Cour d’appel de Paris, 3 octobre 2022
Cour d’appel de Paris, 3 octobre 2022

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Paris

Thématique : Soupçons de parasitisme entre Start Up? Le 1er réflexe juridique à avoir 

Résumé

En cas de soupçons de parasitisme entre start-ups, il est déterminant de se constituer des preuves et d’exploiter l’effet de surprise, conformément à l’article 145 du code de procédure civile. La société Fleet, suspectant Triliz de parasitisme, a saisi le tribunal de commerce de Paris pour ordonner des mesures d’instruction. Cette démarche a permis d’ouvrir les comptes de messagerie des dirigeants de Triliz afin de rechercher des éléments de preuve. Le juge a confirmé le caractère proportionné de cette mesure, soulignant qu’elle ne devait pas porter atteinte aux droits fondamentaux d’autrui tout en préservant l’intégrité des preuves.

La preuve et l’effet de surprise

En matière de soupçons de parasitisme par un concurrent, l’un des premiers réflexes juridiques à adopter est de se constituer une preuve et de bénéficier de l’effet de surprise permis par l’article 145 du code de procédure civile.

L’ordonnance sur requête

En la cause, soupçonnant la société Triliz de parasitisme, la société Fleet a saisi avec succès le président du tribunal de commerce de Paris par voie de requête afin de voir ordonner des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.

Analyse des courriers électroniques

Cette ordonnance a permis l’ouverture des comptes de messagerie des deux dirigeants de l’entreprise, pour une recherche des courriers électroniques dont ils ont été les expéditeurs ou les destinataires et qui contiennent l’un ou plusieurs des mots clefs définis par le juge (à l’exclusion des documents ou dossiers intitulés “personnel”, “perso” ou “privé” et de toute correspondance en provenance ou à destination d’un avocat).

Mesures proportionnées

Le caractère proportionné de cette mesure a été confirmé.

Le caractère proportionné, eu égard aux intérêts en présence, s’apprécie au moment de son prononcé, par conséquent, le résultat de son exécution n’a pas à être pris en considération que ce soit le nombre de documents séquestrés ou la saisie d’éléments couverts par le secret des affaires.

L’ordonnance organisait d’ailleurs une mesure de séquestre des pièces recueillies par l’huissier instrumentaire afin de mettre en place un débat contradictoire sur leur transmission à la société Fleet, sous le contrôle du juge.

Par suite, la mesure ordonnée ne s’apparentait pas à une mesure générale d’investigation excédant les prévisions de l’article 145 du code de procédure civile.

Mesure d’instruction in futurum

Pour rappel, le demandeur à la mesure d’instruction in futurum n’a pas à démontrer la réalité des faits de pillage et de parasitisme économique qu’il allègue, il doit justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions, ne relevant pas de la simple hypothèse, en lien avec un litige potentiel futur dont l’objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés. Dès lors, la cour n’a pas à suivre le défendeur dans une contestation et des développements qui relèvent du débat au fond.

Etablir des preuves avant un procès

Pour rappel, aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

L’article 493 du même code prévoit que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Enfin, il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d’appel, saisie de l’appel d’une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d’une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d’instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, est investie des attributions du juge qui l’a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli.

Cette voie de contestation n’est donc que le prolongement de la procédure antérieure : le juge doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. 

Il doit à cet égard constater qu’il existe un procès en germe possible et non manifestement voué à l’échec au regard des moyens soulevés, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé (sans qu’il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond) et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée.

Cette mesure ne doit pas porter une atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d’autrui. Le juge doit encore rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l’ordonnance qui y fait droit.

