Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Liker peut justifier un licenciement
→ RésuméL’employeur d’un journaliste peut justifier un licenciement si ce dernier viole son obligation de neutralité, notamment en « likant » des publications controversées. Dans cette affaire, le journaliste a soutenu des groupes Facebook aux messages antisémites et a tenu des propos injurieux sur les réseaux sociaux. Ces actions ont été jugées comme un abus de sa liberté d’expression, rendant impossible la poursuite de son contrat de travail. La cour a confirmé que la violation répétée de son obligation de neutralité justifiait un licenciement pour faute grave, malgré les arguments du salarié sur sa liberté d’expression.
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L’employeur d’un journaliste est en droit de licencier ce dernier qui « like » et prend des positions violant son obligation de neutralité, En l’occurrence, le journaliste avait ‘liké’ les publications d’un groupe Facebook dénommé ‘Combattons la Shoah en Palestine’ dont la photo de profil représente le drapeau israélien orné d’une croix gammée (symbole des nazis).
Plus particulièrement, l’une de ces publications représente l’ombre de dix hommes vêtus d’un uniforme militaire et marchant en faisant le salut nazi sur un code barre similaire au numéro d’identification tatoué sur les juifs durant la seconde guerre mondiale. Dans le même registre, le journaliste a commenté une publication de JSS News traitant de l’amitié entre musulmans et juifs dans les termes suivants : ‘Qu’ils aillent se faire enculer à sec.’ Le salarié avait également ‘liké’ une publication souhaitant la mort de Kim Kardashian après que celle-ci ait fait part de son soutien au peuple israëlien.
Il résulte de ces publications publiques que le salarié intervenait de manière tranchée dans des discussions publiques sur les réseaux sociaux sur des sujets d’actualité controversés et incitait les internautes à participer à des manifestations.
Le salarié a soutenu en vain que l’employeur ne pouvait lui en faire le reproche, sauf à méconnaître sa liberté d’expression. Sauf abus, le salarié jouit dans l’entreprise et en-dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées. Un abus est caractérisé lorsque les propos reprochés sont excessifs, diffamatoires ou injurieux.
En l’espèce, les commentaires publics retenus sont excessifs et injurieux et donc constitutifs d’un abus, par le salarié, de sa liberté d’expression. Le grief d’une atteinte à la liberté fondamentale d’expression n’est pas fondé.
Pour rappel, lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une demande pour faire valoir ses droits.
La juridiction a retenu que la violation répétée par le salarié de son obligation de neutralité rendait impossible la poursuite du contrat de travail et justifiait son licenciement pour faute grave
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRET DU 14 AVRIL 2021
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/08219 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B57XT
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juin 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° 14/13849
APPELANT
Monsieur Z X
Représenté par Me Antoine COMTE, avocat au barreau de PARIS, toque : A0638
INTIMEES
Société ASSOCIATED PRESS TELEVISION NEWS LTD
the […]
7DZ LONDRES – ROYAUME-UNI
Représentée par Me Marine GICQUEL, avocat au barreau de PARIS, toque : R235
Etablissement ASSOCIATED PRESS TELEVISION NEWS LTD
162 rue du Faubourg Saint-Honoré
[…]
Représentée par Me Marine GICQUEL, avocat au barreau de PARIS, toque : R235
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Février 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Françoise SALOMON, présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre
Mme Graziella HAUDUIN, présidente de chambre
Mme Valérie BLANCHET, conseillère
Greffier : Mme Anouk ESTAVIANNE, lors des débats
ARRÊT :
— contradictoire
— mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
— signé par Madame Françoise SALOMON, présidente et par Madame Anouk ESTAVIANNE, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat du 15 juillet 2011, la société Associated Press Television News a engagé M. X en qualité de journaliste vidéo, statut cadre. La société emploie dix salariés et applique la convention collective nationale des journalistes du 2 février 1988.
Convoqué le 21 juillet 2014 à un entretien préalable fixé au 30 juin et reporté à la demande du salarié au 13 août, avec mise à pied conservatoire, le salarié a été licencié pour faute grave le 21 août 2014.
