Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Poitiers
Thématique : Reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur en matière de santé au travail
→ RésuméContexte de l’affaireLa plaignante, une victime, est affiliée à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) de la Vienne en raison de son activité au sein d’une agence de formation professionnelle. En octobre 2015, la CPAM a reconnu le caractère professionnel de sa pathologie, un syndrome anxio-dépressif, suite à un avis favorable d’un comité de reconnaissance des maladies professionnelles. Demande de reconnaissance de faute inexcusableEn mai 2016, la victime a sollicité la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, l’agence de formation, et a demandé une conciliation. En novembre 2016, la CPAM a notifié un procès-verbal de non-conciliation. La victime a été considérée comme consolidée en mars 2017, avec un taux d’incapacité permanente partielle fixé à 30 %. Procédures judiciairesEn février 2017, la victime a saisi le tribunal des affaires de la sécurité sociale pour faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur. En avril 2020, le juge a constaté l’extinction de l’instance par péremption, mais en octobre 2021, la cour d’appel a infirmé cette décision, renvoyant l’affaire devant le tribunal judiciaire pour statuer sur le fond. Audiences et demandes de la victimeLors d’une audience en juillet 2023, la victime a demandé au tribunal de reconnaître que sa maladie professionnelle résultait de la faute inexcusable de son employeur, d’ordonner la majoration de sa rente, et de condamner l’agence de formation à lui verser des sommes pour divers préjudices. L’agence de formation a contesté ces demandes, arguant qu’elle n’avait commis aucun manquement à son obligation de sécurité. Arguments de la défenseL’agence de formation a soutenu qu’aucun harcèlement moral n’avait été établi et a demandé le déboutement de la victime. Elle a également demandé à ce que la victime soit condamnée à lui verser des frais sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Position de la CPAMLa CPAM, représentée, a indiqué s’en remettre à la justice concernant la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et a demandé le remboursement des sommes avancées. Décision du tribunalLe tribunal a jugé que la pathologie de la victime était due à la faute inexcusable de l’agence de formation. Il a ordonné une expertise médicale pour évaluer les préjudices subis par la victime et a fixé la majoration de sa rente à son maximum légal. L’agence de formation a été condamnée à rembourser la CPAM pour les sommes avancées. ConclusionLe tribunal a réservé les dépens et a renvoyé l’examen de l’affaire à la mise en état, tout en ordonnant une expertise pour évaluer les préjudices de la victime. La décision finale sera rendue ultérieurement. |
MINUTE N°25/00043
JUGEMENT DU 3 FEVRIER 2025
N° RG 18/00526 – N° Portalis DB3J-W-B7B-ETNE
AFFAIRE : [T] [V] C/ AFPA, CPAM de la Vienne
TRIBUNAL JUDICIAIRE de POITIERS
PÔLE SOCIAL
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUGEMENT DU 3 FEVRIER 2025
DEMANDERESSE :
Madame [T] [V], demeurant 1 rue de la Nougeraie – 86580 VOUNEUIL SOUS BIARD,
représentée par Maître Philippe GAND, avocat au barreau de POITIERS ;
DÉFENDERESSE :
AGENCE POUR LA FORMATION PROFESSIONNELLE DES ADULTES (AFPA), dont le siège social est sis Tour Cityscope – 3 rue Franklin – 93108 MONTREUIL CEDEX,
représentée par Maître Pierre LEMAIRE, substitué par Maître Marion GAY, avocats au barreau de POITIERS ;
APPELEE A LA CAUSE :
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA VIENNE, dont le siège est sis 41 rue du Touffenet – 86043 POITIERS CEDEX 09,
représentée par Madame [G] [F], munie d’un pouvoir ;
DÉBATS
A l’issue des débats en audience publique le 3 Décembre 2024, le tribunal a indiqué que le jugement sera prononcé par mise à disposition au Greffe le 3 Février 2025.
COMPOSITION DU TRIBUNAL
PRÉSIDENTE : Nicole BRIAL,
ASSESSEUR : Laëtitia RIVERON, représentant les employeurs, ayant uniquement voix consultative en l’absence de [S] [N], représentant les salariés, empêché;
GREFFIER, lors des débats et de la mise à disposition au greffe : Stéphane BASQ.
