Indemnisation Covid-19 : un Bar de nuit n’est pas une discothèque

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Indemnisation Covid-19 : un Bar de nuit n’est pas une discothèque

En cas de fausse déclaration, un établissement peut être privé de son indemnisation Covid-19 par son assureur. Les mentions purement déclaratives portées sur le Kbis sont insuffisantes à démontrer l’absence d’activité de discothèque dans un  établissement. L’activité tant réelle que déclarée aux services de la préfecture de police par la société BIG JO n’était pas conforme à l’activité déclarée à son assureur. La juridiction a considéré que la société BIG JO avait intentionnellement fait preuve d’une réticence de l’information et manqué à son devoir de loyauté vis-à-vis de son assureur.

Risque couvert par la police d’assurance

Le risque couvert par la police d’assurance souscrite a bien été modifié, dès lors que l’assuré, dont l’activité déclarée était «bar, café, restaurant et bar à ambiance musicale», a exercé une activité de discothèque dans son établissement, rendant ainsi sa déclaration «inexacte ou caduque du fait des circonstances nouvelles résultant de l’adjonction de l’activité de discothèque à celle déclarée de bar à ambiance musicale».

La nullité du contrat d’assurance est en conséquence encourue en application de l’article L. 113-8 du code des assurances.

Affaire du Moloko

En l’espèce, le contrat d’assurance souscrit prévoit que la société BIG JO a assuré son établissement le ‘MOLOKO’ en déclarant exercer une activité de ‘bar de nuit à ambiance musicale’. Il résulte des documents produits aux débats par la compagnie AXA, et notamment le ‘guide de souscription Multirisques entreprise’, qu’elle exclut totalement de ses contrats l’activité de discothèque.

Les documents présentés justifient de la qualification administrative de discothèque de cet établissement recevant du public (ERP). Ils sont en outre corroborés par la production de diverses photographies publiées sur le compte INSTAGRAM de la société BIG JO permettant de constater qu’elle n’exerce pas seulement une activité de restauration mais également une activité réelle de discothèque dès lors que ces photos mettent en scène des jeunes gens en train de danser et ne laissent pas de doute sur l’activité de la société BIG JO à compter d’une certaine heure de la soirée, certaines de ces photos étant d’ailleurs accompagnées du mot clef #nighclubparis pouvant se traduire par « boite de nuit » ou « discothèque » de PARIS. Plusieurs articles publiés sur internet font état d’une piste de danse au sein de l’établissement. La presse présente ainsi l’établissement comme « un espace de 400 m2 » qui se « partage en deux niveaux» et inclut un restaurant « ouvert du mardi au samedi de 19h à 00h» mais aussi un « club » ouvert du mardi au samedi de 23h à 5h », « où l’on se trémousse jusqu’au bout de la nuit sur de la musique soul, funk, black, vintage, hip hop ».

Au sens de l’article L. 113-2 du code des assurances, l’assuré est obligé : 2° de répondre exactement aux questions posées par l’assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l’assureur l’interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge; 3° de déclarer en cours de contrat, les circonstances nouvelles qui ont pour conséquences soit d’aggraver les risques, soit d’en créer de nouveaux et rendent de ce fait inexactes ou caduques les réponses faites à l’assureur, notamment dans le formulaire mentionné au 2° ci-dessus ».

La sanction du non-respect de ces obligations est prévue à l’article L. 113-8 du même code, qui dispose que :

« Indépendamment des causes ordinaires de nullité, le contrat d’assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l’assuré, quand cette réticence ou cette fausse déclaration change l’objet du risque ou en diminue l’opinion pour l’assureur, alors même que le risque omis ou dénaturé par l’assuré a été sans influence sur le sinistre ».

Nature du contrat d’assurance

Pour rappel, le contrat d’assurance est un contrat aléatoire par lequel, en contrepartie d’une prime, l’assureur s’engage à garantir le souscripteur en cas de réalisation d’un risque prévu au contrat. Dès lors, le législateur impose à l’article L 113-2 du code des assurances, une obligation pour l’assuré de déclarer toutes les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l’assureur le risque qu’il prend en charge.

