Invention spontanée du salarié : affaire Atos 

·

·

Invention spontanée du salarié : affaire Atos 

Le salarié ne peut revendiquer de droits sur une activité inventive si la nature comme le contenu de l’invention revendiquée restent flous et qu’il échoue à démontrer que le prototype qu’il invoque relève d’une invention ouvrant droit à son profit à un juste prix.

Prototype de visualisation 3D

En l’occurrence, le salarié a fait valoir en vain qu’il a élaboré un prototype de visualisation 3D nom de code VISIBULL 2 (Atos) consistant notamment en une sonde DPI open source, pour analyser en temps réel un réseau de données.

Par ailleurs, la déclaration faite à l’employeur telle que prévue aux articles L. 611-6 et R. 611-2 du Code de la propriété intellectuelle ne répondait pas aux conditions de forme prescrites par l’arrêté du 29 août 1985, ne comportait pas de définition de l’objet de l’invention, la phrase ‘Le principe mis en oeuvre permet de représenter tous les réseaux de télécoms qu’ils soient brassés ou commutés’ ne pouvant être considérée comme telle, mais seulement des applications envisagées, et ne comporte d’indication ni sur les circonstances de la réalisation de l’invention ni sur le classement de l’invention dans l’une des catégories prévues aux paragraphes 1 et 2 de l’article L. 611-7 du CPI.

En outre, la juridiction n’a pas été en mesure de déterminer le contenu de l’invention revendiquée.

Inventions faites par le salarié

Pour rappel, l’article L. 611-6 code de la propriété intellectuelle dispose : ‘Le droit de propriété industrielle mentionné à l’article L.611-1 [brevet d’invention] appartient à l’inventeur ou à son ayant cause’ et l’article L. 611-7 : ‘Si l’inventeur est un salarié, le droit au titre de propriété industrielle, à défaut de stipulation contractuelle plus favorable au salarié, est défini selon les dispositions ci-après :

1. Les inventions faites par le salarié dans l’exécution soit d’un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées, appartiennent à l’employeur. L’employeur informe le salarié auteur d’une telle invention lorsque cette dernière fait l’objet du dépôt d’une demande de titre de propriété industrielle et de la délivrance, le cas échéant, de ce titre. Les conditions dans lesquelles le salarié auteur d’une invention appartenant à l’employeur bénéficie d’une rémunération supplémentaire sont déterminées par les conventions collectives, les accords d’entreprise et les contrats individuels de travail (…)’

2. Toutes les autres inventions appartiennent au salarié. Toutefois, lorsqu’une invention est faite par un salarié soit dans le cours de l’exécution de ses fonctions soit dans le domaine des activités de l’entreprise, soit par la connaissance ou l’utilisation de techniques ou de moyens spécifiques à l’entreprise, ou de données procurées par elle, l’employeur a le droit, dans ces conditions et délais fixés par décret en Conseil d’Etat, de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant l’invention de son salarié.

Le salarié doit en obtenir un juste prix qui, à défaut d’accord entre les parties, est fixé par la commission de conciliation instituée par l’article L 615-21 ou par le tribunal de grande instance : ceux-ci prendront en considération tous éléments qui pourront leur être fournis notamment par l’employeur et par le salarié, pour calculer le juste prix tant en fonction des apports initiaux de l’un et de l’autre que de l’utilité industrielle et commerciale de l’invention.

Le salarié auteur d’une invention en informe son employeur qui en accuse réception selon des modalités et des délais fixés par voie réglementaire (…)’ .

Informations de l’employeur 

L’article R. 611-2 du même code prévoit les conditions dans lesquelles le salarié inventeur doit informer son employeur : ‘La déclaration contient les informations, en la possession du salarié, suffisantes pour permettre à l’employeur d’apprécier le classement de l’invention dans l’une des catégories prévues aux paragraphes 1 et 2 de l’article L. 611-7. Ces informations concernent :

1° L’objet de l’invention ainsi que les applications envisagées ;

2° Les circonstances de sa réalisation, par exemple : instructions ou directives reçues, expériences ou travaux de l’entreprise utilisés, collaborations obtenues ;

3° Le classement de l’invention tel qu’il apparaît au salarié.’

