Freelance pour une société de production : preuve du lien de subordination

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Freelance pour une société de production : preuve du lien de subordination

L’Essentiel : Selon l’article L.1221-1 du code du travail, un contrat de travail se définit par un lien de subordination entre le salarié et l’employeur, qui peut donner des ordres et contrôler le travail. En l’absence de contrat écrit, la preuve de l’existence d’un contrat de travail incombe à celui qui le revendique. Dans cette affaire, Mme X a produit des documents attestant de son activité pour Nomad Films, mais aucune preuve ne démontrait qu’elle était sous la subordination du gérant. Par conséquent, la qualification de contrat de travail a été exclue, confirmant le jugement initial qui la débout

Selon l’interprétation constante de l’article L.1221-1 du code du travail, le contrat de travail se caractérise par l’existence d’un lien de subordination du salarié à l’égard de son employeur qui a le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, de contrôler l’exécution de son travail et de sanctionner les manquements de son subordonné.

La seule volonté des parties est impuissante à soustraire un salarié au statut social qui découle nécessairement des conditions d’accomplissement de son travail. Ainsi l’existence d’une relation de travail dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du salarié.

En l’absence de contrat écrit, il incombe à celui qui revendique un contrat de travail d’en rapporter la preuve.

En l’espèce, une prestataire a produit des échanges de courriels et des factures justifiant de son activité pour le compte de la société Nomad Films (chargée de post-production, réalisateur-auteur-journaliste freelance). Toutefois, aucune pièce produite n’établissait qu’elle recevait la moindre instruction de la part du gérant et qu’elle était placée sous sa subordination. La qualification en contrat de travail a donc été exclue.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 6

ARRET DU 09 MARS 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/11737 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CBA2J

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Octobre 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 18/07329

APPELANTE

Madame C X

[…]

[…]

Représentée par Me Pierre NICOLET, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES

SELARL ACTIS MANDATAIRES JUDICIAIRES ‘agissant es qualités de liquidateur judiciaire de la SARL ‘NOMAD FILMS »

[…]

[…]

Représentée par Me Justine CAUSSAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D0203

Association AGS CGEA IDF OUEST

[…]

[…]

Représentée par Me Hélène NEGRO-DUVAL, avocat au barreau de PARIS, toque : L0197

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 janvier 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Anne BERARD, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Anne BERARD, Présidente de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Anne BERARD, Présidente de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

Mme C X revendique un contrat de travail à compter du 1er septembre 2011 en qualité de cadre pré et post production avec la société Nomad Films.

La société Nomad Films et Mme X ont signé une rupture conventionnelle le 24 septembre 2014 à effet du 16 octobre 2014.

Par jugement du tribunal de commerce Paris en date du 8 mars 2017, une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l’égard de la société Nomad Films, la SELARL Actis Mandataires Judiciaires prise en la personne de Me Penet Wellier ayant été désignée comme liquidateur judiciaire.

Revendiquant une créance salariale et réclamant des dommages et intérêts, Mme X a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 1er octobre 2018 qui, par jugement du 18 octobre 2019, l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes et a débouté la société Nomad Films, représentée par la SELARL Actis Mandataires Judiciaires prise en la personne de Me Penet Wellier agissant en qualité de mandataire liquidateur, de sa demande reconventionnelle.

Le 22 novembre 2019, Mme X a interjeté appel.

Par conclusions remises au greffe et transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 21 février 2020, auxquelles il est expressément fait référence, Mme X demande à la cour de :

– infirmer le jugement sauf en ce qu’il a déclaré non prescrite sa demande’;

Et statuant à nouveau,

– la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes’;

– déclarer que sa créance salariale ne s’est pas novée en créance commerciale’;

– déclarer qu’il a existé un lien de subordination’;

En conséquence,

– fixer ses créances au passif de la liquidation judiciaire aux sommes suivantes’:

* 8.618,07’euros au titre de l’arriéré de salaires’;

* 10.000’euros au titre de dommages-intérêts’;

– dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal dans le cadre des dispositions des articles 1231-6 et suivants du code civil’;

– dire que l’arrêt à intervenir sera opposable à l’association Unédic AGS CGEA IDF Ouest’;

– ordonner à l’association Unédic AGS CGEA IDF de garantir dans la limite du plafond de la garantie prévu aux articles L.3253-17 et D.3253-5 du code du travail pour le montant net des sommes qui seront inscrites au passif de la société Nomad Films par l’arrêt à intervenir’;

– condamner la SELARL Actis Mandataires Judiciaires ès qualités à lui payer la somme de 3.000’euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’;

– compte tenu de la liquidation judiciaire de la société Nomad Films, fixer sa créance au passif’;

– condamner la société Nomad Films aux dépens de l’instance.

