Francis Cabrel c/ Warner : les enseignements de l’affaire

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Francis Cabrel c/ Warner : les enseignements de l’affaire

En présence d’une contrefaçon d’oeuvres musicales, l’éditeur de l’artiste ne peut être jugé comme directement responsable.

Si le contrat d’édition implique une relation de confiance entre l’auteur et son éditeur et doit, comme tout contrat, être exécuté de bonne foi, il n’en résulte pas pour autant une obligation de surveillance incombant à l’éditeur.

En l’espèce, le fait que Francis Cabrel ait découvert des exploitations illicites de ses oeuvres par des tiers ne saurait donc constituer un manquement de la société Warner à ses obligations en tant qu’éditeur.

De même, le fait que les réponses à ces exploitations illicites proposées par la société Warner à Francis Cabrel aient déplu à celui-ci n’est pas un manquement, dès lors que ces réponses, proposant un accord, étaient sérieuses. Au demeurant, la société Warner démontre qu’à chaque fois qu’elle a proposé un accord régularisant rétroactivement l’exploitation litigieuse, Francis Cabrel, par l’intermédiaire de son avocat ou de la société Chandelle productions qui s’exprimait en son nom, avait exprimé le souhait d’une solution négociée, outre que dans la plupart des cas il a accepté les accords proposés et que la société Warner a aussi, contrairement à ce qu’affirme l’artiste, proposé d’exiger la cessation des exploitations litigieuses. Elle démontre également avoir réagi dans les jours ou les semaines suivant chaque signalement, donc de façon diligente.

De même, contre une vidéo Youtube, la société Warner a également recherché une solution négociée, suivant en cela valablement le souhait de Francis Cabrel, y compris en obtenant des excuses de la part du responsable de cette exploitation, sans être tenue pour le reste de transmettre à ce dernier l’avis de l’artiste selon lequel cette exploitation violait son droit moral dès lors que cet avis ne fondait aucune demande, était donc gratuit et risquait de compromettre la négociation qu’il avait par ailleurs dit souhaiter. Que cette vidéo ait été republiée par des tiers n’est pas imputable à la société Warner et Francis Cabrel ne démontre pas que celle-ci ait manqué à son obligation d’exploitation suivie du seul fait de leur existence, étant observé que de telles reprises sont, comme le soutient la défenderesse, très fréquentes à l’égard d’un très grand nombre d’oeuvres musicales, de sorte qu’il ne peut être exigé d’un éditeur qu’il parvienne à les empêcher absolument. Enfin, le fait pour la société Warner d’avoir simplement transmis à Francis Cabrel une demande d’autorisation de réexploiter l’interprétation litigieuse n’est pas davantage fautive.

Pour rappel, en vertu de l’article L. 132-8 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur, qui doit garantir à l’éditeur l’exercice paisible et, sauf convention contraire, exclusif du droit cédé, est tenu de faire respecter ce droit et de le défendre contre toutes atteintes qui lui seraient portées.

Aux termes de l’article L. 132-12 du même code, l’éditeur est tenu d’assurer à l’oeuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession.

Les articles L. 132-13 et L. 132-14 prévoient et encadrent la reddition de compte par l’éditeur.

Enfin, il résulte de l’article 1184 du code civil dans sa rédaction en vigueur à la date des contrats, que la partie envers qui l’obligation n’est pas exécutée peut demander la résiliation du contrat.

En la cause, l’article IV des contrats d’édition conclus stipule notamment que l’auteur garantit à l’éditeur l’exercice paisible et exclusif du droit cédé, déclare qu’il n’a introduit dans son oeuvre aucune reproduction susceptible de violer les droits de tiers et donne à l’éditeur, « à l’appui de sa garantie », un pouvoir lui permettant d’agir en vue de sauvegarder l’exercice du droit cédé.

Cet article prévoit également que l’éditeur « ne pourra jamais être tenu responsable » en cas « d’échecs de pourparlers », notamment, « auxquels l’éditeur aurait jugé utile de participer tant en demande qu’en défense à l’occasion de l’exercice » du droit cédé.

L’Essentiel : M. [O], auteur compositeur, a signé six contrats d’édition avec ‘Les Éditions [N]’ entre 1977 et 1980, confiant 24 œuvres à Warner Chappell Music France. En 1980, un accord stipulait un versement de recettes à M. [O], qui a ensuite dénoncé des manquements de Warner, notamment des reprises illicites. Il a demandé la résiliation des contrats et des dommages-intérêts. Warner a contesté ces accusations, affirmant avoir respecté ses obligations. Le tribunal a finalement rejeté toutes les demandes de M. [O] et l’a condamné à verser 20 000 euros à Warner pour frais de défense.
Résumé de l’affaire :

Contexte de l’affaire

M. [O], auteur compositeur interprète, a signé six contrats d’édition avec la société ‘Les Éditions [N]’ entre 1977 et 1980, confiant l’édition de 24 œuvres musicales à la société Warner Chappell Music France. Parmi ces œuvres, M. [W] [J] est coauteur de l’œuvre « Imagine-toi », et la société Chandelle Productions est coéditrice de plusieurs autres œuvres.

Accord de 1980

En 1980, un accord a été établi entre M. [O] et la société Les Éditions [N], stipulant un versement d’une partie des recettes éditoriales à M. [O]. Ce dernier a par la suite reproché à la société Warner des manquements, notamment des reprises illicites de ses œuvres et des imprécisions dans les comptes rendus liés à cet accord.

Demandes de M. [O]

M. [O] a demandé la résiliation des contrats d’édition, la remise de justificatifs pour vérifier les autorisations et les sommes dues, ainsi que des paiements spécifiques pour les années 2019 et 2020. Il a également réclamé des dommages-intérêts pour atteinte à son droit moral.

