Contexte de l’AffaireMonsieur [V] [E] et Madame [C] [E] ont saisi le tribunal judiciaire de Nanterre par courrier recommandé le 30 avril 2024 pour former opposition à deux contraintes établies par la CAF des Bouches-du-Rhône. Ces contraintes, datées du 28 mars 2024 et du 5 décembre 2023, concernent un montant total de 7.730,64 € pour des indus de prime d’activité et de prestations familiales. Demande des PartiesDans leur requête, Monsieur et Madame [E] demandent au tribunal de déclarer leur opposition recevable et fondée, de juger nulle la contrainte du 7 avril 2024, et de les décharger de l’obligation de rembourser une somme de 2.872,96 €. Ils sollicitent également des délais de paiement et la condamnation de la CAF au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Position de la CAFLa CAF des Hauts-de-Seine conteste la recevabilité de l’opposition, arguant que le litige relatif à la prime d’activité relève de la juridiction administrative. Elle demande également la validation des contraintes et la condamnation de Monsieur et Madame [E] au paiement d’une somme de 2.473,85 €. Débats et DécisionsL’affaire a été entendue le 18 septembre 2024, avec une dispense de comparution accordée à Monsieur et Madame [E]. Le tribunal a ensuite mis l’affaire en délibéré pour rendre sa décision le 5 novembre 2024. Motifs de la DécisionLe tribunal a jugé que la CAF des Bouches-du-Rhône était fondée dans ses recours, mais a déclaré sans objet l’exception d’incompétence soulevée. Il a également noté que Madame [C] [E] était irrecevable à contester la contrainte en raison de sa reconnaissance de l’indu, tandis que Monsieur [V] [E] demeurait recevable à agir. Sur l’Irregularité de la DécisionConcernant l’irrégularité de la contrainte, le tribunal a rejeté les arguments de Monsieur [V] [E] sur la signature électronique, considérant que les conditions de validité étaient respectées. Sur le Bien-Fondé de l’InduLe tribunal a constaté que l’indu résultait d’une fausse déclaration de Madame [C] [E] concernant sa situation familiale. Il a jugé que la complexité du système des prestations ne justifiait pas cette fausse déclaration et que la CAF n’avait pas commis de faute. Demande de Délais de PaiementLa demande de délais de paiement formulée par Monsieur [V] [E] a été rejetée, le tribunal n’ayant pas trouvé d’éléments justifiant cette demande. Condamnation et Exécution ProvisoireLe tribunal a condamné Monsieur et Madame [E] à payer la somme de 2.473,85 € à la CAF des Bouches-du-Rhône et a ordonné l’exécution provisoire du jugement. Les parties ont été déboutées de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Tribunal judiciaire de Nanterre
RG n°
24/01238
JUDICIAIRE
DE NANTERRE
■
PÔLE SOCIAL
Affaires de sécurité sociale et aide sociale
JUGEMENT RENDU LE
05 Novembre 2024
N° RG 24/01238 – N° Portalis DB3R-W-B7I-ZQKN
N° Minute : 24/01560
AFFAIRE
CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES DES BOUCHES-DU-RHONE
C/
[C] [E], [V] [E]
Copies délivrées le :
DEMANDERESSE
CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES DES BOUCHES-DU-RHONE
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Florence CHARLUET
DEFENDEURS
Madame [C] [E]
[Adresse 1]
[Localité 4]
ayant pour avocat Me Pierre-Henry DESFARGES, avocat au barreau de STRASBOURG, vestiaire :
Dispense de comparution
Monsieur [V] [E]
[Adresse 1]
[Localité 4]
ayant pour avocat Me Pierre-Henry DESFARGES, avocat au barreau de STRASBOURG, vestiaire :
Dispense de comparution
***
L’affaire a été débattue le 18 Septembre 2024 en audience publique devant le tribunal composé de :
Matthieu DANGLA, Vice-Président,
Jacques ARIAS, Assesseur, représentant les travailleurs salariés,
Statuant à juge unique en application de l’article L.218-1 du code de l’organisation judiciaire, avec l’accord des parties et après avoir recueilli l’avis de Jacques ARIAS,
Greffier lors des débats et du prononcé: Laurie-Anne DUCASSE, Greffière.
JUGEMENT
Prononcé en dernier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.
