du 29 février 2024.
A l’appui de ses prétentions, la société Martineau Bastien soutient qu’aucune atteinte à la vie privée de M. [L] ne pourrait être retenue dès lors que les caméras ne filmeraient pas la propriété de son voisin et que certaines d’entre elles seraient factices. Il a fait établir, le 29 février 2024, un procès-verbal par Me [D], commissaire de justice, pour constater ses propos.
*
A l’audience du 26 septembre 2024 à laquelle l’affaire a été retenue, les parties ont réitéré leurs demandes. M. [L] a précisé que sa demande de dommage et intérêts est formulée à titre de provision.
L’affaire a été mise en délibéré au 24 octobre 2024.
Conformément à l’article 446-1 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé et des prétentions des parties, il est renvoyé à l’assignation introductive d’instance et aux écritures déposées et développées oralement à l’audience.
I.Sur la demande de suppression des caméras et de provision
L’article 9 du code civil dispose que “ Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.”
Aux termes de l’article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s’entend du dommage qui n’est pas encore réalisé mais qui se produirait sûrement si la situation présente devait se perpétuer, tandis que le trouble manifestement illicite s’entend de toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.
Il est rappelé que les mesures conservatoires ou de remise en état que le juge des référés peut ordonner sur ce fondement peuvent intervenir, même en présence d’une contestation sérieuse affectant le fond du droit. Cependant, si l’existence de contestations sérieuses n’interdit pas au juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite, il reste qu’une contestation réellement sérieuse sur l’existence même du trouble et sur son caractère manifestement illicite doit conduire le juge des référés à refuser de prescrire la mesure sollicitée.
Ces dispositions ne sont pas subordonnées à la condition d’urgence.
Par ailleurs, aux termes des dispositions de l’article 835 du code de procédure civile, dans les cas où l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire statuant en référé peut toujours accorder une provision au créancier.
L’octroi d’une provision suppose le constat préalable par le juge de l’existence d’une obligation non sérieusement contestable, au titre de laquelle la provision est demandée et ne peut l’être qu’à hauteur du montant non sérieusement contestable de cette obligation.
*
En l’espèce, M. [L] produit aux débats deux procès-verbaux de constat dressés par Me [J], commissaire de justice, en date des 16 juin 2023 et 22 juillet 2024, desquels il s’évince que :
– une première caméra directionnelle avec alimentation solaire est fixée en haut du bâtiment principal du garage exploité par la société Martineau Bastien, orientée au sud en direction du fond de la propriété de M. [L] ;
– une deuxième caméra dôme, permettant une orientation à 360°, est fixée en haut du bâtiment de la société Martineau Bastien, dans l’angle nord-est.
Il n’est cependant pas établi que les caméras sont branchées, fonctionnelles et qu’elles puissent observer effectivement la propriété de M. [L], d’autant plus que des arbres sont présents entre ces caméras et le fond du jardin de M. [L], constituant ainsi une couverture végétale assurant une protection visuelle.
De surcroît, il ressort du procès-verbal de constat dressé par Me [D] le 29 février 2024, pièce produite par la société Martineau Bastien, que :
– la caméra fonctionnelle de type “Arlo”, fixée sur le bâtiment du garage de la société Martineau Bastien, dans l’angle gauche, est inclinée vers le sol. Les images récoltées par cette caméra ont été consultées par le commissaire de justice, lequel a constaté que cette caméra surveille le côté gauche du garage ainsi qu’un morceau du parking du fond du garage, et qu’elle ne filme pas la propriété de M. [L] ;
– la caméra de type dôme est factice.
Ainsi, eu égard aux constatations des commissaires de justice, il n’est pas justifié d’une atteinte évidente à la vie privée de M. [L].
Par conséquent, à défaut de caractériser un trouble manifestement illicite, M. [L] sera débouté de sa demande tendant à voir ordonner la suppression des caméras situées sur la propriété de la société Martineau Bastien et, par suite, de sa demande de provision à valoir sur l’indemnisation du préjudice de jouissance allégué.
II.Sur les demandes accessoires
1-Sur les dépens
L’article 696 du code de procédure civile prévoit que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En l’espèce, M. [L], qui succombe, sera condamné aux dépens, en ce compris les frais du procès-verbal de constat dressé par Me. [D], commissaire de justice, le 29 février 2024.
2-Sur les frais irrépétibles
L’article 700 du code de procédure civile prévoit que la partie condamnée aux dépens ou qui perd son procès peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme destinée à compenser les frais exposés pour le procès et non compris dans les dépens.
En l’espèce, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Martineau Bastien les sommes engagées par elle pour faire valoir ses droits. Par conséquent, M. [L] sera condamné à lui payer à une somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles. M. [L] sera débouté de sa demande à ce titre.
Nous, Benoît Giraud, président du tribunal judiciaire d’Angers, statuant en référé, publiquement, par ordonnance contradictoire et en premier ressort :
Vu les dispositions de l’article 835 du code de procédure civile ;
Déboutons M. [X] [L] de l’ensemble de ses demandes ;
Condamnons M. [X] [L] aux dépens, en ce compris les frais du procès-verbal de constat dressé par Me. [D], commissaire de justice, le 29 février 2024 ;
Condamnons M. [X] [L] à payer à la société Martineau Bastien la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rappelons que la présente décision est, de plein droit, exécutoire à titre provisoire.
Ainsi fait et prononcé à la date ci-dessus par mise à disposition au greffe, la présente ordonnance a été signée par Benoît Giraud, président, juge des référés, et par Aurore Tiphaigne, greffière,
Aurore Tiphaigne, Benoît Giraud,
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