Type de juridiction : Cour de cassation
Juridiction : Cour de cassation
Thématique : Conflit de propriété et prescription : enjeux d’une occupation contestée
→ RésuméL’établissement public foncier et d’aménagement de la Guyane (EPFAG) a acquis une parcelle en 2018. Les consorts [E], propriétaires d’une parcelle voisine, ont revendiqué la propriété par prescription, affirmant avoir occupé le terrain depuis les années 1950. En réponse, l’EPFAG a demandé leur expulsion, soutenant qu’ils étaient des locataires précaires depuis 1970. La cour d’appel a constaté la prescription en faveur des consorts, mais l’EPFAG a contesté cette décision, arguant que la possession des consorts était fondée sur un bail, ce qui, selon l’article 2266 du code civil, exclurait la possibilité de prescription.
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CIV. 3
CL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 novembre 2024
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 647 F-D
Pourvoi n° J 23-20.363
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 NOVEMBRE 2024
L’établissement public foncier et d’aménagement de la Guyane, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 23-20.363 contre l’arrêt rendu le 26 juin 2023 par la cour d’appel de Cayenne (chambre civile), dans le litige l’opposant :
1°/ à Mme [V] [E], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à Mme [A] [E], domiciliée [Adresse 8],
3°/ à Mme [P] [E], domiciliée [Adresse 3],
4°/ à Mme [T] [E], épouse [O], domiciliée [Adresse 9],
5°/ à M. [M] [E], domicilié [Adresse 4],
6°/ à M. [S] [E], domicilié [Adresse 8],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Choquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l’établissement public foncier et d’aménagement de la Guyane, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mmes [V], [A], [P], et [T] [E], et de MM. [M] et [S] [E], après débats en l’audience publique du 22 octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Choquet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Cayenne, 26 juin 2023), par acte du 25 octobre 2018, l’établissement public foncier et d’aménagement de la Guyane (l’EPFAG) a acquis de la collectivité territoriale de Guyane une parcelle cadastrée section AN n° [Cadastre 5].
2. Soutenant l’avoir acquise par prescription acquisitive, Mmes [V], [A], [P] et [T] [E] et MM. [M] et [S] [E] (les consorts [E]), propriétaires de la parcelle contiguë cadastrée section AN n° [Cadastre 6], ont assigné l’EPFAG en revendication de propriété. A titre reconventionnel, l’EPFAG a demandé leur expulsion.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
3. L’EPFAG fait grief à l’arrêt de constater la prescription acquisitive de la parcelle cadastrée section AN n° [Cadastre 5] au bénéfice des consorts [E] et de rejeter ses demandes, alors « que le locataire qui détient précairement le bien ne peut le prescrire ; que dans ses conclusions d’appel, l’EPFAG faisait valoir que « les consorts [E] reconnaissent qu’une location de la parcelle AN [Cadastre 5] a été officialisée en 1970 (pièce n° 5) » ; que la pièce n° 5 produite par l’EPFAG était un courrier du 27 janvier 2019 dans lequel les consorts [E] indiquaient que « Mme [U] [F] exploitait ce terrain connu comme AN [Cadastre 7], lot 88, la location a été officialisée en 1970, terrain départemental » ; qu’en retenant que « la parcelle AN [Cadastre 5] cadastrée antérieurement 110 88 AN [Cadastre 7] a été occupée par Madame [F] [U], grand-mère des appelants dès les années 1950, à titre de propriétaire, ainsi que par sa fille Madame [Z] [I], laquelle a entretenu ce terrain à titre de propriétaire dès les années 1970 » et qu’ « il en résulte qu’une possession à titre de propriétaire a été exercée de façon continue, paisible et non équivoque depuis bien avant 1989, soit depuis plus de 30 années par Madame [U] [F], sa fille [Z] [I] et les enfants de cette dernière, qui en sont les héritiers », sans rechercher, comme il lui était demandé, si Mme [U] [F] et ses prétendus héritiers n’occupaient pas le terrain comme locataires à titre précaire, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 2266 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. Les consorts [E] contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu’il est nouveau et mélangé de fait et de droit, et contraire aux conclusions d’appel de l’EPFAG.
5. Cependant, l’EPFAG soutenait, dans ses conclusions d’appel, que les consorts [E], qui reconnaissaient qu’une location de la parcelle cadastrée section AN n° [Cadastre 5] avait été officialisée en 1970, devaient être considérés comme de simples locataires à titre gracieux de cette parcelle, insusceptibles comme tels de l’avoir acquise par prescription trentenaire.
6. Le moyen n’est donc ni nouveau ni contraire et est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l’article 2266 du code civil :
7. Aux termes de ce texte, ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps de temps que ce soit. Ainsi, le locataire, le dépositaire, l’usufruitier et tous autres qui détiennent précairement le bien ou le droit du propriétaire ne peuvent le prescrire.
8. Pour constater que les consorts [E] ont acquis, par prescription, la propriété de la parcelle cadastrée section AN n° [Cadastre 5] et rejeter les demandes de l’EPFAG, l’arrêt retient qu’il ressort de l’ensemble des pièces produites que les consorts [E], et avant eux [Z] [I] et [U] [F], leurs mère et grand-mère, ont possédé à titre de propriétaires la parcelle cadastrée section AN n° [Cadastre 5] depuis les années 1950, de façon continue, paisible et non équivoque, soit depuis plus de trente années.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si [U] [F] n’avait pas possédé cette parcelle en vertu d’un bail et si cette possession comme celle, par suite, exercée par [Z] [I] puis par les consorts [E], n’excluait pas le bénéfice de la prescription acquisitive trentenaire, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
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