_________________________________________________________________________________________

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRÊT DU 16 MARS 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : 20/07721 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB44Q

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Février 2020 -Tribunal de Grande Instance de Paris – 3ème chambre – 3ème section – RG n° 18/00731

APPELANT

Monsieur A X

Né le […] à […]

[…]

[…]

Représenté et assisté de Me Arnaud STAMM, avocat au barreau de PARIS, toque : D1545

INTIMÉES

S.A.S. Z

Société au capital de 185 533,50 euros

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés sous le numéro 642 058 739

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Bertrand OLLIVIER de l’AARPI OLLIVIER et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0189

Assistée de Me Jahnika KAFON COLMAR, substituant Me Bertrand OLLIVIER de l’AARPI OLLIVIER et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0189

Société ATOS SE

Société au capital de 105 598 479 euros

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PONTOISE sous le numéro 323 623 603

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Bertrand OLLIVIER de l’AARPI OLLIVIER et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0189

Assistée de Me Jahnika KAFON COLMAR, substituant Me Bertrand OLLIVIER de l’AARPI OLLIVIER et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0189

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 janvier 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Déborah BOHÉE, conseillère et Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre

Mme Françoise BARUTEL, conseillère

Mme Déborah BOHÉE, conseillère.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRÊT :

Contradictoire•

• par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

• signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

M. A X, ingénieur informatique, a été embauché en qualité de chef de projet à compter du 2 janvier 2002 par la société Z qui a pour activité le conseil en systèmes et logiciels informatiques. A partir du 1er janvier 2013, il a été affecté au poste d’architecte logiciel afin de participer au développement du logiciel «’VISIBULL’».

Le projet ‘VISIBULL’ ayant été abandonné, M. X indique qu’il s’est retrouvé désoeuvré, sans attribution ni mission précise, et qu’il a alors créé et développé, à partir de juillet 2014, une série de prototypes mettant en oeuvre des inventions.

En août 2014, la société ATOS a acquis 84,25% des titres de la société Z.

Le 2 juin 2016, M. X s’est vu notifier son licenciement pour un motif disciplinaire et a été dispensé de l’exécution de son préavis, son contrat de travail prenant fin le 2 septembre 2016.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 octobre 2016, M. X a sollicité la société Z afin que soit signé un accord de régularisation de propriété intellectuelle relatif à un prototype «’VISIBULL 2’» qu’il indique avoir conçu, à compter de juillet 2014, sur une initiative personnelle, sans moyens particuliers ni instructions et en dehors du cadre strict de sa mission.

Par ailleurs, M. X a saisi le conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt, le 2 novembre 2016, pour contester la validité de son licenciement par la société Z. Ce litige a donné lieu à un jugement du 6 septembre 2018 déclarant valable le licenciement mais allouant au salarié des dommages et intérêts pour harcèlement moral. Appel de cette décision est pendant devant la cour d’appel de Versailles.

M. X a ensuite saisi, le 2 mai 2017, le juge des référés du tribunal de grande instance de Versailles afin de voir reconnaître ses droits exclusifs sur le prototype «’VISIBULL 2’». Le 5 juillet 2017, le juge des référés s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Paris.

Le juge des référés de ce tribunal, par ordonnance du 23 novembre 2017, a déclaré irrecevables les prétentions de M. X au motif que les conditions du référé n’étaient pas réunies.

C’est dans ces conditions que, par acte du 8 janvier 2018, M. X a fait assigner la société Z devant le tribunal de grande instance de Paris afin notamment de faire rétablir la clause de non-concurrence insérée à son contrat de travail et de se voir allouer un juste prix après qualification de l’invention.

Le juge de la mise en état, statuant sur un incident soulevé par la société Z, par ordonnance du 21 décembre 2018, s’est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de rétablissement de la clause de non-concurrence figurant dans le contrat de travail de M. X, au profit du conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt.