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 3

ARRET DU 05 OCTOBRE 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/03125 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFHMY

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 27 Janvier 2022 -Président du TC de PARIS 04 RG n° 2021034830

APPELANTE

S.A.S. TRILIZ agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège […]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477 et par Me Julie WALRAFEN de l’AARPI SQUAIR, avocat au barreau de PARIS, toque : K0126

INTIMEE

S.A.S. FLEET agissant poursuites et diligences en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège […]

Représentée par Me Arnaud CONSTANS de la SELEURL SELARL Constans Avocat, avocat au barreau de PARIS, toque : K0112 et par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L001

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 05 Septembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de : Monsieur Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre M. Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre Mme Patricia LEFEVRE, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Patricia LEFEVRE, conseillère dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Sonia DAIRAIN

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre et par Olivier POIX, Greffier lors de la mise à disposition.

****** La société Fleet, immatriculée le 19 février 2019, a pour objet social la location et la location-bail de machines de bureau et de matériel informatique (notamment mais pas exclusivement ordinateurs portables et fixes, téléphones, tablettes et imprimantes) complétée de services d’assurance, d’assistance et de maintenance permettant une meilleure utilisation de ce matériel par les entreprises.

La société Triliz (anciennement dénommée L.B.C.S – LB Corporate Solutions) immatriculée le 1 juin 2018 a pour objet social la conception, la réalisation et l’exploitation de produitser électroniques, la prestation de services et de conseil, la conception, l’étude, l’analyse, l’équipement, l’installation, la gestion, l’utilisation et l’amélioration de systèmes informatiques et plus généralement, la réalisation de toutes prestations ou opérations commerciales, financières, industrielles, mobilières ou immobilières se rapportant à son objet social.

Soupçonnant la société Triliz de parasitisme, la société Fleet a saisi le président du tribunal de commerce de Paris par voie de requête afin de voir ordonner des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.

Par ordonnance sur requête du 18 mai 2021, le président du tribunal de commerce de Paris a commis un huissier audiencier du tribunal, la société Asperti-Z, en qualité de mandataire de justice, avec mission de se rendre au siège social de la société LB Corporate Solutions (L.B.C.S) afin de se faire remettre ou rechercher sur tout support les éléments de preuve, pour la période du 1 juin 2019 au 18 mai 2021, permettant de déterminer leser éléments définis dans ladite ordonnance et à cette fin, principalement se faire donner accès aux comptes de messageries utilisés par MM. X et Y (dirigeant de la société Triliz) pour émettre et recevoir des e-mails ainsi que les accès aux espaces Slack et aux comptes de messageries instantanées, accès ou espaces Notion ou outils de partages utilisés habituellement et mener des recherches sur tous supports informatiques, ordinateurs, serveurs, Cloud, tablettes, téléphones portable en utilisant, si besoin est, les mots clefs suivants :

-Fleet / Flit / Fleat ;

– E / Briche / Berrich / Berich ;

– D / I ;

– F / Sevvan / Sevane ;

– G / Marien ;

– “rachat de matériel” ;

– “Saas de gestion” ;

-“ story-telling” et “sterry-telling” ;

– “station F” et “partenariat” ;

– “lemlist” ;

“Google Adwords” et “Google Ads”.

Les opérations de constat se sont déroulées, le 22 juin 2021 et les éléments collectés ont été copiés sur des clés USB placées sous séquestre.

Par acte extra-judiciaire du 19 juillet 2021, la société Triliz a fait assigner la société Fleet devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir rétracter

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l’ordonnance du 18 mai 2021, prononcer la nullité des actes d’instruction subséquents et ordonner la restitution des documents séquestrés.

Parallèlement, la société Fleet a fait assigner la société Triliz d’une part, en levée du séquestre par acte du 10 août 2021, et d’autre part, au fond, par acte du 24 août 2021.