Par courrier recommandé du 30 avril 2024, Monsieur [V] [E] et Madame [C] [E] ont saisi le tribunal judiciaire de Nanterre, spécialement désigné en application de l’article L211-16 du code de l’organisation judiciaire, aux fins de former opposition :
– à la contrainte établie le 28 mars 2024 par le directeur de la caisse d’allocation familiale (CAF) des Bouches-du-Rhône à l’encontre de Madame [C] [E] ;
– à la contrainte établie le 05 décembre 2023 par le directeur de la CAF des Bouches-du-Rhône à l’encontre de Monsieur [V] [E] ;
toutes les deux pour un montant de 7.730,64 €, au titre d’indus de prime d’activité à compter du 1er novembre 2019, et d’indus de prestations familiales à compter du 1er février 2019, les contraintes ayant été signifiées le 17 avril 2024.
L’affaire a été appelée à l’audience du 18 septembre 2024 à laquelle la CAF a seule comparu et a déposé son dossier. Monsieur et Madame [E] ont sollicité une dispense de comparution par demande formée dans leur requête.
Aux termes de sa requête, Monsieur [V] [E] et Madame [C] [E] demandent au tribunal de :
– déclarer l’opposition de Monsieur et Madame [E] recevable et bien fondée ;
– y faire droit ;
– dispenser Monsieur et Madame [E] et leur conseil de se présenter à l’audience sur le fondement de l’article R142-10-4 du code de la sécurité sociale ;
à titre liminaire,
– dire et juger nulle la contrainte du 7 avril 2024 ;
au fond,
– dire et juger mal fondée la contrainte du 7 avril 2024 ;
– décharger Monsieur et Madame [E] de l’obligation de rembourser la somme de 2.872,96 € ;
à titre subsidiaire,
– octroyer les délais de paiement les plus larges à Monsieur et Madame [E] pour leur dette à l’encontre de la CAF des Bouches-du-Rhône ;
en tout état de cause,
– condamner la CAF des Bouches-du-Rhône au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
La CAF des Hauts-de-Seine demande au tribunal de :
– dire et juger la CAF des Bouches-du-Rhône bien fondée en son recours ;
à titre liminaire,
– se déclarer incompétent pour connaître de l’indu relatif à la prime d’activité qui relève de la juridiction administrative qui a déjà statué ;
– déclarer irrecevable le présent recours pour connaître d’une contestation du bien-fondé des indus en l’absence de recours préalable et en raison de la formulation d’une demande de remise de dette qui équivaut à une acceptation des indus qui ont été reconnus par Madame [C] [E] ;
au fond,
– valider les contraintes délivrées par la CAF des Bouches-du-Rhône les 5 décembre 2023 et 26 mars 2024 ;
– condamner Monsieur et Madame [E] au paiement de la somme de 2.473,85 € et au paiement de la somme de 200 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, en application de l’article 455 du code de procédure civile.
A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré à la date du 5 novembre 2024 par mise à disposition au greffe.
Sur la dispense de comparution
La CAF des Hauts-de-Seine ayant eu connaissance des moyens développés par Monsieur et Madame [E], aucun motif ne s’oppose à ce que ces derniers soient dispensés d’avoir à comparaître, ainsi que le permet l’article R142-10-4 du code de la sécurité sociale.
Sur l’exception d’incompétence
La CAF demande au tribunal de se déclarer incompétent pour connaître de l’indu relatif à la prime d’activité qui relève de la juridiction administrative.
Toutefois, il s’avère que Monsieur et Madame [E] ne forment pas de demande relative à la prime d’activité, laquelle relève effectivement de la juridiction administrative, mais seulement des prestations familiales, ce contentieux relevant de la juridiction de céans.
Il conviendra en conséquence de déclarer sans objet l’exception d’incompétence soulevée par la CAF des Bouches-du-Rhône.
Sur la fin de non recevoir
Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile, « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».
La CAF des Bouches-du-Rhône soulève l’irrecevabilité du recours des lors qu’aucun recours préalable n’a été formé et que Madame [C] [E] a reconnu l’indu et a formé une demande de remise de dette.