Dans un jugement du 28 février 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :

– déclaré irrecevables les prétentions de M. X formées à l’encontre de la société ATOS ;

– débouté M. X de ses prétentions’;

– rejeté la demande reconventionnelle des sociétés Z et ATOS pour procédure abusive’;

– condamné M. X aux dépens’;

– condamné M. X à payer aux sociétés Z et ATOS la somme globale de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’;

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

Le 22 juin 2020, M. A X a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses uniques conclusions transmises le 22 septembre 2020, M. A X, appelant et intimé incident, demande à la cour :

– d’infirmer le jugement dans toutes ses dispositions , sauf en ce qui concerne le rejet des demandes reconventionnelles des société ATOS et Z ;

– de constater la bonne foi et le bon droit de Monsieur X ;

– de constater et de classer les inventions du salarié comme relevant de l’article L. 611-7 alinéa 2 du CPI,

– d’attribuer au requérant la totalité des parts conformément à l’article R.611-7 du CPI,

– d’évaluer les contributions respectives des parties sur les inventions,

– d’évaluer l’utilité industrielle et commerciale de l’ensemble des inventions à plusieurs milliards d’euros,

– d’établir le juste prix accordé au salarié à six cent mille euros pour l’ensemble des inventions et compte tenu des contributions’;

– de demander à la société Z et ATOS d’attester l’abandon de revendications sur tout ou partie des inventions’;

– de fixer le juste prix accordé au salarié, au prorata,

– de confirmer le rejet les demandes reconventionnelles des sociétés ATOS et Z,

– de condamner les sociétés Z et ATOS à payer à M. X la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– d’assortir la décision à intervenir de l’exécution provisoire conformément aux dispositions de l’article 515 du code de procédure civile,

– de condamner les sociétés Z et ATOS à tous les dépens distraits au profit du requérant.

Dans ses dernières conclusions numérotées 2 transmises le 5 octobre 2021, la société Z, intimée et appelante incidente, demande à la cour’:

– Sur l’appel principal’:

– de confirmer le jugement en ce qu’il déboute M. X de ses prétentions ;

– Sur l’appel incident :

– d’infirmer le jugement en ce qu’il rejette la demande reconventionnelle de la société Z pour procédure abusive ;

– statuant à nouveau,

– à titre principal, de condamner M. X à payer à la société Z la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile,

– à titre subsidiaire, si la cour venait a rejeter la demande reconventionnelle de la société Z, de c o n d a m n e r M . A Z E N C O T à p a y e r à l a s o c i é t é B U L L l a s o m m e d e 5 0 0 0 e u r o s d e dommages-intérêts sur le fondement de l’article 559 du code de procédure civile,

– en tout état de cause,

– de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile,

– de condamner M. X aux entiers dépens d’appel et au paiement à la société Z d’une somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions numérotées 2 transmises le 21 septembre 2021, la société ATOS, intimée et appelante incidente, demande à la cour’:

– Sur l’appel principal’:

– à titre principal, de confirmer le jugement en ce qu’il déclare irrecevables les prétentions de M. X formées à l’encontre de la société ATOS ;

– à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour venait à juger M. X recevable dans ses demandes, de confirmer le jugement en ce qu’il déboute M. X de ses prétentions,

– Sur l’appel incident :

– d’infirmer le jugement en ce qu’il rejette la demande reconventionnelle de la société ATOS pour procédure abusive,

– statuant à nouveau,

– à titre principal, de condamner M. X à payer à la société ATOS la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile,

– à titre subsidiaire, si la cour venait à rejeter les demandes reconventionnelles pour procédure abusive de la société ATOS, de condamner M. X à payer à la société ATOS la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts sur le fondement de l’article 559 du code de procédure civile,

– en tout état de cause,

– de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile,

– de condamner M. X aux entiers dépens d’appel et au paiement à la société ATOS d’une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est du 12 octobre 2021.

MOTIFS DE L’ARRET

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur la demande de maintien dans la cause de la société ATOS

M. X fait valoir que la société ATOS a acquis 84,25% des titres de la société Z en août 2014, de sorte qu’elle avait la mainmise sur tous les services stratégiques de la société Z et que ce sont les cadres de cette société qui se sont impliqués étroitement dans la survenance et le suivi du litige pour le spolier de ses droits sur le fruit de l’invention. Il soutient qu’il a travaillé pour la société ATOS entre le 1er juillet 2015, date de l’application effective de la réorganisation et de l’application du nouvel organigramme, jusqu’à son licenciement, sans que la société ATOS ait eu besoin de transférer son contrat de travail, et que c’est bien la société ATOS qui a décidé d’évaluer l’intérêt de ses recherches et d’analyser ses créations, pour ensuite le neutraliser et s’approprier les fruits de son travail en exploitant pour son seul compte son invention.

