Accident de spectateur : l’organisateur et le producteur coresponsables

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Accident de spectateur : l’organisateur et le producteur coresponsables

Une spectatrice a été victime de brûlures lors de la soirée d’inauguration de la saison culturelle Un été au Havre alors qu’un liquide inflammable alimentant les braseros s’étaitrenversé sur elle. Ces dommages ont été causés par des matériels mis en place par la Compagnie Carabosse qui avait en charge la réalisation de la manifestation. La victime a obtenu d’être indemnisée par l’organisateur du spectacle déclaré responsable.  

L’organisateur et le producteur ne justifiaient d’aucun dispositif précis de sécurité des lieux, de protection des personnes alors que la proximité immédiate des installations avec les spectateurs crée manifestement, même dans le cadre de l’examen par un profane, un danger physique (braseros posés sur la plage foulée par le public).

L’installation, sur un espace public, dédié à la fréquentation d’une foule importante, un soir de spectacle, de matériels présentant, en outre un danger en raison des produits inflammables utilisés est de nature à engager la responsabilité de son gardien ; en premier lieu, la productrice, la Compagnie Carabosse, n’invoquait pas utilement le fait d’un tiers et ne visait ni ne motivait aucun critère de la force majeure ; en second lieu, la convention souscrite avec le GIP (organisateur) lui imposait expressément, dans ses relations avec ce dernier, d’assumer les conséquences dommageables de son matériel.

Par ailleurs, l’organisateur qui met à la disposition de son cocontractant une plage dans les conditions décrites ne peut se retrancher derrière les mesures d’ordre public gouvernées par l’autorité préfectorale pour échapper à toute responsabilité ; il se doit de veiller à la déclinaison de l’activité envisagée dans des conditions qui préservent la santé des visiteurs et la sécurité de l’espace concédé, soit dans le cadre des exigences contractuelles à l’égard du producteur, soit en prenant des initiatives adaptées ; en l’espèce, le GIP ne communiquait  aucune pièce démontrant un minimum de diligences quant aux garanties de protection des personnes au sein même de la manifestation ; il était dès lors prématuré en l’état d’exclure son implication.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 12 MAI 2021

DÉCISION DÉFÉRÉE :

[…]

Président du tribunal judiciaire du HAVRE du 29 septembre 2020

APPELANTES :

La MAIF

[…]

[…]

représentée et assistée par Me Philippe BOURGET de la Scp BOURGET, avocat au barreau du HAVRE substitué par Me Fabrice LEGLOAHEC, avocat au barreau de ROUEN

Association COMPAGNIE CARABOSSE

[…]

[…]

représentée et assistée par Me Philippe BOURGET de la Scp BOURGET, avocat au barreau du HAVRE substitué par Me Fabrice LEGLOAHEC, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEES :

Madame Y X

née le […] à […]

[…]

[…]

représentée et assistée par Me Laetitia BENARD de la Selarl BENARD, avocat au barreau du HAVRE substituée par Me Caroline SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN

Gip UN ETE AU HAVRE

15/17 place de l’Hôtel de Ville

[…]

représenté et assisté par Me Quentin VINCENT, avocat au barreau de ROUEN

La SMACL

[…]

[…]

représenté et assisté par Me Quentin VINCENT, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 24 février 2021 sans opposition des avocats devant Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

Mme Sophie POITOU, conseillère

M. Jean-François MELLET, conseiller

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Y A,

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU PRONONCE :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

Mme Anne ROGER-MINNE, conseillère

M. Jean-François MELLET, conseiller

DEBATS :

A l’audience publique du 24 février 2021, où l’affaire a été mise en délibéré au 12 mai 2021

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 12 mai 2021, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme A, greffier.

