L’Essentiel : La décompilation d’un logiciel est strictement encadrée par l’article L. 122-6-1 IV du code de la propriété intellectuelle. Elle est interdite pour établir la preuve d’une contrefaçon, sauf si elle est réalisée par une personne ayant le droit d’utiliser le logiciel et dans le but d’obtenir des informations nécessaires à l’interopérabilité. Dans une affaire récente, la décompilation effectuée par un huissier a été jugée illégale, car elle ne respectait pas ces conditions. Le tribunal a annulé partiellement le constat d’huissier, soulignant la nécessité de concilier le droit à la preuve et la protection de la propriété intellectuelle. |
La décompilation d’un logiciel est interdite pour établir la preuve d’une contrefaçon. Cette hypothèse n’entre pas dans le cadre des exceptions de l’article L. 122-6-1 IV du code de la propriété intellectuelle. Décompilation de logiciel par un huissierEn la cause, lors des opérations l’huissier de justice a procédé à la décompilation du fichier « maquette.swf » à l’aide du logiciel JPEX Free Flash Decompiler. Le droit de décompiler strictement encadré L’article L. 122-6-1 IV du code de la propriété intellectuelleL’article L. 122-6-1 IV du code de la propriété intellectuelle, qui encadre la décompilation des logiciels, prévoit que : « La reproduction du code du logiciel ou la traduction de la forme de ce code n’est pas soumise à l’autorisation de l’auteur lorsque la reproduction ou la traduction au sens du 1° ou du 2° de l’article L. 122-6 est indispensable pour obtenir les informations nécessaires à l’interopérabilité d’un logiciel créé de façon indépendante avec d’autres logiciels, sous réserve que soient réunies les conditions suivantes : 1° Ces actes sont accomplis par la personne ayant le droit d’utiliser un exemplaire du logiciel ou pour son compte par une personne habilitée à cette fin ; 2° Les informations nécessaires à l’interopérabilité n’ont pas déjà été rendues facilement et rapidement accessibles aux personnes mentionnées au 1° ci-dessus ; 3° Et ces actes sont limités aux parties du logiciel d’origine nécessaires à cette interopérabilité. Les informations ainsi obtenues ne peuvent être : 1° Ni utilisées à des fins autres que la réalisation de l’interopérabilité du logiciel créé de façon indépendante ; 2° Ni communiquées à des tiers sauf si cela est nécessaire à l’interopérabilité du logiciel créé de façon indépendante ; 3° Ni utilisées pour la mise au point, la production ou la commercialisation d’un logiciel dont l’expression est substantiellement similaire ou pour tout autre acte portant atteinte au droit d’auteur ». Constat d’huissier écartéEn l’espèce, la société Bien’ici ne conteste pas que les décompilations effectuées par l’huissier de justice et par le conseil en propriété industrielle ne remplissent pas les conditions posées par l’article susvisé en ce qu’elles ont été réalisées par une personne ne disposant pas du droit d’utiliser un exemplaire du logiciel, ni par une personne habilitée à cette fin, et qu’elles n’avaient pas pour objectif d’obtenir les informations nécessaires à l’interopérabilité du logiciel, ni n’ont été limitées aux parties du logiciel d’origine nécessaires à cette interopérabilité. La société Bien’ici affirme cependant que cette décompilation n’est pas illégale dès lors qu’elle a été réalisée dans le seul but d’apporter au tribunal des preuves de l’auto-divulgation par la société Arka Ouest de son logiciel avant le dépôt du brevet FR 076. L’illicéité ou la déloyauté de la preuveIl est acquis que dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. (Cour de cassation – Assemblée plénière, 22 décembre 2023 – 202-20.648). En l’espèce, la société Habitéo a procédé à la décompilation litigieuse en violation des dispositions du code de la propriété intellectuelle alors même qu’elle reconnaît qu’il était possible d’exécuter le fichier « maquette3.swf » ligne par ligne sans le décompiler en utilisant les logiciels swfdec ou gnash disponibles à l’époque et que cette décompilation n’était pas nécessaire