Il s’agit des circonstances existantes au moment de la souscription du contrat d’assurance, ainsi que l’aggravation ou les circonstances nouvelles survenant en cours d’exécution du contrat.

L’objectif est d’éviter que l’assureur ne soit lésé du fait d’une sous tarification pratiquée en méconnaissance d’un risque trouvant son origine dans la fausse déclaration de l’assuré. En effet, la fausse déclaration de l’assuré ne permet pas à l’assureur d’évaluer correctement le risque qu’il va garantir.

Fausse déclaration de l’assuré

Le caractère intentionnel ou non intentionnel de la fausse déclaration de l’assuré résulte de la bonne ou mauvaise foi de l’assuré.

L’assureur, à qui incombe la preuve de la mauvaise foi de l’assuré, devra également démontrer que cette fausse déclaration intentionnelle a changé l’objet du risque ou en a diminué son opinion, alors même que ce risque omis ou dénaturé a été sans influence sur le sinistre.

La déclaration irrégulière ne peut être sanctionnée qu’à la condition que l’inexactitude ou l’omission soit le fait de l’assuré. Le juge doit donc s’assurer que l’assuré est bien l’auteur des fausses déclarations incriminées.

La fausse déclaration intentionnelle de l’assuré peut résulter également de son silence. En effet, lorsque l’assuré omet intentionnellement de déclarer une information connue de lui et qui est de nature à permettre à l’assureur d’apprécier l’étendue du risque qu’il prend en charge, le juge peut retenir sa mauvaise foi.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 8

ARRÊT DU 15 MARS 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/04347 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDHLQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Février 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2020022764

APPELANTE

S.A.R.L. BIG JO, agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro : 812 557 650

représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

assistée de Me Anaïs SAUVAGNAC, SCP PELLERIN, avocat plaidant, avocat au barreau de PARIS, toque C 2437

INTIMÉE

S.A. AXA FRANCE IARD, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[…]

[…]

Immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro : : 722 .05 7.4 60

r e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

assisté de Me X LOIZON, Viguié Schmidt & Associés AARPI, avocat plaidant, avocat au barreau de PARIS, toque r 145

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 11 Janvier 2022, en audience publique, devant la Cour composée de : Mme Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre

M. Christian BYK, Conseiller

M. Julien SENEL, Conseiller

q u i e n o n t d é l i b é r é , u n r a p p o r t a é t é p r é s e n t é à l ‘ a u d i e n c e p a r M m e B é a t r i c e CHAMPEAU-RENAULT, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Laure POUPET

ARRÊT : Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de Chambre et par Laure POUPET, greffière présente lors de la mise à disposition.

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EXPOSÉ DU LITIGE :

La société BIG JO, propriétaire d’un fonds de commerce de bar à thème d’ambiance musicale à l’enseigne du ‘MOLOKO’ exploité au 22, […] à […], a souscrit un contrat d’assurance multirisque professionnelle à effet du 1er janvier 2014 auprès de la compagnie AXA FRANCE IARD (ci-après dénommée AXA) par l’intermédiaire de la société de courtage SATEC.

Par arrêté du 14 mars 2020, le ministre des solidarités et de la santé a pris diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, interdisant, entre autres, aux établissements des catégories N et P, restaurants et débits de boisson, et salles de danse et salles de jeux, d’accueillir du public jusqu’au 15 avril 2020. L’interdiction a été ensuite prolongée jusqu’au 11 mai 2020.

A compter du 15 mars 2020 la société BIG JO a fermé son établissement et placé ses onze salariés en chômage partiel.

Par courriel en date du 18 mars 2020, la société BIG JO a déclaré le sinistre, enregistré sous la référence 2020-32002371, auprès de la SATEC et sollicité la mise en oeuvre de la garantie ‘perte d’exploitation’ prévue au contrat. La compagnie AXA, par l’intermédiaire de la SATEC a refusé la mise en jeu de la garantie.

En dépit d’une mise en demeure du 20 avril 2020, la compagnie AXA a maintenu son refus de garantie.

