Responsabilité de la banque: vigilance et obligations

Notez ce point juridique

1. Il est important de rappeler que la responsabilité de la banque gestionnaire de compte est limitée par son devoir de vigilance. La banque n’est pas tenue de procéder à des investigations approfondies sur l’origine et l’importance des fonds versés sur les comptes de ses clients, sauf en cas d’anomalies apparentes. Il est donc essentiel pour les clients de rester vigilants et de signaler toute activité suspecte à leur banque.

2. Les clients doivent être conscients de leur responsabilité dans la gestion de leur compte bancaire. Il est primordial de donner des instructions claires et détaillées à la banque pour tout virement ou opération financière. Il est également recommandé de vérifier régulièrement les relevés de compte pour détecter toute activité inhabituelle ou frauduleuse.

3. En cas de litige avec la banque, il est essentiel de recueillir des preuves solides pour étayer ses allégations. Il est recommandé de conserver tous les documents relatifs aux opérations financières en question, ainsi que toute correspondance échangée avec la banque. Il est également conseillé de consulter un avocat spécialisé en droit bancaire pour obtenir des conseils juridiques adaptés à la situation.


M. [N] [M] a été victime d’une escroquerie entre décembre 2014 et juillet 2015, où il a effectué vingt-sept virements totalisant 180 200 euros vers des comptes bancaires européens suite à des démarchages de plateformes de trading en ligne. Après avoir déposé plainte contre ces sociétés, il a assigné la SA Société Générale en responsabilité pour manquement à son devoir de vigilance. Le tribunal judiciaire de Paris a rejeté ses demandes indemnitaires en février 2022, ce qui l’a poussé à interjeter appel. Dans ses conclusions, M. [N] [M] demande à la cour d’infirmer le jugement et de condamner la Société Générale à lui verser 175 200 euros en réparation de son préjudice financier, ainsi que 10 000 euros pour préjudice moral. La Société Générale, de son côté, demande à la cour de confirmer le jugement de première instance et de condamner M. [N] [M] à lui verser 6 000 euros.

Responsabilité de la banque gestionnaire de compte

M. [N] [M] reproche à la Société Générale un manquement à son devoir de vigilance dans la gestion de son compte bancaire. Il estime que la banque aurait dû détecter les anomalies dans les virements effectués, notamment en raison de leur destination internationale et de leur impact financier sur son compte. Il demande une indemnisation de 175 200 euros pour son préjudice financier.

La Société Générale soutient qu’elle a respecté ses obligations en tant que prestataire de services de paiement et gestionnaire de compte. Elle affirme que les virements litigieux étaient réguliers et qu’elle n’avait pas à s’immiscer dans les affaires de son client. Elle estime que M. [M] a commis une imprudence qui a causé son propre préjudice.

Le tribunal a jugé que la banque n’avait pas commis de faute en ne détectant pas les anomalies dans les virements de M. [M]. Il a débouté ce dernier de ses demandes indemnitaires.

Motifs du jugement

Le tribunal a considéré que la réglementation sur la lutte contre le blanchiment de capitaux n’avait pas pour but de protéger les intérêts particuliers des détenteurs de comptes bancaires. Il a estimé que M. [M] ne pouvait pas reprocher à la banque de ne pas avoir détecté les risques de fraude dans ses opérations.

En application de l’article 1147 du code civil, le tribunal a jugé que la banque n’avait pas à s’immiscer dans les affaires de son client tant que les opérations semblaient régulières. Il a considéré que M. [M] avait donné son consentement à tous les virements litigieux et que la banque n’avait pas à le conseiller sur ses investissements.

Le tribunal a relevé que M. [M] avait effectué des placements risqués sans solliciter de conseil de la part de la banque. Il a jugé que la responsabilité de la Société Générale ne pouvait être retenue pour manquement à son obligation de vigilance.

Dépens et frais irrépétibles

En vertu de l’article 696 du code de procédure civile, M. [M] est condamné aux dépens du procès. En application de l’article 700 du même code, il est également condamné à verser à la Société Générale la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

– M. [N] [M] doit payer à la Société Générale 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– M. [N] [M] est condamné aux entiers dépens d’appel.


