COMM.
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 décembre 2017
Rejet
Mme X…, président
Arrêt n° 1514 FS-P+B+R+I
Pourvoi n° B 15-19.726
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par la société Merck Sharp & Dohme Corp, anciennement dénommée Merck & Co INC, société de droit américain, dont le siège est […] ,
contre l’arrêt RG n° 10/23603 rendu le 30 janvier 2015 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l’opposant :
1°/ à la société Teva santé, société par actions simplifiée, dont le siège est […] ,
2°/ à la société Teva Pharmaceutical Industries LTD, dont le siège est […] ), société de droit israélien,
défenderesses à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 7 novembre 2017, où étaient présents : Mme X…, président, Mme Y…, conseiller rapporteur, Mme Riffault-Silk, conseiller doyen, Mme Laporte, M. Grass, Mmes Orsini, Poillot-Peruzzetto, MM. Sémériva, Cayrol, Mme Champalaune, conseillers, M. Z…, Mmes A…, E… , MM. B…, Guerlot, Mmes Brahic-Lambrey, de Cabarrus, conseillers référendaires, M. Richard de la Tour, premier avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Y…, conseiller, les observations de la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat de la société Merck Sharp & Dohme Corp, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Teva santé et Teva Pharmaceutical Industries LTD, l’avis de M. Richard de la Tour, premier avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 30 janvier 2015), que la société Merck & Co. Inc., devenue Merck Sharp & Dohme Corp., (la société Merck) est propriétaire du brevet européen EP 0 724 444 intitulé « Traitement de l’alopécie androgène par des inhibiteurs de la 5-alpha-réductase », déposé le 11 octobre 1994, sous priorité de deux demandes de brevets américains des 15 octobre 1993 et 17 mars 1994 ; que la société Teva Pharmaceutical Industries Ltd, de droit israélien, et sa filiale française, la société Teva santé, (les sociétés Teva) ont assigné la société Merck, sur le fondement des articles L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle et des articles 53, c, 54, 56 et 138 de la Convention de Munich sur le brevet européen (CBE), en annulation des revendications 1, 2 et 3 de la partie française de ce brevet, pour défaut de nouveauté et insuffisance de description, en ce qui concerne la revendication 1, et pour défaut d’activité inventive, en ce qui concerne les revendications 2 et 3 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Merck fait grief à l’arrêt de déclarer recevable l’action des sociétés Teva alors, selon le moyen, qu’un jugement de première instance, même frappé d’appel, qui annule un brevet d’invention a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée ; que compte tenu de l’effet absolu attaché à un tel jugement, l’autorité de chose jugée dont il est revêtu est opposable erga omnes et fait, en conséquence, obstacle à ce qu’un juge puisse statuer sur une demande d’un tiers tendant à l’annulation du même brevet, tant que ce jugement n’a pas été réformé ; qu’en l’espèce, saisi par les sociétés Actavis Group et Alfred E. C…, le tribunal de grande instance de Paris a, par jugement du 28 septembre 2010, prononcé l’annulation de la partie française du brevet européen n° 0 724 444 ; qu’en retenant que, nonobstant cette décision, qui a été ultérieurement confirmée par la cour d’appel de Paris, les sociétés Teva Santé et Teva Pharmaceutical Industries demeuraient recevables à contester, devant elle, la validité de ce brevet, la cour d’appel a violé les articles L. 613-27 du code de la propriété intellectuelle et 480 du code de procédure civile ;
Mais attendu que c’est à bon droit que la cour d’appel a énoncé que la décision annulant un brevet n’a un effet absolu, au sens de l’article L. 613-27 du code de la propriété intellectuelle, qu’une fois passée en force de chose jugée, et, qu’ayant relevé que le jugement rendu le 28 septembre 2010, qui avait, à la demande de sociétés tierces, annulé le brevet EP 0 724 444, était frappé d’appel, elle en a déduit que les sociétés Teva étaient recevables à poursuivre l’annulation du même brevet ; que le moyen n’est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société Merck fait grief à l’arrêt de prononcer la nullité des revendications 1, 2 et 3 de la partie française du brevet EP 0 724 444 dont elle est titulaire pour insuffisance de description alors, selon le moyen :
