Droits sur la marque Jean-Charles de Castelbajac

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Droits sur la marque Jean-Charles de Castelbajac

L’Essentiel : La société Pmjc conteste la recevabilité des demandes de M. [W] [X] visant à prononcer la déchéance de ses droits sur les marques « [W] [X] » n° 3201616 et « [W] [X] » n° 1640795. Elle soutient que la garantie d’éviction ne peut être opposée pour rendre irrecevable une demande fondée sur le comportement fautif du cessionnaire. Pmjc affirme également que M. [W] [X] avait cédé à la société [W] [X] SA le droit d’exploiter son nom, ce qui aurait dû bénéficier à Pmjc. La cour d’appel est accusée d’avoir violé plusieurs articles du code civil et de procédure civile dans son jugement.

La société Pmjc conteste la recevabilité des demandes de M. [W] [X] visant à prononcer la déchéance de ses droits sur les marques « [W] [X] » n° 3201616 et « [W] [X] » n° 1640795. Elle invoque plusieurs arguments, notamment que la garantie d’éviction ne peut être opposée pour rendre irrecevable une demande fondée sur le comportement fautif du cessionnaire des droits litigieux. De plus, elle soutient que la garantie d’éviction se transmet au sous-acquéreur, ce qui n’aurait pas été pris en compte par la cour d’appel. La société Pmjc estime également que M. [W] [X] avait cédé à la société [W] [X] SA le droit d’exploiter son nom et les marques incluant son nom, ce qui aurait dû bénéficier à la société Pmjc en tant que cessionnaire des actifs de la société [W] de Castebajac SA. La cour d’appel est accusée d’avoir violé plusieurs articles du code civil et de procédure civile dans son jugement.

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REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COMM.

CC

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 28 février 2024

Renvoi devant la cour
de justice de l’Union européenne
sursis à statuer
et rejet

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 95 FS-B

Pourvoi n° K 22-23.833

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 28 FÉVRIER 2024

La société Pmjc, société par actions simplifiée, société à associé unique, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° K 22-23.833 contre l’arrêt rendu le 12 octobre 2022 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige l’opposant :

1°/ à M. [W] [X], domicilié [Adresse 1],

2°/ à M. [M] [X], domicilié [Adresse 2],

3°/ à la société [X] Créative, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], prise en la personne de M. [W] [X] désigné en qualité de mandataire ad hoc par ordonnance du tribunal de commerce de Paris le 22 avril 2022,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sabotier, conseiller, les observations de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société PMJC, de la SARL Ortscheidt, avocat de MM. [W] et [M] [X], de la société [X] Créative, en la personne de M. [W] [X] désigné en qualité de mandataire ad hoc, et l’avis de Mme Texier, avocat général, après débats en l’audience publique du 9 janvier 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Sabotier, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Michel-Amsellem, de Lacaussade, M. Thomas, Mme Tréfigny, conseillers, M. Le Masne de Chermont, Mmes Comte, Bessaud, Bellino, M. Regis, conseillers référendaires, Mme Texier, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 12 octobre 2022), la société [W] [X], fondée en 1978 par M. [W] [X] pour commercialiser des vêtements et accessoires de mode, a fait l’objet d’une procédure collective au terme de laquelle la société Pmjc a présenté une offre de reprise de la totalité des actifs de cette société, acceptée par un jugement du 13 septembre 2011, lui-même suivi d’un acte de cession d’actifs corporels et incorporels du 3 février 2012, portant notamment sur les marques verbales françaises « [W] [X] » n° 1640795, déposée par M. [W] [X], qui l’avait cédée en 1999 à la société [W] [X], et « [W] [X] » n° 3201616, déposée en 2002 par la société [W] [X].

2. Par un protocole de prestation de services conclu le 21 juillet 2011, M. [W] [X] a poursuivi sa collaboration avec la société Pmjc jusqu’au terme contractuellement prévu, soit le 31 décembre 2015.