Réponse de la société Warner

La société Warner a contesté les accusations de M. [O] et a demandé la condamnation de ce dernier pour procédure abusive. Elle a soutenu avoir respecté ses obligations d’éditeur et a affirmé que les griefs de M. [O] étaient infondés.

Arguments de M. [O]

M. [O] a fait valoir que la société Warner avait manqué à ses obligations de surveillance et de reddition de comptes, entraînant une rupture de confiance. Il a également souligné des cas de reprises non autorisées de ses œuvres par d’autres artistes, pour lesquels Warner n’aurait pas agi de manière adéquate.

Arguments de la société Warner

La société Warner a rétorqué que la responsabilité du respect des droits d’auteur incombait également à M. [O] et qu’elle avait agi de manière diligente en réponse aux signalements de ce dernier. Elle a également contesté les montants réclamés par M. [O] et a affirmé que les contrats d’édition n’étaient pas à durée indéterminée.

Décision du tribunal

Le tribunal a rejeté toutes les demandes de M. [O], y compris celles concernant la résiliation des contrats d’édition, la communication de justificatifs, et les demandes de dommages-intérêts. Il a également rejeté la demande reconventionnelle de Warner pour procédure abusive, condamnant M. [O] aux dépens et à verser 20 000 euros à la société Warner pour les frais de défense.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les obligations de l’éditeur en vertu des articles L. 132-8 et L. 132-12 du Code de la propriété intellectuelle ?

L’article L. 132-8 du Code de la propriété intellectuelle stipule que l’auteur doit garantir à l’éditeur l’exercice paisible et, sauf convention contraire, exclusif du droit cédé. Cela signifie que l’auteur est responsable de défendre ses droits contre toute atteinte.

En ce qui concerne l’article L. 132-12, il précise que l’éditeur est tenu d’assurer à l’œuvre une exploitation permanente et suivie ainsi qu’une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession.

Ces articles établissent donc une relation de confiance entre l’auteur et l’éditeur, où l’éditeur doit veiller à la bonne exploitation des œuvres tout en respectant les droits de l’auteur.

Quels sont les droits de l’auteur en matière de résiliation des contrats d’édition selon le Code de la propriété intellectuelle ?

L’article L. 132-17 du Code de la propriété intellectuelle prévoit strictement quatre hypothèses de résolution non judiciaire du contrat d’édition. Cela signifie que la résiliation unilatérale n’est pas permise en dehors de ces cas spécifiques.

De plus, l’article 1184 du Code civil, dans sa rédaction en vigueur à la date des contrats, stipule que la partie envers qui l’obligation n’est pas exécutée peut demander la résiliation du contrat.

Ainsi, pour qu’un auteur puisse résilier un contrat d’édition, il doit prouver un manquement substantiel de l’éditeur à ses obligations contractuelles.

Comment se manifeste le droit moral de l’auteur selon le Code de la propriété intellectuelle ?

L’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle énonce que l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ce droit est considéré comme absolu et ne peut être cédé.

L’article L. 121-2 précise que l’auteur a seul le droit de divulguer son œuvre. Cela signifie que toute exploitation de l’œuvre sans l’accord de l’auteur peut constituer une atteinte à son droit moral.

Ainsi, le droit moral protège l’intégrité de l’œuvre et le nom de l’auteur, et toute violation peut donner lieu à des demandes de réparation.

Quelles sont les conséquences d’une procédure abusive selon le Code de procédure civile ?

L’article 32-1 du Code de procédure civile stipule que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui pourraient être réclamés.

Pour qu’une action soit considérée comme abusive, il faut qu’elle soit engagée en connaissance de l’absence totale de mérite de l’action ou par légèreté inexcusable.

Dans le cas présent, le tribunal a jugé que, bien que les éléments présentés par M. [O] soient mal dirigés, son action n’était pas abusive, car elle pouvait être expliquée par un sentiment sincère d’insatisfaction.

Quelles sont les implications de la reddition de comptes par l’éditeur selon les articles L. 132-13 et L. 132-14 ?

Les articles L. 132-13 et L. 132-14 du Code de la propriété intellectuelle encadrent la reddition de comptes par l’éditeur. L’éditeur est tenu de fournir des comptes clairs et précis concernant l’exploitation des œuvres.

Ces articles stipulent que l’éditeur doit rendre compte des recettes générées par l’œuvre et des sommes dues à l’auteur. Cela implique une obligation de transparence et de bonne foi dans la gestion des droits d’auteur.

En cas de manquement à cette obligation, l’auteur peut demander des justifications et, le cas échéant, engager des actions en justice pour obtenir réparation.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

N° RG 22/12054
N° Portalis 352J-W-B7G-CX7D5

N° MINUTE :

Assignation du :
03 Octobre 2022

JUGEMENT
rendu le 17 Janvier 2025
DEMANDEURS

S.A.S. CHANDELLE PRODUCTIONS
[Adresse 2]
[Localité 6]

Monsieur [V] [O]
[Adresse 8]
[Localité 4]

Monsieur [W] [J]
[Adresse 5]
[Localité 3]

représentés par Maître Caroline BIRONNE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1158

DÉFENDERESSE

S.A.S. WARNER CHAPPELL MUSIC FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 7]

représentée par Maître Michael MAJSTER de l’AARPI Majster & Nehmé Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0727

Copies éxécutoires délivrées le :
– Maître BIRONNE #E1158
– Maître MAJSTER #D727

Décision du 17 Janvier 2025
3ème chambre 2ème section
N° RG 22/12054 – N° Portalis 352J-W-B7G-CX7D5

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,

assistée de Monsieur Quentin CURABET, Greffier

DEBATS

A l’audience du 18 Octobre 2024 tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 20 décembre 2024, puis prorogé en dernier lieu au 17 Janvier 2025.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à dipsosition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