1°/ qu’une intention est suffisamment décrite lorsque l’homme du métier est en mesure, à la lecture de la description et grâce à ses connaissances professionnelles normales, théoriques et pratiques, d’exécuter l’invention ; qu’en l’espèce, la revendication 1 du brevet européen n° 0 724 444 porte sur l’ »utilisation de la finastéride pour la préparation d’un médicament pour l’administration orale, utile pour le traitement de l’alopécie androgénique sur une personne et dans laquelle la quantité d’administration est d’environ 0,05 à 1,0 mg » qu’en retenant que l’invention couverte par cette revendication et par les revendications dépendantes 2 et 3 serait insuffisamment décrite, sans constater que l’homme du métier n’aurait pas été en mesure, à la lecture du brevet et à l’aide de ses connaissances professionnelles, de préparer un tel médicament pour l’administration orale avec un dosage en finastéride compris entre 0,05 et 1,0 mg, la cour d’appel a violé les articles L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle et 138 de la convention de Munich sur le brevet européen ;
2°/ que l’appréciation du caractère suffisant de la description d’un brevet ne peut se confondre avec celle de sa nouveauté ou de son activité inventive; que pour apprécier si une invention revendiquant un dosage particulier est suffisamment décrite, il convient uniquement de rechercher si l’invention est exposée de manière suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter, et non de rechercher si le brevet décrit un « enseignement technique spécifique » par rapport à l’état antérieur de la technique ; qu’en l’espèce, il résulte des termes mêmes de la revendication 1 du brevet que le seul effet thérapeutique revendiqué de l’utilisation d’un dosage de finastéride compris entre 0,05 et 1,0 mg était son utilité pour le traitement de l’alopécie androgénique ; qu’en relevant, pour retenir que l’invention serait insuffisamment décrite, que la description ne permettrait pas de « comparer les effets du dosage revendiqué par rapport à l’état de la technique à une posologie supérieure de l’ordre de 5,0 mg », qu’elle ne décrirait pas les « propriétés pharmacologiques particulières [de la nouvelle application thérapeutique revendiquée] par rapport à l’état de la technique » et ne décrirait ainsi aucun « enseignement technique spécifique », quand il lui appartenait uniquement de rechercher si les informations fournies par la description étaient de nature à rendre plausible l’efficacité thérapeutique du dosage revendiqué sur le traitement de l’alopécie androgénique, la cour d’appel a violé les articles L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle et 138 de la convention de Munich sur le brevet européen ;
3°/ qu’il est interdit aux juges de dénaturer les documents de la cause ; qu’en l’espèce, il est indiqué, à la fin de la partie de la description relative à l’exemple 4, qu’ »en utilisant la méthodologie décrite ci-dessus, on peut montrer que l’administration de finastéride, à des posologies par jour par patient de l’ordre de par exemple 1 mg/jour ou 0,2 mg/jour, est utile dans le traitement de l’alopécie androgénique, et favorise la croissance des cheveux chez des patients souffrant de cet état » ; qu’en relevant que l’exemple 4 ne décrirait pas l’effet technique résultant de la diminution de la dose revendiquée, la cour d’appel a dénaturé le brevet européen n° 0 724 444 et a violé le principe susvisé ;
4°/ que pour qu’une revendication portant sur une utilisation thérapeutique soit considérée comme supportée par la description, il n’est pas nécessaire de démontrer cliniquement un effet thérapeutique ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a relevé que l’exemple 4 divulguait un protocole opératoire d’une durée de 12 mois pour détecter la croissance des cheveux en utilisant un appareil photographique, mais qu’il ne décrirait pas l’expérimentation ni l’effet technique résultant de la diminution de la dose revendiquée et qu’il ne constituerait pas un compte rendu d’un essai ; qu’en exigeant ainsi une démonstration clinique de l’effet thérapeutique produit par le dosage revendiqué, après avoir pourtant rappelé qu’il n’était pas nécessaire de démontrer cliniquement l’effet thérapeutique de l’invention, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle et 138 de la convention de Munich sur le brevet européen ;