Soutenant que son licenciement serait nul et estimant ne pas être rempli de ses droits, il a saisi la juridiction prud’homale le 31 octobre 2014.
Par jugement du 8 juin 2018, le conseil de prud’hommes de Paris a condamné l’employeur au paiement des sommes suivantes :
— 1 759,33 euros de rappel de salaire pendant la mise à pied et 175,93 euros au titre des congés payés afférents,
— 9 090 euros d’indemnité compensatrice de préavis,
— 13 635 euros d’indemnité de licenciement,
— 30 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement nul,
— 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
et a débouté le salarié du surplus de ses demandes.
Le salarié a interjeté appel de cette décision le 29 juin 2018.
Dans ses dernières conclusions transmises le 18 mars 2019 par voie électronique, l’appelant demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit son licenciement nul pour avoir été prononcé en violation d’une atteinte à une liberté d’expression et, en conséquence :
— à titre principal :
— ordonner sa réintégration dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent, et ce, dans le mois à compter de la décision à intervenir,
— au-delà de ce délai, condamner la société intimée au paiement d’une astreinte de 100 euros par jour de retard et se réserver la liquidation de l’astreinte,
— condamner l’intimée au paiement d’une somme correspondant aux salaires qu’il aurait dû percevoir si son contrat de travail avait normalement perduré, soit 251 490 euros,
— à titre subsidiaire, si la réintégration était matériellement impossible :
— confirmer le jugement en ce qu’il a condamné l’intimée au paiement de 1 759,35 euros de rappel de salaire pendant la mise à pied et 175,93 euros au titre des congés payés afférents, 9 090 euros d’indemnité compensatrice de préavis et 13 635 euros d’indemnité de licenciement,
— l’infirmer sur le quantum des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et les porter à 100 000 euros,
— pour le surplus, infirmer le jugement et, statuant à nouveau, condamner l’intimée au paiement des sommes de :
— 100 000 euros de dommages-intérêts résultant du préjudice distinct de la perte brutale de son emploi et de l’attitude de l’intimée,
— 5 000 euros de dommages-intérêts pour atteinte disproportionnée et déloyale à sa vie privée,
— 91 543,365 euros au titre des heures supplémentaires pour la période du 1er juillet 2011 au 1er juillet 2014 et 9 154,3365 euros au titre des congés payés afférents,
— 39 779,85 euros de dommages-intérêts au titre du repos compensateur pour cette période,
— 27 270 euros d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
— infirmer le jugement en ce qu’il a alloué une somme de 2 000 euros au titre des frais de justice et, statuant à nouveau, condamner l’intimée au paiement de 4 000 euros à ce titre, ainsi qu’aux dépens.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 25 janvier 2021, l’intimée sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il a jugé le licenciement nul et l’a en conséquence condamnée au paiement de dommages-intérêts à ce titre et des indemnités de rupture, de le confirmer pour le surplus et, statuant à nouveau et y ajoutant, de :
— déclarer irrecevable la demande de réintégration de l’appelant,
— l’en débouter,
— subsidiairement, limiter les rappels de salaire liés à la réintégration à la période postérieure à la première demande de réintégration, soit entre le 21 septembre 2018 et la date de la réintégration,
— débouter l’appelant de toutes ses demandes et le condamner à lui verser 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 26 janvier 2021 et l’affaire a été fixée au 11 février.
MOTIFS
Sur la rupture du contrat de travail
Le salarié soutient que l’employeur a entendu sanctionner des faits relevant de sa vie privée qui ne constituent pas, selon lui, un manquement à une obligation professionnelle et n’ont pas porté atteinte à la réputation de la société, et dont la preuve a été obtenue en violation de son droit à la vie privée. Il affirme que la sanction prononcée constitue une violation de sa liberté d’expression, justifiant la nullité de son licenciement. Enfin, il allègue que le licenciement aurait été prononcé en représaille à une discussion avec l’inspecteur du travail.