1. M. [O], auteur compositeur interprète, a confié à la société ‘Les Éditions [N]’, aux droits de laquelle se trouve la société Warner chappell music France (la société Warner), l’édition des 24 oeuvres musicales suivantes en vertu de 6 contrats d’éditions conclus entre 1977 et 1980 :
1- « Ami »
2- « Au Matin des Mauvais Jours »
3- « C’était l’Hiver »
4- « Change de Docteur »
5- « Chemins de Traverse,
6- « Cool Papa Cool »
7- « Elle écoute pousser les Fleurs »
8- « L’Encre de tes Yeux,  »
9- « Imagine-toi »
10- « L’Instant d’Amour,  »
11- « Je l’aime à mourir »
12- « Je m’étais perdu »
13- « Je Rêve »
14- « Je reviens bientôt »
15- « Ma ville »
16- « [P] »
17- « Mais le Matin »
18- « Monnaies Blues »
19- « Les Murs de Poussière,  »
20- « Les Pantins de Naphtaline,  »
21- « Pas trop de Peine »
22- « Petite [K] »
23- « Souviens-toi de nous »
24- « Les Voisins »

2. M. [W] [J] est coauteur de l’oeuvre 9 (« Imagine-toi ») et la société Chandelle productions est coéditrice des oeuvres 6, 7 et 8.

3. En 1980, M. [O] et la société Les Éditions [N] ont conclu un accord prévoyant au profit du premier un versement d’une partie des recettes éditoriales perçues par l’éditeur.

4. Reprochant à la société Warner plusieurs manquements en raison de reprises illicites de deux de ses oeuvres et d’imprécision dans les comptes rendus en application de l’accord de 1980, M. [O] lui a demandé en vain la résiliation des contrats d’édition de ces 2 oeuvres le 12 mai 2021, puis l’a assignée en résiliation des 6 contrats le 3 octobre 2022.

5. L’instruction a été close le 7 septembre 2023.

Prétentions des parties

6. M. [O], dans ses dernières conclusions (16 juin 2023), demande
– la condamnation de la société Warner à lui remettre les « justificatifs lui permettant de vérifier les autorisations et les sommes qui lui reviennent au titre des adaptations de ses oeuvres durant les 10 dernières années » ainsi que le calcul, certifié par un expert-comptable, des sommes dues depuis 1990 en exécution du contrat de 1980,
– sa condamnation à lui payer, au titre du reversement de droits d’auteur en exécution de ce contrat de 1980, 18 371,66 euros pour 2019, 1 756,64 euros pour 2020, à parfaire, avec les « intérêts de droit » depuis la mise en demeure du 12 mai 2021,
– la résiliation judiciaire, subsidiairement la résiliation unilatérale, des contrats d’édition,
– la condamnation de la société Warner à lui payer 50 000 euros en réparation de l’atteinte à son droit moral ainsi que 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

7. La société Warner, dans ses dernières conclusions (1er septembre 2023), résiste aux prétentions dirigées contre elle et reconventionnellement demande la condamnation de M. [O] à lui payer 10 000 euros pour procédure abusive et 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Moyens des parties

8. À titre principal, sur la résiliation judiciaire des 6 contrats d’édition, M. [O] soutient en premier lieu qu’en application des articles L. 132-11 à L. 132-14 du code de la propriété intellectuelle et de l’article IV des contrats en cause, l’éditeur est tenu d’une obligation de surveillance du respect du droit moral de l’auteur ainsi que d’assurer l’exploitation permanente de son œuvre, ce dont il résulte selon lui l’obligation d’œuvrer loyalement à maintenir une relation de confiance avec l’auteur, comme le confirme le code des usages et bonnes pratiques de l’édition des œuvres musicales du 4 octobre 2017, certes non applicable aux contrats en cause mais auquel il est utile de se référer, estime-t-il.

9. Il estime que la société Warner a manqué à ces obligations, entraînant une rupture du lien de confiance, en ce que des paroles de ses chansons ont été reprises sans son accord, une fois par une marque de bijoux contre laquelle la société Warner n’est intervenue qu’après que lui-même le lui a signalé et plusieurs fois par d’autres artistes dont la plupart sont très connus (par [L], [X], [E] [F], [A]), à l’égard desquels la société Warner n’a encore réagi qu’après qu’il les lui a signalés, alors même que, dans le cas de [X], elle était aussi l’éditrice de l’œuvre litigieuse, avait la charge de « clearer » les droits et ne pouvait pas ignorer la reprise dans cette œuvre des paroles de sa chanson « Petite [K] », très connue, ce dont il déduit que la société Warner a choisi de favoriser cet autre artiste à son détriment. Il lui reproche également, face à ces reprises, d’avoir agi de façon désinvolte, de l’avoir découragé de demander l’interdiction (d’ailleurs, souligne-t-il, la société Warner ne justifie d’aucune mise en demeure adressée aux contrefacteurs) et lui avoir seulement proposé des accords de « sample » rétroactifs qu’il a été contraint d’accepter, devant le fait accompli, afin de ne pas pénaliser un autre artiste mais sans que cela ne répare l’atteinte à son droit moral dans la mesure où la divulgation avait déjà eu lieu, plusieurs des œuvres litigieuses portant également atteinte à l’intégrité de son œuvre.

10. A propos, en particulier, de la reprise de ses paroles dans la chanson de [X], il dit avoir « définitivement perdu » confiance dans la société Warner en raison du refus de celle-ci d’assumer ce qu’il estime être sa responsabilité et non celle de l’artiste « mal conseillé par son éditeur ». Sur la reprise de paroles de sa chanson « Je l’aime à mourir » par [A], il critique le refus de la société Warner de transmettre l’ensemble de ses demandes, l’affirmation fausse selon lequel il n’aurait pas indiqué clairement qu’il aurait refusé la reprise si on le lui avait demandé et l’absence d’exécution de ses instructions, la vidéo litigieuse étant restée en ligne après la date fixée, la société Warner demandant même ultérieurement à M. [O], en urgence, l’autorisation de réexploiter cette vidéo et n’agissant pas pour faire supprimer les vidéos identiques encore présentes sur Youtube.

