Diffamation et bonne foi dans l’audiovisuel

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Diffamation et bonne foi dans l’audiovisuel

L’Essentiel : La liberté d’expression, protégée par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme, ne peut être restreinte que dans des cas justifiés. Dans une affaire où un documentaire a suscité des doutes sur l’impartialité d’un juge, les propos tenus n’ont pas été considérés comme dépassant les limites de cette liberté. Cependant, la cour a conclu que les prévenus n’avaient pas fourni de base factuelle suffisante pour justifier leurs accusations, ce qui a conduit à leur condamnation pour diffamation. Ainsi, la cour a rejeté les pourvois, affirmant que les doutes exprimés n’étaient pas fondés.

La liberté d’expression, garantie par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme, ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de ce texte ; au regard de ces exigences, n’excèdent pas les limites de la liberté d’expression les propos d’une personne qui, ayant été auditionnée en qualité de témoin par un magistrat dans le cadre d’une affaire judiciaire médiatique dont la portée est telle qu’elle justifie un débat d’intérêt général, s’est bornée à exprimer les doutes qu’elle pouvait nourrir, au moment de cette audition, sur l’impartialité de ce juge, dès lors que ces doutes reposent sur une base factuelle suffisante.

En l’espèce, cette base factuelle était insuffisante.

Un documentaire intitulé « le juge Renaud un homme à abattre », a été diffusé sur France 3. Un protagoniste cité a porté plainte et s’est constitué partie civile du chef de diffamation publique envers une personne dépositaire de l’autorité publique, en raison des propos suivants tenus dans ce documentaire :

« Ensuite le juge [C] qui est celui qui va m’entendre en premier ; moi ce qui m’a beaucoup frappé et qui m’a mis très mal à l’aise, c’est qu’il est devenu candidat UMP, c’est-à-dire successeur des RPR et le RPR avait des racines qui plongeaient dans le SAC.

Alors je ne dis pas bien entendu que [C] était contaminé par ce virus mais au moins il mettait les apparences contre lui dans cette affaire ».

À l’issue de l’information judiciaire, le coscénariste et réalisateur du documentaire, ont été cités à comparaître devant le tribunal correctionnel du chef de complicité de l’infraction susvisée.

Il revenait en effet aux prévenus de justifier d’une base factuelle suffisante pour s’exonérer de leur responsabilité du chef de diffamation. Or, s’ils ont invoqué, au soutien de leur bonne foi, les lacunes de l’enquête et le fait que M. [C] avait ignoré des éléments qui auraient dû le conduire, en tant que juge d’instruction, à diligenter des investigations susceptibles de confirmer le caractère politique de l’assassinat, ils n’ont avancé aucun argument de nature à corroborer le fait que les convictions politiques de l’intéressé avaient pu, à l’époque, jeter le doute sur son impartialité.

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R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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Cour de cassation, Chambre criminelle, 8 juin 2021, 20-82.531, Inédit

Texte intégral

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° W 20-82.531 F-D N° 00698 8 JUIN 2021

REJET

M. SOULARD président,

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 8 JUIN 2021

M. [Z] [H] et M. [M] [L] ont formé des pourvois contre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, 8e chambre, en date du 10 mars 2020, qui dans la procédure suivie contre eux du chef de complicité de diffamation publique envers une personne dépositaire de l’autorité publique, a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de Mme de Lamarzelle, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de MM. [Z] [H], [M] [L], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [L] [C], partie civile, et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l’audience publique du 11 mai 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme de Lamarzelle, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Les 1er et 8 juillet 2015, un documentaire intitulé « le juge [N], un homme à abattre », a été diffusé sur France 3.

3. M. [L] [C] a porté plainte et s’est constitué partie civile du chef de diffamation publique envers une personne dépositaire de l’autorité publique, en raison des propos suivants tenus dans ce documentaire par M. [H] :

« Ensuite le juge [C] qui est celui qui va m’entendre en premier ; moi ce qui m’a beaucoup frappé et qui m’a mis très mal à l’aise, c’est qu’il est devenu candidat UMP, c’est-à-dire successeur des RPR et le RPR avait des racines qui plongeaient dans le SAC.

Alors je ne dis pas bien entendu que [C] était contaminé par ce virus mais au moins il mettait les apparences contre lui dans cette affaire ».

4. À l’issue de l’information, M. [H] et M. [L], coscénariste et réalisateur du documentaire, ont été cités à comparaître devant le tribunal correctionnel du chef de complicité de l’infraction susvisée.

5. Les premiers juges ont retenu le caractère diffamatoire de ces propos mais ont relaxé les prévenus sur le fondement de la bonne foi.