Il sera relevé en premier lieu que l’absence de recours dirigé contre les mises en demeure adressées à Monsieur et à Madame [E] ne fait pas obstacle à ce que ces derniers contestent le bien-fondé de l’indu dans le cadre de l’opposition à la contrainte qui leur a été ultérieurement notifiée[1].
[1] Voir en ce sens : cour de cassation, 2ème chambre civile, 30 novembre 2023, n°21-20.778, Jurisdata n°2023-021684.
En revanche, il apparaît que Madame [C] [E] a reconnu le bien-fondé de sa créance dans un courrier électronique en date du 22 mai 2021 (pièce n°5 de la CAF des Bouches-du-Rhône) et qu’elle a formé une demande de remise de dette qui lui a été partiellement accordée par la CAF, au terme des décisions de cette dernière en date des 1er juillet 2021 et 6 juillet 2021 (cf les pièces n°6 et 7 de la CAF).
Il en découle que Madame [C] [E] est irrecevable à contester la contrainte qui lui a été notifié ; toutefois, Monsieur [V] [E] ne s’étant pas associé à cette demande de remise de dette, demeure recevable à agir.
Sur le moyen tiré de l’irrégularité de la décision de la CRA de la CAF des Hauts-de-Seine en raison de l’absence de signature
Aux termes de l’article R212-1 du code des relations entre le public et l’administration, « toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ».
En l’espèce, Monsieur [V] [E] fait grief à la contrainte de la CAF de comporter une signature qui ne constitue qu’une reproduction électronique et que l’organisme en charge des prestations sociales ne justifie pas que les conditions relatives à la valeur probante d’une signature électronique sont réunies ni que l’auteur de la décision contestée apporte la preuve de son authentification et de son consentement.
La contrainte litigieuse comporte une signature numérisée du directeur de la CAF concernée, Monsieur [S] [J].
Aucune irrégularité n’est dès lors démontrée par l’opposant, les conditions prévues par l’article R212-1 du code des relations entre le public et l’administration étant réunies et aucune diligence supplémentaire n’étant par conséquent nécessaire pour s’assurer de l’authenticité de la signature utilisée ; ce moyen sera donc rejeté.
Sur le bien-fondé de l’indu
Aux termes de l’article R133-3 du code de la sécurité sociale, « si la mise en demeure ou l’avertissement reste sans effet au terme du délai d’un mois à compter de sa notification, les directeurs des organismes créanciers peuvent décerner, dans les domaines mentionnés aux articles L133-8-7, L161-1-5 ou L244-9, une contrainte comportant les effets mentionnés à ces articles. La contrainte est notifiée au débiteur par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception ou lui est signifiée par acte d’huissier de justice. La contrainte est signifiée au débiteur par acte d’huissier de justice ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. A peine de nullité, l’acte d’huissier ou la notification mentionne la référence de la contrainte et son montant, le délai dans lequel l’opposition doit être formée, l’adresse du tribunal compétent et les formes requises pour sa saisine.
L’huissier de justice avise dans les huit jours l’organisme créancier de la date de signification.
Le débiteur peut former opposition par inscription au secrétariat du tribunal compétent dans le ressort duquel il est domicilié ou pour les débiteurs domiciliés à l’étranger, au secrétariat du tribunal compétent dans le ressort de l’organisme créancier par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au secrétariat dudit tribunal dans les quinze jours à compter de la notification ou de la signification. L’opposition doit être motivée ; une copie de la contrainte contestée doit lui être jointe. Le secrétariat du tribunal informe l’organisme créancier dans les huit jours de la réception de l’opposition.
La décision du tribunal, statuant sur opposition, est exécutoire de droit à titre provisoire ».
L’article L583-1 du code de la sécurité sociale dispose : « Les organismes débiteurs des prestations familiales et leur personnel sont au service des allocataires.
Ils sont tenus en particulier :
1°) d’assurer l’information des allocataires sur la nature et l’étendue de leurs droits ;
2°) de leur prêter concours pour l’établissement des demandes dont la satisfaction leur incombe ».
Selon l’article 1302 du Code civil, « tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution.
La restitution n’est pas admise à l’égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées ».
L’article 1302-3 du Code civil précise que la restitution «peut être réduite si le paiement procède d’une faute ».
