Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris
Thématique : Conflit locatif et impact de la pandémie sur les obligations contractuelles
→ RésuméContexte de l’AffaireLa présente affaire concerne un litige entre une société immobilière, désignée comme bailleur, et une société de restauration, désignée comme locataire. Le bail commercial a été signé le 28 septembre 2004 pour une durée de neuf ans, renouvelé en 2014 pour une période identique, avec des loyers annuels fixés à 63 600 euros puis à 85 457,60 euros. Le locataire a pour activité la restauration, incluant la vente à emporter et le traiteur. Commandement de PayerLe 12 janvier 2022, le bailleur a délivré un commandement de payer au locataire pour un arriéré locatif de 152 939,19 euros. En réponse, le locataire a assigné le bailleur devant le tribunal, contestant le paiement des loyers pour certaines périodes en raison de la pandémie de Covid-19, arguant que les fermetures administratives l’avaient empêché d’exercer son activité. Demandes du LocataireLe locataire a demandé au tribunal de juger que les loyers pour les périodes de confinement ne sont pas dus, de condamner le bailleur à lui remettre un avoir de 26 939,23 euros, et de réajuster les charges locatives. En cas de rejet de ses demandes, le locataire a sollicité des délais de paiement pour les sommes dues. Réponse du BailleurLe bailleur a contesté les demandes du locataire, soutenant que ce dernier n’avait pas justifié de la destruction de la chose louée et que la force majeure ne pouvait exonérer le locataire de son obligation de paiement. Le bailleur a également demandé la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire et l’expulsion du locataire. Décision du TribunalLe tribunal a jugé que le commandement de payer était valable et a constaté l’acquisition de la clause résolutoire. Il a débouté le locataire de ses demandes d’annulation des loyers pour les périodes de confinement et a condamné le locataire à payer au bailleur la somme de 123 163,35 euros, correspondant aux arriérés de loyers et charges. Le tribunal a également ordonné la suspension des effets de la clause résolutoire sous certaines conditions. Clause Pénale et DépensLe tribunal a modéré la clause pénale demandée par le bailleur, la fixant à 2 500 euros, et a condamné le locataire à payer 3 000 euros au titre des frais de justice. Le locataire a également été condamné aux dépens de l’instance, incluant les frais liés au commandement de payer. ConclusionEn conclusion, le tribunal a statué en faveur du bailleur sur la majorité des demandes, tout en tenant compte des circonstances exceptionnelles liées à la crise sanitaire. Le locataire a été condamné à s’acquitter de ses obligations locatives, avec des dispositions pour échelonner le paiement des sommes dues. |
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
18° chambre
1ère section
N° RG 22/02756
N° Portalis 352J-W-B7G-CWD3R
N° MINUTE : 4
contradictoire
Assignation du :
11 février 2022
JUGEMENT
rendu le 21 Novembre 2024
DEMANDERESSE
S.A.S. LEVANTINE
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Maître Romain LESUEUR de l’AARPI PREMIERE LIGNE, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #A0292
DÉFENDERESSE
S.C.I. IMMOBILIERE GENERALE FRANCAISE
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Alexandre SUAY de l’AARPI Delvolvé Poniatowski Suay Associés, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C0542
Décision du 21 Novembre 2024
18° chambre 1ère section
N° RG 22/02756 – N° Portalis 352J-W-B7G-CWD3R
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Par application des articles R.212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire et 812 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été attribuée au Juge unique.
Avis en a été donné aux avocats constitués qui ne s’y sont pas opposés;
Madame Sophie GUILLARME, 1ère Vice-présidente adjointe, statuant en juge unique
assistée de Monsieur Christian GUINAND, Greffier principal,
DÉBATS
A l’audience du 23 septembre 2024, tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats des parties que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 12 novembre 2024.
Puis, le délibéré a été prorogé jusqu’au 21 novembre 2024.