Réglementation applicable

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :

– Me Goce NOVAKOV de la SELEURL SELARL NOVAKOV AVOCAT
– Me Anne ROULLIER de la SELEURL ROULLIER JEANCOURT-GALIGNANI AVOCATS

Mots clefs associés

– Responsabilité de la banque gestionnaire de compte
– Devoir de vigilance de l’établissement de crédit
– Anomalies apparentes dans les virements
– Préjudice financier
– Obligation de non-ingérence de la banque
– Obligation de vigilance de l’établissement de crédit
– Virements frauduleux
– Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme
– Obligation de célérité du banquier
– Obligation de conseil du banquier
– Obligation de mise en garde du banquier
– Virements réguliers
– Consentement du client aux virements
– Gestion patrimoniale du client
– Pays de destination des virements
– Liste noire de l’AMF
– Investissements litigieux
– Vulnérabilité du client
– Capacités intellectuelles du client
– Frais irrépétibles
– Dépens

– Responsabilité de la banque gestionnaire de compte: obligation pour la banque de gérer le compte de son client de manière diligente et conforme aux règles en vigueur
– Devoir de vigilance de l’établissement de crédit: obligation pour l’établissement de crédit de surveiller les opérations de ses clients afin de détecter toute activité suspecte
– Anomalies apparentes dans les virements: irrégularités visibles dans les transactions financières effectuées par le client
– Préjudice financier: dommage subi par une personne en raison d’une perte financière
– Obligation de non-ingérence de la banque: devoir pour la banque de ne pas interférer dans les affaires personnelles de son client
– Obligation de vigilance de l’établissement de crédit: devoir pour l’établissement de crédit de surveiller les opérations de ses clients pour prévenir les risques de fraude ou de blanchiment d’argent
– Virements frauduleux: transferts d’argent effectués de manière frauduleuse, souvent dans le but de dissimuler des activités illicites
– Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme: ensemble des mesures prises pour prévenir et détecter les opérations financières liées au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme
– Obligation de célérité du banquier: devoir pour le banquier d’agir rapidement et efficacement dans le traitement des opérations financières de ses clients
– Obligation de conseil du banquier: devoir pour le banquier de fournir des conseils avisés à ses clients en matière de gestion financière
– Obligation de mise en garde du banquier: devoir pour le banquier d’informer son client des risques potentiels liés à certaines opérations financières
– Virements réguliers: transferts d’argent effectués de manière habituelle et récurrente
– Consentement du client aux virements: accord donné par le client pour effectuer des transferts d’argent depuis son compte
– Gestion patrimoniale du client: ensemble des opérations financières et patrimoniales réalisées pour le compte d’un client
– Pays de destination des virements: pays vers lequel les transferts d’argent sont effectués
– Liste noire de l’AMF: liste des entités ou personnes interdites de réaliser certaines opérations financières par l’Autorité des marchés financiers
– Investissements litigieux: placements financiers controversés ou risqués
– Vulnérabilité du client: situation dans laquelle un client est susceptible d’être victime de pratiques abusives ou frauduleuses en raison de sa situation personnelle
– Capacités intellectuelles du client: aptitudes cognitives et intellectuelles d’un client à comprendre et gérer ses affaires financières
– Frais irrépétibles: frais engagés dans le cadre d’une procédure judiciaire et qui ne peuvent être recouvrés
– Dépens: frais et dépenses liés à une procédure judiciaire

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 6

ARRÊT DU 24 JANVIER 2024

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/04668 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFMST

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Février 2022 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Paris – RG n° 19/09154

APPELANT

M. [N] [M]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Goce NOVAKOV de la SELEURL SELARL NOVAKOV AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

INTIMÉE

S.A. SOCIETE GENERALE

[Adresse 1]

[Localité 3]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

N° SIRET : B 552 120 222

Représentée par Me Anne ROULLIER de la SELEURL ROULLIER JEANCOURT-GALIGNANI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : W05, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 21 Novembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Vincent BRAUD, Président

MME Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère

MME Laurence CHAINTRON, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par MME [A] [C] dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mélanie THOMAS

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Vincent BRAUD, Président, et par Mélanie THOMAS, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

M. [N] [M] est titulaire de plusieurs comptes bancaires, dont l’un a été ouvert dans les comptes de la SA Société Générale.