11. Il estime enfin la poursuite des relations contractuelles impossibles au regard de la mauvaise opinion qu’aurait la société Warner à son égard, qui ressort selon lui des écritures de celle-ci, de la dégradation continue de leurs relations et du refus de celle-ci de « lui révéler les liens qu’elle entretient depuis tant d’années avec M. [U] [D] ».

12. Il soutient, en second lieu, que l’éditeur est tenu de rendre exactement compte de sa gestion et estime que tel n’est pas le cas ici de la société Warner dont il soutient qu’elle lui remet des décomptes erronés et imprécis s’agissant des sommes qu’elle lui doit en exécution du contrat de « reversement » conclu en 1980, en ce que les décomptes lui ont seulement été remis après mise en demeure et que les sommes versées (dont il précise qu’il s’agit bien de droits d’auteur et non de « reversements commerciaux ») ne correspondent pas au calcul résultant de l’accord (lequel n’est d’ailleurs pas communiqué par la défenderesse, critique-t-il), notamment car les montants dus sont, à tort, divisés par deux. Il affirme avoir découvert dans la présente procédure que la moitié de ces « reversements » était payée à M. [D], son ancien manageur, qui n’est pas coauteur des œuvres en cause et n’a selon lui aucune raison de percevoir un reversement sur ses droits d’auteurs. Il estime que la société Warner a dissimulé cette division par deux au profit de M. [D] et que cela démontre à quel point les comptes sont obscurs et donc non conformes à l’obligation de transparence. Il observe encore que l’assiette sur laquelle il fonde ses calculs, critiquée par la défenderesse, provient uniquement des décomptes que celle-ci lui a remis. Il lui reproche en outre de n’avoir pas communiqué les détails de compte de ces reversements depuis 1990 comme il le lui a demandé, ni celui de l’année 2021, ce qui « trahit une fois de plus sa légèreté envers » lui, estime-t-il.

13. Subsidiairement, M. [O] fonde sa demande sur la faculté de résiliation unilatérale des contrats à durée indéterminée, estimant que les contrats en cause, en prévoyant une durée égale à celle de la protection des droits d’auteur, soit jusqu’à 70 ans après sa mort, donnant ainsi au droit de propriété cédé un caractère perpétuel car se transmettant à ses enfants, s’analysent en des contrats à durée indéterminée. Il ajoute qu’au demeurant les contrats en cause ont une durée qui excède les usages et qui résulte d’un rapport de force déséquilibré, qu’ainsi la clause prévoyant cette durée est nulle, donc que les contrats sont à durée indéterminée.

14. Sur la réparation de l’atteinte à son droit moral, lequel est selon lui « absolu et discrétionnaire », il invoque l’atteinte à ses chansons « Petite [K] » et « Je l’aime à mourir », la violation de son droit au nom lors de la diffusion du clip de [X] qui a été diffusé « des millions de fois » avant qu’il soit cité, ce qui constitue selon lui une usurpation de son œuvre, et la négligence de la société Warner qui n’a pas surveillé le respect des engagements pris. Il ajoute qu’en tout état de cause il aurait refusé, en vertu de son droit de divulgation, les utilisations contrefaisantes de ses œuvres. Il estime « inadmissible » que la société Warner l’ait dissuadé d’agir en justice et ait « tenté de justifier le comportement des contrefacteurs ». Il affirme que la dénaturation de ses œuvres est irréversible. Il fait encore valoir des « désagréments » causés par « la gestion erratique de ses intérêts » par la défenderesse. Il déduit de l’ensemble de ces éléments un préjudice moral de 50 000 euros.

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15. En défense, la société Warner, qui indique à titre liminaire exploiter et promouvoir les oeuvres en cause conformément aux dispositions du code de la propriété intellectuelle et aux usages, conteste les griefs formés contre elle. Elle fait d’abord valoir qu’en application de l’article L. 132-8 du code de la propriété intellectuelle, la charge du respect des oeuvres éditées incombe aussi à l’auteur qui est garant de l’exercice paisible des droits qu’il cède, qu’il n’existe aucune obligation de « surveillance » pesant sur l’éditeur, qu’au cas présent elle a toujours veillé au respect des oeuvres de M. [O], a pris l’initiative de faire cesser les exploitations illicites qu’elle a découvertes et a fait cesser sans tarder celles que lui a signalées M. [O], ajoutant qu’elle ne les avait jamais autorisées auparavant et qu’elle a, aussi, été « placée devant le fait accompli ». Elle expose que c’est à chaque fois conformément à la position de M. [O] qu’elle a proposé des accords de « sample » avant que celui-ci n’adopte une position ambigüe ou lui reproche ces propositions. Elle estime que M. [O] a une stratégie visant à lui reprocher des faits commis par des tiers qu’il indique ensuite ne pas vouloir sanctionner pour enfin refuser toute régularisation afin de « créer de toute pièce des impasses qu’il tente » de lui imputer.