La société ATOS expose en réponse que l’acquisition de la société Z a impliqué une simple prise de contrôle capitalistique de la société ATOS dans l’actionnariat de la société Z, sans toutefois emporter transfert des contrats de travail, notamment de celui de M. X, et que les deux sociétés demeurent deux entités distinctes.

C’est pour de justes motifs, que la cour adopte, que le tribunal a mis hors de cause la société ATOS et déclaré irrecevables les demandes de M. X à son encontre, relevant notamment que le litige porte sur une créance due au salarié inventeur par le seul employeur, que M. X a été le salarié de la seule société Z qui a procédé à son licenciement, que les contrats de travail n’ont pas été transférés à la société ATOS lorsque celle-ci a pris le contrôle capitalistique de la société Z en 2014, les sociétés Z et ATOS demeurant des entités juridiques distinctes.

Il sera ajouté que les pièces produites par M. X, si elles montrent des contacts directs entre M. X et la société ATOS, en la personne notamment de M. Y, vice-président CyberSecurity en janvier 2015, auquel M. X avait souhaité présenter son prototype «’VISIBULL 2’» (pièce 10), ce qui en soi ne démontre pas une intervention de la société ATOS dans la naissance du litige lié à l’invention, le message de M. Y adressé à M. X en avril 2016 pour lui dire : ‘A, May I remind you that the project you refer to as VB2 is not in the list of R&D projects in Atos. As such, […] on this subjects, and align with your manager on your duties’ (soit, ‘Puis je vous rappeler que le projet auquel vous faites référence comme VB2 n’est pas dans la liste des projets de R&D d’ATOS. Aussi je vous demande formellement de cesser d’envoyer des e-mails aux employés d’ATOS et de vous aligner avec votre manager sur vos tâches’) n’est pas de nature à corroborer la thèse de M. X quant à l’implication alléguée, pas plus que les pièces datées de l’année 2015 (article de La Lettre A et tract CFDT) faisant état d’un projet d’intégration des salariés de la société Z au sein du groupe ATOS. La société ATOS justifie que le projet de fusion en date du 28 novembre 2013 invoqué par M. X concerne en réalité les sociétés Z et HRBC et sont versés aux débats des extraits Kbis des sociétés Z et ATOS montrant qu’elles demeurent des entités distinctes.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes de M. X formées à l’encontre de la société ATOS.