C’est ainsi que par acte d’huissier en date du 18 juin 2020 la société BIG JO a saisi le tribunal de commerce de PARIS, sollicitant aux termes de ses dernières écritures, de :

– débouter la société AXA de sa demande de nullité du contrat d’assurance ;

– juger que la société AXA doit respecter son obligation contractuelle de l’indemniser de son préjudice constitué par les pertes d’exploitation résultant de la fermeture sur ordre des autorités de son établissement ‘le MOLOKO’ ;

– juger que la situation actuelle de la société BIG JO présente un caractère d’urgence ;

– rejeter l’ensemble des demandes, fins et conclusions de la société AXA ;

En conséquence,

– condamner la société AXA à l’indemniser au titre de la garantie Pertes d’exploitation de son préjudice dans les termes de la police souscrite ;

En conséquence,

– condamner la société AXA à lui verser une provision s’élevant à la somme de

858.996,95 euros sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;

– désigner tel expert qu’il lui plaira de désigner avec la mission de :

* évaluer le montant des dommages constitués par les pertes d’exploitation constitués par le montant réel de la perte et de la marge brute pendant la période d’indemnisation ;

* évaluer le montant des frais supplémentaires d’exploitation, les frais supplémentaires additionnels et l’indemnité forfaitaire des pourboires, vestiaires et services pendant la période d’indemnisation ;

* entendre tout sachant lui permettant de mener à bien sa mission d’expertise ;

– condamner la société AXA à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens conformément à l’article 696 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 4 février 2021, le tribunal de commerce, a :

– débouté la SA AXA de sa demande de nullité du contrat d’assurance au bénéfice de la société BIG JO ;

– débouté la société BIG JO de sa demande d’indemnisation à l’encontre de la SA AXA ;

– condamné la société BIG JO à payer à la SA AXA la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples et contraires ;

– condamné la société BIG JO aux dépens de l’instance.

Par déclaration électronique du 5 mars 2021, enregistrée au greffe le 9 mars, la SARL BIG JO a interjeté appel.

Aux termes de ses dernières écritures n°3 notifiées par voie électronique le 31 décembre 2021 la société BIG JO demande à la cour, au visa des articles 1103 et 1104, dans leur rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016, du code civil, des articles 1190 et 1192 du code civil, des articles L. 113-1, alinéa 1 et L. 113-5 du code des assurances, de l’article L. 131-1 du code des procédures civiles d’exécution, de l’article L.3131-1 du code de la santé publique, de l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid 19, du décret du 14 avril 2020 n°2020-423 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le

cadre de l’état d’urgence sanitaire, du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, de :

– déclarer recevable et fondé l’appel interjeté par la société BIG JO ;

Y faisant droit,

– CONFIRMER le jugement en ce qu’il a débouté la société AXA de sa demande de nullité du contrat d’assurance ;

– débouter la société AXA de sa demande de nullité du contrat d’assurance ;

– INFIRMER la décision en ce qu’elle a débouté la société BIG JO de sa demande d’indemnisation à l’encontre de la SA AXA et, statuant à nouveau :

– décharger la société BIG JO des condamnations prononcées contre elle en principal, intérêts, frais et accessoires ;

– juger que la société AXA doit respecter son obligation contractuelle de l’indemniser de son préjudice constitué par les pertes d’exploitation résultant de la fermeture sur ordre des autorités de son établissement ‘le MOLOKO’ ;

En conséquence,

– condamner la société AXA à indemniser la société BIG JO au titre de la garantie Pertes d’exploitation de son préjudice dans les termes de la police souscrite ;

– condamner la société AXA à lui verser une provision s’élevant à la somme de 1 600 000 euros sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir;

– désigner tel expert qu’il lui plaira de désigner avec la mission de :

* évaluer le montant des dommages constitués par les pertes d’exploitation constitués par le montant réel de la perte et de la marge brute pendant la période d’indemnisation ;

* évaluer le montant des frais supplémentaires d’exploitation, les frais supplémentaires additionnels et l’indemnité forfaitaire des pourboires, vestiaires et services pendant la période

d’indemnisation ;

