Cour de cassation, 5 février 2025, Pourvoi n° 22-24.601
Cour de cassation, 5 février 2025, Pourvoi n° 22-24.601

Type de juridiction : Cour de cassation

Juridiction : Cour de cassation

Thématique : Validité d’un préavis de grève et représentativité syndicale dans le secteur des transports

Résumé

Contexte de l’affaire

La société de transport Keolis est responsable de l’exploitation et de la maintenance de réseaux de transport urbains, périurbains et interurbains. Elle possède plusieurs filiales, dont une qui gère le réseau de transports en commun de la région lyonnaise, avec deux cents cadres mis à disposition par la société mère.

Notification d’une alarme sociale

Le 4 février 2022, une organisation syndicale, la Fédération nationale des syndicats de transports CGT, a notifié à la société Keolis une alarme sociale en vue de déposer un préavis de grève concernant les personnels mis à disposition au sein de la filiale. Cependant, la société Keolis a contesté la validité de cette alarme, arguant que l’organisation syndicale n’était pas représentative au sein de l’entreprise.

Dépôt du préavis de grève

Le 1er mars 2022, l’organisation syndicale a déposé un préavis de grève, qui devait s’étendre du 10 mars au 30 juin 2022, pour tous les personnels mis à disposition par la société Keolis à la filiale. En réponse à l’opposition de la société Keolis, l’organisation syndicale a assigné cette dernière devant le juge des référés, invoquant une entrave au droit de grève.

Arguments de la société Keolis

La société Keolis a contesté la décision du juge des référés, affirmant que le préavis de grève n’était pas valide car l’organisation syndicale n’était pas représentative au sein de l’entreprise. Selon la législation en vigueur, seules les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise peuvent déposer une alarme sociale et négocier un préavis de grève.

Réponse de la Cour

La Cour a rappelé que, selon le code du travail, le dépôt d’un préavis de grève doit être précédé d’une négociation entre l’employeur et les organisations syndicales représentatives. Bien que l’organisation syndicale soit représentative au niveau national et dans la branche professionnelle, la Cour a conclu que cela ne suffisait pas pour valider le préavis de grève au sein de l’entreprise concernée.

Conséquences de la décision

La Cour a finalement statué que le préavis de grève déposé par l’organisation syndicale n’était pas valide, ce qui a conduit à la conclusion que le trouble manifestement illicite invoqué par l’organisation syndicale n’était pas caractérisé. Cette décision a des implications importantes pour la gestion des conflits sociaux au sein des entreprises de transport public.

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 5 février 2025

Cassation sans renvoi

M. SOMMER, président

Arrêt n° 132 FS-B

Pourvoi n° V 22-24.601

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 FÉVRIER 2025

La société Keolis, société anonyme à conseil d’administration, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 22-24.601 contre l’arrêt rendu le 3 novembre 2022 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l’opposant à la Fédération nationale des syndicats de transports CGT, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Keolis, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la Fédération nationale des syndicats de transports CGT, et l’avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l’audience publique du 8 janvier 2025 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, Bouvier, Bérard, M. Dieu, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Ollivier, Arsac, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 3 novembre 2022), statuant en matière de référé, la société Keolis assure l’exploitation et la maintenance de réseaux de transport urbains, périurbains et interurbains.

2. Elle détient plusieurs filiales, dont la société Keolis-[Localité 3], qui exploite, sur délégation de service public du syndicat mixte des transports pour le Rhône et l’agglomération lyonnaise (SYTRAL), le réseau de transports en commun lyonnais (TCL) de voyageurs. Deux cents cadres de la société Keolis sont mis à disposition de la société Keolis-[Localité 3].

3. Le 4 février 2022, la Fédération nationale des syndicats de transports CGT (la fédération CGT) a notifié à la société Keolis une alarme sociale en vue du dépôt d’un préavis de grève concernant la situation des personnels mis à disposition au sein de la société Keolis-[Localité 3].

4. Le 15 février 2022, la société Keolis a refusé de reconnaître la validité de cette alarme sociale au motif que, si la fédération CGT était représentative au sein de la branche des transports routiers de voyageurs, elle n’était pas représentative au niveau de la société Keolis.

5. Par lettre du 1er mars 2022, la fédération CGT a déposé un préavis de grève à compter du 10 mars 2022 jusqu’au 30 juin 2022 pour l’ensemble des personnels mis à disposition par la société Keolis au sein de la société Keolis-[Localité 3].

6. Le 18 mars 2022, la fédération CGT, invoquant un trouble manifestement illicite constitué par une entrave au droit de grève à raison de l’opposition exprimée par la société Keolis au préavis déposé le 1er mars 2022, a assigné la société Keolis devant le juge des référés.