Par ordonnance contradictoire du 27 janvier 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a, rappelant que sa décision était de plein droit exécutoire par provision :

– dit qu’il a été saisi de la demande de rétractation le 9 août 2021, date de dépôt de l’assignation au greffe et que l’action de la société Triliz n’est pas forclose ;

– débouté la société Triliz de l’ensemble de ses demandes et confirmé l’ordonnance du 18 mai 2021 ;

– dit que la société Asperti-Z ès qualités conservera sous séquestre l’ensemble des pièces jusqu’à ce que tous les délais d’appel soient expirés ;

– condamné la société Triliz à verser à la société Fleet la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Le 8 février 2022, la société Triliz a relevé appel de cette décision et aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 juin 2022, elle demande à la cour, au visa des articles 145, 493, 496, 497, 654, 658 et 693 du code de procédure civile et des articles 1240 et suivants du code civil d’infirmer l’ordonnance en ce qu’elle l’a déboutée de ses demandes, a maintenu le séquestre et est entrée en voie de condamnation à son égard et statuant à nouveau, de rétracter l’ordonnance rendue le 18 mai 2021, prononcer la nullité de tous les actes subséquents et, en conséquence, ordonner que les documents séquestrés par l’huissier instrumentaire lui soient restitués et prononcer la nullité du procès-verbal de constat dressé le 22 juin 2021. Elle sollicite également que la société Fleet soit déboutée de ses demandes et condamnée à lui payer la somme de 15 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 21 juin 2022, la société Fleet soutient, au visa des articles 145, 496, 497, 654, 663, 693 et 857 du code de procédure civile et de l’article R.153-1 du code de commerce, la confirmation de la décision déférée, le rejet des demandes de la société Triliz et sa condamnation au paiement de la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

SUR CE, LA COUR

La décision de première instance n’est pas critiquée en ce qu’elle a jugé que la saisine de la juridiction date du 9 août 2021 et en ce qu’elle a écarté la forclusion de l’action en rétractation. La cour n’est donc pas saisie d’un recours de ces chefs.

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé. L’article 493 du même code prévoit que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Enfin, il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d’appel, saisie de l’appel d’une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d’une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d’instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, est investie des attributions du juge qui l’a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli.

Cette voie de contestation n’est donc que le prolongement de la procédure antérieure : le

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juge doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. Il doit à cet égard constater qu’il existe un procès en germe possible et non manifestement voué à l’échec au regard des moyens soulevés, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé (sans qu’il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond) et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée. Cette mesure ne doit pas porter une atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d’autrui. Le juge doit encore rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l’ordonnance qui y fait droit.

En l’espèce, la société Triliz soutient qu’aucune des conditions ainsi posée n’est établie, ce que conteste la société Fleet.

En premier lieu, la société Triliz prétend qu’aucun motif légitime n’est caractérisé dans la mesure où les mesures d’instruction sollicitées ne sont d’aucune utilité, ainsi que le démontre la saisine de la juridiction au fond avant la levée du séquestre et le maintien annoncé de l’action en parasitisme, y compris dans l’hypothèse d’une rétractation de l’ordonnance querellée.

Ainsi que le rappelle la société Fleet, seul l’exercice d’une action au fond introduite avant la saisine du juge sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile est un obstacle à l’organisation d’une mesure d’instruction in futurum. Il convient d’ajouter qu’aucune pièce du dossier ne vient démentir l’allégation de la société Fleet de sa connaissance effective de l’introduction de l’action en rétractation que le 30 août 2021, soit postérieurement à la saisine du juge du fond.

La société Triliz ne peut pas plus prendre prétexte de l’affirmation de la société Fleet, dans ses conclusions de sursis à statuer déposées dans l’instance en responsabilité pour parasitisme, qu’elle n’entendait pas renoncer à son action si l’ordonnance était rétractée, la société Fleet poursuivant en écrivant : il est toutefois exact que les pièces qui seront remises à Fleet à l’issue de la libération du séquestre auront une influence sur le présent litige puisqu’il est possible voir probable qu’une ou plusieurs des 591 pièces saisies par l’huissier conforteront les accusations de parasitisme pesant sur Triliz. Elle exprime ainsi la nécessité de compléter les éléments dont elle dispose tant pour établir les actes de parasitisme dont elle allègue et que pour justifier de leur ampleur.