16. En particulier, sur la reprise de paroles de « Petite [K] » dans « Près des étoiles » de [X], dont elle est co-éditrice, la société Warner conteste en avoir eu connaissance avant sa publication, estime que M. [O] a « sciemment entretenu le flou » sur ses intentions en ne répondant pas à ses demandes, afin de « créer artificiellement un grief » à son encontre. Elle réfute toute responsabilité et fait valoir que contrairement aux affirmations du demandeur l’oeuvre litigieuse n’a jamais été déposée à la Sacem, en raison de l’absence d’accord trouvé avec M. [O]. Sur la reprise (modifiée) de « Je l’aime à mourir » dans une vidéo Youtube de [A], elle rappelle avoir proposé à M. [O] de demander le retrait pur et simple de l’oeuvre litigieuse lorsqu’il a fait savoir qu’elle violait son droit moral et qu’il ne l’aurait jamais autorisée si on le lui avait demandé et estime en substance avoir bien transmis l’intégralité des conditions posées par M. [O], qu’elle estime ambigües, en exigeant (et obtenant) du management de [A] des excuses. Elle affirme que la vidéo a bien été supprimée de Youtube par les équipes de [A] et soutient qu’elle n’est pas responsable des republications de cette vidéo par des tiers, qui se produisent « constamment » malgré les retraits qui peuvent être demandés. Elle ajoute qu’aucun manquement de sa part ne peut être caractérisé par le simple fait d’avoir demandé à M. [O] s’il consentait à la reproduction de la reprise de [A] dans un CD gratuit.

17. Elle estime qu’au demeurant les exploitations critiquées ne portent pas atteinte au droit moral de M. [O], rappelle qu’en toute hypothèse seul l’auteur peut agir à ce titre et que l’éditeur n’a aucune obligation d’agir lorsque les droits patrimoniaux ne sont pas en cause.

18. Elle ajoute qu’en tout état de cause les manquements allégués ne portent que sur deux oeuvres et ne sauraient emporter la résiliation des contrats concernant les 22 autres oeuvres.

19. Sur la reddition de compte, la société Warner estime que le demandeur procède par affirmations générales sans indiquer ce qui serait imprécis ou erroné. Elle explique que les reversements commerciaux sont un complément de rémunération dû à M. [O] calculé sur les revenus éditoriaux qu’elle perçoit, en application d’un accord commercial spécial conclu avec les éditions [N] en 1980 et non en application des contrats d’édition, de sorte qu’une éventuelle erreur ne peut caractériser un manquement dans l’exécution de ces contrats. Elle conteste quoiqu’il en soit toute erreur dans ces décomptes, faisant valoir que conformément à cet accord 50% du reversement commercial revient à M. [D], que la division par deux du montant total ressort expressément des feuilles de reversement anciennes dont se prévaut le demandeur lui-même, qu’elle ne connait pas le contentieux ayant donné lieu à cet accord et ignore donc pour quelle raison ces sommes sont versées à M. [D], d’ailleurs bien connu de M. [O] pour avoir été le producteur de son premier album et avoir encore créé un évènement avec lui en 1994 (les « rencontres d’Astaffort »). Elle estime ainsi abusif de la part de M. [O] de « feindre » d’ignorer ces versements à M. [D] en exécution d’un accord qu’il a lui-même négocié et conclu en 1980. Elle souligne que ces reversements sont calculés sur sa part éditoriale et ne réduisent donc pas la part perçue par l’auteur. Elle réfute la dissimulation que lui reproche M. [O], explique ne pas être en possession de l’accord, peut-être détruit dans un incendie, et estime paradoxal que le demandeur, qui s’en prévaut, refuse lui-même de le communiquer.

20. Elle conteste les montants réclamés, totalement erronés selon elle, et soutient que l’assiette de calcul des reversements commerciaux est de 65 855,88 euros pour 2019 (et non 75 213,28 comme le soutient le demandeur) et de 62 128,96 euros pour 2020 (et non 40 828,33 euros).

21. Contre la résiliation unilatérale, elle conteste que les contrats d’édition en cause soient des engagements perpétuels ni des contrats à durée indéterminée, faisant valoir qu’ils stipulent simplement une durée de cession des droits patrimoniaux égale à la durée légale de leur protection, ce qui selon elle n’est ni illicite ni perpétuel, et que l’article L. 132-17 du code de la propriété intellectuelle prévoit strictement 4 hypothèses de résolution non judiciaire du contrat d’édition, ce qui interdit une résiliation unilatérale de plein droit.

22. Subsidiairement, elle conteste la preuve de l’existence et du montant du préjudice allégué.

23. Sur sa demande reconventionnelle pour procédure abusive, la société Warner soutient que l’action engagée par M. [O] est manifestement dépourvue de fondement, qu’elle consiste à créer artificiellement des manquements afin de « récupérer » son catalogue. Elle en déduit un préjudice de 10 000 euros.

MOTIVATION

I . Demande en résiliation des contrats d’éditions

1 . Résiliation judiciaire

24. En vertu de l’article L. 132-8 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur, qui doit garantir à l’éditeur l’exercice paisible et, sauf convention contraire, exclusif du droit cédé, est tenu de faire respecter ce droit et de le défendre contre toutes atteintes qui lui seraient portées.

25. Aux termes de l’article L. 132-12 du même code, l’éditeur est tenu d’assurer à l’oeuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession.

26. Les articles L. 132-13 et L. 132-14 prévoient et encadrent la reddition de compte par l’éditeur.

27. Enfin, il résulte de l’article 1184 du code civil dans sa rédaction en vigueur à la date des contrats, que la partie envers qui l’obligation n’est pas exécutée peut demander la résiliation du contrat.

28. L’article IV des contrats d’édition conclus entre M. [O] et la société Les Éditions [N] stipule notamment que l’auteur garantit à l’éditeur l’exercice paisible et exclusif du droit cédé, déclare qu’il n’a introduit dans son oeuvre aucune reproduction susceptible de violer les droits de tiers et donne à l’éditeur, « à l’appui de sa garantie », un pouvoir lui permettant d’agir en vue de sauvegarder l’exercice du droit cédé.