3. Le 21 juin 2018, soutenant qu’en poursuivant ses activités professionnelles et artistiques par l’intermédiaire d’une société [X] Creative, M. [W] [X] se livrait à des actes de concurrence déloyale et portait atteinte à ses droits de marques, la société Pmjc l’a assigné en contrefaçon des marques « [W] [X] » et « [W] [X] » ainsi qu’en concurrence déloyale et parasitaire. A titre reconventionnel, M. [W] [X] a sollicité la déchéance pour déceptivité des droits de la société Pmjc sur ces marques en raison des usages selon lui trompeurs qu’elle en a faits entre la fin de l’année 2017 et le début de l’année 2019.
4. Par un arrêt du 12 octobre 2022, la cour d’appel de Paris a dit la société Pmjc déchue de ses droits sur les marques « [W] [X] » et « [W] [X] » pour désigner différents produits et services.

5. Selon cet arrêt, la garantie en cas d’éviction, propre au droit français de la vente, ne pouvait trouver à s’appliquer, la demande de M. [W] [X] étant fondée, non sur le fait qu’il ne participait plus à la conception des produits commercialisés sous les marques cédées, mais sur la faute de la société Pmjc à l’origine de son éviction.

6. Selon ce même arrêt, le droit de l’Union ne s’oppose pas au prononcé de la déchéance d’une marque portant sur le nom de famille d’un créateur lorsque, par ses manœuvres, le cessionnaire de cette marque fait croire au public de manière effective que le créateur participe toujours à la conception des produits ou crée un risque suffisamment grave d’une telle tromperie.

7. L’arrêt retient que tel est bien le cas en l’espèce, la société Pmjc ayant été condamnée à deux reprises pour contrefaçon des droits d’auteur de M. [W] [X] portant sur ses œuvres récentes non cédées en 2012 à la société Pmjc (CA Paris, 7 septembre 2021, RG n° 19/13325 ; CA Paris, 10 décembre 2021, RG n° 20/04255). Ces condamnations sont irrrévocables. L’arrêt en déduit qu’utilisées sous la forme d’appositions sur des produits revêtus de décors constituant des actes de contrefaçon des droits d’auteur du cédant comme portant sur des créations originales réalisées par ce dernier dans le respect des engagements pris à l’égard de la société cessionnaire, les marques sont devenues déceptives.

8. La société Pmjc s’est pourvue en cassation contre l’arrêt du 12 octobre 2022.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. La société Pmjc fait grief à l’arrêt de déclarer recevables les demandes de M. [W] [X] aux fins de prononcer la déchéance de ses droits sur les marques « [W] [X] » n° 3201616 et « [W] [X] » n° 1640795, alors :

« 1° / que celui qui doit garantie ne peut évincer ; qu’en retenant, pour déclarer M. [W] [X] recevable en ses demandes en déchéance des droits de la société Pmjc sur les marques « [W] [X] » n° 3201616 et « [W] [X] » n° 1640795, que « le manquement à la garantie d’éviction ne constitue pas une irrecevabilité à agir du demandeur, mais une éventuelle faute distincte, susceptible, si elle est établie, d’engager la responsabilité du vendeur sur le fondement de l’article 1630 du code civil », la cour d’appel a violé les articles 1626 et 1628 du code civil ;

2°/ que la garantie d’éviction interdit au vendeur de contester le droit de l’acheteur au moyen d’une voie de droit qui lui serait ouverte s’il n’était pas tenu à garantie ; qu’en retenant, pour déclarer M. [W] [X] recevable en ses demandes en déchéance des droits de la société Pmjc sur les marques « [W] [X] » n° 3201616 et « [W] [X] » n° 1640795, que « la garantie invoquée ne peut, en tout état de cause, être opposée pour rendre irrecevable une demande fondée, comme en l’espèce, sur le comportement prétendument fautif du cessionnaire des droits patrimoniaux litigieux », la cour d’appel a violé les articles 1626 et 1628 du code civil ;