* entendre tout sachant lui permettant de mener à bien sa mission d’expertise ;

– condamner la société AXA à verser à la société BIG JO la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens conformément à l’article 696 du code de procédure civile ;

– rejeter l’ensemble des demandes, fins et conclusions de la société AXA ;

– condamner la société AXA en tous les dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions n° 3 notifiées par voie électronique le 23 décembre 2021, la compagnie AXA, demande à la cour, de :

A titre principal,

– INFIRMER le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de nullité du contrat d’assurance formulée par AXA ;

En conséquence,

– prononcer la nullité du contrat d’assurance et rejeter les demandes de la société BIG JO;

A titre subsidiaire,

– CONFIRMER le jugement en ce qu’il a dit et jugé que la garantie de la société AXA n’est pas mobilisable en l’espèce ;

En conséquence, rejeter les demandes de la société BIG JO ;

A titre infiniment subsidiaire et si, par extraordinaire, la cour estimait que la garantie de la société AXA était mobilisable,

– rejeter la demande de provision de la société BIG JO ;

– désigner un expert avec pour mission de chiffrer le montant des pertes d’exploitation garanties, aux frais de la demanderesse, avec les précisions :

* que la période d’indemnisation garantie devra être limitée à la période durant laquelle l’évènement garanti invoqué par la demanderesse est effectivement intervenu ;

* que le calcul de la perte de marge subie devra tenir compte des « tendances générales de l’évolution

» des activités de la société BIG JO au regard des comptes arrêtés pour les exercices antérieurs à l’exercice en cause ;

* qu’il convient de retrancher de la perte de marge subie « la portion de charges normales que, du fait du sinistre, la société BIG JO cesse[ra] de payer pendant la période d’indemnisation » ; * que la perte de marge brute devra être déterminée en « tenant compte des tendances générales de l’évolution de[s] activités de la société BIG JO et des facteurs internes et externes susceptibles d’avoir eu, indépendamment de ce sinistre, une influence sur [son] activité et sur [son] chiffre d’affaires ;

En tout état de cause,

– débouter la société BIG JO de toutes demandes contraires au présent dispositif ;

– condamner la société BIG JO à verser à la société AXA la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter aux conclusions ci-dessus visées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

La clôture est intervenue le 10 janvier 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nullité du contrat d’assurance

La compagnie AXA sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande invoquant au visa des articles L.113-2 et L113-8 du code des assurances la nullité du contrat d’assurance souscrit par la société BIG JO, coupable , selon elle, d’une fausse déclaration sur son activité ou, à tout le moins, d’avoir procédé à une modification de son activité réelle par rapport à l’activité déclarée au contrat d’assurance.

Elle fait essentiellement valoir que :

* lors des discussions relatives à la souscription du contrat d’assurance l’extrait Kbis de la société BIG JO portait la mention «discothèque » parmi les activités exercées ; le fait de relever de cette catégorie emporte évidemment des conséquences en termes de réglementation et de risques de sorte que, par principe, la compagnie AXA ne souhaite pas assurer les établissements entrant dans cette catégorie ;

*à cet égard, le courtier la SATEC en a précisément informé l’assurée qui avait donc pleinement connaissance des conditions posées au maintien de la garantie ; cette dernière a déclaré n’exercer aucune activité de discothèque, au surplus interdite par son contrat de bail, et s’est engagée à faire modifier son Kbis et à en justifier ;

* l’assurée a en réalité intentionnellement dissimulé l’adjonction de l’activité de discothèque à son établissement depuis le mois de septembre 2019, date à laquelle elle a fait réaliser des travaux à la suite desquels elle a obtenu une « déclaration d’exploitation en discothèque d’un débit de boisson ».