29. Cet article prévoit également que l’éditeur « ne pourra jamais être tenu responsable » en cas « d’échecs de pourparlers », notamment, « auxquels l’éditeur aurait jugé utile de participer tant en demande qu’en défense à l’occasion de l’exercice » du droit cédé.

a. Reprises illicites des oeuvres

30. Si, comme le soutient le demandeur, le contrat d’édition implique une relation de confiance entre l’auteur et son éditeur et doit, comme tout contrat, être exécuté de bonne foi, il n’en résulte pas pour autant une obligation de surveillance incombant à l’éditeur. Le fait que M. [O] ait découvert des exploitations illicites de ses oeuvres par des tiers ne saurait donc constituer un manquement de la société Warner à ses obligations en tant qu’éditeur.

31. De même, le fait que les réponses à ces exploitations illicites proposées par la société Warner à M. [O] aient déplu à celui-ci n’est pas un manquement, dès lors que ces réponses, proposant un accord, étaient sérieuses. Au demeurant, la société Warner démontre qu’à chaque fois qu’elle a proposé un accord régularisant rétroactivement l’exploitation litigieuse, M. [O], par l’intermédiaire de son avocat ou de la société Chandelle productions qui s’exprimait en son nom, avait exprimé le souhait d’une solution négociée, outre que dans la plupart des cas il a accepté les accords proposés et que la société Warner a aussi, contrairement à ce qu’affirme M. [O], proposé d’exiger la cessation des exploitations litigieuses. Elle démontre également avoir réagi dans les jours ou les semaines suivant chaque signalement, donc de façon diligente.

32. De même, contre la vidéo Youtube de [A], la société Warner a également recherché une solution négociée, suivant en cela valablement le souhait de M. [O], y compris en obtenant des excuses de la part du responsable de cette exploitation, sans être tenue pour le reste de transmettre à ce dernier l’avis de M. [O] selon lequel cette exploitation violait son droit moral dès lors que cet avis ne fondait aucune demande, était donc gratuit et risquait de compromettre la négociation qu’il avait par ailleurs dit souhaiter. Que cette vidéo ait été republiée par des tiers n’est pas imputable à la société Warner et M. [O] ne démontre pas que celle-ci ait manqué à son obligation d’exploitation suivie du seul fait de leur existence, étant observé que de telles reprises sont, comme le soutient la défenderesse, très fréquentes à l’égard d’un très grand nombre d’oeuvres musicales, de sorte qu’il ne peut être exigé d’un éditeur qu’il parvienne à les empêcher absolument. Enfin, le fait pour la société Warner d’avoir simplement transmis à M. [O] une demande d’autorisation de réexploiter l’interprétation litigieuse n’est pas davantage fautive.

33. La seule exploitation non autorisée à laquelle a participé la société Warner et qui peut donc lui être imputée, est celle de la chanson « Près des étoiles » de l’artiste [X], dont la société Warner est co-éditrice. Dans cette oeuvre, un vers de la chanson « Petite [K] », à savoir « Je viens du ciel et les étoiles, entre elles, ne parlent que de toi », constitue le 1er vers (sur 4) d’un couplet (sur 4 au total, outre le refrain) de la chanson.

34. La société Warner expose, dans un courriel du 3 avril 2021 (sa pièce 24) cité dans ses conclusions, avoir eu son attention « monopolisé[e] » par la « clearance de sample » à l’égard des ayants droits du groupe Gold, auteur d’une chanson antérieure, « Plus près des étoiles », dont il est constant que la chanson litigieuse de [X] est une adaptation. M. [O] ne conteste pas ce fait mais en déduit en substance que la société Warner est d’autant moins excusable qu’elle avait cette charge de « clearer » les droits antérieurs. Toutefois, la chanson litigieuse est explicitement présentée comme une reprise de la chanson de Gold et la « clearance » avait manifestement pour seul objet la recherche d’un accord auprès des ayant-droits de cette chanson antérieure, pas de rechercher de manière générale toute oeuvre antérieure susceptible d’être reproduite ou adaptée dans la nouvelle chanson. Il est donc compréhensible que l’attention de la société Warner ait pu, comme elle l’affirme, être plus faible à l’égard d’éventuelles autres reprises, étant observé, d’une part, que l’éditeur n’est pas le censeur de son auteur et n’a pas à rechercher systématiquement dans le détail si celui-ci ne commettrait pas une contrefaçon, d’autre part que l’éditeur, à travers ses préposés, ne peut avoir à tout instant à l’esprit la totalité de son répertoire, même célèbre. Enfin, rien n’indique que la société Warner ait contribué à l’écriture de l’oeuvre litigieuse, ni même qu’elle ait « mal conseillé » en ce sens son auteur, [X], comme l’allègue sans preuve M. [O].

35. Il en résulte que la mauvaise foi de la société Warner dans le fait d’éditer la chanson « Près des étoiles » de [X] n’est pas démontrée et que le fait de n’avoir pas décelé que cette chanson contenait un vers identique à l’un de ceux de la chanson « Petite [K] » de M. [O] ne caractérise pas une inattention fautive dans l’exécution de sa mission d’éditeur de celle-ci.

36. Une fois la reprise litigieuse signalée, la société Warner s’est enquise du souhait de M. [O] (dans le courriel précité du 3 avril 2021) en affirmant explicitement qu’elle défendrait l’intérêt de celui-ci. L’administratrice de la société Chandelle productions a répondu, au nom de M. [O], le 15 avril 2021, en indiquant que ce dernier « ne souhait[ait] pas entrer a posteriori dans un conflit avec l’artiste en demandant le retrait » et voulait « des propositions de réparation » de la part de la société Warner en sa qualité d’éditeur. Celle-ci a alors proposé, le 16 avril, un partage des droits de l’oeuvre litigieuse. M. [O] (toujours par l’intermédiaire de la société Chandelle productions) a répondu, le 12 mai 2021 qu’il acceptait un accord amiable mais demandait que le dédommagement soit à la charge exclusive de la société Warner. Le fait, pour celle-ci, d’avoir contesté une telle responsabilité n’est que l’expression mesurée d’un désaccord et non une faute dans l’exécution du contrat d’édition.

