Tribunal Judiciaire de Paris, 11 septembre 2013
Tribunal Judiciaire de Paris, 11 septembre 2013

Type de juridiction : Tribunal Judiciaire

Juridiction : Tribunal Judiciaire de Paris

Thématique : Caméra cachée et liberté d’information : le cas France Télévisions

Résumé

L’association Front National a été déboutée de sa demande contre France Télévisions suite à la diffusion d’un reportage sur France 2, intitulé « présidentielle : la tentation de l’extrême droite ». Réalisé par Fabien Chadeau, le reportage a utilisé des caméras cachées pour révéler les pratiques internes du FN et de l’UMP. L’ARCOM a précisé que l’utilisation de tels procédés doit être justifiée par l’intérêt public. Le tribunal a jugé que les méthodes employées ne constituaient pas une faute civile, permettant ainsi à France Télévisions de poursuivre sa mission d’information sans entrave.

Action contre France Télévisions

L’association Front National a été déboutée de sa demande de condamnation contre France Télévisions. Le Front National avait poursuivi France Télévisions en raison de la diffusion, sur l’antenne de France 2 de l’émission« complément d’enquête » intitulée: « présidentielle : la tentation de l’extrême droite ».

Le reportage en cause résultait d’un travail d’enquête d’un journaliste s’étant inscrit à l’UMP et au Front National, et ayant tourné en caméra cachée « pour avoir cette parole vraie, sans faux-semblant, sans a priori ». Le reportage montrait la façon dont le journaliste, Fabien Chadeau, s’inscrivait comme militant dans chacun de ces deux partis politiques, la façon dont il est accueilli dans les deux cas. Figuraient également des scènes montrant des conversations que le journaliste a pu avoir avec des militants de ces deux partis, observation étant faite que les personnes physiques filmées à leur insu ont le visage flouté et la voix modifiée.

Plus spécialement, s’agissant du Front National, le journaliste remarquait que ce parti prend soin de former ses militants et, à l’appui de cette observation, sont montrées, une séance d’accueil de jeunes inscrits reçus par Marine Le Pen, séance officiellement filmée par des journalistes de la chaîne France 2, et un atelier de formation « Comment réussir une campagne électorale », filmée en caméra cachée, le journaliste commentant dans les termes suivants cette séance de formation : « un cadre du parti va pendant 1 heure nous donner les ficelles du métier en insistant tout particulièrement sur la communication ». Le cadre du parti FN tenait les propos suivants : « en réalité, on est quasiment, voilà, en campagne permanente. Donc il faut maîtriser à la fois les techniques de campagne et les calendriers de campagne, il se passe un événement économique et social dans la circonscription ou même dans le département, un… comment dire…, un événement d’insécurité, un problème de mosquée, voilà, n’importe quel sujet exploitable pour nous, aussitôt communiquez. Alors bon, il ne s’agit pas d’envoyer cinq fois par jour des communicants journalistes, ils vont finir par être exaspérés de cet activisme soudain. ».

Ensuite, était représentée une conversation entre le journaliste et une personne qualifiée de « responsable local » où l’on pouvait entendre le dialogue suivant :

« Les militants, il faut bien être honnête, les militants pour coller des affiches, ils n’ont pas besoin évidemment d’avoir un haut niveau intellectuel, mais il y en a d’autres, ceux qui sont candidats, ce n’était pas non plus tous des grands intellectuels, et je ne leur demande pas ça, mais au moins qu’ils ne fassent pas de bêtises, quoi, ce sont des gens dévoués, bon mais il ne faut pas les laisser seuls dans la nature. ; Du coup c’est vous qui les formez ? ; Oui c’est moi. Vous pouvez pas dire “il y a trop d’immigrés en France” déjà c’est limite, il faut dire autrement, il faut dire “nous sommes opposés à l’immigration clandestine d’abord et même régulière, car la France n’a pas les moyens ou n’a plus les moyens de les entretenir”, voilà ce qu’il faut dire, il faut faire très attention. ; Est-ce que ça veut dire la même chose dans le fond ? ; Oui ça veut dire la même chose, mais il y a une façon de le dire, il faut être très prudent».

Le FN considérait que le montage de l’émission était en lui-même un élément de la faute civile et de l’infraction d’escroquerie.

Légalité des caméras cachées

Sur la critique du procédé utilisé consistant, pour le journaliste, à se présenter sous un faux nom, dissimuler sa qualité de journaliste et enregistrer des images et des propos à l’insu des personnes concernées, l’ARCOM a posé le principe selon lequel :

« Le recours au procédé permettant de recueillir des images et des sons à l’insu des personnes filmées ou enregistrées doit être limité aux nécessités de l’information du public. Il doit être restreint aux cas où il permet d’obtenir des informations difficiles à recueillir autrement Le recours à ces procédés doit être porté à la connaissance du public. Les personnes et les lieux ne doivent pas pouvoir être identifiés, sauf exception ou si le consentement des personnes a été recueilli préalablement à la diffusion de l’émission».

La charte d’éthique professionnelle des journalistes éditée par le syndicat national des journalistes, prévoit également « qu’un journaliste digne de ce nom :

i) Tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’image, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles.

ii) Proscrit tout moyen déloyal et vénal pour obtenir une information. Dans le cas où sa sécurité, celle de ses sources ou la gravité des faits l’oblige à taire sa qualité de journaliste, il prévient sa hiérarchie et il en donne dès que possible explication au public. »

Toutefois, en l’espèce, les circonstances particulières y compris l’objet même du reportage portant sur la réalité de l’état d’esprit des militants au-delà du discours officiel de sa nouvelle présidente et au-delà de ce qu’il est convenu d’appeler dans le monde politique, les éléments de langage, ne permettent pas de considérer que les procédés utilisés, dans cette occurrence, dégénèrent en faute civile au sens de l’article 1382 du Code civil dont l’association Front National peut utilement se plaindre devant les tribunaux. Le Front National a été débouté de l’ensemble de ses demandes.

Mots clés : Camera cachée

Thème : Camera cachée

A propos de cette jurisprudence : juridiction :  Tribunal judiciaire de Paris | Date. : 11 septembre 2013 | Pays : France

 


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