L’employeur conteste toute immixtion dans la vie privée du salarié, les publications litigieuses apparaissant sur les pages publiques de groupes de discussion et non sur le seul profil du salarié. Il rappelle que la liberté d’expression n’est pas absolue et conteste tout lien entre la conversation du salarié lors de la visite d’un inspecteur du travail et son licenciement. S’agisssant du bien-fondé de la rupture, il soutient que le salarié a violé l’obligation de neutralité qui lui incombait et qu’un lien pouvait être fait entre le salarié et la société, laquelle délivre aux chaînes de télévision et aux sites internet une information neutre et impartiale, qui est ensuite traitée et adaptée par les journaux de presse et les chaînes de télévision.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
L’employeur qui invoque la faute grave doit en rapporter la preuve.
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée comme suit :
‘Comme expliqué lors de cet entretien, à la fin du mois de juin, nous avons été informés et avons pris connaissance des nombreux commentaires, publications et ‘J’aime’ (‘Like’), que vous publiez/mettiez en ligne sur votre compte Facebook, sous le nom de Soso Vitalic ou Soco Irouni, publications extrêmement violentes et choquantes et ne pouvant en aucun cas être considérées comme relevant ou s’appartenant à un quelconque droit à la liberté d’expression.
En effet, vous avez ‘liké’ des publications d’un groupe Facebook dénommé ‘Combattons la Shoah en Palestine’ dont la photo de profil représente le drapeau israélien orné d’une croix gammée (symbole des nazis).
Plus particulièrement, l’une de ces publications que vous avez ‘liké’ représente l’ombre de dix hommes vêtus d’un uniforme militaire et marchant en faisant le salut nazi sur un code barre similaire au numéro d’identification tatoué sur les juifs durant la seconde guerre mondiale.
Dans le même registre, vous avez commenté une publication de JSS News traitant de l’amitié entre musulmans et juifs dans les termes suivants : ‘Qu’ils aillent se faire e… A sec.’
Vous avez ensuite ‘liké’ une publication souhaitant la mort de Kim Kardashian après que celle-ci ait fait part de son soutien au peuple israëlien.
Vous avez ‘liké’ un groupe Facebook dénommé ‘1.000.000 de j’aime contre Israel » publiant des photos de personnes utilisant le drapeau israélien comme tapis de bain.
Vous avez clairement exprimé votre désir de voir Israël disparaître, commentant une information publiée par France TV Info à propos de l’intervention militaire de Tsahal comme suit : ‘Ils interviennent ça va partir en c… internationalement. Et tant mieux, on n’entendra plus parler d’Israhell une bonne fois pour toutes!’
Enfin, et sans que cette liste soit exhaustive, le 11 juillet 2014, alors que vous étiez chargé de couvrir une marche pro-palestinienne dans les rues de Paris pour le compte de la société, vous avez posté un commentaire sur Facebook incitant plus de personnes à participer à la manifestation, tentant ainsi d’influer sur l’actualité, d’en modifier la réalité et d’altérer le cours normal des évènements.
Lors de votre entretien préalable, vous n’avez en aucun cas contesté être l’auteur de ces publications, arguant seulement que le fait de ‘liker’ une page ne signifiait pas que vous adhériez à son contenu et que vos ‘like’ avaient uniquement pour but de faciliter une discussion. Cette tentative de justification est des plus faible et légère eu égard à la virulence de vos publications et ne saurait en aucun cas justifier de telles publications qui excèdent indiscutablement la liberté d’expression dont jouit tout salarié et/ou individu et constituent une véritable provocation à la haine raciale, infraction pénalement sanctionnée.
En tout état de cause, en postant de tels commentaires, vous avez violé de façon manifeste votre devoir de neutralité, inhérent à vos fonctions de journaliste au sein d’APTN et porté atteinte à la réputation et l’activité de notre société.
En effet, bien que vous ne vous présentiez pas sur votre compte Facebook sous votre vrai nom, l’établissement d’un lien direct entre Soso Vitalic/Soso Irouni et APTN est des plus simple dès lors que :
— Vos vrais nom et prénoms apparaissent sur votre profil Facebook, lié à ce compte ;
— Vous avez non seulement publiquement écrit dans vos commentaires que vous étiez un journaliste travaillant pour la plus grande agence de presse du monde, ce qui est exactement la façon dont se présente AP elle-même, mais vous avez également publié une photographie sur Facebook sur laquelle vous apparaissez au milieu d’autres salariés et de dirigeants d’APTN, ce qui ne laisse subsister aucun doute, s’il en existait, sur la relation de travail existant entre Soso Vitalic/Soso Irouni et APTN.