37. Ainsi, aucun des faits allégués par le demandeur ne constitue un manquement de la société Warner dans l’exécution des contrats d’édition.

b. Reddition de compte des reversements issus de l’accord de 1980

38. M. [O] critique les comptes qui lui ont été rendus dans le cadre de l’accord conclu en 1980 et prévoyant une rémunération supplémentaire au-delà des contrats d’édition en cause.

39. Aucune partie ne communique cet accord. Chacune s’accorde seulement sur ses modalités pécuniaires qui ressortent des comptes rendus et versements effectués par le passé.

40. Il en résulte que, comme le soutient la défenderesse, rien ne démontre que l’exécution de cet accord puisse être considérée d’une façon ou d’une autre comme l’exécution des contrats d’éditions en cause. L’inexécution éventuelle de cet accord est donc indifférente pour trancher la demande de M. [O] en résiliation des contrats d’édition.

41. Par conséquent, la société Warner n’ayant manqué à aucune obligation lui incombant au titre des contrats dont la résiliation est demandée, la demande en ce sens est rejetée.

42. Par ailleurs, aucune autorisation donnée par la société Warner à une exploitation des oeuvres du demandeur ne l’ayant été sans son accord, il n’y a pas lieu à enjoindre la défenderesse de lui adresser des « justificatifs lui permettant de vérifier les autorisations ». De même, aucun grief n’est formé sur les redditions de compte des contrats d’édition et M. [O] n’expose pas quel type d’information lui manque ou devrait être communiqué en plus de celles qui lui ont été remises ; sa demande de communication de « justificatifs » des « sommes qui lui reviennent au titre des adaptations de ses oeuvres » doit donc également être rejetée.

2 . Résiliation unilatérale des contrats à durée indéterminée

43. Il résulte des dispositions du code civil relatives aux contrats dans leur rédaction applicable aux contrats en cause, c’est-à-dire avant le 1er octobre 2016, que, bien qu’elles ne le prévoient pas explicitement, les engagements perpétuels sont proscrits et qu’un contrat à durée indéterminée peut être résilié par l’une des parties, sous réserve d’un préavis suffisant.

44. Toutefois, outre qu’une cession a par principe un effet définitif et que ce n’est que de manière dérogatoire que le code de la propriété intellectuelle prévoit, en matière de propriété littéraire et artistique, des « cessions » à durée limitée, une clause prévoyant une cession de droits pour la durée de protection de l’oeuvre n’est pas illicite tandis qu’un contrat contenant une telle clause n’est pas un engagement perpétuel ni un contrat à durée indéterminée et ne peut donc pas être remis en cause de ce fait par l’une des parties.

45. Par conséquent, la demande en ce sens est rejetée.

II . Paiement des reversements dus au titre de l’accord de 1980

46. Il est constant que l’accord conclu entre M. [O] et la société Les Éditions [N] en 1980 prévoyait le versement au premier de sommes selon un barème progressif, exprimé en Francs, qui apparait sur les anciens décomptes, tels que ceux que communique M. [O] (sa pièce 2) pour les années 1981 et 1990.

47. M. [O] se fonde sur les décomptes des années 2019 et 2020 que lui a remis la société Warner pour établir son propre calcul qui conclut à un montant dû différent de celui qu’a déterminé la défenderesse. Il n’explique toutefois pas cette différence.

48. Or, outre qu’il applique, pour le barème, une mauvaise conversion euros / Francs (6,55 au lieu de 6,55957), il retient une assiette différente de celle apparaissant dans les documents remis par la société Warner, sans s’en expliquer, alors qu’il affirme expressément avoir seulement repris les données contenues dans ces documents qu’il communique lui-même en pièces 7, 24 et 25 (ses conclusions, points 65 et 69). Enfin, il applique aux différentes tranches du barème un calcul erroné en ce qu’il omet la division par deux qui apparait dans les relevés dont il se prévaut lui-même : en effet, dans les relevés de 1981 et 1990, chaque tranche du barème se voit appliquer un pourcentage (de 0% à 50%) puis une division par 2, représentée par une fraction :

20% X 10.000 Frs
__________________________________
2

tandis que dans son calcul, il applique seulement le pourcentage. L’explication qu’il donne à cet égard, selon laquelle il aurait découvert cette division par 2 seulement au cours de cette instance et qu’il s’agirait d’un manquement supplémentaire de la société Warner qui le lui aurait caché, est à tout le moins peu crédible s’agissant de décomptes qu’il reçoit chaque année depuis 40 ans.

49. À l’inverse, les décomptes remis par la société Warner appliquent le même barème qu’en 1981 et 1990, concluent à un montant arithmétiquement exact et il n’est pas contesté que les sommes correspondantes ont été payées.

50. Par conséquent, les sommes dues en vertu de l’accord de 1980 ont déjà été payées et la demande en ce sens est rejetée.

51. Rien ne met en doute pour le surplus les comptes rendus par la société Warner en exécution de l’accord de 1980 et M. [O] n’expose pas en quoi il aurait droit de la contraindre à faire certifier ces comptes par un expert-comptable. Sa demande de communication de tels comptes certifiés est, par conséquent, rejetée.

III . Réparation des atteintes au droit moral de l’auteur

52. En vertu de l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.

53. Le droit au respect de l’oeuvre ne constitue pas un moyen supplémentaire de contrôler l’exploitation de celle-ci, qui relève des droits patrimoniaux et en particulier du droit d’adaptation, mais est une protection contre les abus.

54. L’article L. 121-2 ajoute que l’auteur a seul le droit de divulguer son oeuvre.

55. Le seul fait imputable à la société Warner est la (co-) édition de la chanson « Près des étoiles » de [X].

56. Il est constant qu’un vers de cette chanson est une reproduction d’un vers de l’oeuvre « Petite [K] » de M. [O] et il est constant que les exploitations issues de l’édition de cette oeuvre ne mentionnent pas le nom de M. [O]. Enfin la société Warner n’expose pas explicitement ce qui aurait pu justifier l’omission de cette mention.