Au début du mois de décembre 2014, M. [M] a été démarché par des personnes qui prétendaient agir au nom de la plate-forme ‘Trade Capital Invest’ pour effectuer des placements sur cette plate-forme.

Puis, au mois de mai 2015, il a été démarché par une autre plate-forme de trading en ligne ‘Analyst Invest’.

Ainsi, entre le 24 décembre 2014 et le 22 juillet 2015, M. [M] a donné l’ordre à la Société Générale d’effectuer vingt-sept virements au bénéfice de comptes ouverts dans des banques européennes pour un montant total de 180 200 euros.

Par la suite, M. [M] s’est rendu compte qu’il avait été victime d’une escroquerie et a déposé plainte contre les deux sociétés Trade Capital Invest et Analyst Invest les 22 octobre et 4 décembre 2015. Ces plaintes ont été classées sans suite.

Par exploit d’huissier du 17 avril 2019, M. [N] [M] a fait assigner la SA Société Générale devant le tribunal judiciaire de Paris en responsabilité pour manquement à son devoir de vigilance.

Par jugement contradictoire du 2 février 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :

– débouté M. [N] [M] de toutes ses demandes indemnitaires,

– condamné M. [N] [M] aux dépens,

– débouté M. [N] [M] et la SA Société Générale de leurs demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

Par déclaration du 28 février 2022, M. [N] [M] a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 septembre 2023, M. [N] [M] demande au visa de l’article 1231-1 du code civil, à la cour de :

– infirmer dans toutes ses dispositions le jugement n°19/09154 rendu par le tribunal judiciaire de Paris en date du 2 février 2022,

Et statuant à nouveau :

– juger que la Société Générale a commis une faute de vigilance et surveillance lors du fonctionnement de son compte bancaire à l’origine des préjudices subis concernant la perte des fonds investis auprès des plateformes de trading en ligne litigieuses,

En conséquence,

– condamner la Société Générale à lui payer la somme de 175 200 euros en réparation de son préjudice financier,

Si par extraordinaire, la cour d’appel de Paris considère qu’il a concouru à la réalisation de son propre préjudice, ou bien si la cour considère que certains des virements litigieux ne sont pas des anomalies apparentes obligeant le banquier à exercer un devoir de vigilance, il lui est demandé de condamner la Société Générale à le payer en réduisant le montant du préjudice à juste proportion,

– condamner la Société Générale à lui payer la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral,

– condamner tous les intimés à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner tout succombant aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 6 octobre 2023, la SA Société Générale demande à la cour de :

– confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a débouté M. [N] [M] de l’ensemble de ses demandes à son encontre,

Y ajoutant

– condamner M. [N] [M] au paiement de la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 10 octobre 2023 et l’audience fixée au 21 novembre 2023.

MOTIFS

Sur la responsabilité de la banque gestionnaire de compte

M. [N] [M] fait valoir que la Société Générale a manqué à son devoir de vigilance. Il rappelle que la banque doit faire preuve de vigilance, en dépit du principe de non-immixtion et même en dehors des obligations légales qui lui sont imposées en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, dès lors que le fonctionnement du compte bancaire présente des anomalies. Le devoir de vigilance de l’établissement de crédit lui impose de déceler les anomalies, tant matérielles, qu’intellectuelles qui affectent le fonctionnement d’un compte bancaire. Or, le compte bancaire ouvert dans les livres de la société Barclays Bank PLC n’a pas été ouvert par lui, mais par Trade Capital Invest. Il estime que si la cour devait considérer que les virements à destination de la société Barclays Bank PLC ne comportent pas d’anomalies apparentes, du fait que son nom apparaît dans le libellé de certains des virements litigieux, le reste des virements comporte des anomalies apparentes, en raison de leurs destinations internationales, de l’absence d’antériorité de relation avec les sociétés impliquées, des montants des virements qui ne correspondent pas aux modalités de fonctionnement habituel de son compte et de leur périodicité. En outre, M. [M] a dû recourir à des rachats de contrats d’assurance-vie, car à l’issue de tous les virements, l’équilibre financier du compte bancaire a été totalement rompu. Il a également dû souscrire un prêt à la consommation. Les deux virements recrédités à M. [M], dont l’un à destination de la société Service Global 52 Ltd et l’autre à destination de la Barclays Bank auraient dû éveiller les soupçons de la Société Générale. Enfin le devoir de vigilance de la Société Générale, est en l’espèce renforcé, dans la mesure où l’établissement bancaire connaissait bien son client, notamment son extrême fragilité, et la vulnérabilité de sa situation professionnelle et personnelle.

