L’action en paiement de travaux et services engagée par un professionnel à l’encontre de consommateurs se prescrit par deux ans à compter de la date de la connaissance des faits permettant à ce dernier d’exercer son action, conformément à l’article 2224 du Code civil et à l’article L.218-2 du Code de la consommation. Cette prescription commence à courir à partir de l’achèvement des travaux ou de l’exécution des prestations, rendant la créance exigible, sauf disposition contraire du contrat ou de la loi. En l’espèce, la prise de connaissance des faits par M. [P] a été établie au 23 mai 2020, date à laquelle il a été informé de l’abandon définitif du projet par M. et Mme [F], entraînant le début du délai de prescription qui a expiré le 23 mai 2022. L’assignation de M. [P] du 17 juin 2022 a donc été déclarée irrecevable pour cause de prescription.
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L’Essentiel : L’action en paiement de travaux et services engagée par un professionnel à l’encontre de consommateurs se prescrit par deux ans à compter de la date de la connaissance des faits. Cette prescription commence à courir à partir de l’achèvement des travaux ou de l’exécution des prestations. En l’espèce, la prise de connaissance des faits par M. [P] a été établie au 23 mai 2020, entraînant le début du délai de prescription qui a expiré le 23 mai 2022. L’assignation de M. [P] du 17 juin 2022 a donc été déclarée irrecevable.
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Résumé de l’affaire :
Contexte de l’affaireM. [I] [F] et son épouse, en tant qu’acheteurs, ont confié à M. [O] [P], en tant qu’architecte, la maîtrise d’œuvre de leur projet d’agrandissement de leur maison, par contrat accepté le 24 avril 2019. Abandon du projetLe 21 mai 2020, les acheteurs ont informé l’architecte de leur décision d’abandonner le projet en raison du contexte économique lié à la pandémie de Covid-19, demandant la transmission de sa facture pour solde de tout compte. Assignation en justiceLe 17 juin 2022, l’architecte a assigné les acheteurs devant le tribunal judiciaire du Havre pour le paiement de sa facture d’honoraires de 30 794,98 euros. Décision du tribunalPar ordonnance du 23 mai 2024, le juge a déclaré les demandes de l’architecte irrecevables en raison de la prescription de son action, condamnant l’architecte à verser 1 500 euros aux acheteurs sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l’instance. Appel de l’architecteLe 28 juin 2024, l’architecte a formé un appel contre cette ordonnance, demandant la réforme de la décision du juge. Arguments de l’architecteDans ses conclusions du 30 septembre 2024, l’architecte a soutenu que sa créance d’honoraires n’était pas prescrite et a demandé à être débouté des demandes des acheteurs, tout en réclamant des frais irrépétibles. Recevabilité de l’actionLe tribunal a examiné la recevabilité de l’action, concluant que le délai de prescription avait commencé à courir le 23 mai 2020, date à laquelle l’architecte avait pris connaissance de la résiliation du contrat. Confirmation de la décision initialeLa cour a confirmé l’ordonnance du tribunal en toutes ses dispositions, condamnant l’architecte aux dépens d’appel. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le point de départ du délai de prescription pour l’action en paiement des honoraires ?L’article 2224 du code civil stipule que l’action en paiement de travaux et services engagée à l’encontre de consommateurs par un professionnel se prescrit par deux ans à compter de la date de la connaissance des faits permettant à ce dernier d’exercer son action. Cette date est caractérisée, hormis les cas où le contrat ou la loi en disposent autrement, par l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations, rendant ainsi la créance exigible. Dans cette affaire, le professionnel a été informé par les consommateurs de l’abandon définitif de leur projet le 21 mai 2020. Il a ensuite adressé le détail de ses honoraires par courriel le 23 mai 2020, ce qui a marqué sa prise de conscience de la fin de l’exécution de ses prestations. Ainsi, le délai de prescription a commencé à courir à partir du 23 mai 2020, et a expiré le 23 mai 2022, sans