57. Néanmoins, informée des faits par la société Chandelle productions le 1er avril 2021, la société Warner a annoncé le 3 avoir « mis en suspens » le dépôt de l’oeuvre à la Sacem et a recherché une solution convenant à l’auteur. Celui-ci a finalement implicitement refusé la proposition de partage des droits sur l’oeuvre litigieuse en exigeant (dans sa mise en demeure du 12 mai 2021) que le « dédommagement » soit uniquement payé par la société Warner et en refusant que [X] « soit pénalisé », sans pour autant exprimer d’accord ni de refus quant à la poursuite de l’exploitation de la chanson de ce dernier ni sur ses modalités, en particulier quant à la citation de son nom, ce qui n’a pas permis de déposer l’oeuvre en indiquant la participation de M. [O], faute d’accord sur la répartition.

58. Ainsi, M. [O], en ne cherchant pas le dépôt corrigé de l’oeuvre qui était envisagé dès le courriel du 3 avril 2021 par la société Warner, en n’exigeant dans aucune de ses correspondances la mention de son nom au crédit (ni, au demeurant, lors du présent procès, où il réclame une indemnité pour l’atteinte à son droit moral en général mais ne demande pas l’ajout de son nom lors de l’exploitation de la chanson « Près des étoiles »), en ne demandant aucun droit sur l’exploitation de l’oeuvre mais à la place un dédommagement spécial de la part de son éditeur, seul, tout en ne demandant pas l’interdiction de l’oeuvre litigieuse qui était proposée par la société Warner, là aussi, dès son courriel du 3 avril, a adopté une position dont il ressort qu’il ne souhaitait pas que son nom figure aux crédits de la chanson « Près des étoiles ». Une telle absence de mention lors d’une reprise partielle des paroles de « Petite Marie » correspond également à ce qu’il avait déjà accepté à propos de la reprise par [L] en 2019.

59. Ainsi, la reprise, très partielle, de l’oeuvre « Petite [K] » dans la chanson « Près des étoiles » sans mentionner le nom de M. [O] ne porte pas atteinte à son droit au respect de son nom.

60. Par ailleurs, cette reprise partielle de son oeuvre n’est pas une violation de son droit au respect de l’oeuvre, ce que confirme au demeurant le fait qu’il a déjà autorisé un tel type de reprise, notamment par [L], en 2019. Le fait que cet accord avait été donné rétroactivement est à cet égard indifférent.

61. Enfin, l’oeuvre en cause, « Petite Marie », a été divulguée dans les années 1970. Sa reproduction partielle n’est pas une nouvelle divulgation et l’invocation de ce droit, en l’espèce, est hors de propos.

62. Par conséquent, la demande indemnitaire est rejetée.

IV . Procédure abusive

63. En application de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

64. Le droit d’agir en justice dégénère en abus lorsqu’il est exercé en connaissance de l’absence totale de mérite de l’action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l’autre partie à se défendre contre une action ou un moyen que rien ne justifie sinon la volonté d’obtenir ce que l’on sait indu, une intention de nuire, ou l’indifférence aux conséquences de sa légèreté.

65. Au cas présent, M. [O] a agi en regroupant divers évènements indépendants entre eux, dont il n’ignorait pas que tous, sauf un, étaient sans lien avec la société Warner, après avoir adopté une position vague laissant entendre qu’il souhait des accords pour ensuite reprocher à la défenderesse de lui avoir proposé de tels accords et allant jusqu’à reprocher à son partenaire contractuel des versements (versés pour moitié seulement à lui-même et pour moitié à M. [D]) qui n’étaient en fait que la poursuite inchangée de l’exécution depuis 1980 d’un accord auquel il est constant qu’il était lui-même partie et qu’il ne pouvait donc pas ignorer.

66. Néanmoins, ces éléments, quoiqu’ils soient mal dirigés ou instrumentalisés de façon peu loyale au soutien d’une demande dont la fragilité réelle aurait dû être apparente au demandeur assisté d’un professionnel du droit, peuvent s’expliquer, notamment, par un sentiment sincère d’insatisfaction devant le « fait accompli » ne paraissant présenter aucune solution satisfaisante pour l’auteur, qui a alors, d’une façon qui n’était pas totalement inexcusable, dirigé son ressenti envers son éditeur quoique celui-ci ne pût en être tenu responsable.

67. Dès lors, l’action n’est pas abusive et la demande en ce sens est rejetée.

V . Dispositions finales

68. Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. L’article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu’il détermine, en tenant compte de l’équité et de la situation économique de cette partie.

69. M. [O] perd le procès et est donc tenu aux dépens ainsi que d’indemniser la défenderesse des frais qu’elle a dû exposer pour sa défense et qui peuvent être estimés, au regard de l’importance des diligences rendues nécessaires par la clarté perfectible des écritures du demandeur et de la propre demande de celui-ci, à 20 000 euros.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal :

Rejette les demandes de M. [O] en résiliation des contrats d’édition ;

Rejette sa demande en communication de justificatifs visant à vérifier les « autorisations et les sommes qui lui reviennent au titre des adaptations de ses oeuvres » ;

Rejette sa demande en paiement de sommes au titre de l’accord de 1980 ;

Rejette sa demande en communication du calcul certifié par un expert-comptable des sommes dues au titre de cet accord ;

Rejette sa demande en dommages et intérêts pour violation de son droit moral d’auteur ;

Rejette la demande de la société Warner pour procédure abusive ;

Condamne M. [O] aux dépens ainsi qu’à payer à la société Warner chappell music France 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 17 Janvier 2025

Le Greffier La Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC


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