En second lieu, la société Triliz nie le caractère légitime et utile de la demande de mesure d’instruction au motif que l’action au fond est vouée à l’échec. Elle contredit son adversaire sur les éléments pour caractériser les faits de parasitisme et pour ce faire, soutient qu’elle a une offre commerciale propre, plus large que celle de la société Fleet, qu’elle promeut en utilisant des termes génériques qui n’ont en rien été empruntés à la stratégie ou à un savoir- faire de la société Fleet. Elle conteste avoir pris appui sur des innovations de cette entreprise mais utiliser un logiciel de gestion qu’elle a développé à partir de 2018. Elle conteste avoir copié le site internet de la société Fleet, ce que l’analyse des pièces adverses prouve, ni utilisé son logo en tant que curseur, l’étude des deux images montrant des différences de forme et de couleur manifestes, ni sa manière de communiquer sur les réseaux sociaux, la comparaison de quelques messages ne permettant pas d’établir un parasitisme. Enfin, elle rappelle que le départ de clients vers un concurrent ne peut établir un soupçon d’agissements déloyaux, et ne constitue pas une captation de valeur, d’autant que ces départs représentent un faible pourcentage des clients de la société Fleet et n’ont pas été provoqués par ses actions. Elle ajoute que l’intimée agit avec mauvaise foi, notamment en lui reprochant l’usage du mot “fleet” comme Google Adwords ainsi que son partenariat avec la société Station F ou d’avoir baissé ses prix pour rendre son offre plus concurrentielle. Elle avance également que l’offre de la société Fleet ne présente aucun aspect innovant.

La société Fleet explique que créée par MM D E et F G, elle

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propose à une clientèle de start-ups de louer des ordinateurs, payables mensuellement et que la réservation du matériel financé au moyen d’un contrat de location financière, se fait en ligne à partir du site Fleet.co7, lequel est en activité depuis juin 2020 et a succédé au site getfleet.eu en activité depuis janvier 2019. Elle ajoute que les clients peuvent ensuite gérer leur flotte informatique en ligne, grâce à un logiciel à distance – dit SaaS 9 et que l’innovation tient en sa capacité à offrir, à partir d’un site Internet et d’une plate-forme très simples d’utilisation, deux fonctionnalités jusqu’alors distinctes, la location d’ordinateurs par des paiements mensuels et la gestion à distance de la flotte d’ordinateurs de l’entreprise. Elle prétend que la mise au point de cette offre, dont le caractère innovant est sa simplicité d’utilisation, a nécessité près d’une année de travail et un investissement chiffré à 203 666 euros, correspondant au service d’un free-lance, M. A dès mai 2019 et de salariés qui ont rejoint l’entreprise en janvier 2020, M M. B et C, respectivement “product manager” et “lead développer”.

Elle fonde son accusation de parasitisme sur un certain nombre d’indices : l’antériorité de son activité dans la location et la gestion du matériel informatique, la société Triliz sous la dénomination LBCS proposant à la vente de coques de téléphones mobiles sous franchise, une présentation du site Triliz.com similiaire au sien, la proposition sur celui-ci des même services, avec une même argumentation commerciale tournée vers la simplicité de l’expérience pour le client et au moment de la présentation de la requête, des tarifs constamment situés juste en dessous des siens et enfin la reprise systématique de ses initiatives.

Ainsi que le relève l’intimée, le demandeur à la mesure d’instruction in futurumn’a pas à démontrer la réalité des faits de pillage et de parasitisme économique qu’il allègue, il doit justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions, ne relevant pas de la simple hypothèse, en lien avec un litige potentiel futur dont l’objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés. Dès lors, la cour n’a pas à suivre l’appelante dans une contestation et des développements qui relèvent du débat au fond.

Il convient simplement de relever que la société Fleet revendique un concept innovant, fondé sur l’association de deux services distincts, marqué par sa facilité d’utilisation et proposé sur un site internet, créé avant celui de la société concurrente ainsi que l’antériorité de l’annonce d’une offre de gestion à distance, laquelle ressort d’ailleurs des conclusions de la société Triliz (page 8). La société Fleet invoque une présentation des offres qui emprunte le même argumentaire, ce que la cour peut constater, celle de l’appelante et celle de l’intimée mettant en exergue la facilité d’utilisation pour le client ainsi qu’il ressort du constat du 11 avril 2021 joint à la requête. Elle établit également la concomitance dans les modifications des offres des deux sociétés et elle est seule à justifier de l’engagement de frais non négligeables dans la phase de lancement de son produit.