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 2512-2 du code du travail et les articles L. 1222-7, L. 1324-2, L. 1324-5, 7°, L. 1324-10 du code des transports :

8. Selon l’article L. 2512-2 du code du travail, lorsque les personnels notamment des entreprises, organismes ou établissements publics ou privés chargés de la gestion d’un service public exercent le droit de grève, la cessation concertée du travail est précédée d’un préavis. Le préavis émane d’une organisation syndicale représentative au niveau national, dans la catégorie professionnelle ou dans l’entreprise, l’organisme ou le service intéressé. Il précise les motifs du recours à la grève. Le préavis doit parvenir cinq jours francs avant le déclenchement de la grève à l’autorité hiérarchique ou à la direction de l’établissement, de l’entreprise ou de l’organisme intéressé. Il mentionne le champ géographique et l’heure du début ainsi que la durée limitée ou non, de la grève envisagée. Pendant la durée du préavis, les parties intéressées sont tenues de négocier.

9. Selon l’article L. 1324-2 du code des transports, dans les entreprises gérant les services publics de transport terrestre régulier de personnes, l’employeur et les organisations syndicales représentatives engagent des négociations en vue de la signature, avant le 1er janvier 2008, d’un accord-cadre organisant une procédure de prévention des conflits et tendant à développer le dialogue social. Dans ces entreprises, le dépôt d’un préavis de grève ne peut intervenir qu’après une négociation préalable entre l’employeur et la ou les organisations syndicales représentatives qui envisagent de déposer le préavis. L’accord-cadre fixe les règles d’organisation et de déroulement de cette négociation. Ces règles doivent être conformes aux conditions posées à l’article L. 1324-5. Le présent article s’applique sans préjudice des dispositions de l’article L. 2512-2 du code du travail.

10. Aux termes de l’article L. 1222-7 du code des transports, dans les entreprises de transports, l’employeur et les organisations syndicales représentatives concluent un accord collectif de prévisibilité du service applicable en cas de perturbation prévisible du trafic. L’accord collectif de prévisibilité du service recense, par métier, fonction et niveau de compétence ou de qualification, les catégories d’agents et leurs effectifs ainsi que les moyens matériels, indispensables à l’exécution, conformément aux règles de sécurité en vigueur applicables à l’entreprise, de chacun des niveaux de service prévus dans le plan de transports adapté. Il fixe les conditions dans lesquelles, en cas de perturbation prévisible, l’organisation du travail est révisée et les personnels disponibles réaffectés afin de permettre la mise en œuvre du plan de transports adapté. En cas de grève, les personnels disponibles sont les personnels de l’entreprise non grévistes.
A défaut d’accord applicable, un plan de prévisibilité est défini par l’employeur. Un accord collectif de prévisibilité du service qui entre en vigueur s’applique en lieu et place du plan de prévisibilité. L’accord ou le plan est notifié au représentant de l’Etat et à l’autorité organisatrice de transports.

11. Selon l’article L. 1324-5, 7°, du code des transports, l’accord-cadre prévu à l’article L. 1324-2 détermine notamment les conditions dans lesquelles les salariés sont informés des motifs du conflit, de la position de l’employeur, de la position des organisations syndicales représentatives qui ont procédé à la notification ainsi que les conditions dans lesquelles ils reçoivent communication du relevé de conclusions de la négociation préalable.

12. Aux termes de l’article L. 1324-10 du code des transports, au-delà de huit jours de grève, l’employeur, une organisation syndicale représentative ou le médiateur éventuellement désigné peut décider l’organisation par l’entreprise d’une consultation, ouverte aux salariés concernés par les motifs figurant dans le préavis, et portant sur la poursuite de la grève. Les conditions du vote sont définies, par l’employeur, dans les vingt-quatre heures qui suivent la décision d’organiser la consultation. L’employeur en informe l’agent de contrôle de l’inspection du travail mentionné à l’article L. 8112-1 du code du travail. La consultation est assurée dans des conditions garantissant le secret du vote. Son résultat n’affecte pas l’exercice du droit de grève.

13. Il résulte de la combinaison de ces textes que, dans les entreprises de transport gérant les services publics de transport terrestre régulier de personnes, le dépôt d’un préavis de grève ne pouvant intervenir qu’après une négociation préalable entre l’employeur et la ou les organisations syndicales représentatives qui envisagent de déposer le préavis, cette négociation ayant pour objet de tenter de parvenir à un accord et d’éviter le déclenchement de la grève envisagée dans l’entreprise, seules les organisations syndicales représentatives au sein de cette entreprise peuvent procéder au dépôt d’un préavis de grève.

14. L’arrêt retient qu’il n’était pas contesté que la fédération CGT est représentative tant au niveau de la branche professionnelle qu’au niveau national interprofessionnel et que le dépôt d’un préavis de grève par cette organisation syndicale est valide, peu important qu’elle ne soit pas représentative au sein de la société Keolis-[Localité 3].

15. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que, la fédération CGT étant seulement représentative au niveau national, le préavis de grève n’était pas valide, de sorte que le trouble manifestement illicite invoqué à raison d’une entrave au droit de grève n’était pas caractérisé, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

16. Après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du code de procédure civile , il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

17. L’intérêt d’une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

 


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