JUGEMENT
Rendu par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé en date du 28 septembre 2004, la SCI Immobilière Générale Française a donné à bail commercial à la SAS Levantine des locaux situés [Adresse 2] et [Adresse 3] à [Localité 5], désignés ainsi qu’il suit :
« Au rez-de-chaussée :
Une boutique d’une surface d’environ 318m2
Au 1er sous-sol
Une cave n°13 »
Le bail a été consenti pour une durée de neuf années entières et consécutives commençant à courir au 1er octobre 2004 pour se terminer le 30 septembre 2013, et moyennant un loyer annuel de 63 600 euros hors taxes et hors charges.
La destination prévue au bail est celle de « Restauration, Ventes à emporter, Traiteur ».
Suivant avenant conclu sous seing privé en date du 17 juillet 2014, la SCI Immobilière Générale Française a consenti au renouvellement du bail au profit de la SAS Levantine pour une nouvelle période de neuf années entières et consécutives à compter du 1er octobre 2013 pour se terminer le 30 septembre 2022, moyennant un loyer annuel de 85.457,60 euros hors taxes et hors charges.
Le dernier loyer contractuel s’élève à la somme de 91 895,52 euros, hors taxes et hors charges, payable trimestriellement et d’avance le premier de chaque trimestre.
Par acte d’huissier en date du 12 janvier 2022, la SCI Immobilière Générale Française a fait délivrer à la SAS Levantine un commandement de payer visant la clause résolutoire d’avoir à payer la somme de 152 939,19 euros en principal, outre le coût du commandement de payer, correspondant à un arriéré locatif arrêté au 7 janvier 2022.
Par exploit d’huissier en date du 11 février 2022, la SAS Levantine a assigné la SCI Immobilière Générale Française devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d’opposition au commandement de payer, aux motifs que les loyers et charges locatives pour la période du 15 mars 2020 au 2 juin 2020, et du 30 octobre 2020 au 8 juin 2021 ne seraient pas dus pour cause de Covid 19, et que les charges dues devraient être réajustées.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique avant la clôture le 25 septembre 2023, la SAS Levantine demande au tribunal à titre principal de :
– la juger recevable et bien fondée en ses demandes,
– débouter la société Immobilière Française de ses demandes,
A titre principal :
– juger que les loyers et les charges locatives pour la période du 15 mars au 2 juin 2020 et du 30 octobre 2020 au 8 juin 2021 inclus ne sont pas dus en considération des périodes de fermetures du restaurant en raison de l’épidémie de Covid-19,
– juger que le restaurant qu’elle exploite a subi une baisse de chiffres d’affaires de 50% en 2020 en comparaison avec la même période en 2019 ;
– condamner la SCI Immobilière Générale Française à lui remettre un avoir de 26 939,23 euros TTC, correspondant à l’annulation de 50 % des loyers facturés sur la période du 15 mars et le 2 juin 2020 et du 30 octobre 2020 au 8 juin 2021 en considération des périodes de fermeture administrative des locaux loués, déduction faite de l’avoir accordé de 18 379,10 euros,
– condamner la SCI Immobilière Générale Française à réajuster le montant des provisions de charges trimestrielles de manière à ce qu’elles correspondent aux charges réelles,
– dire et juger que le commandement visant la clause résolutoire du 12 janvier 2022 ne peut donc produire aucun effet,
A titre subsidiaire :
– lui accorder des délais de paiements pour s’acquitter des sommes qu’elle reste éventuellement à devoir en vingt-quatre mensualités d’un montant égal,
– prononcer en conséquence la suspension de la réalisation et des effets de la clause résolutoire insérée dans le bail commercial du 28 septembre 2024,
En tout état de cause :
– condamner la SCI Immobilière Générale Française à lui payer la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la SCI Immobilière Générale Française en tous les dépens de l’instance qui seront recouvrés par Maître Romain Lesueur, avocat aux offres de droit conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions n°3 avant clôture notifiées par RPVA le 14 avril 2023, la SCI Immobilière Générale Française demande au tribunal de :
– constater que la SAS Levantine ne justifie pas de la destruction de la chose louée au sens des dispositions de l’article 1722 du code civil ;
– constater que la force majeure ne saurait exonérer le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent ;
