L’Essentiel : Citer un auteur sans le mentionner soulève des questions juridiques complexes. La qualité d’auteur est essentielle pour établir le bien-fondé d’une action en contrefaçon, mais elle ne conditionne pas la recevabilité de l’action. Selon le code de la propriété intellectuelle, la titularité des droits dépend de l’originalité de l’œuvre. En cas de litige, il incombe à chaque partie de prouver ses prétentions. Ainsi, même si une œuvre est signée par un directeur d’établissement, cela n’exclut pas la possibilité de revendiquer des droits d’auteur, mais cela soulève des interrogations sur la titularité des droits attachés à l’œuvre.
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Citer un auteur sans le mentionner : une contrefaçon ?La qualité d’auteur d’une œuvre de l’esprit est une condition du bien-fondé de l’action en contrefaçon de droits d’auteur et non la condition de sa recevabilité. La qualité de titulaire de droitsEn effet, la qualité de titulaire de droits sur une œuvre de l’esprit est appréciée par référence aux articles L.113-1 à L.113-10 du code de la propriété intellectuelle. Cette appréciation dépend de la question préalable de l’originalité de l’œuvre en litige, laquelle est une condition dont dépend le bien-fondé de l’action en contrefaçon, et non sa recevabilité (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 29 janvier 2013, pourvoi n° 11-27.351). L’article 31 du code de procédure civileL’article 31 du code de procédure civile dispose que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. L’article 32 du même code poursuit en indiquant qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir. Notion de fin de non-recevoirAux termes de l’article 122 dudit code, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. * * * REPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS 27 mars 2024 TRIBUNAL [1] Le : ■ 3ème chambre N° RG 22/04505 – N° MINUTE : Assignation du : JUGEMENT Madame [D] [W] représentée par Maître Jason BENIZRI, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #D1543 DÉFENDERESSE Madame [O] [U] représentée par Maître Virginie LE ROY de la SELARL RESONANCES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C0230 Décision du 27 mars 2024 COMPOSITION DU TRIBUNAL Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjoint assistés de Lorine MILLE, greffière DEBATS A l’audience du 18 janvier 2024 tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Anne BOUTRON, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l’audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 27 mars 2024. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe EXPOSÉ DU LITIGE ET DES PRÉTENTIONS Madame [D] [W] a été directrice de l’artothèque du département de la Réunion de 2000 à 2008, 2012 à 2015, 2016 à 2019 et à nouveau depuis l’année 2021. Madame [O] [U] se présente comme une artiste plasticienne, docteur en arts plastiques et sciences de l’art, travaillant également en qualité de conseillère technique auprès de la rectrice déléguée académique à l’éducation artistique et à l’action culturelle. L’artothèque du département de la Réunion est un établissement créé par le département de [Localité 5] en 1991 et dont l’objet est la diffusion et la production de l’art contemporain, par le biais de sa bibliothèque et de son centre documentaire, de l’organisation d’expositions, de visites guidées, d’animations et la mise à disposition de salles de conférence. Mme [W] revendique avoir écrit dans la biographie du dossier de presse de l’exposition dédiée au photographe [Z] [Y] à l’arthotèque du 26 novembre 2005 au 12 mars 2006 et repris dans la préface du livre de l’artiste “Chaque homme est une île », publié en 2007, le texte suivant: « Les interrogations identitaires et existentialistes de l’artiste trouvent une réponse formelle à travers le cri, le cri montré, affiché, étouffé, ou hurlé”. Exposant avoir découvert que Mme [U] avait rédigé un article destiné à être publié en 2021 sur le site internet de l’artothèque dans lequel était cité ledit texte crédité non pas de son nom, mais de celui de Mme [M] [S], commissaire de l’exposition, Mme [W] l’a mise en demeure courant janvier 2022, dans un courrier non daté, de corriger ladite citation. Par courrier de son conseil du 2 février 2022, Mme [U] a fait valoir en réponse que la citation litigieuse avait été retirée de la dernière version du projet d’article en septembre 2021, conformément aux observations de l’artothèque, et qu’aucune publication n’avait été effectuée que ce soit pour la première version litigieuse ou la version définitive. C’est dans ces conditions que Mme [W] a fait assigner Mme [U] en contrefaçon de droits d’auteur par acte du 15 mars 2022 devant le tribunal judiciaire de Paris. Mme [U] a soulevé par conclusions du 11 janvier 2023 devant le juge de la mise en état une fin de non recevoir tirée du défaut de qualité et d’intérêt à agir de Mme [W] qui a été renvoyée au fond. L’instruction a été close le 25 mai 2023. Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 avril 2023, Mme [W] au tribunal de : CONDAMNER Mme [U] à lui verser 5.000 euros au titre de dommages et intérêts CONDAMNER Mme [U] à lui verser 5.000 Euros au titre de l’atteinte à son droit moral ; DEBOUTER Mme [U] de l’intégralité de ses demandes ; CONDAMNER Mme [U] à lui verser 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 mai 2023, Mme [U] demande au tribunal de: A DEFAUT DE FAIRE DROIT AUX MOYEN IN LIMINE LITIS, A TITRE PRINCIPAL : A TITRE RECONVENTIONNEL, A TITRE SUBSIDIAIRE, EN TOUT ETAT DE CAUSE, CONDAMNER Mme [W] à lui payer une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procedure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance. MOTIFS DE LA DÉCISION Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d’intérêt à agir Moyens des parties Mme [U] conclut à la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt et de qualité à agir de Mme [W] au motif qu’elle ne démontre pas être l’auteur de la citation dont elle revendique la paternité. En réponse,Mme [W] souligne qu’il s’agit d’une question de fond et ajoute avoir rédigé la phrase litigieuse dans le cadre de l’élaboration d’un dossier de presse relatif au photographe [Z] [Y], publié en 2005 et avoir repris cette même phrase dans la préface de l’ouvrage » Chaque homme est une île » publié en 2007. Réponse du tribunal L’article 31 du code de procédure civile dispose que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. L’article 32 du même code poursuit en indiquant qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir. Aux termes de l’article 122 dudit code, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. La qualité d’auteur d’une œuvre de l’esprit est une condition du bien-fondé de l’action en contrefaçon de droits d’auteur et non la condition de sa recevabilité. En effet, la qualité de titulaire de droits sur une œuvre de l’esprit est appréciée par référence aux articles L.113-1 à L.113-10 du code de la propriété intellectuelle. Cette appréciation dépend de la question préalable de l’originalité de l’œuvre en litige, laquelle est une condition dont dépend le bien-fondé de l’action en contrefaçon, et non sa recevabilité (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 29 janvier 2013, pourvoi n° 11-27.351). La fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt et de qualité à agir de Mme [W] motif tiré du défaut de sa qualité d’auteur sera en conséquence écartée. Sur la qualité d’auteur et la titularité du droit moral revendiqués par Mme [W] Moyens des parties Mme [W] affirme être l’auteur de la phrase litigieuse pour l’avoir rédigé en 2005, dans le cadre de l’élaboration d’un dossier de presse dédié au photographe [Z] [Y]. Soutenant être proche de l’artiste, elle indique que ce dernier lui aurait demandé de préfacer son ouvrage » Chaque home est une île « , paru en 2007. L’article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée. Aux termes de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. Aux termes de l’article 768 du code de procédure civile, les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée et le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion. Moyens des parties Mme [U] soutient que Mme [W] aurait mis en œuvre une procédure judiciaire pour nuire à sa réputation et en instrumentalisant la procédure dans le cadre d’un contentieux qui l’opposerait à l’artothèque. L’article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie. PAR CES MOTIFS Le tribunal, Ecarte la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d’intérêt à agir de Madame [D] [W] ; Déboute Madame [D] [W] de sa demande de condamnation de Madame [O] [U] en paiement de 5000 euros à titre de dommages et intérêts ; Déboute Madame [D] [W] de sa demande de condamnation de Madame [O] [U] au paiement de 5 000 euros au titre de l’atteinte à son droit moral ; Déboute Madame [O] [U] de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive ; Condamne Madame [D] [W] aux dépens ; Condamne Madame [D] [W] à payer 5 000 euros à Madame [O] [U] en application de l’article 700 du code de procédure civile. Fait et jugé à Paris le 27 mars 2024 La greffièreLe président |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la condition de l’action en contrefaçon de droits d’auteur ?La qualité d’auteur d’une œuvre de l’esprit est essentielle pour établir le bien-fondé d’une action en contrefaçon de droits