Cour de cassation, 6 février 2025, Pourvoi n° 23-12.274
Cour de cassation, 6 février 2025, Pourvoi n° 23-12.274

Type de juridiction : Cour de cassation

Juridiction : Cour de cassation

Thématique : Résiliation d’un bail rural : conditions et obligations des preneurs

Résumé

Contexte de l’affaire

Les faits de l’affaire se déroulent autour d’un bail rural à long terme accordé par des bailleurs à des copreneurs, qui ont ensuite mis les parcelles agricoles à la disposition d’une exploitation agricole à responsabilité limitée. Les copreneurs, qui sont les seuls associés de l’exploitation depuis 2013, se retrouvent au cœur d’un litige concernant la continuation du bail.

Demande de modification du bail

En décembre 2018, l’un des copreneurs a sollicité par écrit que le bail se poursuive uniquement à son nom, en précisant que l’autre copreneur souhaitait quitter l’exploitation. Cette demande a été contestée par les bailleurs, qui ont saisi un tribunal pour s’opposer à cette modification et demander la résiliation du bail pour cession prohibée.

Arguments des copreneurs

Les copreneurs ont contesté la décision de résiliation du bail, arguant que le fait de ne pas être associé à l’exploitation ne constituait pas une cession prohibée. Ils ont soutenu que l’un des copreneurs avait participé activement aux travaux de l’exploitation, ce qui devrait suffire à respecter les obligations du bail.

Réponse de la Cour

La Cour a examiné les dispositions du code rural et de la pêche maritime, précisant que toute cession de bail est interdite sauf si elle est consentie par le bailleur. Elle a également souligné que le preneur doit continuer à se consacrer à l’exploitation des biens loués de manière effective et permanente. La Cour a conclu que le manquement aux obligations des preneurs justifiait la résiliation du bail, sans qu’il soit nécessaire de prouver un préjudice pour les bailleurs.

Conclusion de la décision

La décision de la Cour a été fondée sur le fait que le copreneur non associé avait manqué à son obligation de se consacrer personnellement à la mise en valeur des parcelles. En statuant ainsi, la Cour a affirmé que le simple fait de ne pas être associé à l’exploitation suffisait à caractériser une cession prohibée, justifiant ainsi la résiliation du bail sans preuve de préjudice.

CIV. 3

FC

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 6 février 2025

Cassation partielle

Mme TEILLER, président

Arrêt n° 72 F-D

Pourvoi n° S 23-12.274

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 FÉVRIER 2025

1°/ M. [V] [G],

2°/ Mme [X] [P], épouse [G],

3°/ M. [O] [G],

tous trois domiciliés [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° S 23-12.274 contre l’arrêt rendu le 15 novembre 2022 par la cour d’appel d’Amiens (chambre baux ruraux), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [D] [K],

2°/ à Mme [C] [Z], épouse [K],

tous deux domiciliés [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Bosse-Platière, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [V] [G], Mme [P], épouse [G], et M. [O] [G], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. et Mme [K], après débats en l’audience publique du 7 janvier 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Bosse-Platière, conseiller rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Amiens, 15 novembre 2022), par acte du 5 janvier 1989, M. et Mme [K] ont donné à bail rural à long terme à M. [V] [G] et son épouse, Mme [P], ainsi qu’à M. [O] [G] (les copreneurs), des parcelles agricoles, que ces derniers ont mis à la disposition de l’exploitation agricole à responsabilité limitée du Rogneau (l’EARL) dont MM. [V] et [O] [G] sont les seuls associés depuis 2013.

2. Le 13 décembre 2018, [O] [G] a demandé par lettre aux bailleurs que le bail se poursuive à son seul nom, indiquant que M. [V] [G] souhaitait quitter l’EARL.

3. Le 21 février 2019, M. et Mme [K] ont saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en opposition à la poursuite du bail au seul nom de M. [O] [G] et en résiliation du bail pour cession prohibée.

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 411-31, II, 1° et 3°, L. 411-35 et L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime :

5. Selon le deuxième de ces textes, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l’agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d’un pacte civil de solidarité du preneur participant à l’exploitation ou aux descendants du preneur.

6. Selon le dernier, le preneur associé d’une société à objet principalement agricole peut mettre à la disposition de celle-ci, pour une durée qui ne peut excéder celle pendant laquelle il reste titulaire du bail, tout ou partie des biens dont il est locataire, sans que cette opération puisse donner lieu à l’attribution de parts. Il doit, à peine de résiliation, continuer à se consacrer à l’exploitation du bien loué mis à disposition, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l’importance de l’exploitation.

7. Selon le premier, le bailleur peut demander la résiliation du bail s’il justifie soit d’une contravention aux dispositions de l’article L. 411-35, soit, si elle est de nature à porter préjudice au bailleur, d’une contravention aux obligations dont le preneur est tenu en application de l’article L. 411-37.

8. Il est jugé que le preneur ou, en cas de cotitularité, tous les preneurs, qui, après avoir mis le bien loué à la disposition d’une société, ne participent plus aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l’importance de l’exploitation, abandonnent la jouissance du bien loué à cette société, procèdent ainsi à une cession prohibée du droit au bail à son profit et qu’il en résulte que, dans ce cas, le bailleur peut solliciter la résiliation du bail sur le fondement de l’article L. 411-31, II, 1°, du code rural et de la pêche maritime, sans être tenu de démontrer un préjudice (3e Civ., 12 octobre 2023, pourvoi n° 21-20.212, publié).

9. Il est également jugé que le preneur ou, en cas de cotitularité, l’un ou les copreneurs, qui mettent les biens loués à la disposition d’une société dont ils ne sont pas associés mais qui continuent à se consacrer à l’exploitation de ceux-ci, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, n’abandonnent pas la jouissance du bien loué à cette société et ne procèdent donc pas à une cession prohibée du bail, ce dont il résulte que, dans ce cas, le bailleur ne peut solliciter la résiliation du bail que sur le fondement de l’article L. 411-31, II, 3°, du code rural et de la pêche maritime et est donc tenu de démontrer que le manquement est de nature à lui porter préjudice (3e Civ., 26 septembre 2024, pourvoi n° 23-12.967, publié).

10. Pour prononcer la résiliation du bail pour cession prohibée, l’arrêt retient que la faculté de mettre les biens loués à la disposition d’une société à objet principalement agricole, impose, en cas de pluralité de preneurs, que ceux-ci en soient tous associés, qu’à défaut le preneur non associé manque à son obligation de se consacrer personnellement à la mise en valeur de ces biens et procède à une cession prohibée, la circonstance que l’autre preneur soit effectivement associé étant sans incidence du fait du caractère indivisible du bail rural, et que, dès lors, Mme [P] n’étant pas associée de l’EARL, alors qu’elle était copreneuse, ce seul manquement justifie la résiliation du bail sans que les bailleurs n’aient à justifier d’un préjudice.

11. En statuant ainsi, alors que le seul fait que Mme [P], copreneuse, ne soit pas associée de l’EARL au profit de laquelle les terres louées étaient mises à disposition ne suffisait pas à caractériser une cession illicite et que le manquement caractérisé, tenant à la contravention, par les preneurs, aux dispositions de l’article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime, nécessitait, pour prononcer la résiliation du bail, que soit établie l’existence d’un préjudice subi par le bailleur, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

 


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