Contrefaçon de Brevet : décision du 4 décembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/10992

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Contrefaçon de Brevet : décision du 4 décembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/10992

Copies exécutoires République française

délivrées aux parties le : Au nom du peuple français

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 4

ORDONNANCE DU 04 DECEMBRE 2023

(n° , 5 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/10992 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CD3IZ

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 07 Mai 2021 TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS – RG n° 16/9680

Nature de la décision : contradictoire

NOUS, Olivier TELL,président de chambre, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assisté de Sonia DAIRAIN, Greffière.

Statuant sur le recours formé par :

DEMANDEUR

Monsieur [G] [S]

RTD Consulting

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Patrick DUCHASSAING DE FONTBRESSIN de la SELEURL FONTBRESSIN AVOCAT SELARL, avocat au barreau de PARIS, toque : D1305

substitué à l’audience par Me DZIUMAK

contre

DEFENDEURS

SAS ACEP TRYLIVE

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Nicolas GODEFROY de l’AARPI GODIN ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R259

et par Me Bruno CARBONNIER de la SCP LE STANC, CARBONNIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, subsitué par Me Anta MOREAU

S.A. FITTINGBOX

agissant poursuites et diligences de son représentant légal

domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

et par Me Gwendal BARBAUT de la SELEURL IPSIDE AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : E1489

Et après avoir appelé les parties lors des débats de l’audience publique du 02 Octobre 2023 :

EXPOSÉ DU LITIGE

La société FITTINGBOX a par acte d’huissier du 9 juin 2016, fait assigner la société ACEP TRYLIVE devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de son brevet FR 2 955 409.

Par ordonnance du 24 mai 2018, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris a désigné M. [S] [G] en qualité d’expert en logiciels notamment pour rechercher, parmi les documents, pièces et fichiers saisis le 11 mai 2016 dans les locaux de la société ACEP TRYLIVE, et notamment le code source du logiciel ‘Trylive’ exploité par ladite société et les documentations et spécifications techniques du code-source, ceux qui présentent une utilité pour rapporter la preuve de la contrefaçon du brevet FR 2 955 409 dont la société FITTINGBOX est titulaire.

L’expert a déposé son rapport de clôture le 14 avril 2021.

Par une ordonnance du 07 mai 2021, le juge taxateur du tribunal judiciaire de Paris a :

– fixé la rémunération de l’expert, M. [G] [S], à la somme de 10328,03 euros TTC ;

– autorisé l’expert à se faire remettre par la régie d’avance et de recettes jusqu’à due concurrence la ou les sommes consignées ;

– dit que le surplus des sommes consignées, lesquelles excèdent le montant de la rémunération de l’expert, soit la somme de 4671,97 euros, sera restituée à SA FITTINGBOX.

L’expert a formé le 31 mai 2021 un recours contre cette ordonnance de taxe en application de l’article 724 du code de procédure civile.

A l’audience du 2 octobre 2023, l’expert M. [G] [S], dans ses écritures déposées et reprises à l’oral à cette audience, vu l’article 284 du code de procédure civile et l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, demande au délégué du premier président de :

– infirmer l’ordonnance déférée du 7 mai 2021 ;

– taxer sa rémunération en tant qu’expert à la somme de 14446,52 euros conformément à la lettre de recours du 31 mai 2021.

L’expert soutient principalement qu’il a accompli de nombreuses diligences non contestées, nonobstant le fait que les parties aient trouvé ultérieurement un accord qu’elles ne sauraient alléguer pour se soutraire à la rémunération demandée.

Il soutient encore que le juge taxateur a violé les dispositions de l’article 284 du code de procédure civile en omettant d’inviter l’expert à formuler ses observations quand à une éventuelle diminution de sa rémunération. Ainsi, il expose que l’ordonnance de taxe serait intervenue sur la base d’observations des parties qui auraient été formulées par messages RPVA non reçus par l’expert et dont il n’est en aucune manière justifié par les parties.

A l’audience du 2 octobre 2023, la société FITTINGBOX, dans ses écritures déposées et reprises à l’oral à cette audience, au visa de l’article 282 du code de procédure civile, demande au délégué du premier président de :

– rejeter les demandes, fins et conclusions de M. [G] [S],

– confirmer l’ordonnance de taxe du 7 mai 2021,

– condamner M. [G] [S] à lui VERSER la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et le condamner aux dépens.

La société FITTINGBOX expose qu’au cours de l’expertise, les parties sont parvenues à un accord transactionnel qui a été signé en mars 2021 aux termes duquel elles sont convenues de se désister des procédures en cours et de mettre fin à l’expertise, ce qu’elles ont manifesté auprès du juge en charge du contrôle des expertises. Elle ajoute que le juge a ainsi demandé à l’expert de clôturer ses opérations en l’état, sans qu’il n’émette un avis même provisoire et de rendre compte uniquement des opérations menées à l’exclusion de toute démarche analytique.

