L’Essentiel : Le réalisateur d’un film-documentaire, en tant qu’auteur, bénéficie d’une présomption de salariat. Selon l’Annexe 1 de la convention collective nationale de la production audiovisuelle, il est lié à l’employeur par un contrat de travail, devant être signé dans les 48 heures suivant le début de son exécution. Le paiement de son salaire ne peut dépendre de l’acceptation du programme par un tiers. La société de production doit prouver que le réalisateur a travaillé en autonomie, ce qu’elle ne parvient pas à démontrer, renforçant ainsi la présomption de salariat en faveur du réalisateur.
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Le réalisateur qui participe à la réalisation du film-documentaire, tout en ayant été l’auteur bénéficie d’une présomption de salariat. A ce titre, il est aussi en droit de bénéficier de la présomption conventionnelle de salariat résultant de l’article 1er de l’Annexe 1 de la convention collective nationale de la production audiovisuelle, complétée par son article 2 qui dispose que le réalisateur d’un programme audiovisuel est lié à l’employeur par un contrat de travail, qui doit être signé au plus tard dans les 48 heures qui suivent le débat de son exécution. L’article 2 de l’Annexe 1 précise en outre que le paiement du salaire du réalisateur ne peut être subordonné à l’acceptation du programme audiovisuel par un tiers. Compte tenu de cette présomption de contrat de travail, il appartient à la société de production de rapporter la preuve contraire, en démontrant que le réalisateur a accompli sa prestation de travail en complète autonomie. Or la société ne verse aux débats aucune pièce contraire à celles produites par le réalisateur, les pièces démontrant que ce dernier a participé à la réalisation matérielle du documentaire dans le cadre défini par la société, ne réalisant les séquences de tournage qu’après acceptation des conditions. Les seuls éléments invoqués, résultant de l’absence de formation et d’expérience de réalisateur, sont insuffisants pour combattre la présomption, dès lors que l’accomplissement de la prestation de travail est effective, et qu’elle n’a pas été suivie du paiement d’une rémunération par suite du non-respect des engagements pris par la société, le défaut de paiement étant l’objet de la procédure engagée devant le conseil de prud’hommes. _________________________________________________________________________________ RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS COUR D’APPEL DE PARIS Pôle 6–Chambre 2 ARRÊT DU 09 SEPTEMBRE 2021 Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/07664–N° Portalis 35L7-V-B7E-CCUZX Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Octobre 2020 -Conseil de Prud’hommes–Formation paritaire de PARIS–RG n° F18/09128 APPELANTE S.A.S. LUCYOL PRODUCTIONS […] […] Représentée par Me Christophe MEYNIEL, avocat au barreau de PARIS, toque : B440 INTIME Monsieur Z Y […] 91140 Villebon-sur-Yvette Représenté par Me Audrey LEGUAY, avocate au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC218 COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 84 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 Juin 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Mariella LUXARDO, Présidente, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Mariella LUXARDO, présidente François LEPLAT, président Natacha PINOY, conseillère Greffière lors des débats : Mme Alicia CAILLIAU ARRET : —Contradictoire —par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile. —signé par Mariella LUXARDO, Présidente et par Alicia CAILLIAU, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. EXPOSÉ DU LITIGE La société Lucyol Productions, créée le 1er avril 2017 par deux anciens journalistes de la chaîne I-Télé, MM. B et X, exerce une activité de production et d’édition d’oeuvres audiovisuelles. Elle est en sommeil depuis un exercice déficitaire clos le 30 juin 2019. En juin 2017, M. Y, ancien journaliste, a proposé à M. B de réaliser un documentaire consacré à la dernière saison de trois joueurs de football en fin de carrière. Le 11 avril 2018, la société Lucyol productions a adressé à M. Y un projet de contrat de co-auteur prévoyant une rémunération forfaitaire de 1.500 euros. Après échanges de courriels aux fins de revendiquer la double qualité d’auteur et de réalisateur salarié, M. Y a signé le contrat de co-auteur le 19 juillet 2018. Le 5 octobre 2018, la société Lucyol productions lui a adressé une attestation employeur destinée à Pôle Emploi, un solde de tout compte, et un certificat de travail. Le 3 décembre 2018, M. Y a saisi le conseil de prud’hommes de Paris aux fins de voir reconnaître sa qualité de