Lors de votre entretien préalable, vous n’avez pas contesté cette réalité et avez même admis avoir posté la photographie des salariés et dirigeants d’APTN, toujours accessible publiquement sur Facebook, vous montrant entouré des membres d’APTN, ainsi que vous êtes identifié vous-même dessus, afin que vos amis puissent la voir et vous identifier.
Ceci est d’ailleurs d’autant plus manifeste qu’à la suite d’une de vos publications, un utilisateur de Facebook a même fait part de son étonnement du fait que l’agence de presse qui vous emploie puisse vous laisser publier de tels commentaires, démontrant par là-même que vos commentaires donnent l’impression qu’APTN les a cautionnés, ce qui n’est pas le cas.
Outre leur contenu pour le moins scandaleux, le lien entre vos publications et APTN porte gravement atteinte à la réputation d’APTN et, en conséquence, à son activité, dans la mesure où notre société est une agence de presse dont le but et l’activité sont de fournir des informations neutres, impartiales et objectives (contrairement aux journaux de presse ou aux chaînes d’information) auxquelles chacun doit être en mesure de se fier en toute confiance. Nos clients comptent sur nous pour montrer les évènements tels qu’ils sont vraiment et non tels que nos salariés tentent de les faire apparaître. Dire la vérité est crucial pour notre activité.
Par conséquent, le fait d’avoir des journalistes travaillant pour APTN violant leur obligation de neutralité est incompatible avec la nature même de l’activité de notre société et constitue une violation grave de votre contrat de tavail, dès lors que :
— En tant que journaliste, vous devez vous conformer à un devoir de neutralité ;
— Les règles relatives à l’utilisation des media sociaux d’Associated Press prévoient expressément que ‘les salariés doivent être conscients du fait que les opinions qu’ils expriment peuvent nuire à la réputation d’AP en tant que source d’information impartiale. Les salariés doivent s’abstenir de faire part de leurs opinions sur les problématiques publiques polémiques dans tout forum public et ne doivent pas prendre part aux actions organisées en soutien à des causes ou des mouvements’.
De plus, conformément à l’article 10 de votre contrat de travail, il est strictement interdit de consulter et de faire circuler des données à caractère choquant ou inapproprié, de télécharger des fichiers ou des logiciels à caractère non professionnel, de se connecter à des forums de discussion ou d’utiliser des ‘chats’.
En prenant part à des discussions Facebook sur le conflit entre Israël et la Palestine, en soutenant et en faisant circuler des publications choquantes et inappropriées, vous avez donc délibérément violé vos obligations contractuelles.
Le même article 10 précise également que vous devez ‘agir au mieux des intérêts de la société’. En manquant à votre devoir de neutralité, vous n’avez pas agi au mieux des intérêts de la Société et avez donc d’autant violé vos obligations contractuelles.
Ainsi, vos publications sur Facebook non seulement excèdent par leur contenu la liberté d’expression dont jouit tout salarié et constituent une violation manifeste de votre devoir de neutralité en tant que journaliste d’APTN, mais portent également gravement atteinte à l’image et aux activités d’APTN, ainsi qu’à son fonctionnement interne, chacun de nos journalistes devant être assuré du respect par ses collègues de leur devoir de neutralité, sous peine de compromettre leur propre travail et d’impacter négativement le fonctionnement de la Société.
Les faits ci-dessus sont parfaitement inacceptables et rendent strictement impossible la poursuite de votre contrat de travail, ce même durant la durée de votre préavis…’.
Il résulte des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production en justice d’éléments extraits du compte privé Facebook d’un salarié portant atteinte à sa vie privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionné au but poursuivi.
Au cas d’espèce, la production d’éléments portant atteinte à la vie privée du salarié était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à assurer l’impartialité des informations délivrées. Dès lors, ces éléments sont recevables.
Un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier un licenciement disciplinaire s’il constitue un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail.