La société FITTINGBOX précise que le rapport remis par l’expert ne contient aucune analyse de fond et relate le travail accompli par l’expert au cours des opérations. Il est donc affirmé que l’expertise n’ayant pas été menée à son terme, il n’est pas justifié que la société FITTINGBOX supporte la totalité du coût de l’expertise tel qu’il avait été provisionné et consigné par celle-ci exclusivement, alors que la deuxième consignation de 5000 euros, suite à une première consignation de 10000 euros, toutes deux versées par la société FITTINGBOX, a été effectuée avant que les parties n’engagent des discussions transactionnelles et que cette provision complémentaire visait à permettre à l’expert d’aller jusqu’au bout de sa mission incluant un travail analytique et inquisitoire et la rédaction d’un rapport d’expertise complet.

Sur l’application des dispositions de l’article 284 du code de procédure civile, la société FITTINGBOX soutient principalement qu’il ressortirait du message adressé à l’expert par le juge taxateur le 1er avril 2021 qu’il a été respecté.

A l’audience du 2 octobre 2023, la société ACEP TRYLIVE, intimée présente à l’audience, dans ses écritures déposées et reprises à l’oral à cette audience, au visa de l’article 282 du code de procédure civile, demande au délégué du premier président de :

– rejeter les demandes, fins et conclusions de M. [G] [S],

– confirmer l’ordonnance de taxe déférée du 7 mai 2021,

– condamner M. [G] [S] à lui verser la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Elle soutient principalement que, dès lors que les parties sont parvenues à un accord amiable à leur litige avant que la phase analytique de la matérialité de la contrefaçon ne soit confiée à l’expert, ce dernier a seulement restitué le déroulement de l’expertise et résumé les positions exprimées par les parties, sans émettre d’avis sur le fond, son recours contre l’ordonnance de taxe devra être rejeté.

MOTIFS :

Sur la violation alléguée du respect du principe du contradictoire :

Selon les termes de l’article 284 du code de procédure civile, lorsque le juge envisage de fixer la rémunération de l’expert à un montant inférieur au montant demandé, il doit au préalable inviter l’expert à formuler ses observations.

En l’espèce, l’expert a fait parvenir au juge taxateur une demande de rémunération selon décompte au dossier d’un montant de 14 446,52 euros au titre d’une fin de mission au 1er avril 2021.

La lettre adressée par le juge taxateur à l’expert versée au dossier en date du 1 er avril 2021, dont se prévalent les sociétés FITTINGBOX et ACEP TRYLIVE pour conclure au rejet du moyen, ne mentionne pas expressément que le juge envisage de fixer la rémunération de l’expert à un montant inférieur au montant demandé, comme exigé par l’article 284 du code de procédure civile précité, dès lors que cette lettre invite l’expert à lui faire parvenir un décompte précis de ses diligences dans les meilleurs délais, et en tout cas avant le 15 avril 2021.

Il suit que l’ordonnance a méconnu le principe du contradictoire énoncé à l’article 284, alinéa 3, du code de procédure civile et sera infirmée de ce seul chef.

Sur la rémunération de l’expert :

Selon l’article 284, alinéa 1er, du code de procédure civile : le juge fixe la rémunération de l’expert en fonction notamment des diligences accomplies, du respect des délais impartis et de la qualité du travail fourni.

Les juges du fond doivent se prononcer sur la fixation de la rémunération de l’expert judiciaire en tenant compte de l’importance du travail effectivement et personnellement accompli par ce dernier, ainsi que de la qualité du travail fourni.

Selon l’article 724 du code de procédure civile, les décisions mentionnées aux articles 255, 262 et 284, émanant d’un magistrat, d’une juridiction de première instance ou de la cour d’appel, peuvent être frappées de recours devant le premier président de la cour d’appel dans les conditions prévues aux articles 714 (alinéa 2) et 715 à 718. Si la décision émane du premier président de la cour d’appel, elle peut être modifiée dans les mêmes conditions par celui-ci. Le délai court, à l’égard de chacune des parties, du jour de la notification qui lui est faite par le technicien.

Le recours et le délai pour l’exercer ne sont pas suspensifs d’exécution. Le recours doit, à peine d’irrecevabilité être dirigé contre toutes les parties et contre le technicien s’il n’est pas formé par celui-ci.

Le premier président, motivant sa décision au regard des diligences accomplies et de la qualité du travail fourni par l’expert judiciaire, fixe la rémunération due à ce dernier à la somme qu’il retient.