Sur l’invention revendiquée et le paiement d’un juste prix

M. X fait valoir qu’il a élaboré un prototype de visualisation 3D nom de code VISIBULL 2 consistant notamment en une sonde DPI open source, pour analyser en temps réel un réseau de données, puis une série de lignes de code permettant la retranscription de ces données dans une architecture 3 D, l’un des intérêts majeurs de cette invention étant de pouvoir détecter immédiatement en temps réel toute intrusion sur un réseau (avec alerte sonore auprès de l’opérateur qui peut voir en 3 D l’ensemble du réseau et détecter précisément à quel endroit l’intrusion a lieu, et réagir en temps réel). Il soutient que cette invention est originale et revêt un caractère stratégique dans le secteur de la cybersécurité pour prévenir ou réagir à tout acte de piratage. Il prétend avoir adressé à son employeur, le 30 octobre 2014, une déclaration de l’invention conforme à l’article R. 611-2 du code de la propriété intellectuelle, suivie, le 24 octobre 2016, d’un courrier lui demandant de lui indiquer quelles étaient ses intentions quant au prototype ; que l’employeur est resté taisant. M. X fait valoir qu’il a interrogé trois experts ‘dans des domaines différents’ qui ont livré leurs appréciations et qu’il a consulté le directeur cybersécurité de la société ATOS, qui lui a demandé une étude d’intérêt, ce qui montre que son travail était bel et bien novateur ; qu’il résulte du constat d’huissier qu’il a fait établir, en date du 7 février 2017, qu »il est bien possible [qu’il] soit détenteur du premier dépôt opposable en antériorité’. Il indique qu’il a proposé son invention à l’employeur pour une somme forfaitaire de 600 000 € ou la restitution de la marchandise et que le fait que les intimés n’ont pas attesté avoir abandonné tout travail dérivé de son invention montre, qu’à leurs yeux, l’invention vaut au moins ce prix ; que la cour n’a donc pas besoin de connaître la valeur réelle de l’invention, si tant est qu’elle puise être déterminée. M. X conteste que son invention puisse recevoir la qualification de ‘logiciel’ non brevetable et argue que la société ATOS a déposé plusieurs brevets français portant sur des logiciels ou des dispositifs destinés à être réalisés par des logiciels. Il indique qu’il aurait pu déposer lui-même son invention mais a préféré rester loyal à ses employeurs, respecter leur choix et leur concéder l’exclusivité de l’invention. Enfin, M. X précise qu’il existe un ‘volet droit d’auteur’ portant sur ces prototypes pour lesquels ‘il est sans doute nécessaire d’envisager le versement de rentes ou ‘royalties’, l’article L. 113-9 du code de la propriété intellectuelle permettant d’accorder des droits patrimoniaux sur le ‘logiciel’.

La société Z répond que le régime de protection revendiqué par M. X est uniquement applicable aux inventions brevetables de salarié et que l’appelant n’apporte aucun élément de nature justifier que son prototype répond aux conditions de brevetabilité posées par l’article L.611-10 du code de la propriété intellectuelle, alors qu’à plusieurs reprises dans ses pièces produites aux débats, il apparaît que son invention prétendue consiste en un programme ou en un concept, lesquels ne sont pas brevetables ; que M. X s’abstient également de démontrer que son prototype relèverait d’un autre régime de protection prévu par le code de la propriété intellectuelle, n’apportant pas la preuve d’une quelconque originalité de son prototype. L’intimée ajoute que n’est produit aucun élément démontrant qu’elle exploite le prototype de M. X ou qu’elle pourrait y trouver un quelconque intérêt.

L’article L. 611-6 code de la propriété intellectuelle dispose : ‘Le droit de propriété industrielle mentionné à l’article L.611-1 [brevet d’invention] appartient à l’inventeur ou à son ayant cause (…)’ et l’article L. 611-7 : ‘Si l’inventeur est un salarié, le droit au titre de propriété industrielle, à défaut de stipulation contractuelle plus favorable au salarié, est défini selon les dispositions ci-après :

1. Les inventions faites par le salarié dans l’exécution soit d’un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées, appartiennent à l’employeur. L’employeur informe le salarié auteur d’une telle invention lorsque cette dernière fait l’objet du dépôt d’une demande de titre de propriété industrielle et de la délivrance, le cas échéant, de ce titre. Les conditions dans lesquelles le salarié auteur d’une invention appartenant à l’employeur bénéficie d’une rémunération supplémentaire sont déterminées par les conventions collectives, les accords d’entreprise et les contrats individuels de travail (…)’

2. Toutes les autres inventions appartiennent au salarié. Toutefois, lorsqu’une invention est faite par un salarié soit dans le cours de l’exécution de ses fonctions soit dans le domaine des activités de l’entreprise, soit par la connaissance ou l’utilisation de techniques ou de moyens spécifiques à l’entreprise, ou de données procurées par elle, l’employeur a le droit, dans ces conditions et délais fixés par décret en Conseil d’Etat, de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant l’invention de son salarié.

Le salarié doit en obtenir un juste prix qui, à défaut d’accord entre les parties, est fixé par la commission de conciliation instituée par l’article L 615-21 ou par le tribunal de grande instance : ceux-ci prendront en considération tous éléments qui pourront leur être fournis notamment par l’employeur et par le salarié, pour calculer le juste prix tant en fonction des apports initiaux de l’un et de l’autre que de l’utilité industrielle et commerciale de l’invention.