salarié et obtenir le paiement de salaires et indemnités en découlant. Par jugement rendu le 08 octobre 2020, le conseil de prud’hommes de Paris s’est déclaré compétent et a renvoyé les parties au fond dans l’attente de l’expiration de la voie de recours. Le 11 novembre 2020, la société Lucyol productions a interjeté appel de la décision. PRÉTENTIONS DES PARTIES Vu les conclusions transmises le 1er juin 2021 par lesquelles la société Lucyol productions demande à la cour : Vu les articles 83 et suivants du code de procédure civile, Vu les articles 920 et suivants du code de procédure civile, Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau : A titre principal : Déclarer la juridiction prud’homale incompétente au profit du Tribunal judiciaire de Paris; Condamner M. Y à payer à la société Lucyol Productions la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile; Condamner M. Y aux dépens; A titre subsidiaire : Renvoyer le dossier devant le conseil de prud’hommes de Paris afin qu’il statue au fond; Réserver les dépens. A titre plus subsidiaire : Inviter les parties à constituer avocat et fixer un calendrier de procédure; Réserver les dépens. Vu les conclusions transmises le 1er avril 2021 par lesquelles M. Y demande à la cour de : Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris en date du 8 octobre 2020; Déclarer la juridiction prud’homale matériellement compétente pour trancher du litige; En conséquence, à titre principal : Evoquer l’ensemble de l’affaire et statuer sur le tout en application des dispositions de l’article 88 du code de procédure civile; Juger que M. Y a bénéficié d’un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de co-réalisateur, statut cadre, de juin 2017 à juillet 2018, en plus de son contrat d’auteur; Fixer la rémunération moyenne mensuelle du salarié à 1071,42 euros bruts; Juger que l’employeur a procédé au licenciement de fait de M. Y au mois de juillet 2018; Condamner en conséquence la société Lucyol Productions à verser à M. Y les sommes suivantes : * 15.000 euros à titre de rappel de salaire de juin 2017 à juillet 2018; * 1.500 euros à titre de congés payés afférents au rappel de salaire; * 8.000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale de la relation de travail; * 6.428,52 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé; * 1.071,42 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis; * 267,85 euros à titre d’indemnité légale de licenciement; * 3.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse; * 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile; * Intérêts légaux; * Entiers dépens; Ordonner la remise à M. Y par la société Lucyol Productions des bulletins de paie, du certificat de travail et de l’attestation Pôle Emploi conformes à la décision à intervenir, et ce sous astreinte de 10 euros par jour de retard et par document à compter d’un mois suivant la notification de la décision à intervenir; A titre subsidiaire : Renvoyer la présente affaire devant le conseil de prud’hommes de Paris; Condamner la société Lucyol Productions aux entiers dépens, ainsi qu’à verser à M. Y la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Vu l’article 455 du code de procédure civile; MOTIFS DE LA DÉCISION Sur la qualification de la relation contractuelle A l’appui de son appel, la société Lucyol Productions fait valoir que M. Y était co-auteur du documentaire, avec les deux producteurs MM. B et X, qui avaient également la qualité de réalisateurs, dès lors qu’il n’a pas participé à la réalisation matérielle du documentaire, qu’il n’a ni la formation ni l’expérience d’un réalisateur, et qu’il ne remplit pas les conditions définies à l’annexe 1 de la convention collective nationale de la production audiovisuelle; que M. Y ne peut pas bénéficier de la présomption légale de salariat de l’article L.7121-3 du code du travail qui suppose la production d’un artiste du spectacle et le versement à cette fin d’une rémunération, ces conditions n’étant pas réunies; qu’en qualité de co-auteur du documentaire, il a servi d’interface entre les intervenants-joueurs-clubs, et la société Lucyol Productions, dont il constituait le contact privilégié du fait de sa connaissance du milieu du football; que la remise des documents sociaux résulte d’une simple erreur, non créatrice de droit. En réplique, M. Y soutient qu’il a cumulé les fonctions de co-réalisateur et de co-auteur pour lesquelles seules ont été versées les sommes de 1.357,79 euros nets au titre des droits d’auteur; qu’il doit bénéficier de la présomption légale de salariat de l’article L.7121-3 du code du travail et de la présomption conventionnelle de l’annexe 1 de la convention