interruption. Quel est le fondement de la demande de condamnation aux dépens ?L’article 700 du code de procédure civile prévoit que la partie qui succombe peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais irrépétibles. Dans cette affaire, le juge de première instance a condamné le professionnel à payer aux consommateurs une somme de 1 500 euros sur le fondement de cet article. Étant donné que le professionnel a été débouté de sa demande, il a été considéré comme la partie perdante, ce qui justifie la confirmation de cette décision par la cour d’appel. En conséquence, le professionnel a également été condamné aux dépens d’appel, conformément aux règles de procédure civile. Quel est l’impact de la mauvaise foi sur le délai de prescription ?L’article L.218-2 du code de la consommation précise que le délai de prescription est de deux ans à compter de la connaissance des faits permettant d’exercer l’action. Le professionnel a soutenu que la mauvaise foi des consommateurs, manifestée par leur intention équivoque d’abandonner le contrat, devait conduire à reporter la date de connaissance des faits au 21 juin 2020, date de l’émission de sa facture. Cependant, la cour a retenu que les échanges de courriels et la résiliation confirmée par l’avocate des consommateurs n’ont pas remis en cause la prise de connaissance des faits par le professionnel. Ainsi, la mauvaise foi alléguée n’a pas eu d’impact sur le délai de prescription, qui a été jugé comme ayant commencé à courir le 23 mai 2020. |
COUR D’APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 26 FEVRIER 2025
DÉCISION DÉFÉRÉE :
22/01119
Juge de la mise en etat du Havre du 23 mai 2024
APPELANT :
Monsieur [O] [P]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représenté et assisté par Me Patrice LEMIEGRE de la SELARL PATRICE LEMIEGRE PHILIPPE FOURDRIN SUNA GUNEY ASSOCIÉS, avocat au barreau de Rouen substitué par Me GUNEY
INTIMES :
Monsieur [I] [F]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par Me Caroline LECLERCQ de l’AARPI LECLERCQ & TARTERET AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau du Havre
Madame [C] [Y] épouse [F]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Caroline LECLERCQ de l’AARPI LECLERCQ & TARTERET AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau du Havre
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 8 janvier 2025 sans opposition des avocats devant Mme DEGUETTE, conseillère, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre
Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, présidente de chambre
Mme Magali DEGUETTE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Catherine CHEVALIER
DEBATS :
A l’audience publique du 8 janvier 2025, où l’affaire a été mise en délibéré au 26 février 2025
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 26 février 2025, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
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EXPOS » DES FAITS ET DE LA PROC »DURE
Suivant contrat accepté le 24 avril 2019, M. [I] [F] et Mme [C] [Y] son épouse ont confié à M. [O] [P], architecte, la maîtrise d’oeuvre de leur projet d’agrandissement de leur maison d’habitation, située [Adresse 3].
Par courriel du 21 mai 2020, M. et Mme [F] ont informé M. [P] qu’ils abandonnaient définitivement leur projet eu égard au contexte économique lié au confinement pour cause de Covid-19. Ils lui ont demandé de leur transmettre sa facture pour solde de tout compte.
Suivant acte d’huissier de justice du 17 juin 2022, M. [P] a fait assigner M. et Mme [F] devant le tribunal judiciaire du Havre en paiement de sa facture d’honoraires du 21 juin 2020 de 30 794,98 euros.
Par ordonnance du 23 mai 2024, le juge de la mise en état a :
– déclaré les demandes de M. [O] [P] irrecevables en raison de la prescription de son action,
– condamné M. [O] [P] à payer à M. et Mme [I] [F] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [O] [P] aux dépens de l’instance.
Par déclaration du 28 juin 2024, M. [P] a formé un appel contre cette ordonnance en toutes ses dispositions.
Un calendrier de procédure a été notifié aux parties le 2 septembre 2024 en application des anciens articles 905 et suivants du code de procédure civile.