*

* *

Vu l’ordonnance de référé, réputée contradictoire, prononcée le 29 septembre 2020 par le président du tribunal judiciaire du Havre ayant dans l’affaire opposant madame Y X à l’association Compagnie Carabosse et son assureur, la mutuelle MAIF, au groupement d’intérêt public Un été au Havre et son assureur, la SMACL, ordonné une expertise médicale de la demanderesse, victime le 23 juin 2018 de brûlures lors de festivités organisées par le groupement Un été au Havre et d’activités conduites par l’association Compagnie Carabosse, condamné solidairement les défendeurs à payer une provision de 3 000 euros à valoir sur l’indemnisation des préjudices corporels, rejeté le surplus des demandes et condamné madame X aux dépens ;

Vu l’appel interjeté (n° RG 20/03202) le 9 octobre 2020 par l’association Compagnie Carabosse et la mutuelle MAIF ;

Vu l’appel interjeté (n° RG 20/3616) le 10 novembre 2020 par le groupement d’intérêt public Un été au Havre et son assureur, la SMACL Assurances ;

Vu les ordonnances du président de la chambre du 1er décembre 2020 fixant le calendrier de la procédure à bref délai en application des articles 905, 905-1 et 905-2 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions d’appelantes notifiées le 4 décembre 2020 et d’intimées le 30 janvier 2021 pour l’association Compagnie Carabosse et la MAIF qui demandent à la cour, au visa des articles 145 et 835 du code de procédure civile, de :

— les recevoir en leur appel principal et incident,

— réformer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a ordonné une expertise et les a condamnées à payer une provision de 3 000 euros solidairement avec le GIP et son assureur,

— et statuant à nouveau, de débouter madame X de sa demande d’expertise, et à titre subsidiaire, d’ordonner l’expertise médicale mais de prendre acte de leurs réserves et protestations,

— en tout état de cause, réformer l’ordonnance en ce qu’elle a ordonné le paiement d’une indemnité provisionnelle de 3 000 euros et statuant à nouveau, débouter madame X de cette demande,

— condamner solidairement madame X et la SMACL ou l’un à défaut de l’autre au paiement d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens d’appel ;

Vu les conclusions d’appelantes et d’intimés notifiées le 29 décembre 2020 pour le groupement d’intérêt public Un été au Havre (le GIP) et la SMACL qui demandent à la cour, au visa des articles 145 et 835 du code de procédure civile, de :

— réformer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a condamné le GIP et la SMACL au paiement d’une indemnité provisionnelle de 3 000 euros, et

statuant à nouveau de,

— débouter madame X de sa demande d’indemnité provisionnelle à leur encontre,

— condamner solidairement madame X, la Compagnie Carabosse et la MAIF au paiement d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et

aux dépens ;

Vu les conclusions notifiées le 28 janvier 2021 pour madame Y X qui sollicite sur le fondement de l’article 834 du code de procédure civile la confirmation de l’ordonnance en toutes ses dispositions, le débouté des demandes du GIP et de la SMACL, leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 2 400 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;

Vu les plaidoiries à l’audience du 24 février 2021 ;

*****

Le 23 juin 2018, madame X a été victime de brûlures lors de la soirée d’inauguration de la saison culturelle Un été au Havre alors qu’un liquide inflammable alimentant les braseros s’est renversé sur elle. Ces dommages ont été causés par des matériels mis en place par la Compagnie Carabosse qui avait en charge la réalisation de la manifestation. La victime a été prise en charge immédiatement par le personnel de la Croix Rouge présente sur les lieux.

La Compagnie Carabosse et la MAIF critiquent la décision entreprise en ce qu’elle ne motive pas les éléments de la responsabilité justifiant une expertise et une condamnation au paiement d’une indemnité provisionnelle, le préjudice de madame X n’étant pas par ailleurs contestable. Elles reprennent les faits en expliquant que l’accident aurait été causé par un spectateur renversant un pot de feu sur la victime qui déambulait sur la plage de galets, en précisant que la foule était dense ce qui imposait aux spectateurs de zigzaguer entre divers pots au sol et suspensions enflammées. Elles déduisent de ces éléments qu’aucune sécurisation des lieux n’était mise en place par l’organisateur du spectacle, le GIP, pleinement responsable sur ce point.