La société BIG JO sollicite la confirmation du jugement sur ce point faisant essentiellement valoir que :

* elle n’a pas adjoint d’activité de discothèque lors de la réalisation des travaux effectués avant l’ouverture ; un constat d’huissier du 26 mai 2020 réalisé à sa demande après travaux détaille, reportage photographique à l’appui, la disposition des lieux ainsi que l’activité exploitée ; seule l’activité de restauration a été renforcée ; il n’existe au sein de l’établissement aucune piste de danse ni d’espace quel qu’il soit dédié à l’activité de discothèque ; son bail commercial lui interdit d’ailleurs d’avoir une piste de danse et si du fait du caractère festif de l’endroit, certains clients sont susceptibles de se lever, voire de « se trémousser » entre les tables, cela ne confère pas à l’établissement une activité de discothèque ;

* l’établissement était classé en type P au moment de son acquisition par la société BIG JO car l’exploitant précédent exerçait une activité de bar-discothèque (sous l’enseigne ‘LE DANDY’); l’établissement bénéficie du type P qui caractérise les lieux où l’activité de danse peut être autorisée, soit en tant que discothèque ou soit en tant que restaurant ou bar dansant ; cette déclaration se fait à la préfecture pour avoir l’autorisation de nuit qui en découle ; la préfecture ne précise jamais « bar ou restaurant à ambiance dansante » mais emploie uniquement le terme discothèque ;

* l’assureur opère une confusion entre l’activité autorisée par la préfecture et l’activité réellement pratiquée dans l’établissement.

Sur ce,

Vu l’article L. 113-2 du code des assurances qui dispose :

« L’assuré est obligé : (‘)

2° de répondre exactement aux questions posées par l’assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l’assureur l’interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge; 3° de déclarer en cours de contrat, les circonstances nouvelles qui ont pour conséquences soit d’aggraver les risques, soit d’en créer de nouveaux et rendent de ce fait inexactes ou caduques les réponses faites à l’assureur, notamment dans le formulaire mentionné au 2° ci-dessus (‘)».

La sanction du non-respect de ces obligations est prévue à l’article L. 113-8 du même code, qui dispose que :

« Indépendamment des causes ordinaires de nullité, (‘) le contrat d’assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l’assuré, quand cette réticence ou cette fausse déclaration change l’objet du risque ou en diminue l’opinion pour l’assureur, alors même que le risque omis ou dénaturé par l’assuré a été sans influence sur le sinistre ».

Le contrat d’assurance est un contrat aléatoire par lequel, en contrepartie d’une prime, l’assureur s’engage à garantir le souscripteur en cas de réalisation d’un risque prévu au contrat.

Dès lors, le législateur impose à l’article L 113-2 du code des assurances, une obligation pour l’assuré de déclarer toutes les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l’assureur le risque qu’il prend en charge.

Il s’agit des circonstances existantes au moment de la souscription du contrat d’assurance, ainsi que l’aggravation ou les circonstances nouvelles survenant en cours d’exécution du contrat.

L’objectif est d’éviter que l’assureur ne soit lésé du fait d’une sous tarification pratiquée en méconnaissance d’un risque trouvant son origine dans la fausse déclaration de l’assuré. En effet, la fausse déclaration de l’assuré ne permet pas à l’assureur d’évaluer correctement le risque qu’il va garantir.

Le caractère intentionnel ou non intentionnel de la fausse déclaration de l’assuré résulte de la bonne ou mauvaise foi de l’assuré.

L’assureur, à qui incombe la preuve de la mauvaise foi de l’assuré, devra également démontrer que cette fausse déclaration intentionnelle a changé l’objet du risque ou en a diminué son opinion, alors même que ce risque omis ou dénaturé a été sans influence sur le sinistre.

La déclaration irrégulière ne peut être sanctionnée qu’à la condition que l’inexactitude ou l’omission soit le fait de l’assuré. Le juge doit donc s’assurer que l’assuré est bien l’auteur des fausses déclarations incriminées.

La fausse déclaration intentionnelle de l’assuré peut résulter également de son silence. En effet, lorsque l’assuré omet intentionnellement de déclarer une information connue de lui et qui est de nature à permettre à l’assureur d’apprécier l’étendue du risque qu’il prend en charge, le juge peut retenir sa mauvaise foi.