LE : 03/02/2025
Notifications à :
– Mme [T] [V]
– AFPA
Copies à :
– Me Philippe GAND
– Me Pierre LEMAIRE
EXPOSÉ DU LITIGE :
Madame [T] [V] est affiliée à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) de la Vienne au titre de son activité au sein de l’Agence pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA).
Par courrier du 8 octobre 2015, la CPAM de la Vienne a notifié à Madame [V] une décision de reconnaissance du caractère professionnel de sa pathologie du 13 mars 2014 consistant en un syndrome anxio-dépressif, suite à un avis favorable du Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles en date du 28 septembre 2015.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 13 mai 2016, Madame [V] a sollicité la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et une conciliation en ce sens auprès de la CPAM de la Vienne.
Le 30 novembre 2016, la CPAM de la Vienne a adressé à Madame [V] un procès-verbal de non-conciliation.
Madame [V] a été considérée comme consolidée à la date du 16 mars 2017, et la CPAM a fixé son taux d’incapacité permanente partielle (IPP) à 30 %.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 28 février 2017, Madame [V] a saisi le tribunal des affaires de la sécurité sociale d’un recours en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Par ordonnance du 6 avril 2020, le juge de la mise en état a constaté l’extinction de l’instance à titre principal par l’effet de la péremption.
Par arrêt en date du 28 octobre 2021, la chambre sociale de la cour d’appel de Poitiers a infirmé l’ordonnance du 6 avril 2020, déclaré que l’instance n’était pas atteinte par la péremption, et renvoyé l’affaire devant le pôle social du tribunal judiciaire de Poitiers pour qu’il soit statué sur le fond.
Par ordonnance du 19 juillet 2023, le juge de la mise en état a organisé les échanges de conclusions et pièces entre les parties, et a fixé la clôture des débats au 22 mars 2024, ainsi que les plaidoiries à l’audience du 2 avril 2024.
A cette audience, l’affaire a fait l’objet l’un renvoi contradictoire au 3 décembre 2024.
Lors de cette audience, les parties ont donné leur accord pour que le tribunal statue à juge unique en l’absence de l’un des assesseurs le composant.
Madame [T] [V], représentée par son conseil, a demandé au tribunal de :
– dire et juger que la maladie professionnelle déclarée par Madame [T] [V] le 13 mars 2014 résulte de la faute inexcusable de son employeur, l’AFPA ;
En conséquence,
– ordonner la majoration à son taux maximum de la rente ATMP allouée à Madame [T] [V] ;
– Condamner l’AFPA au paiement des sommes suivantes :
. 81 260 € au titre du déficit fonctionnel permanent,
. 50 000 € au titre des souffrances endurées,
. 90 000 € au titre de la perte de chance de promotion professionnelle,
A titre subsidiaire,
– désigner tel médecin expert qu’il plaira au Tribunal, avec mission d’évaluer
le préjudice la concluante selon la nomenclature Dintilhac en y ajoutant l’évaluation des pertes de chance de promotion professionnelle ;
En toute hypothèse,
– condamner l’AFPA à payer à Madame [T] [V] la somme de 4 000 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dire que le jugement à intervenir sera opposable à la CPAM de la Vienne, qui fera l’avance des sommes mises à la charge de l’employeur ;
– condamner l’AFPA aux dépens.
A l’appui de ses prétentions, Madame [T] [V] a invoqué les articles L.4121-1 du code du travail et L. 452-1 du code de la sécurité sociale pour soutenir que son employeur avait été averti de sa situation et des les dangers que celle-ci présentait, et qu’il avait d’ailleurs été condamné pour cela à lui verser des dommages et intérêts, de sorte que la faute inexcusable était caractérisée.
En défense, l’Agence pour la Formation Professionnelle des Adultes, représentée par son conseil, a demandé au tribunal de :
– débouter Madame [V] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner Madame [V] à payer à l’AFPA la somme de 3 500€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Au soutien de ses intérêts, l’Agence pour la Formation Professionnelle des Adultes a soutenu qu’elle n’avait commis aucun manquement à son obligation de sécurité, et que sur la période antérieure à 2017, aucun fait de harcèlement moral de sa part n’avait été établi, tel qu’en atteste le jugement du 12 février 2018 du Conseil des Prud’hommes confirmé sur ces points par l’arrêt du 3 juillet 2019 de la Cour d’Appel de Poitiers, de sorte qu’aucune faute inexcusable ne pouvait être retenue à son encontre.