6. M. [C] a seul relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens et sur le troisième moyen pris en ses deuxième et troisième branches

7. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le troisième moyen pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a dit que les propos « ensuite le juge M. [C] qui est celui qui va m’entendre en premier ; moi ce qui m’a beaucoup frappé et m’a mis très mal à l’aise, c’est qu’il est devenu candidat UMP c’est-à-dire successeur des RPR et le RPR avait des racines qui plongeaient dans le SAC. Alors je ne dis pas bien entendu que M. [C] était contaminé par ce virus, mais au moins il mettait les apparences contre lui dans cette affaire » portent atteinte à l’honneur et à la considération de M. [C] et constituent une faute civile engageant la responsabilité de MM. [H] et [L], dès lors que les propos tenus reposent sur une base factuelle fausse et que la partie civile n’a pas été en mesure de présenter ses observations sur de tels propos antérieurement à leur diffusion publique, et d’avoir, en conséquence, condamné solidairement MM. [H] et [L] à payer à M. [C] la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts, outre 7 000 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale, alors :

« 1°/ que la liberté d’expression, garantie par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme, ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de ce texte ; qu’au regard de ces exigences, n’excèdent pas les limites de la liberté d’expression les propos d’une personne qui, ayant été auditionnée en qualité de témoin par un magistrat dans le cadre d’une affaire judiciaire médiatique dont la portée est telle qu’elle justifie un débat d’intérêt général, s’est bornée à exprimer les doutes qu’elle pouvait nourrir, au moment de cette audition, sur l’impartialité de ce juge, dès lors que ces doutes reposent sur une base factuelle suffisante ; qu’en l’espèce, pour refuser à M. [H] le bénéfice de la bonne foi, la cour d’appel a énoncé qu’en 1989, lorsqu’il a procédé à l’audition de M. [H], M. [C] n’était pas encore député, puisque ce n’est qu’en 2001 qu’il l’a été, de sorte qu’en prétendant que, lors de cette audition, cet engagement l’avait mis mal à l’aise et mettait les apparences contre M. [C], le demandeur ne pouvait légitimement croire en la véracité de ses allégations mettant en cause l’impartialité du juge d’instruction et qu’ainsi les propos litigieux reposaient sur une base factuelle fausse ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme le soutenait l’exposant dans ses conclusions d’appel, d’une part si – indépendamment de la date à laquelle M. [C] a entamé une carrière de député – ce dernier n’avait pas déjà, à la date de l’audition litigieuse, et à travers son activité au sein de l’APM, syndicat de magistrats créé en 1981 aux fins de contester la politique pénale conduite par le gouvernement socialiste de l’époque, abondamment exprimé et revendiqué, par de nombreuses interventions publiques, une orientation politique caractérisée par un soutien manifeste aux formations politiques dont les liens avec le Service d’action civique ont été établis, d’autre part si, à la date de cette audition, et en sa double qualité de magistrat et de député, M. [H] avait connaissance de cet engagement politique, exprimé à ce stade par le biais d’une action syndicale, de sorte que cette connaissance constituait une base factuelle suffisante sur laquelle reposait le propos litigieux visé à la prévention, relatif au souvenir du malaise ressenti par l’intéressé au moment de son audition 24 ans plus tôt, quant à la nature et à la portée de l’engagement politique du magistrat qui l’interrogeait, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme. »

Réponse de la Cour

9. Pour refuser aux prévenus le bénéfice de la bonne foi l’arrêt attaqué retient que M. [H] ne s’est pas contenté d’évoquer le sentiment éprouvé au moment de son audition par le juge, M. [C], mais que, sous couvert d’une forme de prudence dans l’expression, il a remis en cause l’objectivité apparente de l’intéressé au motif d’une appartenance politique qui pourtant n’existait pas au moment où il instruisait le dossier litigieux.

10. Les juges ajoutent que ce n’est que neuf ans après avoir clôturé le dossier de l’assassinat du juge [N] que M. [C] s’est engagé en politique.

11. Ils en déduisent que l’intéressé ne pouvait « mettre les apparences contre lui » au moment où il a instruit la procédure.

12. En l’état de ces seules énonciations, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir le grief visé au moyen.

13. Il revenait en effet aux prévenus de justifier d’une base factuelle suffisante pour s’exonérer de leur responsabilité du chef de diffamation.

14. En l’espèce, s’ils ont invoqué, au soutien de leur bonne foi, les lacunes de l’enquête et le fait que M. [C] avait ignoré des éléments qui auraient dû le conduire, en tant que juge d’instruction, à diligenter des investigations susceptibles de confirmer le caractère politique de l’assassinat, ils n’ont avancé aucun argument de nature à corroborer le fait que les convictions politiques de l’intéressé avaient pu, à l’époque, jeter le doute sur son impartialité.

15. Dès lors, le moyen doit être écarté.

16. Par ailleurs l’arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. [H] et M. [L] devront payer à M. [C] en application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit juin deux mille vingt et un

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la garantie de la liberté d’expression selon l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme ?