En l’espèce, le contrat d’assurance souscrit prévoit que la société BIG JO a assuré son établissement le ‘MOLOKO’ en déclarant exercer une activité de ‘bar de nuit à ambiance musicale’.

Il résulte des documents produits aux débats par la compagnie AXA, et notamment le ‘guide de souscription Multirisques entreprise’, qu’elle exclut totalement de ses contrats l’activité de discothèque.

Il n’est pas contesté que lors des discussions engagées pour la souscription du contrat en 2014 l’extrait Kbis de la société BIG JO fourni au courtier, la SATEC, mentionnait une activité de discothèque et qu’il a été expressément demandé à la société BIG JO de confirmer que son établissement n’exerçait pas d’activité de discothèque. Dans tous les échanges de courriels avec le courtier, la société BIG JO a confirmé qu’il ne s’agissait pas d’une discothèque mais d’un bar à ambiance musicale.

Par courrier de la SATEC en date du 2 juin 2016, la société BIG JO a été relancée et clairement informée et alertée sur l’importance de la véracité de sa déclaration relative à l’activité de « bar à ambiance musicale » «indispensable au maintien de la garantie » à l’exclusion de celle de discothèque, ainsi que sur la nécessité d’en justifier.

Pour appuyer sa demande de nullité, l’assureur fait état notamment des documents suivants:

* le courrier en date du 26 septembre 2019 de la préfecture de police de PARIS adressé au gérant de l’établissement ainsi rédigé :

« Remettons à M. X Y, exploitant de l’établissement à l’enseigne MOLOKO-PIGALLE (‘) la présente attestation l’informant que sa déclaration en discothèque (activité principale de danse) a bien été prise en compte et que les dispositions du décret n°2009-1652 du 23 décembre 2009 et de l’arrêté préfectoral n°2010-00396 du 10 juin 2010 modifié lui sont applicables.

Dès lors, lui rappelons que l’heure limite de fermeture de son débit de boissons ayant pour objet principal l’exploitation d’une piste de danse, est fixée au plus tard à 07 heures du matin et que la vente d’alcool doit cesser une heure et demie avant l’heure effective de fermeture »

* le courrier en date du 3 septembre 2020 du gérant de l’établissement adressé au « Chef du Groupe Cabarets » de la préfecture de police de PARIS ainsi rédigé : «Puis je avoir la confirmation qu’en tant qu’établissement en type P avec activité de danse (‘)» ;

* le courrier en date du 4 septembre 2020 de la préfecture de police qui lui répond : « votre établissement n’est plus autorisé à ouvrir au public car classé en discothèque ».

Ces documents justifient de la qualification administrative de discothèque de cet établissement recevant du public (ERP). Ils sont en outre corroborés par la production de diverses photographies publiées sur le compte INSTAGRAM de la société BIG JO permettant de constater qu’elle n’exerce pas seulement une activité de restauration mais également une activité réelle de discothèque dès lors que ces photos mettent en scène des jeunes gens en train de danser et ne laissent pas de doute sur l’activité de la société BIG JO à compter d’une certaine heure de la soirée, certaines de ces photos étant d’ailleurs accompagnées du mot clef #nighclubparis pouvant se traduire par « boite de nuit » ou « discothèque » de PARIS. Plusieurs articles publiés sur internet font état d’une piste de danse au sein de l’établissement. La presse présente ainsi l’établissement comme « un espace de 400 m2 » qui se « partage en deux niveaux» et inclut un restaurant « ouvert du mardi au samedi de 19h à 00h» mais aussi un « club » ouvert du mardi au samedi de 23h à 5h », « où l’on se trémousse jusqu’au bout de la nuit sur de la musique soul, funk, black, vintage, hip hop ».

Les éléments produits de son côté par la société BIG JO, à savoir : un extrait Kbis actualisé à la date du 14 juin 2020 qui mentionne une activité de ‘bar, café, restaurant et bar à ambiance musicale’, un procès-verbal de constat d’huissier en date du 26 mai 2020 ainsi qu’un procès-verbal en date du 14 mai 2020 de la SPRE (société pour la perception de la rémunération équitable destinée aux artistes-interprètes et aux producteurs phonographiques auprès de ceux qui diffusent de la musique enregistrée), ne sont pas de nature à remettre en cause l’existence d’une activité de discothèque au sein de l’établissement.