Par conclusions remises au greffe et transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 20 mai 2020, auxquelles il est expressément fait référence, la société Nomad Films représentée par la SELARL Actis Mandataires Judiciaires ès qualités demande à la cour de :

– confirmer purement et simplement le jugement rendu’;

– condamner Mme X à lui verser la somme de 1.000’euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions remises au greffe et transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 31 mars 2020, l’Unedic délégation AGS CGEA Ile de France Ouest, partie intervenante forcée, sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a débouté Mme X de l’ensemble de ses demandes et précise en tout état de cause les limites de sa garantie.

La clôture a été prononcée par ordonnance en date du 16 novembre 2021.

MOTIFS

Sur l’existence d’une relation de travail

Selon l’interprétation constante de l’article L.1221-1 du code du travail, le contrat de travail se caractérise par l’existence d’un lien de subordination du salarié à l’égard de son employeur qui a le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, de contrôler l’exécution de son travail et de sanctionner les manquements de son subordonné. La seule volonté des parties est impuissante à soustraire un salarié au statut social qui découle nécessairement des conditions d’accomplissement de son travail. Ainsi l’existence d’une relation de travail dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du salarié.

En l’absence de contrat écrit, il incombe à celui qui revendique un contrat de travail d’en rapporter la preuve.

Mme X produit des bulletins de paie afférents à un contrat de travail à durée déterminée avec la société Nomad Films en qualité de directrice de post production statut cadre du 19 avril au 1er juin 2011.

Elle produit aussi des bulletins de paie de septembre 2011 au 16 octobre 2014 à son nom en qualité de directrice de post production statut cadre émanant de Nomad Films mentionnant une ancienneté au 1er septembre 2011, le bulletin d’octobre 2014 faisant mention d’une indemnité spécifique de rupture conventionnelle.

Elle produit un imprimé Cerfa de rupture conventionnelle d’un contrat de travail à durée indéterminée signé le 24 septembre 2014 à effet du 16 octobre 2014.

Elle justifie qu’elle était désignée en avril 2011 par le gérant comme ‘responsable de la post-production’.

Elle produit des échanges de courriels, des factures justifiant de son activité pour le compte de la société Nomad Films avant le mois de septembre 2011, mais aussi un courriel de décembre 2011 et deux attestations, l’une d’une chargée de post-production, l’autre d’un réalisateur-auteur-journaliste free lance établissant qu’elle était leur interlocutrice au sein de la société Nomad de 2011 à 2014.

Elle établit donc une activité durant la période où elle revendique l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée avec la société Nomad.

Il est acquis qu’elle est la compagne du gérant.

Si cette relation affective n’est pas exclusive en elle-même d’un lien de subordination, force est de constater qu’en l’espèce les pièces établissant l’activité de Mme X consistent en un devis adressé à Nomad Films à son propre nom , deux attestations dont les auteurs n’évoquent aucun lien de subordination mais la désignent comme leur interlocutrice au sein de la société, celle de Mme Z, plus circonstanciée que celle de M. A, précisant qu’elle était ‘son’ contact au sein de la société Nomad depuis ‘la négociation du devis, la mise en place des plannings de post-production et des échéanciers de règlement, outre la coordination des équipes du Studio’, ce qui caractérise une très grande autonomie dans l’exécution de ses activités.

Au demeurant le gérant n’est jamais en copie des échanges qu’elle a eus avec les interlocuteurs de la société dans lesquelles elle donne des instructions et prend des décisions.

Aucune pièce produite n’établit qu’elle recevait la moindre instruction de la part du gérant et qu’elle était placée sous sa subordination.

C’est vainement qu’elle argue de l’impossibilité matérielle dans laquelle elle serait de démontrer l’existence d’un tel lien de subordination faute d’accès à ses courriels, d’autant qu’il résulte d’un courriel que lui a adressé M. B en novembre 2017 sous le titre ‘docs pour l’AGS’ une liste de pièces au titre desquelles ‘tes échanges mails, tes lettres’, en précisant : ‘bien relire et vérifier leur contenu avant’.

Il est par ailleurs acquis qu’elle n’a jamais réclamé de sommes dues au titre de la relation de travail rompue en octobre 2014 avant que le gérant n’évoque sa créance salariale auprès du liquidateur judiciaire.