3. Le salarié auteur d’une invention en informe son employeur qui en accuse réception selon des modalités et des délais fixés par voie réglementaire (…)’ .

L’article R. 611-2 du même code prévoit les conditions dans lesquelles le salarié inventeur doit informer son employeur : ‘La déclaration contient les informations, en la possession du salarié, suffisantes pour permettre à l’employeur d’apprécier le classement de l’invention dans l’une des catégories prévues aux paragraphes 1 et 2 de l’article L. 611-7.

Ces informations concernent :

1° L’objet de l’invention ainsi que les applications envisagées ;

2° Les circonstances de sa réalisation, par exemple : instructions ou directives reçues, expériences ou travaux de l’entreprise utilisés, collaborations obtenues ;

3° Le classement de l’invention tel qu’il apparaît au salarié.’

Ceci étant exposé, M. X revendique avoir mis au point ‘un prototype de visualisation 3D, nom de code VISIBULL 2, consistant notamment en une sonde DPI open source, pour analyser en temps réel un réseau de données, puis une série de lignes de code permettant la retranscription de ces données dans une architecture 3 D’, précisant que ‘l’un des intérêts majeurs de cette invention [est] de pouvoir détecter immédiatement en temps réel toute intrusion sur un réseau (avec alerte sonore auprès de l’opérateur qui peut voir en 3 D l’ensemble du réseau et détecter précisément à quel endroit l’intrusion a lieu, et réagir en temps réel)’.

Comme le tribunal l’a relevé, il justifie avoir adressé plusieurs courriels à différents interlocuteurs de la société, entre le 31 octobre 2014 et le 12 avril 2016, relatifs à ce prototype (pièces 6 à 10, 13), puis avoir sollicité son employeur, par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 octobre 2016, afin qu’il prenne parti sur l’attribution ou non à son profit de ce prototype (pièce 17).

Cependant, le courriel du 30 octobre 2014 (pièce 6), intitulé ‘Atos-Z 3D net view’, que M. X qualifie de déclaration à l’employeur telle que prévue aux articles L. 611-6 et R. 611-2 précités, mais qui ne répond pas aux conditions de forme prescrites par l’arrêté du 29 août 1985, ne comporte pas de définition de l’objet de l’invention, la phrase ‘Le principe mis en oeuvre permet de représenter tous les réseaux de télécoms qu’ils soient brassés ou commutés’ ne pouvant être considérée comme telle, mais seulement des applications envisagées, et ne comporte d’indication ni sur les circonstances de la réalisation de l’invention ni sur le classement de l’invention dans l’une des catégories prévues aux paragraphes 1 et 2 de l’article L. 611-7.

En outre, le tribunal a justement estimé que le procès-verbal de constat d’huissier de justice en date du 7 février 2017 que M. X a fait établir, décrit les fonctionnalités du prototype mais ne comporte pas de description de ce prototype et ne permet pas de se prononcer sur le contenu de l’invention revendiquée. Il est en outre observé que l’exposé préliminaire de l’huissier de justice mentionne que M. X lui a indiqué avoir créé ‘un programme original’ de modélisation en trois dimensions et de surveillance en temps réel de réseau informatique en assurant une interaction totale entre l’homme et la langage machine et qu’il est requis notamment afin de sauvegarder ‘l’originalité de son oeuvre’.

Les autres pièces fournies ne permettent pas davantage de déterminer le contenu de l’invention revendiquée.

Ainsi, les appréciations données par les ‘experts’ sollicités par M. X (pièces 7 à 9), dont les fonctions ne sont nullement précisées mais qui sont manifestement des collègues de M. X chez Z, ne sont que des réponses lapidaires à des questions posées par courriel par M. X, sous forme d »interview’, concernant essentiellement les possibilités d’exploitation de l’invention revendiquée (ex. ‘Qu’est ce que tu connais de plus approchant ‘: ‘Observer – Netscout – rmom. Mais ces outils ne présentent que en couche par couche. Il n’y a rien qui présente le réseau de cette façon’ ; ‘Comment faire pour gagner de l’argent avec  » : ‘Difficulté : pour déclencher un investissement, il faut prouver que le sys-down time peut être diminué avec ce genre d’outil. Les diagnostiques autour de la connectivité et de la performance. C’est les incidents les plus fréquents’ ‘Qu’est ce que tu vois comme applications  » : ‘Quelque chose qui approche d’un outil de NetworkPhysins qui permettrait de rapprocher graphiquement de nombreux indicateurs réseau. Par exemple, Bande passante v.s. Temps de réponse’ ; ‘Voyez vous un problème avec  » : ‘Que ça ne se vende pas, mais sinon pas de gros dangers’, etc.) et ne sont pas de nature à apporter des précisions sur la nature ou l’objet du prototype.