En effet, les mentions purement déclaratives portées sur le Kbis sont insuffisantes à démontrer l’absence d’activité de discothèque dans l’établissement.

Si le procès-verbal de Maître Z A, huissier de justice à PARIS, permet de constater que les locaux ont été aménagés très récemment et indique que le gérant lui a confirmé avoir procédé à la réfection complète des locaux avant leur réaménagement en restaurant, il n’évoque pas ni n’exclut pour autant une activité de discothèque. A cet égard, le fait que des travaux et aménagements importants ont été faits au niveau des équipements de cuisine, ne permet pas de l’exclure.

Le contrôleur de la SPRE, qui indique être arrivé sur les lieux à 22h30 et les avoir quittés environ une heure plus tard, a constaté la diffusion d’une musique amplifiée et attractive dans tout l’établissement. Cependant, contrairement aux allégations de la société BIG JO, son constat n’est pas plus de nature à exclure toute activité de discothèque en deuxième partie de nuit.

Aucun élément ne démontre que l’obtention du classement de cet ERP (établissement recevant du public) en catégorie P avait pour seul objectif de permettre à l’établissement le MOLOKO d’être ouvert la nuit sans pour autant exercer l’activité de discothèque.

En tout état de cause, le fait que la société BIG JO a sollicité et obtenu ce classement en discothèque catégorie P, auquel s’attachent des conséquences pratiques (ouverture de nuit notamment) et juridiques ainsi que l’application d’une règlementation spécifique à ce type d’établissements, devait la conduire à déclarer en toute bonne foi cette situation à son assureur, dès lors qu’elle avait été parfaitement informée de ce que la compagnie AXA ne souhaitait pas assurer les établissements entrant dans cette catégorie.

Il s’en infère que l’activité tant réelle que déclarée aux services de la préfecture de police par la société BIG JO n’est pas conforme à l’activité déclarée à son assureur. La cour considère donc que la société BIG JO a intentionnellement fait preuve d’une réticence de l’information et manqué à son devoir de loyauté vis-à-vis de son co-contractant.

Le risque couvert par la police d’assurance souscrite a bien été modifié, dès lors que l’assuré, dont l’activité déclarée était «bar, café, restaurant et bar à ambiance musicale», a exercé une activité de discothèque dans son établissement, rendant ainsi sa déclaration «inexacte ou caduque du fait des circonstances nouvelles résultant de l’adjonction de l’activité de discothèque à celle déclarée de bar à ambiance musicale».

La nullité du contrat d’assurance est en conséquence encourue en application de l’article L. 113-8 du code des assurances.

Le jugement sera infirmé et la société BIG JO déboutée de l’ensemble de ses demandes, sans qu’il soit besoin de répondre aux autres moyens devenus sans objet.

Sur les autres demandes

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société BIG JO à payer à la SA AXA la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

En cause d’appel, la société BIG JO qui succombe sera condamnée à payer à la compagnie AXA une indemnité de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens d’appel et déboutée de ses propres demandes de ces chefs.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant en dernier ressort, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement en ce qu’il a débouté la SA AXA FRANCE IARD de sa demande de nullité du contrat d’assurance au bénéfice de la société BIG JO ;

CONFIRME le jugement en ce qu’il a condamné la société BIG JO à payer à la SA AXA FRANCE IARD la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance ;

DIT n’y avoir lieu à confirmation sur les autres chefs du jugement compte tenu des termes de la décision ;

Statuant à nouveau sur le chef infirmé,

– dit que le contrat d’assurance souscrit le 1er janvier 2014 entre la compagnie AXA FRANCE IARD et la société BIG JO est nul en application de l’article L. 113-8 du code des assurances ;

– déboute en conséquence la société BIG JO de toutes ses demandes ;

– condamne la société BIG JO à payer à la compagnie AXA FRANCE IARD une indemnité de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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