EXPOS » DES PR »TENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES
Par conclusions notifiées le 30 septembre 2024, M. [O] [P] demande, en application des articles L.218-2 du code de la consommation, 2224 du code civil, et 700 du code de procédure civile, de :
– voir réformer l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire du Havre du 23 mai 2024 en ce qu’elle a :
. déclaré les demandes de M. [O] [P] irrecevables en raison de la prescription de son action,
. condamné M. [O] [P] à payer à M. et Mme [F] la somme de
1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
. condamné M. [O] [P] aux dépens de l’instance,
et statuant à nouveau,
– se voir déclarer recevable en son appel et juger que sa créance d’honoraires à hauteur de 30 794,98 euros n’est pas prescrite,
– voir débouter M. et Mme [F] de leur demande à son encontre,
– voir condamner M. et Mme [F] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens de première instance et d’appel.
Il fait valoir que le point de départ du délai de prescription biennale est la date à laquelle sa créance est devenue exigible, soit celle de sa facture du 21 juin 2020, et non pas la date du 23 mai 2020 retenue par le premier juge ; qu’il ressort des échanges des parties entre ces deux dates l’intention équivoque de M. et Mme [F] de mettre un terme au contrat et leur mauvaise foi, ce qui doit conduire à reporter au 21 juin 2020 la date à laquelle il a eu une connaissance suffisamment établie du caractère définitif de la résiliation de son contrat et de la nécessité d’arrêter les comptes sur les prestations exécutées.
M. et Mme [F] ont constitué avocat, mais n’ont pas conclu.
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 8 janvier 2025.
Sur la recevabilité de l’action
L’article 122 du code de procédure civile définit la fin de non-recevoir comme tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
En application de l’article 2224 du code civil et de l’article L.218-2 du code de la consommation, l’action en paiement de travaux et services engagée à l’encontre de consommateurs par un professionnel se prescrit par deux ans à compter de la date de la connaissance des faits permettant à ce dernier d’exercer son action. Cette date est caractérisée, hormis les cas où le contrat ou la loi en disposent autrement, par l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations, cette circonstance rendant sa créance exigible.
En l’espèce, M. [P], informé par M. et Mme [F] de l’abandon définitif de leur projet de travaux le 21 mai 2020 et de leur demande consécutive de transmission de sa facture pour solde de tout compte, leur a adressé le détail de ses honoraires restant dus de 30 794,98 euros par courriel du 23 mai 2020.
Par cet envoi, il a manifesté sa prise de conscience de la fin de l’exécution de ses prestations prévues par le contrat du 24 avril 2019 très clairement spécifiée par ses cocontractants dans leur courriel précité.
Les échanges postérieurs de courriels entre les parties et l’établissement par
M. [P] de sa facture le 21 juin 2020, visant les mêmes chiffres, calculs, montant total de ses honoraires que ceux contenus dans son courriel du 23 mai 2020, n’ont pas remis en cause cette prise de connaissance des faits lui permettant d’exercer une action contre ses cocontractants.
Le délai de réflexion jusqu’au 15 juin 2020, évoqué par M. et Mme [F] dans leur courriel du 8 juin 2020, ne portait pas sur le terme du contrat, mais sur le détail des honoraires reçu le 23 mai 2020. A aucun moment, ces derniers ne sont revenus sur leur décision de rompre le contrat et, partant, de mettre fin à l’exécution des prestations de M. [P]. Le courrier ultérieur de leur avocate du 24 juin 2020 signifiant à celui-ci la résiliation du contrat à ses torts exclusifs n’a fait que la confirmer.
En définitive, comme l’a exactement retenu le premier juge, le délai de prescription a commencé à courir le 23 mai 2020 et a expiré le 23 mai 2022 sans être interrompu. L’action en paiement engagée par M. [P] au moyen de l’assignation du 17 juin 2022 est prescrite. La décision du juge de la mise en état ayant déclaré celle-ci irrecevable sera confirmée.
Sur les demandes accessoires
Les dispositions de première instance sur les dépens et les frais de procédure seront confirmées.
Partie perdante, M. [P] sera condamné aux dépens d’appel.
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne M. [O] [P] aux dépens d’appel.
Le greffier, La présidente de chambre,
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