Aux termes de l’article 10 de son contrat de travail, le salarié s’est engagé à exercer ses fonctions avec loyauté et dans le respect des lois applicables, des procédures, règlements internes à la société et au groupe. Le document intitulé ‘Lignes de conduite des réseaux sociaux pour les employés AP’, que le salarié ne conteste pas avoir reçu, rappelle ‘notre valeur fondamentale, celle que les membres d’AP ne devraient pas exprimer des opinions personnelles sur des problématiques controversées d’actualité’ et précise que ‘les membres de la rédaction d’AP doivent être avertis que les opinions qu’ils expriment peuvent endommager la réputation d’AP en tant que source d’information impartiale. Les membres de la rédaction d’AP doivent se retenir d’exprimer leur perception d’un débat public controversé sur un forum public, et ne doivent pas prendre part à des actions organisées en support d’une cause ou d’un mouvement’.
Il en résulte que le salarié était soumis à une obligation de neutralité et ne devait pas s’exprimer publiquement sur certaines questions d’actualité. Cette interdiction ne s’étend en revanche pas aux commentaires privés du salarié, lesquels relèvent de sa vie privée et ne peuvent être sanctionnés.
En l’occurrence, les captures d’écran produites par l’employeur démontrent que certaines des publications litigieuses sont extraites de groupes publics suivis par plusieurs milliers d’abonnés ou de pages Facebook, qui sont par nature publiques puisqu’accessibles à tous les utilisateurs Facebook, la configuration ‘privée’ du compte Facebook de l’intéressé étant dès lors indifférente. Tel est le cas des pièces n°5, 6, 7, 8, 9, 12 et 20 de l’employeur.
La nature publique des autres pages ou groupes Facebook ne résulte d’aucun élément, notamment procès-verbal de constat d’huissier, du dossier, l’employeur se bornant à verser aux débats des conversations partagées par un nombre restreint d’internautes, sans mettre la cour en mesure d’en déterminer le caractère public ou privé. Elles ne peuvent dès lors justifier le prononcé d’une sanction disciplinaire.
Les pièces n°5 et 7 de l’employeur sont des captures d’écran qui ne comportent pas de commentaire du salarié traduisant un manquement à son obligation de neutralité. L’employeur produit une photocopie de mauvaise qualité d’une page du site ‘Combattons la Shoah en Palestine’ dont la dernière ligne est illisible (pièce n°8).
En revanche, l’intéressé, sous son pseudonyme Soso Vitalic, lequel peut facilement être rattaché à son identité réelle et donc à son employeur par l’intermédiaire de son profil Facebook, a ‘liké’ ou ‘aimé’ les pages suivantes :
— ’Israël Etat terroriste’ (pièce n°6), page qui comporte deux photographies, l’une d’une étoile jaune avec la mention ‘juif’ et l’autre d’un jeune le poing levé, avec les mentions ‘Un antisémite’ pour la 1re et ‘Un antisioniste’ pour la seconde,
— la pièce n°9 est une page Facebook qui reprend une publication JSS News, intitulée ‘Jérusalem : une bagarre contre la normalisation avec Alger et Téhéran’ et comporte le commentaire suivant du salarié : ‘Qu’ils aillent se faire e… A sec’,
— la pièce n°12 est une page publique qui comprend un lien vers une vidéo ‘Israël-Palestine : vers une intervention terrestre de Tsahal’ sous laquelle le salarié a apposé le commentaire suivant ‘Ils interviennent ça va partir en c… internationalement. Et tant mieux, on entendra plus parler d’israhell une bonne fois pour toutes!’,
— enfin, la pièce n°20 est une page Facebook ainsi rédigée : ‘Soso Vitalic – Urgence GAZA : Rassemblements dans plusieurs villes de France
Manifestation au métro Invalides en ce moment…
venez nombreux!’.
Il résulte de ces publications publiques que le salarié intervenait de manière tranchée dans des discussions publiques sur les réseaux sociaux sur des sujets d’actualité controversés et incitait les internautes à participer à des manifestations.
Le salarié soutient que l’employeur ne peut lui en faire le reproche, sauf à méconnaître sa liberté d’expression.