M. X verse par ailleurs aux débats un document de 5 pages intitulé ‘Inventaire des innovations relatives à l’exploitation des informations fournies par un analyseur de protocole connecté à un réseau’ (pièce 24) qu’il a lui-même rédigé en décembre 2017, duquel, selon lui, il ressortirait ‘de manière évidente’ que son invention n’est pas un logiciel. Cette évidence n’est toutefois pas avérée à défaut de toute explicitation sur le contenu très technique de ce document, et alors que les fonctions exercées en dernier lieu par M. X au sein de la société Z étaient celles d »architecte logiciel’ (avenant à son contrat de travail du 15 janvier 2013) et qu’à plusieurs reprises, dans des pièces qu’il verse aux débats (passages précités du procès-verbal de constat) ou dans ses écritures (pages 14, 18, 19), l’appelant qualifie parfois son invention de ‘programme’ ou de ‘logiciel’, voire d’oeuvre originale protégeable par le droit d’auteur.

En outre, la pièce 31 de M. X, qui est une simple liste, extraite de la base brevets de l’INPI, de brevets déposés par la société ATOS, censée démontrer que des inventions ‘qui décrivent des logiciels sont parfaitement brevetables’, n’est d’aucune utilité pour démontrer la nature et le contenu du protocole de M. X.

Enfin, M. X ne démontre pas que son ancien employeur exploiterait l’invention qu’il revendique.

Force est de constater que la nature comme le contenu de l’invention revendiquée par M. X restent flous et que ce dernier échoue à démontrer que le prototype qu’il invoque relève d’une invention de salarié ouvrant droit à son profit à un juste prix au sens des dispositions précitées.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté M. X de ses prétentions.

Sur les demandes des sociétés ATOS et Z pour procédure abusive

Les sociétés Z et ATOS plaident que M. X est d’une évidente mauvaise foi et abuse de son droit d’agir en justice, la première faisant valoir qu’il utilise la présente procédure comme instrument de sa stratégie prud’homale dans le but de diaboliser son ancien employeur, tout en sachant qu’elle est vouée à l’échec, et la seconde qu’il s’obstine à formuler des demandes à son encontre alors qu’il a conscience qu’elle n’a jamais été son employeur.

Toutefois, l’exercice d’une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’absence manifeste de tout fondement à l’action intentée.

En l’espèce, le rejet des prétentions de M. X ne permet pas de caractériser une faute ayant fait dégénérer en abus son droit d’agir en justice, l’intéressé ayant pu légitimement se méprendre sur l’étendue de ses droits. Par ailleurs, les intimées ne démontrent pas l’existence d’un préjudice distinct de celui causé par la nécessité de se défendre en justice qui sera réparé par l’allocation d’indemnités complémentaires sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes pour procédure abusive et les demandes formées au titre de l’appel, sur le fondement de l’article 559 du code de procédure civile, seront également rejetées.

Sur l’exécution provisoire

La cour rappelle que la demande d’exécution provisoire est sans objet devant la cour d’appel.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

M. X, partie perdante, sera condamné aux dépens d’appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’il a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

Les sommes qui doivent être mises à la charge de M. X au titre des frais non compris dans les dépens exposés par les sociétés Z et ATOS en appel, peuvent être équitablement fixées à 1 500 € à chacune, ces sommes complétant celles allouées en première instance.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute les sociétés Z et ATOS de leurs demandes pour procédure abusive au titre de l’appel,

Condamne M. X aux dépens d’appel et au paiement à chacune des sociétés Z et ATOS de la somme de 1 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Chat Icon