Elles soutiennent que madame X ne démontre pas la faute commise par la Compagnie Carabosse qui ne peut être tenue dans le cadre de ce litige puisque d’une part, l’auteur de l’accident est un tiers, d’autre part le GIP avait l’obligation en sa qualité d’organisateur de veiller à la sécurité des personnes non seulement aux pourtours de la manifestation mais également dans l’espace occupé par les festivités. Elles ajoutent que le GIP ne peut être exonéré des conséquences de ses carences en considérant comme remplie sa mission en faisant valoir que le cheminement piéton avait été soumis et validé par les services de la préfecture.

L’action au fond de madame X étant vouée à l’échec, cette dernière ne peut prétendre à l’organisation d’une expertise et au paiement d’une provision à leur encontre.

Le GIP et la SMACL contestent toute responsabilité dans la réalisation de l’accident et considère qu’ils ne peuvent être condamnés à verser une provision en raison du caractère sérieusement contestable de la créance. Ils exposent que le gardien de la chose était la Compagnie Carabosse, le producteur de la soirée et vise les termes du contrat de cession conclu entre les parties le 3 mai 2018 précisant clairement en son article 9 que le producteur serait entièrement responsable du matériel lui appartenant, des personnels intervenant durant les festivités y compris durant les temps de pause. Ils ajoutent que le lien de causalité entre les braseros et les dommages subis par madame X est incontestable à la lecture des différents témoignages produits par la victime et donc la responsabilité de la Compagnie Carabosse à l’exclusion de tout lien avec le GIP que l’absence de faute exonère.

Madame Y X maintient ses demandes en cause d’appel soutenant que la Compagnie Carabosse est responsable de l’installation des braseros tandis que le GIP est

responsable en qualité d’organisateur de l’évènement et dès lors de sa sécurisation.

MOTIFS

Attendu qu’il convient d’ordonner la jonction des procédures n° RG 20/03202 et n° RG 20/3616 ;

Sur les faits et les responsabilités encourues

Attendu que madame X établit par des témoignages et des constatations médicales que dans la soirée du 23 juin 2018, après 22 heures et alors qu’il faisait nuit, elle assistait aux festivités d’Un été au Havre sur la plage de galets de cette ville ; que les photographies produites démontrent en premier lieu, l’installation de nombreux points enflammés au sol (pots brûlants) et en hauteur (sphères présentées sous forme de mobiles), en second lieu une fréquentation du public très dense ; que le GIP et la Compagnie Carabosse ne justifient d’aucun dispositif précis de sécurité des lieux, de protection des personnes alors que la proximité immédiate des installations avec les spectateurs crée manifestement, même dans le cadre de l’examen par un profane, un danger physique ; qu’en effet, les braseros semblent simplement posés sur la plage foulée par le public ;

Attendu que dans ce contexte, madame X a reçu une projection de la matière inflammable provenant d’un brasero renversé par un spectateur (cire selon un témoin) ; que les services de la Croix-Rouge ont établi une attestation de prise en charge le 23 juin 2018 à 22h55 pour une brûlure grave au mollet gauche face externe, une brûlure à la main gauche ;

Attendu que le juge des référés n’a pas compétence pour statuer sur le fond mais doit s’assurer de la pertinence des demandes fondées sur les articles 145 et 835 du code de procédure civile ; que les responsabilités sont contestées par les défendeurs en première instance et en appel pour voir rejetées, en tout ou partie, les demandes de la victime ;

Attendu que le GIP verse aux débats le contrat de cession du droit d’exploitation d’un spectacle passé par elle, l’organisateur et l’association, la productrice des festivités « installation de feu » ; que certes, l’article 9 du contrat intitulé ‘assurances’ dispose, outre les obligations d’assurances rappelées, que :

— le producteur assurera également les membres de la Compagnie et tous les objets lui appartenant’ Il est donc responsable du matériel lui appartenant et amené sur le site’

— l’organisateur sera en charge du gardiennage dudit matériel pendant les temps de repas et les nuits’il assure également le personnel mis à disposition de la Compagnie pour le bon déroulement du spectacle ;

Qu’il n’est pas sans intérêt de relever que la fiche technique-annexe 1 à laquelle cet article renvoie, entre autres points, relève la fourniture au titre des fongibles de : 50 litres d’acétone, 200 litres de pétrole désaromatisé, 5500 kg de charbon de bois pour le spectacle du 23 juin 2018 ;