La liberté d’expression est un droit fondamental garanti par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme. Cet article stipule que toute personne a le droit à la liberté d’expression, ce qui inclut la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations et des idées sans ingérence d’autorités publiques.

Cependant, cette liberté n’est pas absolue. Elle peut être soumise à des restrictions, mais uniquement dans des cas spécifiques où ces restrictions sont considérées comme nécessaires. Ces mesures doivent être proportionnelles et justifiées par des raisons telles que la sécurité nationale, la protection de l’ordre public, la santé ou la morale, ou la protection des droits d’autrui.

En résumé, l’article 10 établit un équilibre entre la protection de la liberté d’expression et la nécessité de protéger d’autres intérêts légitimes.

Quels étaient les propos tenus dans le documentaire qui ont conduit à une plainte pour diffamation ?

Dans le documentaire intitulé « le juge Renaud un homme à abattre », diffusé sur France 3, un protagoniste a exprimé des doutes sur l’impartialité du juge [C]. Il a déclaré que le juge, qui allait l’entendre en premier, était devenu candidat UMP, ce qui, selon lui, était problématique en raison des racines politiques du RPR, dont le juge était un successeur.

Les propos précis incluaient une mention selon laquelle, bien que le protagoniste ne prétendait pas que le juge était « contaminé » par des influences politiques, il estimait que cela posait des problèmes d’apparence. Ces déclarations ont été interprétées comme remettant en question l’intégrité du juge, ce qui a conduit à une plainte pour diffamation publique envers une personne dépositaire de l’autorité publique.

Cette situation a soulevé des questions sur la frontière entre la liberté d’expression et la diffamation, surtout dans le contexte d’une affaire judiciaire médiatique.

Quelles étaient les conclusions de la cour d’appel concernant la bonne foi des prévenus ?

La cour d’appel a examiné la question de la bonne foi des prévenus, M. [H] et M. [L], qui avaient produit le documentaire. Bien qu’ils aient soutenu que leurs propos étaient basés sur des doutes légitimes concernant l’impartialité du juge [C], la cour a conclu qu’ils n’avaient pas fourni une base factuelle suffisante pour justifier leurs allégations.

La cour a noté que M. [H] ne s’était pas contenté d’exprimer un sentiment personnel, mais avait insinué que l’appartenance politique du juge compromettait son objectivité. De plus, la cour a souligné que le juge [C] n’avait pas encore été élu député au moment de l’audition, ce qui rendait les préoccupations exprimées par M. [H] infondées.

En conséquence, la cour a rejeté la demande de bonne foi des prévenus, affirmant qu’ils n’avaient pas démontré que leurs propos reposaient sur des faits véridiques ou pertinents, ce qui a conduit à leur condamnation pour diffamation.

Quels étaient les éléments factuels insuffisants dans la défense des prévenus ?

Les prévenus, M. [H] et M. [L], ont tenté de se défendre en invoquant des lacunes dans l’enquête et en affirmant que le juge [C] avait ignoré des éléments qui auraient pu justifier des investigations supplémentaires. Cependant, ils n’ont pas réussi à fournir des arguments concrets qui établiraient un lien entre les convictions politiques du juge et son impartialité au moment de l’affaire.

La cour a noté que, bien qu’ils aient mentionné des préoccupations concernant le caractère politique de l’assassinat en question, ils n’ont pas avancé de preuves tangibles pour soutenir l’idée que ces convictions politiques avaient pu influencer le jugement du juge [C]. En d’autres termes, leur défense manquait de fondement factuel suffisant pour prouver que le juge avait agi de manière partiale.

Cette absence de preuves a été déterminante dans la décision de la cour, qui a conclu que les prévenus n’avaient pas justifié leur responsabilité dans le chef de diffamation.

Quelle a été la décision finale de la Cour de cassation concernant les pourvois ?

La Cour de cassation a rejeté les pourvois formés par M. [H] et M. [L] contre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles. Dans sa décision, la Cour a confirmé que les juges d’appel avaient correctement évalué la situation et avaient justifié leur décision de ne pas accorder le bénéfice de la bonne foi aux prévenus.

La Cour a souligné que les prévenus n’avaient pas réussi à établir une base factuelle suffisante pour soutenir leurs allégations de malaise concernant l’impartialité du juge [C]. En conséquence, la Cour a maintenu la condamnation des prévenus pour diffamation publique envers une personne dépositaire de l’autorité publique.

De plus, la Cour a fixé le montant des dommages-intérêts que M. [H] et M. [L] devaient payer à M. [C] à 2 500 euros, en plus des frais de justice. Cette décision a été rendue le 8 juin 2021, marquant ainsi la fin de cette affaire judiciaire.


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