Enfin, il convient de prendre en considération la situation de M. [M], qui n’avait aucune expérience, ni aucune connaissance du fonctionnement des marchés financiers et dont l’état était extrêmement fragile et vulnérable et avait nécessité une hospitalisation pour dépression consécutive à des difficultés personnelles et professionnelles.

Il sollicite la condamnation de la Société Générale à lui payer la somme de 175 200 euros en réparation de son préjudice financier.

La Société Générale fait valoir qu’elle n’a pas commis de faute car le banquier, mandataire du payeur, est tenu d’exécuter avec célérité les ordres de virement de son client. L’inobservation d’obligations résultant du code monétaire et financier n’a pas vocation à régir les relations contractuelles entre un banquier et son client, ce dernier ne pouvant s’en prévaloir conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation. Le banquier doit toutefois respecter l’obligation générale de vigilance mise à sa charge par la jurisprudence et relever les anomalies apparentes permettant de déceler les mouvements de fonds qui n’auraient pas été autorisés par le titulaire du compte ou qui auraient été falsifiés dans leur montant ou concernant le nom du bénéficiaire. Il n’existe à la charge du banquier teneur de compte et prestataire de paiement aucune obligation de conseil ou de mise en garde concernant les mouvements de fonds ordonnés par son client. Ainsi, la Société Générale a parfaitement exécuté ses obligations de mandataire, car les virements litigieux étaient parfaitement réguliers, ayant été réalisés via la plate-forme de service de banque à distance Logitel dotée d’un dispositif de sécurité personnalisé combinant identifiant et mot de passe, M. [M] ayant en outre préalablement saisi les noms des bénéficiaires et leurs coordonnées bancaires ou pour deux virements au moyen d’un bordereau de virement rempli et signé par M. [M] en agence. M. [M] ne conteste pas avoir donné son consentement à tous ces virements. Le devoir de vigilance n’est pas applicable en l’espèce puisque les virements sont parfaitement réguliers. Par ailleurs, en raison du devoir de non-ingérence et à défaut d’anomalie apparente, il n’appartient pas au banquier de s’interroger sur les causes et l’opportunité des mouvements de fonds. De surcroît, il n’existait aucun indice permettant à la banque de deviner l’escroquerie alléguée car le caractère transfrontalier des virements, leur montant ou leur fréquence n’ont rien d’illicite et ne sont pas en eux-mêmes synonymes d’escroquerie. En outre, un grand nombre de virements étaient au bénéfice de M. [M] lui-même et aucun des autres bénéficiaires n’était inscrit sur la liste noire de l’AMF. La jurisprudence tient notamment pour décisif le fait que le compte était suffisamment approvisionné pour permettre l’exécution des virements, ce qui était le cas pour le compte de M. [M]. De plus, il n’est pas démontré en quoi les deux virements recrédités auraient pu être un indice de l’escroquerie, car il s’agit d’un fait banal et commun, qui arrive à l’initiative de la banque du bénéficiaire et pour des raisons techniques. De même, le fait que l’opération provienne de la banque ING Belgique n’est pas étonnant, une banque intermédiaire étant souvent associée à la transaction en matière de virement international. Enfin d’une part, il n’est pas démontré la prétendue fragilité de M. [M] et il n’est pas établi que le conseiller de M. [M] en ait été informé, d’autre part, cela n’impliquait pas nécessairement que ses capacités intellectuelles étaient altérées et surtout la Société Générale n’a jamais proposé les investissements litigieux et n’a pas incité M. [M] à investir.

Elle estime que M. [M] a commis une imprudence qui est la cause exclusive du dommage qu’il invoque et qu’il ne rapporte pas la preuve, ni des préjudices qu’il allègue, ni du lien de causalité entre le dommage invoqué et une quelconque faute de la banque.