collective nationale de la production audiovisuelle, dès lors qu’il a participé à la création d’un programme audiovisuel, en donnant ses idées sur la manière de filmer les joueurs et de réaliser les interviews, en assurant le rôle d’interlocuteur privilégié des footballers faisant l’objet du reportage, en participant à la direction de la mise en scène, des prises de vue et des sons, aux choix sur les personnels artistiques et techniques, et donné son avis sur le montage du documentaire; qu’en qualité de co-auteur, il a écrit le synopsis du documentaire, mais indique que le co-auteur ne participe jamais à la réalisation matérielle du tournage et des interviews. Il résulte en effet des pièces produites par M. Y, qui résultent pour l ‘essentiel de courriels adressés tant à MM. B et X, respectivement président et directeur général de la société Lucyol Productions, qu’aux participants et interlocuteurs, clubs et joueurs de football utiles à la réalisation du film-documentaire intitulé «La dernière saison», que M. Y a été à l’origine de la création de ce documentaire en juin 2017, tel que le confirme M. B dans une interview accordée à la chaîne France Bleu Normandie; qu’il a proposé à la société le synopsis du documentaire à la suite d’une interview réalisée au printemps 2017 avec le footballeur C D, alors qu’il était journaliste pigiste au journal So Foot. D’autre part, les courriels établissent que M. Y a pris également une participation active dans la réalisation du documentaire puisqu’il définissait et participait aux séquences de tournage en accord avec M. B : nombre de jours de tournage; style immersion–voix off du journaliste; prise en compte des demandes des joueurs et des clubs sur les conditions du tournage; déplacements sur l’ensemble des sites de tournage. Le message adressé à la société Sash Média , chargée de communication du footballeur Jérémie Bréchet, confirme que M. Y apparaît avec M. B, comme co-auteur et réalisateur du documentaire. D’autres messages attestent que la société prenait en charge les frais inhérents au tournage, déplacements et hébergements sur sites. Un mail du 23 juin 2017 de M. B définit par ailleurs une double rémunération de M. Y, de l’ordre d’un forfait de 10.000 à 15.000 euros, en fonction du format du documentaire, de 60 minutes ou de 90 minutes, auquel s’ajoutent les droits d’auteur. Le 6 avril 2018, M. B indique à M. Y, lors d’échanges de courriels, qu’il lui sera proposé la signature d’un contrat de co-auteur comportant une rémunération brute comprise entre 1.000 et 1.700 euros, et ce en raison de l’impossibilité financière pour la société de verser une somme supérieure, dès lors que le projet initial était basé sur la vente espérée du film auprès d’un diffuseur moyennant la somme de 150.000 euros, qui en fin de compte s’est limitée à 5.000 euros. M. B confirme néanmoins dans ses messages que M. Y est en droit de percevoir un salaire augmenté des droits d’auteur sur le film, versés lors de chaque diffusion. La société Lucyol Productions invoque dans le cadre du contentieux une erreur de formulation concernant l’énoncé de salaires, comme une erreur de gestion concernant la remise de documents sociaux. Toutefois l’ensemble des pièces établissent que M. Y a participé à la réalisation du film-documentaire, tout en ayant été l’auteur. A ce titre, il est en droit de bénéficier de la présomption conventionnelle de salariat résultant de l’article 1er de l’Annexe 1 de la convention collective nationale de la production audiovisuelle, complétée par son article 2 qui dispose que le réalisateur d’un programme audiovisuel est lié à l’employeur par un contrat de travail, qui doit être signé au plus tard dans les 48 heures qui suivent le débat de son exécution. L’article 2 de l’Annexe 1 précise en outre que le paiement du salaire du réalisateur ne peut être subordonné à l’acceptation du programme audiovisuel par un tiers. Compte tenu de cette présomption de contrat de travail, il appartient à la société Lucyol Productions de rapporter la preuve contraire, en démontrant que M. Y a accompli sa prestation de travail en complète autonomie. Or la société Lucyol Productions ne verse aux débats aucune pièce contraire à celles produites par M. Y, et comme il a été observé, ces pièces démontrent que ce dernier a participé à la réalisation matérielle du documentaire dans le cadre défini par la société, ne réalisant les séquences de tournage qu’après acceptation des conditions par M. B. Les seuls éléments invoqués, résultant de l’absence de formation et d’expérience de réalisateur, sont insuffisants pour combattre la présomption, dès lors que l’accomplissement de la prestation de