d’auteur. Cela signifie que pour qu’une action soit recevable, il faut prouver que l’auteur a effectivement créé l’œuvre en question. Cependant, cette qualité d’auteur n’est pas la condition de recevabilité de l’action. En d’autres termes, même si une personne ne peut pas prouver qu’elle est l’auteur, cela ne signifie pas nécessairement que sa demande sera rejetée. La Cour de cassation a précisé que l’originalité de l’œuvre en litige est la condition qui détermine le bien-fondé de l’action en contrefaçon, et non sa recevabilité. Cela souligne l’importance de l’originalité dans le cadre des droits d’auteur. Comment est appréciée la qualité de titulaire de droits sur une œuvre ?La qualité de titulaire de droits sur une œuvre de l’esprit est évaluée selon les articles L.113-1 à L.113-10 du code de la propriété intellectuelle. Ces articles définissent les droits des auteurs et les conditions dans lesquelles ils peuvent revendiquer leurs droits. L’appréciation de cette qualité dépend également de l’originalité de l’œuvre en question. L’originalité est un critère fondamental qui doit être établi pour que l’action en contrefaçon soit considérée comme fondée. La jurisprudence, notamment une décision de la Cour de cassation du 29 janvier 2013, a confirmé que l’originalité est une condition préalable à l’examen du bien-fondé de l’action en contrefaçon. Cela signifie que sans originalité, il n’y a pas de droits d’auteur à revendiquer. Quelles sont les dispositions de l’article 31 du code de procédure civile ?L’article 31 du code de procédure civile stipule que l’action est ouverte à toute personne ayant un intérêt légitime à la réussite ou au rejet d’une prétention. Cela inclut les cas où la loi attribue le droit d’agir uniquement à certaines personnes qualifiées pour défendre un intérêt spécifique. Cet article établit donc un cadre pour déterminer qui peut engager une action en justice. Il est important de noter que l’intérêt légitime est un critère clé pour la recevabilité de l’action. L’article 32 précise que toute prétention émise par une personne dépourvue du droit d’agir est irrecevable. Cela signifie que si une personne ne peut pas prouver son intérêt légitime, sa demande sera rejetée. Qu’est-ce qu’une fin de non-recevoir selon l’article 122 du code de procédure civile ?Une fin de non-recevoir, selon l’article 122 du code de procédure civile, est un moyen qui vise à faire déclarer une demande irrecevable sans examen au fond. Cela peut être dû à un défaut de droit d’agir, tel que le manque de qualité ou d’intérêt, la prescription, ou d’autres motifs comme la chose jugée. Cette notion est cruciale dans le cadre des procédures judiciaires, car elle permet de rejeter des demandes qui ne remplissent pas les conditions nécessaires pour être examinées. Ainsi, une fin de non-recevoir peut être soulevée par la partie adverse pour contester la recevabilité de la demande, ce qui peut avoir un impact significatif sur le déroulement du procès. Quels sont les éléments à prouver pour revendiquer un droit d’auteur ?Pour revendiquer un droit d’auteur, il est nécessaire de prouver que l’œuvre est originale et qu’elle a été divulguée sous le nom de l’auteur. L’article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle stipule que la qualité d’auteur appartient, sauf preuve du contraire, à celui sous le nom de qui l’œuvre est divulguée. En cas de contestation, il incombe à la partie qui revendique le droit d’auteur de fournir des preuves de sa qualité d’auteur. Cela peut inclure des documents, des témoignages ou d’autres éléments qui établissent la paternité de l’œuvre. Il est également important de noter que si l’œuvre a été créée dans le cadre d’une fonction publique, les droits d’auteur peuvent appartenir à l’administration, limitant ainsi la capacité de l’individu à revendiquer ces droits. Quelles sont les conséquences d’une action en justice jugée abusive ?Une action en justice jugée abusive peut entraîner des conséquences pour la partie qui a engagé la procédure. Selon l’article 1240 du code civil, toute personne qui cause un dommage à autrui par sa faute est tenue de le réparer. Si une action est considérée comme abusive, cela signifie qu’elle a été engagée sans fondement légitime, ce qui peut entraîner des dommages-intérêts pour la partie défenderesse. Cependant, le simple fait d’être débouté d’une demande ne suffit pas à prouver l’abus. Il faut démontrer que l’action a été intentée avec l’intention de nuire ou sans aucune justification valable. Dans ce cas, la demande reconventionnelle pour procédure abusive peut être rejetée si aucune preuve de préjudice distinct n’est fournie. |
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