Le tribunal a à bon droit rappelé que la réglementation instituant des obligations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme issues du code monétaire et financier (articles L. 561-5 et L. 561-6) a pour seule finalité la détection de sommes et d’opérations en provenance de ces infractions mais que l’obligation spécifique de vigilance qu’elle édicte n’est pas destinée à protéger les intérêts particuliers du détenteur du compte bancaire concerné par les opérations suspectes.

C’est donc à juste titre qu’il en a déduit que M. [M] n’est pas fondé à en tirer argument pour conclure qu’il appartenait à la banque d’utiliser les moyens dont elle dispose pour procéder à la lutte contre le blanchiment de capitaux pour l’alerter sur le risque de fraude pouvant être associé aux opérations qu’il effectuait avec des sociétés tierces situées à l’étranger.

En application de l’article 1147, ancien, du code civil applicable au litige, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n’a pas à procéder à de quelconques investigations sur l’origine et l’importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l’interroger sur l’existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu’aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421). Ainsi, le prestataire de services de paiement, tenu d’un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n’a pas, en principe, à s’ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de paiement régulièrement faites aux fins de s’assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.

S’il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l’obligation de vigilance de l’établissement de crédit prestataire de services de paiement, c’est à la condition que l’opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l’opération ou encore du fonctionnement du compte.

En l’espèce, ainsi qu’indiqué, entre le 24 décembre 2014 et le 22 juillet 2015, soit sur une période de 7 mois, M. [N] [M] a donné l’ordre à la Société Générale d’effectuer vingt-sept virements au bénéfice de comptes ouverts dans des banques européennes pour un montant total de 180 200 euros (pièces n° 8 et 10 de l’appelant).

Ainsi, dix virements ont été effectués entre le 24 décembre 2014 et le 21 janvier 2015 pour un montant total de 52 600 euros, au bénéfice d’un compte de dépôt ouvert au nom de M. [N] [M] dans les livres de la société Barclays Bank PLC en Angleterre.

Entre le 4 et le 27 février 2015, une autre série de treize virements a été effectuée par M. [M] pour un montant total de 106 600 euros, au bénéfice de la société Service Global 52 Ltd sur un compte bancaire ouvert dans les livres de la société de droit bulgare TBI Bank.

Le 17 mars 2015, M. [M] a reçu un paiement de 6 000 euros de la société Trade Capital Invest.

Au mois de mai 2015, M. [M] a été démarché par une autre plate-forme de trading en ligne ‘Analyst Invest’.

Entre le 22 mai 2015 et le 22 juillet 2015, il a ordonné quatre virements d’un montant total de 27 000 euros au profit des sociétés Alglobal Impex Ltd, Global Secure Ltd et Shaily Global Option Ltd sur des comptes bancaires ouverts auprès des sociétés roumaines Bancpost et Garanti Bank et de la société géorgienne JSC Capital Bank.

Il est constant que l’intégralité des virement effectués entre le 24 décembre 2014 et le 22 juillet 2015 ont tous été effectués sur instructions expresses et détaillées de la part de M. [M], via la plate forme de service de banque à distance Logitel dotée d’un dispositif de sécurité personnalisé combinant identifiant et mot de passe et sur laquelle il avait préalablement saisi les noms et les coordonnées bancaires des différents destinataires, à l’exception de deux ordres de virements dont l’un a été donné en agence et l’autre donné au moyen d’un bordereau de virement rempli et signé par M. [M] et remis à l’agence.

M. [M] ne conteste pas avoir donné son consentement à tous les ordres de virements, de sorte que comme l’a relevé le tribunal, ils ne relèvent pas de la législation spécifique aux virements frauduleux car non valablement autorisés par le détenteur du compte de dépôt sur lequel ils ont été débités.

Il ressort des relevés de compte versés aux débats par M. [M] pour la période litigieuse que les virements litigieux ne correspondent pas aux modalités de fonctionnement habituel du compte.

Toutefois, comme l’a relevé le tribunal, le solde du compte est demeuré créditeur à l’issue de chaque virement ordonné par M. [M] qui a veillé à alimenter suffisamment le compte avant l’exécution de chaque virement, au besoin en décidant de modifier la structure de son épargne, notamment en procédant au rachat d’un contrat d’assurance vie. Ces virements n’ont donc pas relevé d’une gestion patrimoniale incompatible avec les divers avoirs dont disposait alors M. [M].