travail est effective, et qu’elle n’a pas été suivie du paiement d’une rémunération par suite du non respect des engagements pris par la société, le défaut de paiement étant l’objet de la procédure engagée devant le conseil de prud’hommes. En conséquence, la société Lucyol Productions ne parvient pas à faire échec à la présomption de salariat de M. Y. Le jugement entrepris sera par suite confirmé en ce qu’il a reconnu la compétence du conseil de prud’hommes pour statuer sur les demandes de M. Y. Afin de ne pas priver les parties du double degré de juridiction, l’affaire sera renvoyée devant cette juridiction aux fins de statuer sur le bien-fondé et le montant des demandes financières. Sur l’article 700 du code de procédure civile : Il est équitable d’allouer à M. Y une indemnité de procédure de 2.500 euros. PAR CES MOTIFS : La cour, statuant par arrêt contradictoire, Confirme le jugement entrepris, Renvoie l’affaire devant le conseil de prud’hommes de Paris, Et y ajoutant, Condamne la société Lucyol Productions à payer à M. Y la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, Condamne la société Lucyol Productions aux dépens de l’appel sur la compétence. La greffière La présidente |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le statut du réalisateur dans le cadre de la production audiovisuelle selon le texte ?Le réalisateur qui participe à la réalisation d’un film-documentaire, tout en étant l’auteur, bénéficie d’une présomption de salariat. Cela signifie qu’il est présumé être un salarié de la société de production, ce qui lui confère des droits spécifiques en matière de contrat de travail. Cette présomption est renforcée par l’article 1er de l’Annexe 1 de la convention collective nationale de la production audiovisuelle. Cet article stipule que le réalisateur d’un programme audiovisuel est lié à l’employeur par un contrat de travail, qui doit être signé dans un délai de 48 heures suivant le début de l’exécution de son travail. Quelles sont les obligations de la société de production concernant le contrat de travail du réalisateur ?La société de production a l’obligation de prouver que le réalisateur a travaillé en complète autonomie pour contester la présomption de contrat de travail. En d’autres termes, si la société souhaite réfuter le statut de salarié du réalisateur, elle doit démontrer que ce dernier a agi sans lien de subordination. L’article 2 de l’Annexe 1 précise également que le paiement du salaire du réalisateur ne peut pas dépendre de l’acceptation du programme audiovisuel par un tiers. Cela garantit que le réalisateur a droit à sa rémunération indépendamment des décisions externes. Quels éléments ont été présentés par le réalisateur pour soutenir sa demande de reconnaissance de son statut de salarié ?Le réalisateur, M. Y, a présenté plusieurs éléments pour soutenir sa demande. Il a démontré qu’il avait participé activement à la réalisation du documentaire, en définissant les séquences de tournage et en collaborant avec les producteurs sur divers aspects de la production. Des courriels échangés entre M. Y et les producteurs attestent de son implication dans la création du documentaire, ainsi que de sa fonction d’interlocuteur privilégié avec les joueurs et les clubs de football. Ces éléments montrent qu’il a joué un rôle clé dans la conception et la réalisation du projet. Comment la société Lucyol Productions a-t-elle tenté de contester le statut de salarié de M. Y ?La société Lucyol Productions a tenté de contester le statut de salarié de M. Y en arguant qu’il n’avait ni la formation ni l’expérience d’un réalisateur. Elle a également soutenu qu’il n’avait pas participé à la réalisation matérielle du documentaire et qu’il ne remplissait pas les conditions définies par la convention collective. Cependant, ces arguments ont été jugés insuffisants pour contrecarrer la présomption de salariat, car M. Y avait effectivement accompli une prestation de travail et n’avait pas été rémunéré en raison du non-respect des engagements de la société. Quelles décisions ont été prises par la cour concernant la compétence du conseil de prud’hommes ?La cour a confirmé la compétence du conseil de prud’hommes pour statuer sur les demandes de M. Y. Cela signifie que le litige concernant le statut de salarié et les demandes de paiement de salaires et d’indemnités sera examiné par cette juridiction. La cour a également décidé de renvoyer l’affaire devant le conseil de prud’hommes pour qu’il statue sur le bien-fondé et le montant des demandes financières de M. Y, assurant ainsi que les parties bénéficient d’un double degré de juridiction. |
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