Aucune des pièces produites ne permet de connaître l’objet social et surtout l’activité de la société Triliz avant son changement de dénomination sociale et le transfert, en octobre 2020, de son siège social dans le ressort du tribunal de commerce de Paris. De même rien ne vient établir, l’antériorité d’une offre par cette entreprise ou son dirigeant combinant location et gestion du parc informatique (sa pièce 2 n’apportant aucune précision sur l’offre faite, ainsi que le relève le prospect) comme d’ailleurs l’existence d’une telle proposition par une autre entreprise du secteur. Enfin, elle se contente de mettre en avant le caractère générique ou nécessaire des termes employés pour présenter son offre (tels que les marques déposées du fabricant Apple), sans s’attacher à démentir l’allégation et l’analyse de la société Fleet quant à la reprise de son argumentaire et de la présentation générale de son site.

Par conséquent et contrairement aux allégations de la société Triliz, l’action au fond n’est pas manifestement vouée à l’échec.

En troisième lieu, la société Triliz prétend que dans sa requête la société Fleet ne caractérise

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pas formellement et in concreto, les circonstances susceptibles de justifier qu’il soit dérogé au principe de la contradiction et que l’ordonnance pour sa part se borne à viser la requête et les pièces jointes sans faire état de circonstances qui justifierait qu’il soit dérogé au principe de la contradiction.

La société Fleet explique dans sa requête que comme il est d’usage en matière de parasitisme et de concurrence déloyale, la stratégie de parasitisme poursuivie par Triliz repose nécessairement sur des documents et des échanges qui ne sont pas aisément accessibles, puis elle poursuit en notant qu’elle a besoin pour parfaire sa démonstration d’éléments précis sur la communication et la stratégie de la société Triliz.

Elle a sollicité, aux termes de sa requête qu’il soit dérogé au principe du contradictoire au motif que les mesures sollicitées permettront à la requérante d’établir avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige l’opposant à la société Triliz. Il est indispensable que cette dernière ne soit pas informée des mesures envisagées car si elle était informée des soupçons légitimes des requérantes, Triliz pourrait sans difficulté occulter, dissimuler ou faire disparaître (surtout lorsqu’il s’agit de documents conservés sur un support informatique) certains éléments de preuve qui s’avéreraient utiles à Fleet.

La société Fleet fait ainsi état du risque significatif auquel elle serait exposée en cas de procédure contradictoire, à savoir la destruction ou de dissimulation des preuves documentaires qu’elle recherche, surtout si elles sont conservées sur un support informatique.

Un lien est donc directement établi entre le contexte et surtout la nature des documents recherchés et la nécessité de déroger au contradictoire, ce que reprend le juge, qui vise la requête et ses motifs et qui retient un risque de dépérissement ou de suppression des éléments de preuve.

L’allégation qu’aucun “effet de surprise” n’avait en l’espèce besoin d’être ménagé puisque la société Fleet avait adressé, le 23 avril 2021 une mise en demeure au dirigeant de la société Triliz afin qu’il modifie ses offres et leur présentation n’est pas pertinente, la société Fleet se contentant dans ce courrier d’évoquer la possibilité de saisir un avocat.

Enfin, le juge devant se placer à la date de la requête pour apprécier la nécessité de déroger au principe du contradictoire, la société Triliz ne peut pas arguer d’éléments tirés de l’exécution de la mesure, telle que la coopération de ses dirigeants. Est tout aussi inopérante, la prétendue instrumentalisation du juge des requêtes, qui ne peut pas se déduire du seul fait que la mise en demeure sus-évoquée a été adressée à une adresse autre que celle mentionnée dans la requête pour l’exécution de la mesure, alors que ce courrier était adressé au dirigeant de la société.