Les pays de destination, à savoir l’Angleterre pour les premiers, puis la Bulgarie, la Roumanie et la Géorgie, n’étaient pas placés dans des zones à risque particulier.

Aucun des destinataires des fonds, bénéficiaires des virements, à l’exclusion de M. [M] lui-même, n’était inscrit sur la liste noire dressée par l’Autorité des marchés financiers.

Le fait que deux virements aient été recrédités sur le compte de M. [M] n’est pas de nature, contrairement à ce qu’il soutient, à démontrer l’existence de l’escroquerie alléguée.

Il y a lieu de rappeler également que la banque n’est intervenue qu’en qualité de prestataire de services de paiement et gestionnaire de compte, de sorte qu’elle n’était tenue à aucune obligation de mise en garde ou de conseil et qu’en tout état de cause, elle n’était pas informée par M. [M] du motif des virements effectués ; ce dernier n’avait pas sollicité son conseil sur un investissement quelconque et compte tenu de ces circonstances, la banque ne lui en avait dispensé aucun.

Comme l’a relevé le tribunal, M. [M] d’une part, a souhaité effectué des placements lui garantissant un rendement plus élevé que celui qu’il pouvait obtenir au moyen des produits financiers habituellement commercialisés par les établissements de crédit et, d’autre part, a procédé lui-même à une vérification de la liste noire de l’AMF avant de contracter avec la société Analyst Invest.

En effet il ressort de ses déclarations aux services de police lors du deuxième dépôt de plainte pour des faits d’escroquerie auquel il a procédé le 4 décembre 2015, que s’agissant des quatre derniers virements effectués pour des opérations conclues par l’intermédiaire de la société Analyst Invest : ‘J’ai été démarché par internet à partir du 25 mai 2015 par un cabinet d’investissement Analyst Invest qui m’a proposé d’investir la somme de 5 000 euros et en contrepartie il m’offrait un bonus de 3 750 euros dès l’ouverture de mon compte. A ce moment-là, le gain était intéressant et il n’y avait pas de mauvaises critiques et leur nom n’apparaissait pas sur la liste noire de l’Autorité des Marchés Financiers. Avec la somme investie, on faisait des placements sur le marché des placements binaires et le gain au bout d’un mois était de 10 % minimum’ (pièce n° 12 de l’appelant).

M. [M] a ainsi effectué de nouvelles opérations de placement sur le marché des options binaires aux mois de mai, juin et juillet 2015, alors que, dans le même temps, il ne parvenait pas à obtenir le versement de fonds apparaissant au crédit de son compte géré par la société Trade Capital Invest, versement qu’il avait demandé dès le mois de mars 2015.

Au surplus, ainsi que le souligne la banque dans ses écritures, la rentabilité des placements annoncée par l’interlocuteur de M. [M] ‘de 46 % minimum pouvant aller au-delà de 120 %’était totalement fantaisiste, tous comme ses commentaires : ‘Regardez le cours actuel du pétrole… On va se gaver.’ (pièce n° 6 de l’appelant).

Enfin, M. [M], qui exerçait la profession de pharmacien, invoque vainement un état de vulnérabilité spécifique lié à son état de santé qui aurait dû, selon lui, conduire la Société Générale à faire preuve d’une vigilance renforcée, alors que, comme l’a justement retenu le tribunal, il n’était pas placé sous une mesure de protection à l’époque des faits, ne démontre pas que la Société Générale était informée de ses difficultés personnelles et de leurs conséquences sur son état de santé lequel, au demeurant, n’implique pas nécessairement que ses capacités de discernement aient été amoindries.

Le jugement déféré sera par conséquent confirmé en ce qu’il a retenu que la responsabilité de la Société Générale pour manquement à son obligation de vigilance ne saurait être retenue et débouté en conséquence M. [M] de l’intégralité de ses demandes indemnitaires.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. L’appelant sera donc condamné aux dépens.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur ce fondement, l’appelant sera condamné à payer à la Société Générale la somme de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 2 février 2022 ;

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [N] [M] à payer à la Société Générale la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [N] [M] aux entiers dépens d’appel ;

REJETTE toute autre demande.

* * * * *

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 

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