Que le GIP produit encore le compte rendu de la réunion de bouclage du 8 juin 2018 sous l’autorité de la sous-préfète du Havre énonçant les dispositifs de sécurité extérieurs, de sécurité incendie, de secours, repris dans la correspondance de la représentante de l’Etat du 19 juin 2018, pour se prétendre exonéré de toute responsabilité ;

Que la Compagnie Carabosse soutient n’avoir à supporter aucune responsabilité au regard notamment des obligations du GIP ;

Mais attendu qu’il suffit de relever que l’installation, sur un espace public, dédié à la fréquentation d’une foule importante, un soir de spectacle, de matériels présentant, en outre un danger en raison des produits inflammables utilisés est de nature à engager la responsabilité de son gardien ; qu’en premier lieu, la productrice, la Compagnie Carabosse, n’invoque pas utilement le fait d’un tiers ; qu’en effet, elle ne vise ni ne motive aucun critère de la force majeure ; qu’en second lieu, la convention souscrite avec le GIP lui impose expressément, dans ses relations avec ce dernier, d’assumer les conséquences dommageables de son matériel ;

Que l’organisateur, le GIP, qui met à la disposition de son cocontractant une plage dans les conditions décrites ne peut se retrancher derrière les mesures d’ordre public gouvernées par l’autorité préfectorale pour échapper à toute responsabilité ; qu’il se doit de veiller à la déclinaison de l’activité envisagée dans des conditions qui préservent la santé des visiteurs et la sécurité de l’espace concédé, soit dans le cadre des exigences contractuelles à l’égard du producteur, soit en prenant des initiatives adaptées ; qu’en l’espèce, le GIP ne communique aucune pièce démontrant un minimum de diligences quant aux garanties de protection des personnes au sein même de la manifestation ; qu’il est dès lors prématuré en l’état d’exclure son implication ;

Sur l’expertise

Attendu que l’article 145 du code de procédure civile dispose que « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé » ;

Attendu que le GIP ne conteste pas la mise en oeuvre d’une mesure d’instruction telle qu’ordonnée en référé ; que compte tenu des précédentes observations, le premier juge a retenu à juste titre le principe d’une expertise médicale contradictoire à l’égard du GIP et de l’association, de leurs assureurs, afin de voir les préjudices subis par madame X déterminés ;

Sur la provision

Attendu que l’article 835 alinéa 2 indique que « Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. »

Attendu que l’ordonnance entreprise condamne le GIP et l’association ainsi que leurs assureurs au paiement solidaire d’une provision de 3 000 euros ; que si la condamnation ne peut être prononcée qu’in solidum, la participation du GIP d’une part et de la Compagnie Carabosse d’autre part à la réalisation du dommage est suffisamment établie en l’état du dossier pour maintenir le principe d’une indemnité provisionnelle à leur charge ; que l’ordonnance entreprise est confirmée sous réserve de la correction relative à la solidarité ;

Sur les dépens et frais irrépétibles

Attendu que madame X a dû engager des frais pour défendre ses intérêts en cause d’appel ; qu’en équité, les appelants à titre principal et à titre incident seront tenus au paiement d’une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour compenser les frais non compris dans les dépens ;

Attendu que succombant en cause d’appel, ces derniers supporteront les dépens de l’instance ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par décision contradictoire mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

Ordonne la jonction des affaires n° RG 20/03202 et n° RG 20/3616, la procédure se poursuivant sous le premier numéro ;

Confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, la condamnation à payer la provision de 3 000 euros à madame Y X étant prononcée in solidum,

et y ajoutant,

Condamne in solidum l’association Compagnie Carabosse et son assureur, la mutuelle MAIF, le groupement d’intérêt public Un été au Havre et son assureur, la SMACL à payer à madame Y X une somme de

1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum l’association Compagnie Carabosse et son assureur, la mutuelle MAIF, le groupement d’intérêt public Un été au Havre et son assureur, la SMACL aux dépens de l’instance.

Le greffier, La présidente de chambre


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