5°/ que pour qu’une revendication portant sur une utilisation thérapeutique soit considérée comme supportée par la description, il n’est pas nécessaire de démontrer cliniquement un effet thérapeutique ; que l’invention est suffisamment décrite si les informations fournies par la description sont de nature à rendre plausible l’application thérapeutique revendiquée ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a relevé que l’exemple 4 divulguait un protocole opératoire d’une durée de 12 mois pour détecter la croissance des cheveux en utilisant un appareil photographique, mais qu’il ne décrirait pas l’expérimentation ni l’effet technique résultant de la diminution de la dose revendiquée et qu’il ne constituerait pas un compte rendu d’un essai ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le mode opératoire décrit par cet exemple 4 ne fournissait pas à l’homme du métier une procédure lui permettant de vérifier les effets du dosage revendiqué sur le traitement de l’alopécie androgénique et s’il ne rendait pas ainsi ces effets plausibles, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle et 138 de la convention de Munich sur le brevet européen ;
6°/ que pour qu’une revendication portant sur une utilisation thérapeutique soit considérée comme supportée par la description, il n’est pas nécessaire de démontrer cliniquement un effet thérapeutique ; qu’en relevant que l’exemple 5 ne précise pas les détails de l’expérimentation et le protocole appliqué et qu’il y serait uniquement constaté une réduction importante de la teneur en DHT dans le cuir chevelu et non une repousse des cheveux ou un arrêt de leur perte, la cour d’appel a, là encore, exigé une démonstration clinique de l’effet thérapeutique produit par le dosage revendiqué ; qu’en statuant ainsi, après avoir pourtant liminairement rappelé qu’il n’est pas nécessaire de démontrer cliniquement l’effet thérapeutique de l’invention, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle et 138 de la convention de Munich sur le brevet européen ;
7°/ que pour qu’une revendication portant sur une utilisation thérapeutique soit considérée comme supportée par la description, il n’est pas nécessaire de démontrer cliniquement un effet thérapeutique ; que l’invention est suffisamment décrite dès lors qu’il est démontré que le composé revendiqué a un effet direct sur un mécanisme métabolique impliqué de façon spécifique dans la maladie à traiter, ce mécanisme étant soit connu dans l’état de la technique antérieur, soit démontré dans le brevet lui-même, de telle sorte que l’application thérapeutique revendiquée apparaît plausible ; qu’en relevant que l’exemple 5 ne précise pas les détails de l’expérimentation et le protocole appliqué et qu’il y serait uniquement constaté une réduction importante de la teneur en DHT dans le cuir chevelu et non une repousse des cheveux ou un arrêt de leur perte, sans s’expliquer, comme elle y était invitée, sur le fait que la description du brevet indiquait, par ailleurs, que la DHT est le principal médiateur de l’activité androgène et que la diminution des niveaux de DHT dans le tissu cible d’intérêt évite ou diminue les symptômes de stimulation hyperandrogène dans ce tissu, y compris l’alopécie androgénique, et sans rechercher si l’étude mentionnée dans cet exemple 5 n’était pas ainsi de nature à montrer que le dosage revendiqué a un effet direct sur le mécanisme métabolique impliqué de façon spécifique dans l’alopécie androgénique, à savoir la DHT, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle et 138 de la convention de Munich sur le brevet européen ;
8°/ que le caractère suffisant de la description doit s’apprécier en se plaçant du point de vue de l’homme du métier à la date de priorité ; qu’en se fondant sur le contenu de la notice du produit « Propecia » commercialisé par la société Merck pour traiter l’alopécie androgénique, pour estimer que l’exemple 5 serait « sujet à caution », sans constater que l’homme du métier aurait eu connaissance de cette notice à la date de priorité revendiquée par le brevet, la cour d’appel s’est déterminée par un motif inopérant, en violation des articles L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle et 138 de la convention de Munich sur le brevet européen ;
9°/ que l’expérience décrite dans l’exemple 5 du brevet européen n° 0 724 444 montre uniquement une réduction importante de la teneur en DHT dans le tissu du cuir chevelu des participants à l’issue de six semaines de traitement et non une repousse des cheveux dans ce délai ; qu’en se bornant à relever, pour affirmer que l’essai mentionné dans l’exemple 5 serait « sujet à caution », que le résumé des caractéristiques du « Propecia » mentionnerait une efficacité pour la repousse des cheveux qui n’apparaît qu’après une période de trois à six mois, soit au minimum douze semaines, sans s’expliquer, comme elle y était invitée, sur le fait que la repousse des cheveux intervient nécessairement après la diminution des taux de DHT, la cour d’appel a entaché sa décision d’une insuffisance de motivation, en violation de l’article 55 du code de procédure civile ;
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