– constater qu’elle n’a pas manqué à son obligation de délivrance, de sorte que la SAS Levantine est infondée en son exception d’inexécution ;
– constater qu’elle n’a pas manqué à son obligation de bonne foi ;
– constater que les provisions sur charges et charges qu’elle appelle sont parfaitement justifiées, outre que la SAS Levantine ne justifie d’aucun préjudice à ce titre ;
– constater que la SAS Levantine n’est pas un débiteur de bonne foi et qu’elle ne justifie aucunement de la réalité et de l’étendue des difficultés financières excipées par ses soins;
Par conséquent, débouter la SAS Levantine de l’ensemble de ses demandes et prétentions comme étant parfaitement infondées ;
A titre reconventionnel :
– constater l’acquisition de la clause résolutoire du bail aux torts exclusifs de la SAS Levantine,
– ordonner l’expulsion immédiate de la SAS Levantine ainsi que celle de tous occupants de son chef des locaux donnés à bail, dès la signification de la décision à intervenir, au besoin par l’assistance de la force publique et d’un serrurier ;
– condamner la SAS Levantine à lui payer la somme de 174 545,12 euros TTC correspondant aux arriérés de loyers et charges dus suivant décompte locatif arrêté au 10 juillet 2024, outre les intérêts au taux conventionnel de 2% par mois de retard sur le montant des sommes dues,
– condamner la SAS Levantine à lui payer la somme de 17.454,51 euros en application des stipulations de l’article 18 du contrat de bail,
– fixer le montant de l’indemnité d’occupation dont sera redevable la SAS Levantine à une somme mensuelle de 20.227,40 euros TTC, outre les charges,
– condamner la SAS Levantine au paiement de l’indemnité d’occupation telle que fixée ci-dessus jusqu’à libération effective des lieux,
– condamner la SAS Levantine à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, en ce compris les frais des commandements de payer du 12 janvier 2022,
– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant toute voie de recours et sans caution.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 26 septembre 2023.
Par conclusions n°4 notifiées par RPVA le 24 juillet 2024 au visa de l’article 802 du code de procédure civile, la SCI Générale Immobilière Française a maintenu ses demandes sauf à solliciter la condamnation de la SAS Levantine à lui payer la somme de 215.639,71 euros TTC correspondant aux arriérés de loyers et charges dus suivant décompte locatif arrêté au 10 juillet 2024, outre les intérêts au taux conventionnel de 2% par mois de retard sur le montant des sommes dues.
Par conclusions récapitulatives n°3 notifiées par RPVA le 17 septembre 2024 au visa de l’article 802 du code de procédure civile, la SAS Levantine a maintenu ses demandes et les modifiant demande au tribunal
A titre subsidiaire de :
– juger qu’elle acquiesce à la demande de condamnation à paiement formulée par la société Immobilière Générale Française à son encontre, à hauteur de la somme de 126088,12 euros, correspondant à la saisie conservatoire pratiquée le 11 avril 2024 entre les mains de la société générale,
– juger en conséquence qu’elle est à jour du paiement de sa dette locative,
– prononcer la suspension rétroactive de la réalisation et des effets de la clause résolutoire insérée dans le bail commercial du 28 septembre 2004,
Si par extraordinaire le tribunal ne faisait pas droit à la demande d’acquiescement du
défendeur,
– lui accorder des délais de paiements pour s’acquitter des sommes qu’elle reste éventuellement devoir en vingt-quatre mensualités d’égal montant,
– prononcer la suspension rétroactive de la réalisation et des effets de la clause résolutoire insérée dans le bail commercial du 28 septembre 2004,
A titre infiniment subsidiaire :
– prononcer la révocation de l’ordonnance de clôture du 26 septembre 2023,
La SAS Levantine a également fait parvenir au tribunal des conclusions en révocation de la clôture le 19 septembre 2024 par voie électronique, auxquelles ont été joints des décomptes locatifs aux fins d’actualisation de la dette locative.
La SAS Levantine précise notamment qu’une saisie conservatoire a été pratiquée le 11 avril 2024 par la SCI Générale Immobilière Française sur son compte de la SAS ouvert à BNP pour un montant de 126 088,12 euros ; saisie à laquelle la SAS Levantine déclare “acquiescer” et dont elle demande la main levée à la SCI Générale Immobilière Française.