3°/ que la garantie d’éviction se transmet au sous-acquéreur ; qu’en déclarant M. [W] [X] recevable en sa demande en déchéance des droits de la société Pmjc sur la marque « [W] [X] » n° 1640795 sans rechercher, comme l’y invitaient les conclusions de la société Pmjc, si cette marque, déposée par M. [W] [X] le 25 janvier 1991, n’avait pas été cédée par celui-ci à la société [W] [X] SA, qui l’avait elle-même transmise à la société Pmjc par l’acte de cession de l’entreprise intervenu le 3 février 2012, dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire dont elle a fait l’objet, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que la garantie d’éviction se transmet au sous-acquéreur ; que, dans ses conclusions d’appel, la société Pmjc faisait valoir que si la marque « [W] [X] » n° 3201616 avait été déposée le 26 décembre 2002 par la société [W] [X] SA, alors dirigée par M. [W] [X], ce dernier avait cédé en 2004 l’ensemble des actions qu’il détenait au sein de la société [W] [X] SA, que l’article 2.1.11. de cet acte de cession prévoyait qu’il cédait à la société [W] [X] SA « toutes les marques déposées qui incluent ou font référence à son nom, en toute ou partie, ou qui sont ou ont été utilisées dans le cadre de la vente de produits conçus ou qui lui ont été associés d’une autre manière dans le cadre de la vente de ces produits, il ne conserve aucun intérêt dans aucune de ces marques enregistrées ou non, ni dans aucun droit de la propriété intellectuelle liée à la conception, à la fabrication, à la promotion ou à la vente de ces produits », que M. [W] [X] avait donc cédé à la société [W] [X] SA le droit d’exploiter son nom et avait personnellement garanti la faculté d’exploiter les marques incluant son nom en toute ou partie sans restriction ni réserve, et que la société Pmjc, cessionnaire des actifs de la société [W] de Castebajac SA bénéficie de cette garantie ; qu’en retenant qu’il n’était pas démontré que M. [W] [X] ait consenti à ce que l’usage de son nom patronymique soit cédé en même temps que les marques litigieuses, l’acte de cession du 3 février 2012 entre la société [W] [X] SA et la société Pmjc ne l’indiquant pas, pas plus que la convention de prestation de services conclue entre M. [W] [X] et la société Pmjc du 21 juillet 2011, sans répondre aux conclusions précitées de l’exposante faisant valoir que M. [W] [X] avait cédé le droit de faire usage de son nom dans une marque à la société [W] [X] SA et que la société Pmjc, cessionnaire des actifs de cette société, bénéficiait de la garantie due à celle-ci par M. [W] [X] sur ce qu’il lui avait ainsi cédé, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. La Cour de cassation juge que le cédant de droits portant sur une marque est tenu dans les termes de l’article 1628 du code civil et n’est, par conséquent, pas recevable en une action en déchéance de ces droits pour déceptivité acquise de cette marque, qui tend à l’éviction de l’acquéreur (Com., 31 janvier 2006, pourvoi n° 05-10.116, Bull. 2006, IV, n° 27).

11. Toutefois, la garantie au profit du cessionnaire cesse lorsque l’éviction est due à sa faute.

12. S’agissant du droit sur une marque, il est soumis, pour son maintien même, à diverses conditions d’usage. En particulier, la marque ne doit pas être exploitée dans des conditions de nature à tromper effectivement le public ou à créer un risque grave de tromperie (CJCE, 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola, C-87/97, point 41).

13. Au surplus, le cédant peut être le mieux, voire le seul, à même d’identifier l’existence d’une tromperie effective du public ou d’un risque grave d’une telle tromperie.

14. Il convient en conséquence de juger désormais qu’il est fait exception à la règle énoncée au paragraphe 10 lorsque l’action en déchéance pour déceptivité acquise d’une marque est fondée sur la survenance de faits fautifs postérieurs à la cession et imputables au cessionnaire.

15. L’arrêt relève qu’au soutien de sa demande de déchéance pour déceptivité, M. [W] [X] fait valoir que, depuis la fin de leur collaboration organisée par le protocole de prestation de services du 21 juillet 2011, la société Pmjc exploite les marques cédées de façon à laisser le public croire qu’il est l’auteur des créations sur lesquelles ces marques sont apposées.