En l’espèce, Monsieur et Madame [E] soutiennent qu’ils n’avaient pas eu l’intention de fausser leurs déclarations et que, en grande difficulté financière, Madame [E] n’a pas eu d’autre choix que de déclarer ses deux enfants qui vivaient à [Localité 5] sur la période litigieuse, ainsi que son époux. Ils invoquent la complexité du système des prestations et se prévalent de l’avis du Défenseur des droits, selon lequel les informations à destination des usagers sont elles-mêmes source d’incompréhension et de difficultés, pour soutenir que la CAF des Bouches-du-Rhône aurait commis une faute de nature à justifier l’annulation de la contrainte et une décharge de la créance invoquée par la CAF.
Il n’est pas contesté que l’indu invoqué par la CAF résulte du fait que Madame [C] [E] s’est déclarée en situation d’isolement familial, avec quatre enfants à charge, alors que, à la suite d’un contrôle de sa situation, il est apparu que deux de ses enfants avaient quitté le domicile familial le 7 février 2019.
Au regard de la nature de la fausse déclaration, les défendeurs ne sauraient valablement soutenir que la complexité du système des prestations familiales serait à l’origine de cette fausse déclaration, ni que la aurait commis une faute dans l’information dont elle est devenue à l’égard des allocataires en ce qui concerne la nature et l’étendue de leurs droits, comme prévu par l’article L583-1 du code de la sécurité sociale.
Sur la demande de délais de paiement
Aux termes de l’article 1343-5 du Code civil, « le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues ».
En vertu de l’article L256-4 du code de la sécurité sociale, excepté en ce qui concerne les cotisations et majorations de retard, les créances des caisses nées de l’application de la législation de sécurité sociale peuvent être réduites en cas de précarité de la situation du débiteur par décision motivée de la caisse, sauf en cas de manœuvre frauduleuse ou de fausses déclarations. Sur ce même fondement, la caisse peut accorder des délais de paiement.
Si Monsieur [V] [E] sollicite à titre subsidiaire trois de délais de paiement, il ne fait valoir aucun élément pour justifier ce chef de demande, et celle-ci ne pourra qu’être rejetée dans la mesure où la créance retenue au bénéfice de la CAF résulte d’une fausse déclaration.
Sur la demande reconventionnelle de la CAF des Bouches-du-Rhône
La créance de la CAF peut être fixée de la manière suivante :
– indu de prestations familiales de 750,21 € sur la période du 1er janvier 2020 au 30 septembre 2020, visé dans les contraintes ;
– indu de prestations familiales de 2.122,75 € sur la période du 1er février 2019 au 31 décembre 2019, visé dans les contraintes ;
– minoration de 351,11 € par l’effet de la remise partielle accordée par décision de la CAF des Bouches-du-Rhône du 1er juillet 2021 (pièce n°5 de la CAF) ;
soit un total de 2.521,85 €.
Il conviendra par conséquent, dans les limites de la demande reconventionnelle, de condamner Monsieur et Madame [E] au paiement de la somme de 2.473,85 €.
Sur les demandes accessoires
Monsieur et Madame [E] seront condamnés aux dépens de l’instance et seront déboutés de leur demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
L’équité ne commande pas de faire droit à la demande de la CAF des Bouches-du-Rhône reposant sur le même fondement.
L’exécution provisoire du présent jugement, nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, sera ordonnée.
Le tribunal, statuant par décision contradictoire, rendue en dernier ressort,
DISPENSE Monsieur [V] [E] et Madame [C] [E] d’avoir à comparaître ;
DECLARE sans objet l’exception d’incompétence soulevée par la CAF des Hauts-de-Seine ;
DECLARE Madame [C] [E] irrecevable à agir son opposition à contrainte ;
DEBOUTE Monsieur [V] [E] de l’intégralité de ses demandes, y compris sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Monsieur [V] [E] et Madame [C] [E] à payer à la CAF des Bouches-du-Rhône la somme de 2.473,85 € ;
DEBOUTE les parties de leur demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
ORDONNE l’exécution provisoire du présent jugement ;
CONDAMNE Monsieur [V] [E] et Madame [C] [E] aux dépens de l’instance.
Et le présent jugement est signé par Matthieu DANGLA, Vice-Président et par Laurie-Anne DUCASSE, Greffière, présent lors du prononcé.
LA GREFFIERE, LE PRÉSIDENT,
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