En dernier lieu, la société Triliz soutient que les mesures d’instruction ordonnées s’apparentent à des mesures d’instruction générales manifestement disproportionnées et susceptibles de porter une atteinte grave à ses intérêts. Elle avance qu’elles ne sont pas circonscrites dans le temps, puisqu’elles portent sur toute la durée d’existence de la société Fleet et que les accusations de cette entreprise se rapportent à des faits postérieurs à novembre 2020. Elle nie toute limitation quant à l’objet de mesures autorisées à partir des adresses électroniques utilisées par ses dirigeants, sur tout support informatique et sur la base de mots clés génériques et communs, qui permettent à la société Fleet d’avoir accès à des informations confidentielles et de prendre connaissance de sa stratégie et de sa clientèle et qui ont permis la saisie de documents protégés par le secret des affaires.

La société Fleet objecte que toutes les précautions ont été prises pour éviter une mesure d’instruction disproportionnée.

Ainsi que l’avance la société Fleet, la mesure est circonscrite dans le temps puisque la

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recherche des éléments doit se faire pour une période allant du 1 juin 2019 au 18 mai 2021er (date de l’ordonnance). Le point de départ de cette offre est contemporain du lancement de la première version du site de la société Fleet (sa pièce 2-1 page 5 et 14 de l’annexe 1) et la société Triliz ne conteste pas que son dirigeant, M. H Y a contacté la société Fleet qui lui a transmis sa plaquette et sa grille tarifaire en septembre 2019 (pièce Fleet n°23).

De même, si l’ordonnance permet l’ouverture des comptes de messagerie des deux dirigeants de l’entreprise, celle-ci n’est autorisée que pour une recherche des courriers électroniques dont ils ont été les expéditeurs ou les destinataires et qui contiennent l’un ou plusieurs des mots clefs définis par le juge à l’exclusion des documents ou dossiers intitulés

“personnel”, “perso” ou “privé” et de toute correspondance en provenance ou à destination d’un avocat.

Les mots clés, dont certains ne peuvent pas être dissociés (puisque mis entre guillemets) ou constituent l’association de deux termes ne font que reprendre le patronyme des dirigeants, leur prénom ou diminutif ou des termes ciblés (Fleet, rachat de matériel, Saas de gestion) en lien avec les offres concurrentes des deux sociétés ainsi qu’avec les faits dénoncés. Ce lien avec les faits dénoncés est également pertinent s’agissant de deux autres termes (story telling, Google Adwords), la société Fleet alléguant des similitudes dans la communication des deux entreprises et une acquisition du terme Fleet sur Google Ads.

La retenue du terme Lemlist (soit le nom de l’outil de gestion des prospects) comme mot-clé ne permet pas, en l’absence d’autorisation dans l’ordonnance, d’ouvrir le compte du même nom.

Enfin, le caractère proportionné de la mesure eu égard aux intérêts en présence s’apprécie au moment de son prononcé, par conséquent, le résultat de son exécution n’a pas à être pris en considération que ce soit le nombre de documents séquestrés ou la saisie d’éléments couverts par le secret des affaires. L’ordonnance organise d’ailleurs une mesure de séquestre des pièces recueillies par l’huissier instrumentaire afin de mettre en place un débat contradictoire sur leur transmission à la société Fleet, sous le contrôle du juge.

Par suite, la mesure ordonnée ne s’apparente pas à une mesure générale d’investigation excédant les prévisions de l’article 145 du code de procédure civile.

L’ordonnance déférée sera confirmée dans toutes ses dispositions, y compris sur la charge des dépens et frais irrépétibles des parties. A hauteur d’appel, la société Triliz sera condamnée aux dépens et à payer une indemnité complémentaire au titre des frais exposés par la société Fleet pour assurer sa défense.

PAR CES MOTIFS

Confirme l’ordonnance rendue le 27 janvier 2022 ;

Y ajoutant

Condamne la société Triliz à payer à la société Fleet la somme de 4000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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