La CPAM de la Vienne, valablement représentée, a indiqué au tribunal s’en remettre à justice pour la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur et le montant des éventuels préjudices attribués à Madame [V]. Elle a également sollicité la condamnation de l’AFPA au remboursement des sommes dont elle aura fait l’avance.
A l’issue de l’audience, la décision a été mise en délibéré au 3 février 2025, par mise à disposition au greffe.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal judiciaire, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu pour partie en premier ressort et pour partie avant dire droit,
JUGE que la pathologie de Madame [T] [V] déclarée le 7 avril 2014 est due à la faute inexcusable de l’Agence pour la Formation Professionnelle des Adultes ;
FIXE la majoration de la rente versée à Madame [T] [V], pour son taux d’incapacité permanente partielle de 30 %, à son maximum légal, selon les dispositions de l’article L. 452-2 du code de la Sécurité sociale ;
RAPPELLE que la majoration accordée suivra l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle de Madame [T] [V] ;
ORDONNE avant dire droit une expertise médicale ;
DESIGNE le Docteur [O] [J], médecin inscrit sur la liste des experts de la Cour d’Appel de POITIERS, travaillant 21 rue Léopold Sédar Senghor, 86000 POITIERS, avec pour mission de :
– convoquer Madame [T] [V],
– recueillir les renseignements nécessaires sur sa situation familiale et professionnelle actuelle, son mode de vie antérieur à sa maladie professionnelle,
– à partir des déclarations de Madame [T] [V], au besoin de ses proches et de tout sachant, et des documents médicaux fournis, décrire en détail les séquelles de l’accident du travail, les modalités de traitement, en précisant le cas échéant, les durées exactes d’hospitalisation et, pour chaque période d’hospitalisation, le nom de l’établissement, les services concernés et la nature des soins,
– décrire au besoin un état antérieur en ne retenant que les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les séquelles initiales et l’accident du travail,
– procéder, éventuellement en présence des médecins mandatés par les parties, à un examen clinique détaillé en fonction des séquelles initiales et l’accident du travail,
– analyser la réalité des séquelles, de l’état actuel, l’imputabilité directe de l’accident du travail en précisant au besoin l’incidence d’un état antérieur ou étranger ;
– déterminer et détailler les préjudices énumérés à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, et notamment ;
. ses souffrances physiques et morales ;
. son préjudice esthétique temporaire ;
. son préjudice esthétique permanent ;
. son préjudice d’agrément ;
– déterminer et détailler les éléments d’éventuels autres préjudices non couverts par le livre IV du Code de la Sécurité sociale,
. son préjudice sexuel ;
. son déficit fonctionnel temporaire ;
. son déficit fonctionnel permanent ;
. ses frais d’adaptation éventuels de logement ou de véhicule ;
. ses préjudices permanents exceptionnels atypiques liés aux handicaps permanents ;
. son préjudice d’assistance temporaire par une tierce personne.
DIT que l’expert pourra s’adjoindre tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d’en informer préalablement le présent tribunal chargé du contrôle des expertises et de joindre l’avis du sapiteur à son rapport, et que si le sapiteur n’a pas pu réaliser ses opérations de manière contradictoire, son avis devra être immédiatement communiqué aux parties par l’expert ;
DIT que l’expert devra communiquer un pré-rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif ;
DIT que les frais de l’expertise seront pris en charge en première intention par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la Vienne ;
DIT que l’expert déposera au greffe son rapport dans le délai de SIX MOIS à compter de sa saisine ;
CONDAMNE l’Agence pour la Formation Professionnelle des Adultes à rembourser à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la Vienne l’ensemble des sommes en principal dont celle-ci aura fait l’avance au titre du présent jugement ;
SURSOIT à statuer sur les autres demandes ;
RESERVE les dépens ;
RENVOIE l’examen de l’affaire à la mise en état.
Ainsi dit et jugé les jour, mois et an susdits.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,
S. BASQ N. BRIAL
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