Sauf abus, le salarié jouit dans l’entreprise et en-dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au
but recherché peuvent être apportées. Un abus est caractérisé lorsque les propos reprochés sont excessifs, diffamatoires ou injurieux.
En l’espèce, les commentaires publics retenus par la cour sont excessifs et injurieux et donc constitutifs d’un abus, par le salarié, de sa liberté d’expression. Le grief d’une atteinte à la liberté fondamentale d’expression n’est pas fondé.
Lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une demande pour faire valoir ses droits.
Au cas d’espèce, le salarié ne produit aucun élément démontrant un lien entre la conversation qu’il a eue avec l’inspecteur du travail le 20 juin 2014 et le licenciement prononcé.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour le déboute de sa demande de nullité et retient que la violation répétée par le salarié de son obligation de neutralité rendait impossible la poursuite du contrat de travail et justifiait son licenciement pour faute grave, par infirmation du jugement.
Sur la demande de dommages-intérêts en raison des circonstances de la rupture
Le salarié justifiant, en raison des circonstances vexatoires ou brutales de la rupture, d’un préjudice distinct de celui résultant de la perte de l’emploi, peut prétendre à des dommages-intérêts.
En l’occurrence, le salarié ne justifiant pas du caractère brutal ou vexatoire de la rupture de son contrat de travail, l’employeur ayant notamment accédé à sa demande de report d’entretien préalable et pouvant sans faute prononcer une mise à pied à titre conservatoire dans l’attente de sa décision sur la sanction, la cour confirme le jugement en ce qu’il a rejeté cette demande.
Sur la demande de dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée
Selon l’article 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée. La seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation.
La cour condamne l’employeur au paiement de 500 euros de dommages-intérêts à ce titre, par infirmation du jugement.
Sur la demande d’heures supplémentaires
Conformément à l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments.
Au soutien de sa demande, le salarié verse aux débats une description d’une journée type, une ‘liste non exhaustive des heures supplémentaires relatives aux évènements importants’, une liste des reportages qu’il a réalisés pour le compte de l’employeur et deux attestations.
Si le relevé des reportages réalisés sans autre indication n’apparaît pas pertinent, il produit toutefois des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre. Ce dernier relève le caractère imprécis de l’attestation de M. Y de la Mauvinière et justifie des jours de récupération alloués au salarié après une période de travail intense (couverture des élections présidentielles, G 20….). Il verse également aux débats des mails du salarié démontrant qu’il s’absentait régulièrement pour des rendez-vous médicaux ou personnels.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour retient que le salarié a accompli des heures supplémentaires, dans une moindre mesure toutefois qu’allégué, et lui alloue la somme de 7 000 euros à ce titre, outre 700 euros au titre des congés payés afférents, par infirmation du jugement. Compte tenu du volume d’heures supplémentaires retenu, la cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande au titre du repos compensateur.
Sur la demande d’indemnité pour travail dissimulé
Conformément à l’article L.8221-5 du code du travail dans sa rédaction applicable en la cause, est constitutif de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour l’employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.
Le salarié ne démontre pas que l’employeur se serait volontairement soustrait à cette obligation.
La cour confirme le jugement en ce qu’il a rejeté cette demande.
Sur les autres demandes
Il convient de rappeler que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception, par l’employeur, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter du jugement.
Il n’apparaît pas inéquitable de laisser chacune des parties supporter ses frais irrépétibles d’appel.
L’employeur, qui succombe partiellement, supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement en ce qu’il a débouté M. X de ses demandes de dommages-intérêts en raison des circonstances entourant la rupture, au titre du repos compensateur et d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et en ce qu’il a condamné la société Associated Press Television News à payer à M. X la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
L’infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Condamne la société Associated Press Television News à payer à M. X les sommes de :
— 500 euros de dommages-intérêts pour atteinte à sa vie privée ;
— 7 000 euros au titre des heures supplémentaires ;
— 700 euros au titre des congés payés afférents ;
Déboute M. X du surplus de ses demandes ;
Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception, par la société Associated Press Television News, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter du jugement ;
Dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
Condamne la société Associated Press Television News aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
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