Contrefaçon de brevet : quel préjudice ?

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En dépit des principes généraux fixés par le Code de la propriété intellectuelle, l’indemnisation du préjudice en matière de contrefaçon de brevet tient compte des spécificités de chaque cas et est basée sur un mode de calcul des dommages-intérêts tendant à rencontrer ces spécificités.

L’article L. 615-7 du code de la propriété intellectuelle

L’article L. 615-7 du code de la propriété intellectuelle dispose que :

« Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon ;

Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire.

Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. »

Évaluation du préjudice : la jurisprudence Liffers

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004, dont l’article L. 615-7 assure la transposition en droit français, vise à atteindre un niveau élevé de protection des droits de propriété intellectuelle, qui tient compte des spécificités de chaque cas et est basé sur un mode de calcul des dommages-intérêts tendant à rencontrer ces spécificités (CJUE, 17 mars 2016, Liffers, C-99/15, point 24), dont le choix relève de la partie lésée.

Il est en outre acquis que le préjudice doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties (Cass. Com. 8 juin 2017 15-21.357).

La juridiction doit prendre en considération la demande d’indemnisation fondée sur l’un des critères d’évaluation prévu par l’article L. 615-7 du code de la propriété intellectuelle, dont le choix relève de la partie lésée (Cass. Com. 23 janvier 2019 17-14.673 et 16-28.322).

Le manque à gagner n’est cité qu’à titre d’exemple des conséquences économiques négatives prises en considération pour l’appréciation du préjudice réellement subi par la partie lésée. La perte de redevances peut être prise en compte sans basculer sur l’alternative reposant sur la réparation forfaitaire (Cass. Com. 6 décembre 2016 15-16.304).

Contrefaçon de brevet : le chiffre d’affaires réalisé

En l’espèce, le procédé contrefaisant est mis en oeuvre dans les programmes de la société Bien’ici comprenant l’option de visualisation interactive des lots par étage de sorte que cette dernière ne peut être suivie quand elle demande à ce que seuls les deux programmes ayant fait l’objet de la saisie contrefaçon soient pris en compte au titre de la masse contrefaisante, et ce d’autant que la société Bien’ici conteste les estimations de masse contrefaisante sans fournir ses chiffres de vente.

A partir des déclarations de la société Habitéo sur son site internet relatives aux programmes vendus et à la progression de son chiffre d’affaires, il convient d’estimer à 2 000 le nombre de programmes vendus de 2012 à 2022.

Compte tenu de la mise en avant de la prestation de la vue par étage dans les Pack Essentiel et le Pack Premium, mais en prenant également en compte le fait que cette solution n’est pas proposée dans le « pack light » et que la société Habitéo a aussi une activité de modélisation de projets tertiaire ou de projets individuels qui ne requièrent pas de vue par étage, l’estimation de 30% des programmes vendus comprenant le procédé contrefaisant a été retenue, soit une masse contrefaisante de 600 programmes.

La cour constate qu’il résulte des captures d’écran du site selogerneuf produites pour les années 2019 et 2021 par la société Bien’ici et non contredites par une autre pièce de la société Arka Ouest, que le marché de la promotion immobilière en 3 D est morcelé, comprenant plus d’une quinzaine d’acteurs, et que la société Habitéo dispose d’une part de marché selon les années de 25 à 12%, et la société Arka Ouest de 7 à 3.3 %.

En prenant en compte ainsi le nombre élevé de concurrents sur le marché et le fait que la société Arka Ouest détient une part de marché représentant moins de 30% de celle de la société Bien’ici, il convient de retenir un taux de report de 25%.

Le prix moyen de 8 000 euros, qui n’est pas contesté, sera retenu, pondéré à hauteur de 50 % au titre de la part contributive de l’invention, laquelle se déduit à la fois de la différence de prix entre le « Pack essentiel » qui comprend l’option « vue par étage », et le « Pack Light » qui ne la comprend pas, et de ce que d’autres prestations telles que la modélisation 3D sont également mises en avant auprès des acheteurs. Le taux de marge de 13% justifié et non utilement contredit par la société Bien’ici a été retenu.

Il s’ensuit que la perte de gain peut être évaluée à 78 000 euros selon le calcul suivant 600 x 25% x 8 000 x 50% x 13%.

La société Arka Ouest est fondée à solliciter, au titre du préjudice commercial résultant de la contrefaçon, les pertes de redevances sur les ventes, qui n’ont pas été reportées et qui n’ont donc pas été prises en compte au titre du gain manqué, et qui auraient dû faire l’objet d’une licence.

Elle ne peut en revanche pas être suivie lorsqu’elle propose un taux de 7,5 % basé sur une étude de l’association LES, ce taux moyen entre un taux minimum affiché de 0,3% et un taux maximum de 40% étant peu significatif, outre qu’il concerne le secteur internet sans autre précision, et ce sur une période déjà ancienne de la fin des années 80 à l’année 2000, le secteur de l’internet s’étant beaucoup transformé depuis.

L’usage d’un taux de 25% du profit attendu par le licencié, qui est invoqué par la société Bien’ici et qui est au demeurant rappelé dans l’article relatant l’étude susvisée de l’association LES « Use Of The 25 Per Cent Rule In Valuing IP », sera appliqué à partir d’une pondération de 50% de la part contributive de l’invention ainsi que du taux de marge affiché connu de 13 % et, sera doublé compte tenu du caractère indemnitaire de ce taux, de sorte qu’un taux de 8% sera retenu.

Il s’ensuit que la perte de redevance peut être évaluée à 144 000 euros selon le calcul suivant 600 x 75% x 50% x 8 000 x 8%.

La cour dispose ainsi des éléments lui permettant de fixer à 220 000 euros les dommages intérêts définitifs dus en réparation du préjudice commercial résultant de la contrefaçon, sans qu’il y ait lieu de faire droit à la demande d’information complémentaire, et à la demande de renvoi, sollicitée par la société Arka Ouest.

Ces faits de contrefaçon, ayant donné lieu à une longue procédure, parsemée d’incidents et de propos très conflictuels dans les écritures, ont nécessairement causé un préjudice moral à la société Arka Ouest, qui sera réparé par l’allocation d’une somme de 10 000 euros.

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