pour démontrer la divulgation des caractéristiques revendiquées, outre qu’elle aurait pu solliciter une expertise judiciaire. Contrôle de proportionnalité du jugeEn conséquence, c’est à bon droit, que le tribunal, après avoir procédé à un contrôle de proportionnalité entre le droit à la preuve et le droit d’auteur en cause, a annulé partiellement les opérations ainsi réalisées par l’huissier instrumentaire, le droit à un recours effectif garanti à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne devant être concilié avec la protection de la propriété intellectuelle. Il convient dès lors de confirmer le jugement en ce qu’il a partiellement annulé le procès-verbal de constat d’huissier ainsi que ses annexes. |
Q/R juridiques soulevées : Qu’est-ce que la décompilation d’un logiciel et est-elle légale ?La décompilation d’un logiciel consiste à convertir le code binaire d’un programme en un code source compréhensible. En France, cette pratique est strictement encadrée par le code de la propriété intellectuelle. Selon l’article L. 122-6-1 IV, la décompilation n’est pas autorisée pour établir la preuve d’une contrefaçon, sauf si elle est indispensable à l’interopérabilité d’un logiciel créé de façon indépendante. Les conditions à respecter incluent que la personne qui décompile doit avoir le droit d’utiliser le logiciel et que les informations nécessaires à l’interopérabilité ne doivent pas déjà être accessibles.Quels sont les critères de légalité pour la décompilation selon le code de la propriété intellectuelle ?L’article L. 122-6-1 IV du code de la propriété intellectuelle stipule plusieurs critères pour que la décompilation soit considérée comme légale. Premièrement, la décompilation doit être effectuée par une personne ayant le droit d’utiliser un exemplaire du logiciel. Deuxièmement, les informations nécessaires à l’interopérabilité ne doivent pas être déjà accessibles. Troisièmement, les actes de décompilation doivent être limités aux parties du logiciel nécessaires à l’interopérabilité. De plus, les informations obtenues ne peuvent pas être utilisées à d’autres fins, communiquées à des tiers, ou utilisées pour créer un logiciel similaire.Pourquoi le constat d’huissier a-t-il été écarté dans cette affaire ?Dans cette affaire, la société Bien’ici a reconnu que les décompilations effectuées par l’huissier de justice ne respectaient pas les conditions de l’article L. 122-6-1 IV. L’huissier n’avait pas le droit d’utiliser le logiciel, et les décompilations n’avaient pas pour but d’obtenir des informations nécessaires à l’interopérabilité. Bien que la société Bien’ici ait soutenu que la décompilation était justifiée pour prouver une divulgation, cela n’a pas suffi à rendre la décompilation légale.Quelles sont les implications de l’illicéité ou de la déloyauté dans la production de preuves ?Dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention d’une preuve ne conduit pas nécessairement à son exclusion. Le juge doit évaluer si la preuve porte atteinte à l’équité de la procédure. Il doit mettre en balance le droit à la preuve et d’autres droits, en s’assurant que la production de la preuve est indispensable et que l’atteinte aux droits d’auteur est proportionnée. Dans ce cas, la décompilation a été jugée illégale, car d’autres méthodes auraient pu être utilisées pour obtenir les informations nécessaires.Comment le tribunal a-t-il effectué le contrôle de proportionnalité ?Le tribunal a réalisé un contrôle de proportionnalité entre le droit à la preuve et le droit d’auteur. Il a annulé partiellement les opérations de l’huissier, considérant que le droit à un recours effectif devait être concilié avec la protection de la propriété intellectuelle. Cette décision souligne l’importance de respecter les droits d’auteur tout en permettant l’accès à la preuve dans le cadre d’un procès. Le jugement a confirmé l’annulation partielle du constat d’huissier, affirmant que la décompilation n’était pas justifiée dans ce contexte. |
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