16. Il en résulte que l’action formée par M. [W] [X] n’est pas irrecevable nonobstant la garantie d’éviction due à la société Pmjc, cessionnaire.
17. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée de ce chef.

Q/R juridiques soulevées :

Quels sont les arguments de la société Pmjc concernant la recevabilité des demandes de M. [W] [X] ?

La société Pmjc conteste la recevabilité des demandes de M. [W] [X] en invoquant plusieurs arguments juridiques. Tout d’abord, elle soutient que la garantie d’éviction, qui est un principe du droit français de la vente, ne peut pas être utilisée pour rendre irrecevable une demande qui repose sur le comportement fautif du cessionnaire des droits litigieux.

Elle affirme également que cette garantie se transmet au sous-acquéreur, ce qui n’aurait pas été pris en compte par la cour d’appel. Pmjc estime que M. [W] [X] avait cédé à la société [W] [X] SA le droit d’exploiter son nom et les marques associées, ce qui aurait dû bénéficier à Pmjc en tant que cessionnaire des actifs de la société [W] de Castebajac SA.

Enfin, Pmjc accuse la cour d’appel d’avoir violé plusieurs articles du code civil et de procédure civile dans son jugement, ce qui renforce sa position sur la recevabilité des demandes de M. [W] [X].

Quel est le contexte de la cession des marques litigieuses ?

La cession des marques litigieuses s’inscrit dans un contexte plus large de restructuration d’entreprise. La société [W] [X], fondée en 1978 par M. [W] [X], a connu des difficultés financières qui ont conduit à une procédure collective.

Dans ce cadre, la société Pmjc a présenté une offre de reprise de la totalité des actifs de [W] [X], qui a été acceptée par un jugement en septembre 2011. Cette reprise a été suivie d’un acte de cession d’actifs, incluant les marques « [W] [X] » n° 1640795 et « [W] [X] » n° 3201616.

M. [W] [X] a continué à collaborer avec Pmjc jusqu’à la fin de l’année 2015, mais a ensuite contesté l’utilisation de ces marques, arguant que Pmjc avait agi de manière à induire le public en erreur sur sa participation à la création des produits associés à ces marques.

Quelles sont les conséquences juridiques de la décision de la cour d’appel ?

La cour d’appel a décidé de prononcer la déchéance des droits de la société Pmjc sur les marques « [W] [X] » et « [W] [X] », en considérant que la société avait agi de manière à tromper le public sur l’implication de M. [W] [X] dans la conception des produits.

Cette décision repose sur l’idée que la garantie d’éviction ne s’applique pas lorsque l’éviction est causée par la faute du cessionnaire. En d’autres termes, même si Pmjc avait des droits sur les marques, ces droits peuvent être annulés si leur utilisation est jugée trompeuse.

La cour a également souligné que le droit de l’Union européenne ne s’oppose pas à une telle déchéance, renforçant ainsi la position de M. [W] [X]. Cette décision a des implications significatives pour la protection des droits de propriété intellectuelle et la responsabilité des cessionnaires dans l’utilisation des marques.

Quels sont les moyens de cassation invoqués par la société Pmjc ?

La société Pmjc a formulé plusieurs moyens de cassation pour contester l’arrêt de la cour d’appel. Le premier moyen soutient que la cour a violé les articles 1626 et 1628 du code civil en déclarant recevables les demandes de M. [W] [X] pour déchéance des droits sur les marques.

Elle argue que le manquement à la garantie d’éviction ne devrait pas constituer une irrecevabilité à agir. Le deuxième moyen renforce cette position en affirmant que la garantie d’éviction ne peut pas être opposée pour rendre irrecevable une demande fondée sur le comportement fautif du cessionnaire.

Le troisième et le quatrième moyens portent sur la question de la transmission de la garantie d’éviction au sous-acquéreur, en soulignant que M. [W] [X] avait cédé ses droits à la société [W] [X] SA, qui les a ensuite transférés à Pmjc. Pmjc soutient que la cour d’appel n’a pas correctement examiné ces éléments, ce qui constitue une violation des règles de procédure civile.


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