La SCI Générale Immobilière Française a quant à elle, à la demande du tribunal, transmis une note en délibéré comprenant l’état des nantissements et privilèges du fonds, ainsi que la dénonciation de la procédure aux créanciers inscrits.
L’affaire a été plaidée le 23 septembre 2024 et a été mise en délibéré au 12 novembre 2024, prorogé au 21 novembre 2024.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au greffe à la date du délibéré
Déclare recevables les conclusions notifiées par la SCI Immobilière Générale Française et la SAS Levantine respectivement les 24 juillet et 17 septembre 2024.
Déboute la SAS Levantine de sa demande d’annulation des loyers et charges pour la période du 15 mars au 2 juin 2020 et du 30 octobre 2020 au 8 juin 2021 inclus,
Déboute la SAS Levantine de sa demande de condamnation de la SCI Générale Immobilière Française d’avoir à lui remettre un avoir de 26 939,23 euros TTC, correspondant à l’annulation de 50 % des loyers facturés sur la période du 15 mars et le 2 juin 2020 et du 30 octobre 2020 au 8 juin 2021 en considération des périodes de fermeture administrative des locaux loués, déduction faite de l’avoir accordé de 18 379,10 euros,
Dit que le commandement de payer visant la clause résolutoire en date du 12 janvier 2022 est valable et produit tous ses effets,
Constate l’acquisition de la clause résolutoire insérée au bail portant sur les locaux situés [Adresse 2] et [Adresse 3] à [Localité 5] à la date du 12 février 2022 à vingt-quatre heures, par l’effet du commandement du 12 janvier 2022 délivré par la société Immobilière Générale Française à SAS Levantine,
Condamne SAS Levantine à payer à la société Immobilière Générale Française, en deniers ou quittance et se tenir compte de la déduction à venir des sommes saisies suite à la saisie conservatoire diligentée par la société Immobilière Générale Française le 11 avril 2024 la somme de 123.163,35 TTC correspondant aux arriérés de loyers et charges dus suivant décompte locatif arrêté au 19 septembre 2024, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
Ordonne la suspension des effets de la clause résolutoire, et autorise SAS Levantine à se libérer de cette somme par l’effet de la conversion de la saisie et l’attribution des sommes à due concurrence à la société Immobilière Générale Française,
Dit, le cas échéant, qu’à défaut de règlement suivant les modalités ci dessus fixées passé le délai de quinze jours suivant l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception valant mise en demeure restée infructueuse :
– la totalité de la somme restant due deviendra immédiatement exigible et recouvrable par la société Immobilière Générale Française,
– la clause résolutoire reprendra de plein droit son plein effet et le bail sera résilié,
– la SAS Levantine devra libérer les locaux loués, de sa personne, de ses biens et de tous occupants de son chef,
– faute pour SAS Levantine de libérer spontanément les locaux susvisés, la société Immobilière Générale Française sera immédiatement autorisée à procéder à son expulsion et à celle de tous occupants de son chef, au besoin avec l’assistance de la force publique et d’un serrurier,
– SAS Levantine sera redevable à La société Immobilière Générale Française d’une indemnité d’occupation, jusqu’à la libération des locaux par la remise des clés, d’un montant égal au montant du loyer contractuel indexé, majoré des taxes et charges,
Rappelle qu’en ce cas le sort des meubles trouvés dans les lieux est régi par l’article L. 433-1 du code des procédures civiles d’exécution,
Condamne SAS Levantine à payer à la société Immobilière Générale Française la somme de 2 500 euros à titre de clause pénale,
Condamne SAS Levantine à payer à La société Immobilière Générale Française la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Rappelle que l’exécution provisoire est de droit,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne SAS Levantine aux dépens, comprenant le coût du commandement de payer du 12 février 2022,
Fait et jugé à Paris le 21 Novembre 2024.
Le Greffier La Présidente
Christian GUINAND Sophie GUILLARME
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