Elle a même signé une convention de prêt à la société le 17 avril 2015 pour l’aider à faire face à des dettes de loyer et de droits d’auteur, en précisant que n’étant pas associée pour le moment, elle ne pouvait faire d’avance en compte courant.

Faute de rapporter la preuve d’un lien de subordination, Mme X échoue à prouver par les pièces produites l’existence d’un contrat de travail et subséquemment d’une créance de nature salariale.

Le jugement entrepris qui l’a déboutée de sa demande de fixation d’un arriéré de salaire au passif de la liquidation judiciaire de la société sera confirmé.

Sur les dommages et intérêts

Mme X ne caractérise aucun comportement fautif de son employeur tiré de la contestation de sa qualité de salariée par le liquidateur de nature à justifier sa demande de dommages et intérêts au titre d’un préjudice moral et son inscription au passif de la liquidation judiciaire.

Le jugement entrepris qui l’a déboutée de sa demande sera confirmé.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Mme X sera condamnée aux dépens de l’instance et conservera la charge de ses frais irrépétibles.

Mme X sera condamnée à verser à la société Nomad Films représentée par la SELARL Actis Mandataires Judiciaires ès qualités une somme de 1.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

CONDAMNE Mme X aux dépens ;

CONDAMNE Mme X à payer à la société Nomad Films représentée par la SELARL Actis Mandataires Judiciaires ès qualités la somme de 1.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE Mme X de sa demande présentée au titre des frais irrépétibles.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la définition d’un contrat de travail selon l’article L.1221-1 du code du travail ?

Le contrat de travail, selon l’article L.1221-1 du code du travail, se caractérise par l’existence d’un lien de subordination entre le salarié et l’employeur. Ce lien implique que l’employeur a le pouvoir de donner des ordres et des directives, de contrôler l’exécution du travail et de sanctionner les manquements du salarié.

Cette définition souligne que la simple volonté des parties ne peut pas modifier ce statut social, qui découle des conditions réelles d’exécution du travail. Ainsi, la relation de travail est déterminée par des éléments factuels, et non seulement par des accords verbaux ou écrits.

Quelles sont les preuves nécessaires pour établir l’existence d’un contrat de travail ?

En l’absence d’un contrat écrit, il incombe à la personne qui revendique un contrat de travail de fournir la preuve de son existence. Cela signifie que le salarié doit démontrer, par des éléments tangibles, qu’il était effectivement sous la subordination de l’employeur.

Dans le cas de Mme X, elle a produit divers documents tels que des bulletins de paie, des courriels et des attestations. Cependant, ces éléments n’ont pas suffi à établir un lien de subordination, car aucune preuve n’indiquait qu’elle recevait des instructions de la part du gérant de la société Nomad Films.

Quels éléments ont été pris en compte pour évaluer la relation de travail de Mme X avec Nomad Films ?

La cour a examiné plusieurs éléments pour évaluer la relation de travail de Mme X avec Nomad Films. Elle a pris en compte les bulletins de paie, les courriels échangés, ainsi que des attestations de collègues.

Cependant, il a été noté que ces documents ne démontraient pas un lien de subordination. Par exemple, les attestations indiquaient qu’elle était leur interlocutrice, mais ne mentionnaient pas qu’elle était sous l’autorité du gérant. De plus, le fait qu’elle ait une relation personnelle avec le gérant a également été pris en compte, mais cela n’a pas suffi à établir un lien de subordination.

Quelles conclusions la cour a-t-elle tirées concernant la demande de dommages et intérêts de Mme X ?

La cour a conclu que Mme X n’a pas réussi à prouver un comportement fautif de son employeur qui justifierait sa demande de dommages et intérêts. Elle n’a pas démontré que la contestation de sa qualité de salariée par le liquidateur judiciaire avait causé un préjudice moral.

En conséquence, la cour a confirmé le jugement qui avait débouté Mme X de sa demande de dommages et intérêts. Cela souligne l’importance de prouver non seulement l’existence d’un contrat de travail, mais aussi les conséquences d’une éventuelle rupture ou contestation de ce contrat.

Quels ont été les résultats finaux de l’arrêt rendu par la cour d’appel ?

L’arrêt rendu par la cour d’appel a confirmé le jugement en toutes ses dispositions. Mme X a été condamnée aux dépens de l’instance et à verser 1.000 euros à la société Nomad Films au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

De plus, elle a été déboutée de sa demande concernant les frais irrépétibles. Cela signifie que la cour a maintenu la décision initiale du tribunal, soulignant que Mme X n’avait pas réussi à prouver l’existence d’un contrat de travail ou à justifier ses demandes de créances salariales.


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