Il sera en premier lieu rappelé que l’expert n’a pas rendu un rapport complet tel que demandé par la mission d’expertise fixée dans l’ordonnance du 24 mai 2018 du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris. En effet, par lettre du 1er avril 2021, le juge en charge de l’expertise avait écrit à l’expert afin de lui demander de déposer son rapport ‘en l’état compte tenu de la signature d’un protocole d’accord entre les parties’. Il était par suite demandé à l’expert de se limiter aux éléments factuels qu’il avait pu réunir et de n’intégrer aucune analyse du code source.

S’agissant des diligences accomplies et de la qualité du travail fourni par l’expert, le délégué du premier président, après avoir pris connaissance du rapport de clotûre des opérations d’expertise de M. [G] [S] (18 pages) et du décompte detaillé du 1er avril 2021de ses débours et facturations horaires, décide de reprendre comme suit le décompte retenu par l’ordonnance de taxe du 7 mai 2021 rendue par le tribunal judiciaire de Paris, y ajoutant sur les motifs, selon lequel :

– les frais facturés à hauteur de 310 euros au titre du temps consacré à la communication avec la juridiction qu’il l’a désigné, inhérents au suivi de sa mission, n’ont pas lieu d’être facturés aux parties (60 euros et 8 fois 31,25 euros pour courriers juge) ;

– les frais facturés au titre des ‘investigations’ (1000 euros), non détaillés, alors que comme indiqué précédemment, du fait de l’accord intervenu entre les parties, la mission d’expertise n’a pas comporté un tel travail d’analyse, l’expert ayant pu s’appuyer sur les travaux des conseillers en propriété intellectuelle ; en outre, dans son rapport, partie 6.2 intitulée Analyse du code source, des documentations et des spécifications technique, l’expert indique à plusieurs reprises au regard de chaque étape, que ‘l’expert n’a pas pu donner son avis sur ce point’ ou encore page 18 in fine sous étape 570, ‘l’expert n’a pas pu trancher la question’ et alors que les développements afférents aux différentes ‘étapes’ du rapport sont constituées essentiellement des observations des parties ; et alors qu’au point 7 de son rapport, en page 18, l’expert conclut que ‘ Ce document est un rapport des clotûres des opérations d’expertise de cette affaire, les parties ayant conclu un protocole d’accord transactionnel. Il se limite à une synthèse des éléments factuels réunis par l’expert et ne livre aucune analyse. Il est transmis aux conseils des parties, ainsi qu’au juge chargé du contrôle des expertises.’

– les frais facturés au titre de l’envoi de mails aux parties pour la somme de 625 euros, dont il n’est pas justifié et qui font doublon avec les frais facturés au titre des ‘notes aux parties’ pour un montant de 1058 euros ;

– les frais facturés au titre de l’acquisition de clés USB dont il n’est pas établi qu’elles aient été remises aux parties ;

– les frais administratifs pour la somme de 480 euros, dont il n’est pas justifié ;

– les frais de rédaction du rapport de clôture qui seront limités à la somme de 1000 euros (soit 8 heures de travail sur la base de 120 euros de l’heure) dans la mesure où, comme souligné précédemment, la mission confiée à l’expert en raison d’un accord entre les parties, ne comporte pas de travail d’analyse et alors que le rapport apparaît dès lors comme étant purement descriptif des diligences accomplies, du contenu des scellés et des positions respectives des parties.

Par suite, il convient de réduire la rémunération sollicitée à hauteur de la somme de 8606,69 euros HT, soit un total de 10.328,03 euros.

L’équité commande de rejeter la demande de la société FITTINGBOX formée en application des dispositions de l’article 700 du code de procedure civile.

En outre, l’équité commande de rejeter la demande de la société ACEP TRYLIVE formée en application des dispositions de l’article 700 du code de procedure civile.

Enfin, il convient de partager la charge des dépens entre les parties, dès lors qu’elles succombent toutes pour partie en leurs prétentions respectives.

PAR CES MOTIFS

INFIRMONS l’ordonnance déférée du 7 mai 2021 ;

Statuant à nouveau,

FIXONS le montant de la rémunération de l’expert M. [G] [S] à la somme de 10.328,03 euros ;

AUTORISONS l’expert à se faire remettre par le régisseur du tribunal judiciaire de PARIS le montant des sommes consignées à concurrence de la somme de 10.328,03 euros ;

DISONS que le surplus des sommes consignées, lesquelles excèdent le montant de la rémunération, soit la somme de 4.671,97 euros, sera restitué à la SA FITTINGBOX,

REJETONS les demandes des sociétés FITTINGBOX et ACEP TRYLIVE formées en application des dispositions de l’article 700 code de procédure civile,

PARTAGEONS les dépens de l’instance entre les parties,

REJETONS toute autre demande,

ORDONNANCE rendue par Monsieur Olivier TELL, président de chambre, assisté de Mme Sonia DAIRAIN, greffière lors de la mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

La Greffière, Le Président.

 


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